Prisonniers de guerre
sous l'Ancien Régime

A l'époque moderne la captivité militaire connaît une évolution significative en Europe occidentale. Depuis la disparition de l'État romain il était admis que le sort du vaincu dépendait du bon vouloir de celui qui l'avait capturé. La chevalerie avait répandu l'usage des rançons. Outre le cheval, l'armure et les armes que le vaincu devait abandonner à son vainqueur, ce dernier exigeait une somme d'argent variant suivant la valeur d'otage du prisonnier, donc son rang social, sa richesse, son importance politique. Cet usage s'était étendu difficilement à la «piétaille». Faute de pouvoir garder un captif en attendant le versement d'une rançon, les gens de pied tuaient le vaincu qui ne pouvait se racheter sur !e champ. Aussi l'emploi de mercenaires multiplia-t-il les massacres des vaincus.
Les règles de la chevalerie ne disparurent pas au XVIIe siècle entre gentilshommes, mais pendant les guerres de Religion, à cause des haines tenaces, les chefs furent plus souvent tués que rançonnés, à moins qu'ils ne soient d'un grand intérêt comme otage. Quant aux hommes de troupes qui représentaient des bouches à nourrir et un danger pour la sécurité du vainqueur, ils ne pouvaient trouver grâce qu'en s'engageant au service de ce dernier. Les défenseurs des villes prises d'assaut étaient souvent passés au fil de l'épée. Cependant, une ville assiégée pouvait capituler. La garnison était alors libre de se retirer avec ou sans armes, suivant les termes de la convention.
L'organisation des troupes soldées par la condotta, faisant du capitaine le propriétaire de sa compagnie, il devint plus intéressant pour lui de racheter un soldat expérimenté que de le remplacer par une recrue. Cependant, lorsque le capitaine n'a pas le moyen de racheter ses hommes captifs, ceux-ci sont libres de contracter un engagement chez l'adversaire. Des usages s'établissent peu à peu. Le taux de rachat est généralement de la valeur d'un mois de solde et l'on procède parfois à des échanges de prisonniers. Au XVIe siècle, les souverains prennent conscience de l'importance du problème et se substituent aux capitaines en concluant entre eux des cartels d'échange. Le premier cartel connu aurait été conclu entre les rois de France et d'Espagne en 1553. La captivité passe ainsi du domaine du droit privé à celui du droit public et du droit international. Les cartels d'échange se répandent pendant la guerre de Trente Ans. Ils reposent sur les bases suivantes:
1 / La garantie donnée par les souverains aux négociations particulières concernant les généraux et autres personnages importants.
2 / L'échange entre armées adverses des officiers et soldats, homme pour homme à grade égal.
3 / Pour les hommes en surnombre dans l'un des camps est versée, une rançon de la valeur d'un mois de solde.
4/ Pendant la durée de leur captivité, les prisonniers restent à la charge de leur souverain qui doit rembourser les autorités qui les détiennent des frais que provoque leur entretien. En principe les souverains doivent envoyer chez leur adversaire des officiers chargés de s'assurer de la bonne exécution du traité.
Pendant la guerre de Trente Ans, le système fonctionna avec beaucoup d'aléas, comme le prouve l'exemple des prisonniers de l'armée espagnole capturés à Rocroi ou à Lens. La plupart étaient acheminés vers Rouen pour être répartis en petits groupes envoyés dans les châteaux forts des villes de Normandie. Les villes devaient les entretenir et les faire garder par leurs milices bourgeoises. Elles devaient faire l'avance des frais en attendant que le Roi les rembourse, ce qu'il ne faisait qu'après avoir reçu l'argent d'Espagne...
Afin de briser la cohésion des unités ennemies, les officiers étaient séparés des soldats. Sur leur parole de ne pas s'enfuir, ils pouvaient conserver leur épée et jouir d'une certaine liberté. Certains pouvaient rentrer chez eux en s'engageant à ne pas reprendre les armes contre leur vainqueur. Assez souvent les soldats entassés et mal nourris subissaient des pressions pour les amener à s'enrôler chez leur vainqueur. Celui-ci traitait à part ses nationaux, autant pour les récupérer que pour punir leur trahison. Les évasions trop nombreuses suscitaient des mesures de représailles et l'application du cartel était suspendue. Aussi la captivité pouvait être de durée très variable.
Pendant les guerres de Louis XIV, on ne massacre plus les prisonniers. Dans les batailles, leur nombre rejoint celui des tués. Aussi la captivité militaire devient un phénomène courant. La chanson «Auprès de ma blonde» fait allusion au fiancé captif en Hollande. Au XVIIIe siècle, le système est assez bien établi et l'on signe des cartels d'échange bilatéraux dès le début de la guerre, à moins qu'on ne reconduise tacitement les précédents accords. La capitulation des garnisons représente un cas à part. Les troupes restaient sous les ordres de leurs officiers, cantonnées dans des garnisons généralement dispersées. Il en est ainsi de la garnison de Bruxelles qui s'est rendue aux Français en 1746. Les prisonniers sont généralement envoyés loin des frontières, les Autrichiens dans le centre ou le midi de la France, les Français en Castille ou en Transylvanie. Les Anglais isolent souvent leurs prisonniers sur des pontons. Naturellement les évadés repris sont soumis à des conditions plus dures.
D'une manière générale, le sort des prisonniers de guerre tend à s'améliorer au XVIII° siècle. Certains hommes sont employés par des particuliers et jouissent d'une relative liberté. Les habitants de Butteaux (Yonne) se plaignent du comportement d'un soldat autrichien employé comme garde-chasse et le clergé de Chartres de la mauvaise tenue dans la cathédrale, de soldats du régiment de Waldeck. Par contre les autorités municipales de Reims interviennent pour qu'un prisonnier allemand puisse épouser la veuve qui l'emploie, dont par son travail il nourrit les quatre enfants.
Cependant on rencontre des exemples qui vont contre cette évolution. Pendant la guerre de Sept Ans, