Les batteurs en grange
Extraits du Patois briard
et autres documents
Le Patois briard
Avant la mise en pratique générale des machines à battre, par des entrepreneurs de battage, chez tous les cultivateurs, c'est-à-dire à la même époque où la moisson se faisait à la faucille, toutes les céréales, blé, avoine, orge, se battaient au fléau (au fiau) par des batteurs (des batteux) qui étaient le plus souvent les faucheurs de fourrage de la saison d'été.
On commençait le battage du blé dans les premiers jours de septembre, afin de préparer les semences pour la binaille qui commençait vers le 25 de ce même mois.
Il y a un siècle, au petit village de Flaix, hameau de Villiers-Saint-Georges, mais qui était alors une commune d'une cinquantaine d'habitants, une foire se tenait le 6 septembre pendant laquelle se faisait la louée des batteux ayant leurs fiaux (fléaux) à la main ; ils le maniaient devant les employeurs, pour montrer leurs aptitudes, ce qui était très pittoresque.
Les batteurs étaient payés au boisseau de grain battu et nettoyé. Avant l'invention des tarares, qui ne date que de soixante-quinze à quatre-vingts ans, (1930-80= 1850) les batteux nettoyaient le grain battu, le séparaient de ses balles, ou menues-pailles, au moyen d'un van qu'un batteux secouait et, ensuite, on versait le blé en grain dans un crible qu'un autre batteux balançait à son tour pour épurer entièrement le grain de ses notions et graines étrangères, puis versait le grain complètement nettoyé sur l'aire de la grange en un tas; toutes ces opérations, pour le blé. On ne vannait ainsi que trois ou quatre fois par semaine, le blé non vanné étant relevé dans un coin de la grange. Le vannage terminé, on mesurait le grain au boisseau, en présence ou avec l'aide du maître ou de l'un des siens ; on versait cinq ou six boisseaux dans un sac qu'un batteur montait au grenier. Quelques-uns, de force exceptionnelle, portaient un sac entier de 120 kilos.
Dans une ferme de quelque importance, il y avait quatre ou six batteurs formant deux équipes, laissant tomber le fléau sur la gerbe alternativement et en cadence. Une équipe se mettait par un bout, la seconde à l'autre bout de l'aire de la grange. Pour une équipe de deux, les batteurs se tenaient sur la même ligne, avec un intervalle de 1 m. 50 entre eux : s'ils étaient trois, le troisième se plaçait en face des deux autres, à distance de jeu de fléau, en formant ainsi les sommets d'un triangle isocèle. Les batteurs étaient pieds nus, pour ne pas écraser le grain avec leurs sabots et en chaussons par les trop grands froids. Pour les battre, on disposait les gerbes de blé de la manière suivante : trois ou quatre gerbes étaient placés à côté l'une de l'autre, sans être serrés, perpendiculairement à un côté de l'aire, les épis étant tournés vers le milieu de l'aire. Trois ou quatre autres gerbes étaient mises en face et du côté opposé aux premières, leurs épis touchant presque ceux des premières gerbes placées. Alors, les batteurs frappaient de leurs fléaux les épis de la première gerbe à leur droite, tous sur la même, avançaient sur la seconde, puis sur la troisième, revenaient sur la troisième gerbe de la rangée de gauche, ensuite sur la deuxième et finissaient sur la première de cette rangée. Cette première opération faite, ils retournaient les gerbes sur place, pour mettre en dessus la face du dessous. Ils battaient alors les gerbes retournées, comme dans la précédente opération. Les épis de deux côtés des gerbes étant ainsi battus, on déliait celles-ci, on les écartait, on détortillait les liens que l'on mettait sur les gerbes et, alors, on frappait sur toute une largeur de la paille écartée, afin de battre les épis pouvant se trouver dans l'intérieur des gerbes. Cette troisième tournée finie, on retournait la paille en mettant en dessus la face se trouvant en dessous ; pour cette opération, on prenait la paille par le bout des épis, on la soulevait et on lançait ce bout du côté de la partie opposée (du côté du cul des gerbes), ramenant ainsi cette partie vers le milieu de l'aire. Alors, on frappait de nouveau une quatrième fois. Les gerbes se trouvaient cette fois complètement battues ; on en ramassait la paille à grandes brassées que l'on mettait dans un coin de l'aire sans être liée. Les batteurs ne liaient la paille que lorsqu'ils en avaient une grande quantité d'agglomérée et ils en lançaient les bottes en dehors de la grange ou dans une pontée s'il y en avait une de libre. L'enlèvement ou l'entassement de la paille était à la charge du fermier.
Avant de remettre d'autres gerbes à battre, le grain était ramassé et relevé dans un coin avec le dos d'un râteau n'ayant qu'une rangée de dents. Toutefois, ce relevage n'avait lieu que lorsqu'il y avait une quantité de grains d'une certaine épaisseur sur l'aire. Cette manière de battre s'appliquait au blé.
