Les scieurs de long
et terrassiers du Forez
Nos ancêtres, vie et métiers
Migrations des scieurs de long p 17
Les scieurs de long ont tenu une place importante dans la
vie quotidienne jusque dans les années 1950. Ils sciaient à
la main les billes de bois dans le sens du fil, en longueur. Ils constituaient
une main d'œuvre économique et mobile, qui pouvait exercer dans
des lieux difficiles d'accès. Pendant près de cinq siècles
(1480-1939), nombreux sont ceux, qui se firent migrants, allant « à
la scie » comme l'on disait autrefois. Originaires du Massif Central,
ils partaient par nécessité : obligation de subvenir aux besoins
des familles, sol pauvre et récoltes insuffisantes, absence d'industrie,
absence d'activité durant les longs mois d'hiver, poids des charges...
Pour les plus pauvres, un parent en moins, c'était une bouche de moins
à nourrir. Beaucoup se rendirent en Espagne, au Portugal, en Allemagne,
au Canada, mais ils essaimèrent surtout dans quatre-vingt-huit départements
français. Les départs s'étalaient ; de septembre à
octobre, les retours de fin mai à juillet, une campagne durant en moyenne
neuf mois chaque année. Ils connaissaient leur destination et la précisaient
lors des différentes démarches qu'ils effectuaient : auprès
du prêtre sous l'Ancien Régime, chez le notaire pour procuration
et testament et plus tardivement chez le maire pour un passeport. Les scieurs
emportaient le strict nécessaire (une paire de sabots supplémentaire,
leurs outils). Ayant l'habitude de fréquenter les mêmes lieux
d'année en année, ils connaissaient les itinéraires les
plus courts. Les trajets étaient effectués à pied, avec
une quarantaine de kilomètres parcourus par jour. A peine arrivés,
ils devaient se construire une cabane de branchages et de terre. Ils allaient
vivre et travailler 15 heures par jour, plusieurs mois, au beau milieu de
la forêt. Cette vie isolée et le patois qu'il parlaient entre
eux leur attirait la méfiance des gens du pays. Pour tous ces migrants,
il fallait ajouter à la pénibilité du travail l'éloignement,
toujours difficile à supporter. Et sitôt rentrés, ils
troquaient leur outils pour ceux du travail de la terre. Ne disait-on d'ailleurs
pas que les scieurs de long n'allaient jamais en enfer ? Ils l'avaient connu
sur terre !
Annie Arnoult
Pour en savoir plus : On ne saurait trop conseiller la lecture des deux tomes de La grande histoire des scieurs de long d'Annie Arnoult. Cette « somme » considérable, enrichie de plus de 700 illustrations en couleurs (360 par tome) est disponible notamment auprès de l'association Les scieurs de long du Massif Central (Le Bourg, 42990 Sauvain) au prix de 55 € par volume + 8 € de port.
Article p 55
Voilà les scieurs de long à l'œuvre :
marquant au cordeau noirci les futurs traits de scie (on trempe une ficelle
dans de l'eau noircie à la cendre), montant la pièce de bois
sur le chevalet où la chaîne et le coin la retiennent. Leur scie
est composée d'une lame tendue entre deux bras horizontaux ou «
sommiers » réunis par deux montants. Cette lame est fixée
au milieu de ce châssis perpendiculairement à son plan. L'un
des scieurs monte sur la pièce tandis que l'autre se tient au sol ;
le premier, le « chevrier » soulève la scie, agissant sur
la poignée supérieure dite « chevrette », le second,
le « renardier », la tire de haut en bas par la poignée
inférieure nommée « renard », et la scie, ainsi
animée d'un mouvement alternatif, opère la division de la grume
en suivant un trait en ligne droite ou en ligne courbe suivant le tracé.
Et tout le long du jour, l'un tirant d'en haut, l'autre tirant d'en bas, ils
s'escriment à scier les troncs. Rude tâche, pour le moins monotone...
Le doleur dirigeait une équipe de scieurs de long. Reconnu pour son
habileté, il s'occupait de l'équarissage des troncs et de l'intendance
(repas...). Pendant des siècles et jusqu'à l'apparition de la
force mécanique, le sciage de long a été l'unique technique
adaptée au débitage des troncs de gros diamètre.
Pour la façon de 1000 pieds courants de bois de sciage assorti de planches,
voliges et chevrons, on payait les scieurs de long 36 fr. vers 1880 si les
bois sciés étaient des sapins, des peupliers, des trembles et
autres bois tendres, et 45 fr. pour le sciage de chêne. La façon
du sciage pour le « bois de cuve » (2 pouces d'épaisseur
sur 7 pouces de largeur moyenne) était de 42 fr. par mille pieds courants.
