Annie Arnoult
La grande histoire des scieurs de long
Quand grande pauvreté et surpeuplement rimaient avec émigration
Si tous ces hommes allaient à la scie, c’était
par nécessité, et non pas par goût des voyages, plusieurs
causes s’alliant entre elles. Le climat, avec des hivers neigeux et
sans fin, contraignait ces montagnards à une trop longue période
d’inactivité.
L’Abbé Ordinaire écrivait, en 1802, dans son manuscrit
: Dans l’arrondissement communal d’Ambert, comme dans celui
de Thiers, c’est à dire, dans toute la chaîne orientale
des montagnes de ce département, une multitude d’habitants
s’expatrient pendant la saison où la neige couvre la terre.
Cette émigration que le Conseil d’Arrondissement d’Ambert
porte pour son ressort à six mille individus, procède essentiellement
à la longueur dont y sont les hivers, de l’abondance prodigieuse
des neiges, et de l’extrême retard de leur fonte. Les hommes
inutiles à la terre durant sept mois consommeraient à pure
perte chez eux pendant tout ce temps. Si l’émigration est relativement
plus forte dans cet arrondissement que dans les autres, c’est que
son sol est vraiment plus malheureux.
C’était avant tout des paysans. Ils vivaient ou survivaient
de la culture, de l’élevage et de l’exploitation forestière.
Les scieurs de long se recrutaient aussi bien parmi les petits propriétaires,
que parmi ceux qui n’avaient aucun bien, à ces laboureurs,
se joignaient de modestes commerçants et artisans.
Leurs sols étaient pauvres, mal exploités, donnaient des récoltes
insuffisantes et irrégulières, des calamités n’ont
rien arrangé et ont entraîné des famines. Les années
: 1630, 1694, 1697, 1709, 1710, 1770 furent cruelles, avec des hivers et
des printemps particulièrement froids qui gelaient toutes les cultures,
auxquels s’ajoutaient les épizooties et les désastres
laissés par les gens de guerre après leur passage.
Les charges et les impôts seigneuriaux, religieux et royaux écrasaient
les populations. De plus, chaque scieur de long devait cotisé et
devait acquitter une taxe d’industrie, calculée en fonction
du pécule rapporté, comme le confirmaient les rôles
de taille tarifée.
Des écrits accablants
André Simon du village* de Mervillon, paroisse de Sauvain (42) et
Marie Savatier du village de Dizangou se sont mariés le 9 septembre
1741. En 1747, le curé a délivré à A. Simon
un extrait de son acte de mariage et ajoutait:
Voici un passage d’un mémoire anonyme rédigé
vers 1787-1789:
Tous les seigles étant semés au mois de septembre, et les
femmes suffisant pour le soin des bestiaux, la plupart des hommes sortent
et se répandent dans le Royaume, avec leur pioche ou leur scie pour
chercher de l’ouvrage, parce que la nature de leur terre et la dureté
du climat ne leur laissent rien à faire. Et qu’il leur faut
pour payer les charges des numéraires que les productions de leur
sol ne leur procurent pas entièrement. Pour payer les impôts
ils y suppléent par l’émigration annuelle, ils vont
exploiter une partie des forêts de toute la France.
Rapport du 21 novembre 1787 à l’assemblée provinciale
d’Auvergne
On ne peut attribuer la dépopulation prodigieuse de l’Auvergne
qu’à la surcharge de l’impôt qui ôte aux
malheureux laboureurs tout moyen de subsistance et les force à s’expatrier
pour chercher dans les climats étrangers les secours qu’ils
ne peuvent trouver dans la province.
Pour l’Abbé Ordinaire: le Gouvernement n’a même
jamais ignoré que sans les recours en numéraire que ce moyen
produit au département, les impositions ne pourraient être
acquittées. Les régimes successoraux apportaient une charge
supplémentaire, notamment en cas d’héritier universel,
contraint de dédommager ces cohéritiers et de régler
d’autres dépenses familiales. Il n’était pas rare
de voir réapparaître, après une longue absence, un scieur
de long venu toucher sa part ; d’héritage, puis disparaître
aussi discrètement qu’il était arrivé, cette
fois pour toujours. Pour servir en temps de guerre, tant que le recrutement
de la milice se limitait à un ou quelques hommes par paroisse il
n’avait pas suscité de situation particulière.
Le problème s’est corsé avec les levées obligatoires.