Le procédé de battage pour l'avoine n'était pas le même que pour le blé, puisque l'avoine n'était pas liée. On dressait l'avoine debout, la frange en haut, autant qu'il en pouvait tenir de quantité dans la portion d'aire de grange dont on disposait. Cet amoncellement s'appelait une erguiée signifiant airée, plein l'aire. On frappait, en avançant régulièrement d'un bout à l'autre de l'erguiée, sur ces têtes d'avoine qui s'écrasaient, s'abattaient sous les coups. Arrivés au bout, les batteurs frappaient encore en revenant sur leurs pas. Ce premier battage donné, on retournait la marchandise en la démêlant, en l'allégeant avec une fourche de bois et on recommençait le battage en allant et en revenant sur l'erguiée. L'avoine étant moins dure à battre que le blé, ces deux tournées suffisaient pour qu'elle soit entièrement battue. Le grain tombait sous la paille secouée. On ramassait alors celle-ci avec un râteau en en formant une sorte d'andain. Cette opération s'appelait équiller la paille. On en prenait ensuite des brassées que l'on mettait sur des liens de paille de seigle ou de blé, préparés à l'avance pour lier les bottes, l'avoine étant trop courte pour en faire des liens. On ne relevait le grain, dans un coin de la grange, qu'après plusieurs erguiées, lorsque l'amas en devenait trop épais sur l'aire. On ne nettoyait le grain battu qu'après deux ou trois jours de battage. On le passait d'abord dans une passouése (passoire), sorte de cage ronde en osier, de 80 centimètres à 1 mètre de large, ayant un fond à claire-voie, afin d'enlever les nombreux fétus mélangés avec le grain. On finissait le nettoyage avec le van seulement. On ne passait pas l'avoine au crible comme le blé. L'orge n'étant pas liée non plus, se battait comme l'avoine, mais le grain battu subissait une opération supplémentaire. Après le battage, les grains séparés de la paille conservaient encore leurs barbes. Vers la fin de la journée, on étendait donc le grain dans l'aire sur une certaine épaisseur et on frappait dessus avec le fléau, donnant ainsi un second battage servant à ébarber les grains. Ce deuxième battage s'appelait flauber l'orge. Son nettoyage se faisait ensuite au moyen du van.
Autres sources
Bientôt, ils s’échauffèrent, le rythme s’accéléra,
on ne vit plus que ces pièces de bois volantes, qui rebondissaient
chaque fois et tournoyaient derrière leur nuque, en un continuel
essor d’oiseaux liés aux pattes. Après dix minutes,
Buteau jeta un léger cri. Les fléaux s’arrêtèrent,
et il retourna la gerbe. Puis, les fléaux repartirent. Au bout de
dix autres minutes, il commanda un nouvel arrêt, il ouvrit la gerbe.
Jusqu’à six fois, elle dut ainsi passer sous les battoirs,
avant que les grains fussent complètement détachés
des épis, et qu’il pût nouer la paille. Une à
une, les gerbes se succédaient. Durant deux heures, on n’entendit
dans la maison que le toc-toc régulier des fléaux, que dominait
au loin le ronflement prolongé de la batteuse à vapeur.
Zola, la Terre http://fr.wikisource.org/wiki/Page:Emile_Zola_-_La_Terre.djvu/275
Coup sur coup résonne le fléau régulier qui semble
se balancer incertain, et qui pourtant tombe en plein sur l'épi destiné.
La paille menue vole au loin, la tige broyée envoie dans l'air un
fréquent brouillard d'atomes, qui étincelle dans le rayon
de midi. Venez ici, vous qui pressez vos lits d'édredons et qui n'y
dormez pas; voyez- le, l'homme de peine, suant au dessus de son pain avant
de le manger.
William Cowper cité dans Causeries du lundi
Charles-Augustin Sainte-Beuve 1853 tome 11 p 180
... les maladies auxquelles sont sujets les batteurs en grange, de qui
le métier, après celui de peigneur de chanvre, est le plus
insalubre qu'on pratique à la campagne...
Journal des connaissances utiles: répertoire
mensuel et progressif ..., Volume 2 p 164 1832
Le battage au fléau est de tous les travaux de la ferme le plus
rude et le plus nuisible à la santé des hommes qui s'y livrent,
et en même temps que le moins lucratif.
Dictionnaire d'hygiène publique et de salubrité:
ou répertoire de ..., 1862 Volume 3 p 198 Par Ambroise Tardieu
J'ai été successivement, et quelquefois dans le même
temps, peigneur de chanvre, tisserand, batteur en grange, semeur de blé,
et tireur de marne à la hotte.
