Jean-Pierre Chabrol
Contes d'outre-temps

Dans les deux mètres de haut. Une guillotine ! Une énorme lame médiane. Un manche surélevé et un manche décalé vers l'avant. Chacun pour deux poignes. Le tronc d'arbre était posé sur un chevalet, à bonne hauteur. Debout dessus, l'un des scieurs tirait l'outil le long de son corps et le remontait jusqu'au dessus de sa tête. C'était un colosse. Son compagnon, plus petit évidemment, était dessous, tirant l'outil vers le bas. C'est pour lui épargner la sciure dans les yeux que le manche inférieur est décalé vers l'avant. Les scieurs de long allaient par deux : un géant et un tout petit, Louison et Louiset... Quand on voyait un de ces couples dépareillés sortir de la forêt, on disait : "Tiens ! des scieurs de long..." Ils avaient leurs coutumes et leurs chansons. - Devine ce qu'ils faisaient le dimanche, me lance Pierrot, rigolard : des concours de scieurs de long ! Il en venait de toute la province. On leur choisissait des troncs énormes, du bois bien dur, et ils crachaient dans leurs mains !... Imagines-tu un concours de ... Je ne sais pas, de mécanos qui passeraient leur dimanche après-midi pour gagner le championnat des rodages de soupapes ?
Jean-Pierre Chabrol Contes d'outre-temps, 1969