Avec la Révolution, si certaines charges ont diminué, en contrepartie
l’instauration du devoir militaire fut créée. Les jeunes
gens qui tiraient un mauvais numéro se voyaient embrigadés
pour de longues années, et devaient-ils s’estimer heureux,
s’ils avaient échappé aux massacres des guerres napoléoniennes,
ou autres batailles.
En dépit des risques encourus, beaucoup préféraient
déserter que de se soumettre aux lois de la conscription, ils choisissaient
de s’expatrier dans quelques forets lointaines
Les familles étaient regroupées par feux, voire par communautés
villageoises. Les communautés familiales étaient fréquentes
dans ces régions.
Malgré le fort taux de mortalité infantile et de mortalité
épidémique, les familles étaient nombreuses, trop nombreuses.
Cette surpopulation était inconciliable avec les ressources insuffisantes
des foyers.
Aussi, pour les plus pauvres, un parent parti, c’était une
bouche de moins à nourrir.
Jean Couty, né vers 1830, habitant au village de Donzenat commune
de Nedde dans la Haute-Vienne était scieur de long. Il s’est
marié le 17 septembre 1861 avec Anne Noillier. Voici ce qui était
stipulé dans leur contrat de mariage :
Article9e – Léonard Noillier (le futur beau-père) s’oblige
de loger, nourrir, blanchir, chauffer, éclairer, entretenir et soigner
tant en santé qu’en maladie les futurs époux et leurs
enfants à la charge pour eux de travailler de leur mieux à
l’utilité de la maison commune.
II est convenu; que le futur époux pourra, du consentement auprès
de son beau-père, aller travailler à la campagne de son état
de scieur de long, à la charge pour lui de payer chaque année
d’absence la somme de quarante francs payable à la St Jean
Baptiste…
Trouver une alimentation plus abondante au loin, laisser son pays froid
pour passer l’hiver dans un endroit où le climat était
plus doux, ces deux facteurs encourageaient également au départ.
Heureusement, le caractère de l’Auvergnat facilitait son intégration.
Dès l’adolescence aller à la scie, l’instinct
d’imiter, de faire pareil que les autres, devenait une tradition.
Les histoires du grand-père racontées aux veillées,
avec tous les détails sur ses exploits d’antan, et sur ses
pérégrinations, incitaient les garçonnets à
partir.
Dans ces milieux on était scieur de long de père en fils….
Même modiques, les gains rapportés par les premiers encourageaient
à l’exode, avec l’obsession chez le paysan d’agrandir
sa propriété en achetant quelques arpents de terre supplémentaires,
sans oublier l’idée de se protéger contre un éventuel
accident grave ou maladie et contre la vieillesse.
Comme le dit si bien Henri Pourrat :
Quand un Auvergnat trouve un biais pour se faire de l’argent, il appelle
toujours ceux de son pays.
Pour toutes ces populations, le phénomène migratoire, une
fois enclenché, devenait irréversible.
D’où partaient-ils ?
Les scieurs de long étaient tous originaires des régions pauvres,
à vocation forestière, et se situant en zones montagneuses.
Si les Landais, les Pyrénéens, les Savoyards etc… ont
émigré, la plus grosse concentration de ces scieurs de long
se trouvait dans le Massif Central, dans les anciennes provinces d’Auvergne,
du Lyonnais, du Limousin et de la Marche… correspondant de nos jours
aux neuf départements suivants:
Le Puy-de-Dôme (63), arrivait largement en
tête avec le plus gros contingent de scieurs de long partis principalement
du quart sud-est et de l’ouest: les Monts du Forez, les Monts du Livradois,
les Monts Dore.
La Loire (42), partis de l’ouest: les Monts de la Madeleine, les Bois
Noirs, les Monts du Forez.
La Creuse (23), partis du sud-est: le Plateau de Millevaches, le Plateau
de la Marche.
La Haute-Loire (43), partis du nord et de l’est: le Plateau du Velay.
La Corrèze (19), partis du nord-est: le Limousin, le Plateau de Millevaches,
les Monedières.
La Haute-Vienne (87), partis du sud-est: le Limousin, le Plateau de Millevaches.
Le Cantal (15), partis du centre et du nord-est: le Cezallier, les Monts
du Cantal.
La Lozère (48), partis du nord-est: les Monts de la Margeride, le
Haut-Gévaudan.
L’Aveyron (12), partis du nord-centre et ouest: les Plateaux ou Monts
d’Aubrac, de la Viadène, de Carladez, du Ségala, du
Haut-Rouergue.
Extrait du magazine "Cartes postales de collection"
n°174 juin/ juillet 1997 pp 3 à 15
Au temps où les planches se nommaient des ais, les
scieurs de long étaient des soyeurs d'ais, puis des scieurs de long-bois
et enfin des scieurs de long. L'auteur dramatique Jean-François Regnard
écrivait en 1708 dans son Légataire Universel : "Mon oncle
soyez sûr que je ne partirai qu 'après vous avoir vu bien cloué,
bien muré, dans quatre ais de sapin, reposer à votre aise."
Avec le temps, si le mot évolue, la technique ne change pas. Au début
de notre siècle, le scieur de long poursuit une tradition de belle
ouvrage avec les mêmes gestes, les mêmes attitudes que ses compagnons
du Moyen Âge et de l'antiquité.
l'arbre - le bois
L'abattage des arbres, destinés à être débités
par les scieurs, se fait entre octobre et avril, pendant le repos de la végétation.
Ils sont, selon leur destination, choisis en fonction de leur espèce,
de leur âge, de leur dureté, et coupés pour obtenir un
fût le plus long et le plus droit possible. De strictes règles,
basées entre autres sur les phases de la lune, régissent périodes
et façons de coupes. En ce domaine, la compétence du scieur
de long est au moins égale à celle du bûcheron. Après
avoir été écimé et ébranché le tronc
de l'arbre, devient une grume. Celle-ci est tronçonnée, ébillonnée,
transformée en billes. Rien n'est gaspillé, toute partie soigneusement
recueillie est utilisée. Les maîtresses branches servent pour
la fabrication des sabots ou du charbon de bois, les autres liées en
fagots, approvisionnent pauvres et riches en bois de chauffage et alimentent
les fours du boulanger, du verrier, du tuilier... Jusqu'à l'écorce
des jeunes chênes qui est rassemblée en bottes et acheminée
vers les tanneries.
ils sont partout
Les scieurs de long pratiquent directement sur les chantiers de constructions
de bâtiments, des édifications d'ouvrages d'art, de la marine,
de la batellerie, des chemins de fer, des mines...
Ils plantent leur décor dans la rue, sur la place de la ville ou du
village, dans les granges. Sur le chemin de l'école, les gamins s'accordent
un moment pour les admirer, fascinés par leur rythme et leur cadence
d' automates. Comme les lavandières, le photographe les néglige,
les oubliant en petit plan dans un coin du cliché. Ils font partie
du paysage. Ils s'activent devant la boutique des charrons et des menuisiers,
sur le quai des ports, à la lisière des bois, au cœur des
forêts sur les lieux des coupes. Ils se déplacent facilement
de chantier en chantier, transportant scies, haches, chaînes et passe-partout.
Les scieurs de bois s'installent directement sur les chantiers
qui vont utiliser leur production. Les vues générales de ces
chantiers de travaux publics, de constructions d'immeubles et bien sûr
de constructions navales laissent nécessairement apparaître plusieurs
chevalets de scieurs de bois.
Existait-il comme ici à Riom beaucoup de ces foires aux planches ?
Les scieurs devaient à cette occasion trouver leurs prochains chantiers
et leurs futurs patrons. Quelle meilleure façon de donner aux spécialistes
la possibilité d'apprécier le travail de chaque équipe.
Les scieurs de long propriétaires d'une scierie, d'un
magasin de bois, travaillent à leur compte et emploient souvent plusieurs
ouvriers.
Les adjudicataires de coupes, les marchands de bois ou les propriétaires
forestiers embauchent des équipes de scieurs de long. Patrons et ouvriers
vivent de ce métier qu'ils pratiquent une grande partie de l'année
voire à plein temps. Les charpentiers, les menuisiers, les ébénistes,
les charrons, les tonneliers sont de gros consommateurs de planches, de plateaux,
poutres, chevrons, voliges... Ces artisans achètent leur matière
première toute sciée, ou façonnent eux-mêmes le
bois nécessaire à leur entreprise devenant pour un temps scieurs
de long. Les paysans, habitués à vivre en autarcie, savent manipuler
la grande scie et débitent planches et poutres dont ils ont besoin
pour se meubler, construire, agrandir, rénover l'habitat et ses dépendances.
Les outils
L'outillage est sommaire. Les éléments métalliques seuls
se conservent, l'attirail de bois est réalisé sur chaque chantier.
Ainsi, le chevalet, support destiné à maintenir les billes pour
la coupe est fabriqué avec les matériaux trouvés sur
place. Les outils sont peu nombreux mais revêtent une multitude de formes
propres à chaque région, non seulement en France mais dans le
monde entier.
Le chevalet
Il existe plusieurs modèles de chevalets. Le plus simple, utilisé
par les Auvergnats, est formé par un tronc de 4 à 6 m de long,
surélevé à une extrémité à hauteur
d'homme, pour permettre au renard de se tenir debout, et maintenu par deux
pieds obliques venus s'encastrer à grands coups de masse. La partie
arrière touchant le sol s'appelle la queue ou culotte, elle concourt
à stabiliser l'ensemble. Le méplat de la queue est entaillé
d'encoches qui servent à la fois pour le ripage de la bille à
positionner et d'escalier au chevrier, véritable homme singe.
Les scies
Ils utilisent la grande scie à cadre ou, souvent en Normandie, le cran.
La première est formée d'un cadre en bois de sapin, hêtre...
composé de deux montants d'environ 1,50 m de long, de deux sommiers
de traverse d'environ 1 m de large munis chacun d'une poignée. L'ensemble
se monte et se démonte aisément. Au milieu est placée
une lame fixée à chacune de ses extrémités par
des clavettes engagées dans des anneaux. Anciennement, la lame était
raidie par de simples cales en bois placées de part et d'autre ; par
la suite, l'anneau supérieur fut muni d'une vis de serrage, d'un tendeur
à écrou, avec des coins. La lame peut être déplacée
à l'intérieur du cadre lorsque la grosseur de la bille interdit
tout mouvement de côté du cadre. Lorsque les grumes sont particulièrement
grosses on construit spécialement un cadre hors norme. Le cran est
une scie sans châssis, constituée uniquement par une lame de
forme trapézoïdale avec, aux extrémités deux poignées
aux bras directement rivés dessus, elle est plus épaisse et
donc plus rigide que celle montée sur châssis. On l'utilise pour
scier des troncs de gros diamètre comme le célèbre chêne
Raoul de la forêt de Bonsecours. Le passe-partout est une scie formée
d'une large lame, munie à chaque extrémité d'une poignée
et dont l'emploi exige aussi deux hommes.
Les hommes
Une équipe de scieurs de long comprend trois personnes : le doleur,
le chevrier et le renard. Le doleur ou bûcheur est le chef d'équipe,
il a acquis son autorité par son habileté à aiguiser
les lames d'outils et par son esprit d'entreprise ; il s'occupe aussi des
repas. Le chevrier est le scieur d'en haut, le renard, le scieur d'en bas.
Plusieurs équipes constituent une brigade ; dans ce cas un doleur suffit
pour quelques paires de scieurs de long. Levés alors qu'il fait encore
nuit, ils sont prêts à empoigner la scie jusqu'au soir. Aux dernières
lueurs du crépuscule, ils la troquent contre le passe- partout et tronçonnent
les billes devant être sciées le lendemain.
Le travail
L’équarissage
Dès que les bûcherons ont abattu les arbres marqués, les
scieurs se mettent à l'ouvrage. Le doleur écorce puis équarrit
avec sa lourde hache les deux ou quatre faces de la bille (tronc d'arbre ébranché
et débarrassé des nœuds). Elle est pour cela posée
sur un chevron transversal le chantier, qui la rehausse d'une dizaine de centimètres
; des crampons métalliques, les clameaux la stabilisent. Équarri,
le tronc présente quatre faces planes formant une section carrée.
La préparation
Le doleur trace, à l'aide d'un cordeau enduit d'une poudre colorée,
autant de lignes parallèles que de planches réalisables. Il
faut calculer au plus juste pour obtenir le maximun de débits dans
la même bille.
La bille ainsi préparée est hissée sur le chevalet, à
force d'homme sur l'épaule, ou roulée par la queue du chevalet
en la faisant riper ; certains s'aident d'un cric de voiturier ou d'une chèvre
de charpentier. Elle est ensuite solidement attachée par une chaîne
et des coins. Afin d'éviter le mouvement de balancier, ils placent
de gros rondins au pied de la queue ou carrément l'attachent par une
chaîne à un arbre ou un pieu. La bille surplombe le support d'un
peu plus de la moitié de sa longueur. Certaines cartes nous montrent
des positions de la bille et du chevrier qui semblent défier toutes
les lois de l'équilibre. Il y a du funambule chez ces scieurs de long.
Le sciage
Le chevrier grimpe en escaladant la queue du chevalet. Soit il quitte ses
sabots et se tient à pieds déchaux, soit il chausse des souliers
ferrés à griffes pointues pour conserver plus d'adhérence.
Contre le froid et contre les échardes, il enfile des chaussettes à
la semelle renforcée d'une toile de chanvre. Au sol, le renard lui
fait face, jambes écartées. Il est couvert d'un chapeau à
larges bords, ou d'un vieux sac de toile pour éviter de recevoir de
la sciure dans les yeux. Les dents de la lame sont crochues, elles ne mordent
le bois qu'en descendant. C'est donc le renard qui scie. Pour empêcher
que la lame soit coincée, il enfonce un coin d'ouverture, le bondieu
dans la coupe, avec le dos de la cognée. Il l'ôtera avec la masse
ou le chasse- bondieu. Le chevrier remonte la scie en l'écartant légèrement
de l'entaille et la guide en fixant son regard sur le trait de scie. Il progresse
en reculant. Le travail est équitablement réparti entre compagnons.
Arrivés à hauteur du chevalet, ils s'arrêtent, font pivoter
la bille et attaquent l'autre côté.
La signature des scieurs de long
Ils stoppent leur manœuvre à quelques millimètres du premier
passage, dégagent la scie, détachent la bille et la jettent
à terre. Une ligne rugueuse, la signature ou jetée de sciage,
apparaît alors, marquant la jonction des deux traits de scie. (Dans
un magazine récent, un antiquaire vantant sa marchandise précisait
: toutes mes armoires portent au dos la signature des scieurs de long).
Les bois trop durs obligent deux renards à tirer la scie. Ils redoutent
également les pins à cause de leur sève qui poisse tout
: outils comme vêtements.
Le salaire
La durée d'une journée de travail est conditionnée par
la lumière du jour. Les scieurs de long réputés pour
leur endurance s'échinent quotidiennement de 12 à 15 heures,
pour une maigre rémunération.
Ils sont payés à la journée ou à la pièce.
"Avant que je n'aille plus loin, il vous faut savoir que les scieurs
de long, au temps de ma jeunesse, travaillaient souvent pour un salaire de
journée assez misérable qui tournait autour de huit réaux
(le réal vaut cinq sous), rarement plus. Aussi, les gars ménageaient-ils
leurs forces, faisant aller leur scie sur un rythme économe qu'ils
scandaient ironiquement en disant : sept à huit réaux et trois
sous percés. Et le patron en avait pour son argent, pas beaucoup plus.
Mais quand ils étaient payés à la tâche, la scie
de deux compères, celui du haut et celui du bas, montait et descendait
comme un trait d'éclair parce qu'il leur était possible de gagner,
en s'échinant de l'aube au crépuscule, un écu de plus
(l'écu vaut trois francs)." Pierre-Jackez Helias La nuit des Vivants
un metier de nomades
L'histoire du Massif Central est marquée par celle des migrations saisonnières
de ses habitants. On évoque habituellement celles des maçons
creusois, des ramoneurs savoyards ou des nourrices morvandelles, mais n'oublions
pas les scieurs de long auvergnats, foréziens et limousins qui par
milliers quittaient à l'automne leur village et ne rentraient qu'au
début de l'été suivant, se plaçant sous la protection
de saint Simon leur saint patron. A l'époque les déplacements
se faisaient à pied et chacun devait posséder un passeport indiquant
ses lieux de départ et de destination. Ces documents que l'on peut
encore retrouver aujourd'hui permettent de retracer les itinéraires
par le jeu des visas municipaux apposés à chaque étape.
Voici un des rares témoignages d'un ancien scieur de long, M. Jean-Marie
Tournebize de Valcivières (Puy-de-Dôme).
« Dans le temps, à Valcivières, il y avait énormément
de scieurs de long qui émigraient. Cette façon de scier était
également très répandue ici. Lorsque les gens voulaient
faire des réparations chez eux, à la grange, à l'écurie
ou ailleurs, ils sciaient comme ça. Il n'y avait pas beaucoup de scieries.
J'avais 17 et 18 ans quand je suis parti en Normandie en 1924 et 1925, en
remplacement d'un scieur de long dont la femme était malade. Nous étions
douze ou treize à émigrer ensemble, nous constituions plusieurs
équipes. Juste avant le départ, nous nous rendions à
la mairie pour remplir les formalités. «Nous prenions le train
à Ambert pour Paris, à Paris nous changions pour la Normandie.