Comme peigneur de chanvre, j'ai gagné l'enrouement dont vous voyez
que je suis encore affligé; comme tisseur de toile, je fus pris de
douleurs rhumatismales dans le lieu frais où j'avais dû placer
mon métier, comme batteur en grange et semeur de blé chaulé,
j'ai contracté une toux qui ne m'a jamais quitté; et obligé
de porter à la hotte, d'un trou de cinquante pieds de profondeur,
sur la berge, un quintal de marne humide à chaque fois, je me suis
démis une épaule.
Tableaux de la vie rurale, ou L'agriculture enseignée
d'une manière dramatique..., Volume 2 Antoine-François Desormeaux
1829 Par Antoine François de Nantes (comte) p 309
Le premier perçoit, pour frais de battage, environ le quatorzième
de la récolte battue; et, dans le pays où l'usage des cinqueneurs
est établi, il perçoit la sixième partie et il se charge
du faucillage.
La maison rustique. Encyclopédie des campagnes
a l'usage de la petite, de la moyenne et de la grande propriété
Henri de Dombale 1845 p 152
... Ainsi on permet généralement au batteur en grange d'emporter
les liens de gerbes par lui battues. Partout aussi, le glanage est toléré
et la famille en profite pour recueillir chaque année quelques boisseaux
de grains...
Les Ouvriers: Des Deux Mondes 1857 p 76
C'est un instrument fort simple, composé de deux morceaux de bois
d'inégale longueur et grosseur, réunis bout à bout
par une lanière de cuir qui leur permet d'articuler en tous sens.
Le morceau de bois le plus long sert de manche, et le plus court est la
masse qui sert à battre le blé étendu sur une grange...
... La proportion de blé qu'on leur donne varie suivant les lieux
et le prix de cette denrée. Ordinairement, c'est un dixième.
On compte qu'un batteur bat dans sa journée cinquante gerbes de blé,
qui rendent un sac pesant 120 kilogrammes, ou un hectolitre et demi car
un hectolitre en bon blé pèse 80 kilogrammes; il reste toujours
beaucoup de grain dans la paille, surtout si les récoltes ont été
faites pendant les temps pluvieux.
Dictionnaire technologique, ou Nouveau dictionnaire
universel des ..., 1822 Volume 2 p 588
Par Louis-Benjamin Francœur,François Étienne Molard,
Louis Sébastien Lenormand, Payen (Anselme, M.), Pierre Jean Robiquet
Les meilleurs batteurs en grange n'obtiennent jamais, l'un portant l'autre,
plus de dix boisseaux de grains par jour. Les batteurs ordinaires font beaucoup
moins d'ouvrage.
Cours complet d'agriculture, théorique, pratique,
économique et ..., 1796 Volume 10 p 469
Par François Rozier,Jean-Antoine-Claude Chaptal (comte de Chanteloup),André
Thouin 1796
(En Angleterre) Le travail ordinaire d'un batteur en grange est de battre
24 boisseaux de froment la semaine, de la nettoyer & le mettre en état
d'être porté au marché... Les batteurs en grange exploitent
d'ordinaire, par semaine, 40 boisseaux d'orge & d'avoine, ou 30 boisseaux
de fèves & de pois. Telles sont les tâches qu'ils s'engagent
à remplir. Mais à l'exception du temps de la fenaison, ils
refuseront de faire d'autres ouvrages, s'ils n'en ont pas contracté
l'obligation. Le fermier aura donc la précaution de spécifier
dans leurs engagements qu'ils seront tenus de charger les fumiers &
de les répandre, de porter soir & matin la paille et le foin
nessaires dans les râteliers, & de servir au besoin par- tout
où ils pourront être utiles. Quelques fermiers ne prennent
point de batteurs domestiques, ils préfèrent de les avoir
à la journée... (dans une ferme: un fermier, un batteur et
un berger)
Etat général de la culture angloise,
ou voyage économique, précédé du parfait fermier,
trad. de l'anglois, A Young éditeur Panckoucke, 1774 Volume 1 p 85
Le batteur en grange, qui ne bat habituellement que cent livres de blé
par jour, est à peu près au batteur- machine comme un est
à cent.
La maison rustique. Encyclopédie des campagnes
a l'usage de la petite, de la moyenne et de la grande propriété
Henri de Dombale 1845 p 152
Dans les expériences de Trappes, pour juger des résultats
qu'on pouvait attendre de l'opération du battage, faite mécaniquement,
on se souvient qu'on fit venir des batteurs en grange, armés de leurs
fléaux, pour lutter contre les machines américaines, anglaises
et françaises. Or, voici le résultat de cette lutte:
Les six batteurs, en une demi-heure, ont battu... 60 litres de blé
La machine Duvoir (France) ... 250
La machine Clayton (Angleterre) 410
La machine Petts (Etats Unis) 780
Journal des économistes Par Société
d'économie politique of Paris p 59 1855
Le Patois briard, d'Auguste Diot, 1930, édition originale et réédition: Société d'Histoire et d'Archéologie de l'Arrondissement de Provins. Extrait de l'appendice, avec autorisation de l'éditeur.