Le prix de sciage des bois de bateaux était de 60 fr. par mille pieds
courants.
Avec l'apparition de la force mécanique, à
partir de 1860, et même très tardivement, après 1914 dans
certaines forêts, les cadences changent et permettent d'économiser
la peine des hommes.
Voici ce qu'en écrit un auteur de la fin du 19° siècle :
« Dans une exploitation importante de forêt, on a souvent intérêt,
pour la rapidité et l'économie du travail, et surtout pour la
facilité du transport des bois de grumes qui est généralement
difficile, à opérer sur place une première division des
arbres abattus, au moyen des scieries mécaniques. On est même
arrivé à faire l'abattage des arbres mécaniquement au
lieu d'employer la hache et la scie passe-partout comme cela se pratiquait
autrefois. La machine employée dans ce but, imaginée par M.
Ransonne, consiste en une lame droite montée à l'extrémité
de la tige d'un piston se mouvant dans un cylindre long et étroit,
par l'action de la vapeur... Les dents de la scie sont à crochets et
inclinés, dans un sens tel que la scie ne travaille que par traction.
On fournit de la vapeur à cette machine au moyen d'une chaudière
montée sur chariot ou bien au moyen de la chaudière d'une locomobile
qui peut servir en même temps à mettre en mouvement d'autres
machines-outils.
L'arbre abattu, on le débite sur place en plusieurs tronçons
et on en fait grossièrement l'équarrissage, et même la
division en madriers. On emploie pour ces travaux, les scies circulaires,
les scies verticales à une seule et plusieurs lames et les scies à
ruban. Ces machines doivent d'avoir des dispositions telles qu'elles soient
facilement transportables, tout en étant très robustes. On les
met en mouvement au moyen de locomobiles. On a aussi l'idée de transmettre
la force nécessaire aux machines à scier au moyen de l'électricité,
en utilisant par exemple une chute d'eau se trouvant à proximité
de la forêt à exploiter. Les bois abattus soit déjà
tronçonnés et équarris d'une seule pièce, en grume,
et sont amenés aux scieries à installation fixe où ils
sont débités en pièces de charpente, en madriers ou en
planches suivant l'usage que l'on veut faire. »
Comme à toutes les époques, des questions se
sont posées sur l'opportunité des nouvelles inventions. Voilà
ce qu'écrivait un observateur de la fin du 19° siècle :
« Les scies mécaniques donnent plus de déchets que les
scies à main et exigent proportionnellement un effort moteur plus considérable.
De plus, elles ont l'inconvénient de débiter d'un seul trait
sans tenir compte des défauts et des vices du bois, tandis que les
scieurs peuvent modifier le lignage dans le cours du travail. Par contre,
les scies mécaniques donnent une précision beaucoup plus grande,
les « gauches » sont évitées complètement
et les épaisseurs beaucoup plus régulières. La production
est bien plus grande, ce qui diminue dans une proportion considérable
le prix de revient. Cette dernière considération est d'une telle
importance qu'elle a fait adopter le sciage mécanique dans la presque
totalité des scieries. »
Devant les réalités économiques et les facilités
offertes par le « machinisme » comme on disait autrefois, ce genre
de questionnement ne se pose pas très longtemps : deux hommes scient
par jour 110 pieds courants de planche, suivant la méthode ancienne.
Une scie ordinaire mue par un petit courant d'eau fabrique 12 planches de
12 pieds à l'heure. Elle travaille ordinairement douze heures, ce qui
fait une fabrication de 144 planches ou de 1728 pieds courants de planches
par jour !
Autour du sapin p 57
Pour scier les sapins, on ne fait qu'enlever l'écorce sans équarrir. Les planches ont ainsi toute la longueur de l'arbre. Celles de côté, que l'on nomme "dosses", sont arrondies sur une face et ont peu de valeur. Dans les grandes forêts, on débite une partie de ces arbres en planches dont la longueur est ordinairement de 12 pieds, la largeur de 10 à 14 pouces et l'épaisseur de 12 à 13 lignes. La douzaine de ces planches se vend près d'une scierie de 12 à 14 fr. Un sapin de 30 pouces de tour rend 30 petites planches de 7 pieds de longueur, sur 6 pouces de largeur, valant 4 fr. la douzaine, ce qui fait en tout 10 fr. Alors qu'un sapin de 6 (60?) pouces de tour rend 88 planches de 11 pieds de longueur sur 12 pouces de largeur, lesquelles valent à raison de 11 fr. la douzaine, 80 fr. les 66, l'épaisseur de toutes ces planches étant d'un pouce. A la fin du 19° siècle, le prix du transport des bois de sciage sur un chemin de traverse est de 3 fr. pour une lieue par millier de pieds courants de planches assorties.