Arrivés là-bas, celui qui nous avait embauchés, nous
avait dit : Venez avec moi, je vais vous faire voir où vous travaillerez,
et dans quelle ferme vous logerez .De coucher dans le foin ça ne nous
faisait rien, mais mon frère avait emmené sa femme. Il n'y avait
pas longtemps qu'ils étaient mariés et ne souhaitaient pas coucher
avec nous. Alors le patron leur avait offert la maie comme lit. C'était
étroit, ils s'allongeaient tête-bêche, et devaient abandonner
leur couchette pour quelques jours quand c'était le moment de faire
le pain. Ma belle-sœur nous préparait les repas. On sciait des
traverses pour les chemins de fer. Quelquefois, un paysan nous demandait de
lui scier des planches, des poutres... Nous étions costauds, nous montions
le morceau de bois sur l'épaule pour le poser et le fixer sur le chevalet.
Sur le chantier nous rigolions, nous chantions. «On travaillait tous
les jours de la semaine. Notre seul moment de repos était le dimanche
après-midi. Nous allions dans un petit patelin acheter des provisions,
et nous attabler au café.
Le patron nous payait toutes les deux ou trois semaines. Il nous partageait
les sous, c'était assez intéressant, on se faisait un bon petit
pécule. Partis à l'automne, nous rentrions à la Saint-Jean
pour les foins, pour semer le grain, pour planter les pommes de terre, et
pour panser le bétail. «Mes parents étaient paysans, ils
possédaient une jasserie aux Supeyres, alors fallait bien que quelqu'un
monte pour garder les vaches sur la montagne. Tous mes frères sont
partis scieurs de long : chitayes. Je me suis marié en 1928. Avec ma
femme, nous avons habité Gourbeyre. Nous avons monté une petite
usine où nous fabriquions des lacets pour les chaussures."
l'humour des scieurs
Depuis les salles de garde jusqu'aux salles de police, tous les corps de métiers
ont un répertoire chansonnesque assez gaillard. Les scieurs de long,
ont par la force des choses, hérité d'un humour, on ne peut
plus scatologique, basé sur la prononciation chuintante faussement
attribuée aux Auvergnats. On voit tout de suite l'humoristique parti
que l'on peut tirer de tout un vocabulaire à base de scie, scierie,
sciant et autre scieur. Nous passerons sous silence les multiples versions
de La chanson des scieurs de long pour nous arrêter sur quelques extraits
du grandiose monologue Adieu Auguchtin, Auguchtin adieu qui réunit,
sous la forme d'une oraison funèbre parodique, toutes les modulations
possibles et imaginables du thème :
Tu étais bon et brave scieur de long Augustin, tu sciais le jour, tu
sciait la nuit, tu sciais dessus, tu sciais dessous, tu sciais en large, et
tu sciais en long, tu sciais partout,...
[...]Le jour du concours des scieurs de long, c'est toi qui scias le plus
gros tas. Quinze jours avant ta mort tu es resté sans scier, je crois
bien que c'est ça qui t'a rendu le plus malade, car pour un scieur
de long consciencieux, ne plus pouvoir scier, quel atroce supplice.
A vous de traduire en chuintant les s et c !.. Et on rigole ! !
la fin d'un metier
Cette pratique déjà utilisée dans l'Antiquité
romaine, a traversé allègrement de nombreux siècles.
Elle s'essouffle à la fin du XIX° et au début du XX°,
avec l'arrivée des scieries ambulantes actionnées par les locomobiles
à vapeur. En Europe, elle disparaît définitivement dans
les années 1950. Ainsi s'éteint une activité spectaculaire
et toute une tradition.
Désormais, les scieurs de long, qui comme les missi dominici allaient
par deux, débitant à longueur de journée de longues pièces
de bois dans le sens du fil, sont entrés dans le dictionnaire des métiers
disparus, entre le scieur de blé et le scribe, et leurs grandes scies
sont devenues des objets admirés dans les écomusées.
Les quelques lignes de cette page, publiées avec l’accord de l’auteur, ont pour objet de vous permettre d’appréhender les difficultés de la vie des paysans auvergnats au cours des siècles derniers, et de montrer pourquoi beaucoup d’auvergnats ont fait souche en dehors de leur terre d’origine. C’est vrai également pour les maçons de la creuse et bien d’autres régions dont les autochtones s’étaient fait un renom dans une spécialité donnée. Si vous êtes intéressés par l’histoire de ces hommes je vous invite à acheter les deux magnifiques ouvrages qui la racontent chez...
Annie ARNOULT Lieu dit Cétéreau
42110 Sainte Foy Saint Sulpice