Les scieurs de long/9
Chabraille et Rinar, les deux scieurs

Le sciage de long se pratiquait généralement à deux: l'un, perché sur le tronc à scie guidait et relevait l'immense scie, l'autre, au dessous poussait vers le bas. Le premier était surnommé "chabraille, la chèvre", probablement parce que les biquettes grimpent n'importe où, on en voit souvent, au Maroc, dans les arganiers, et que "la chèvre" était le nom du chevalet où était fixée la grume. L'autre, qui se prenait toute la sciure, était surnommé "rinâ, le renard" ; y a-t'il un rapport avec la toux du renard enfumé dans son terrier? Ils étaient ausi nommés "sarrabaiïres d'amount et d'abaÿ".

"Celui du dessus avait des deltoïdes énormes et un dos en (anse de) panier. Celui d'en bas, le renard, avait les yeux rouges ... ça venait de la sciure d'en haut qui tombait comme pluie. "
Henri Vincenot La vie quotidienne dans les chemins de fer au XIX° siècle

"Dans les deux mètres de haut. Une guillotine ! Une énorme lame médiane. Un manche surélevé et un manche décalé vers l'avant. Chacun pour deux poignes. Le tronc d'arbre était posé sur un chevalet, à bonne hauteur. Debout dessus, l'un des scieurs tirait l'outil le long de son corps et le remontait jusqu'au dessus de sa tête. C'était un colosse. Son compagnon, plus petit évidemment, était dessous, tirant l'outil vers le bas. C'est pour lui épargner la sciure dans les yeux que le manche inférieur est décalé vers l'avant.
Les scieurs de long allaient par deux : un géant et un tout petit, Louison et Louiset... Quand on voyait un de ces couples dépareillés sortir de la forêt, on disait : "Tiens ! des scieurs de long..." Jean-Pierre Chabrol Contes d'outre-temps, 1969

Doc: texte de Claude Chabrol

"Les Scieurs de long ne peuvent être moins de deux Ouvriers pour exécuter leur travail; communément ils sont trois, & ce n'est pas trop pour monter de grosses pièces sur leur chevalet. Quand une pareille pièce a été mise en place, un Ouvrier a monté sur cette pièce, relève la scie & la dirige sur le trait; un ou deux autres, placés au dessous de la pièce tirent la scie en en-bas & comme les dents de la scie ne mordent qu'en descendant il faut plus de force pour la faire descendre que pour la remonter; c'est pour cette raison qu'il y a ordinairement deux Ouvriers en bas. " Henri Louis Duhamel du Monceau, grand spécialiste de l'exploitation des bois au XVIII° siècle les faisait plutôt aller par trois -nombre nécessaire pour débiter des bois durs- et détaillait la technique de sciage :
"A chaque coup de scie, les Scieurs d'en-bas la tiennent d'abord perpendiculairement & à mesure qu'elle descend, ils tirent le bas de la scie vers eux; celui d'en haut attire en même temps à lui le haut de la scie; de sorte que le tranchant de cette scie décrit une courbe nécessaire pour dégager de dessus le trait la poussiere que la scie a détachée du bois. Toutes les fois que l'Ouvrier remonte la scie, il la recule un peu, afin que les dents ne frottent point contre le bois ce qui le fatigueroit beaucoup, parce que ses bras ne sont point en force, quand ils remontent la scie. Pour rendre encore la scie plus coulante on en frotte de temps en temps le feuillet avec de la graisse, & l'on enfonce un coin dans l'ouverture du trait déjà commencée, ce qui, joint à la voie que l'on donne aux dents de la scie lui donne beaucoup de jeu pour aller & venir.
Quand les Scieurs enfoncent trop leurs coins ils forcent les fibres du bois ce qui souvent occasionne des éclats qui endommagent les pièces les Menuisiers rencontrent ces éclats lorsqu'ils travaillent les bois de sciage à la varlope." L'exploitation des Bois, tome 2 p 657...
Hubert-Robert : le bosquet des bains d'Apollon, Versailles, 1777, détail
L'imagerie populaire, les cartes postales anciennes ne montrent le plus souvent que deux scieurs à l'ouvrage. Travailler à trois était nécessaire pour les plus grosses pièces, comme celles nécessaires à la construction navale en bois qui engloutissait des forêts entières. Duhamel du Monceau connaissait bien à la fois la gestion des forêts et la construction de vaisseaux pour laquelle il voyait fréquemment oeuvrer les scieurs par trois : "nommé inspecteur général de la marine en 1739, il crée, en 1741, une école de marine, qui deviendra en 1765 l’École des ingénieurs-constructeurs, future ENSTA Paris" Wikipédia Notice Duhamel du Monceau

La Chapelle Rablais est fort éloignée de toute mer, alors, pourquoi évoquer un quelconque rapport avec la construction navale? En vérité, tous les bois exploités dans la forêt de Barbeau, actuelle forêt de Villefermoy, n'étaient pas destinés à "la provision de Paris", comme je l'ai longuement exposé dans le chapitre sur les voituriers thiérachiens; un quart de la superficie du massif forestier devait être mis en réserve, à ne couper qu'après cent vingt ans : "...Voulons que ... la quatrième partie au moins des bois dependans des Eveschez, Abbayes, Benefices, Commanderies & Communautez Ecclesiastiques, soit toujours en nature de fustaye..."
ordonnance du 13 août 1669 Sur le fait des Eaux & Forests

Début du dossier sur les voituriers en bois thiérachiens, 31 pages.

L"Atlas général de la seigneurie, justice haute, moyenne et basse de la prévôté de Ville Fermoy et ses dépendances..." AD77 101H28 cité à la page précédente montre comment les bois de Villefermoy, appartenant à l'abbaye de Barbeau, étaient gérés. Les moines et l'abbé se partageaient la forêt en parts égales, "manse conventuelle et manse abbatiale". Vingt "ventes" dans chaque manse étaient exploitées, année après année, et un quart de la superficie était en "réserve".

Doc: l'atlas de Villefermoy de l'abbaye de Barbeaux 1774
Traces de voituriers en bois courbe de la forêt de Fontainebleau

La forêt de Villefermoy ne manque pas d'arbres exceptionnels comme celui prélevé dans la coupe de l'Estangson (l'Etançon) photographié devant la mairie de la Chapelle Rablais. Il est possible qu'avant la Révolution, de grands arbres ont été prélevés pour la marine, comme, de nos jours, cinquante neuf chênes de Villefermoy sont destinés à la reconstruction de la flèche de Notre Dame de Paris (article à retrouver sur le site du préfet de Seine et Marne).

Lien vers la page "marchands de bois"
59 chênes de la forêt de Villefermoy pour la flèche de Notre Dame

Doc : Duhamel du Monceau, extraits "De l'exploitation des bois"


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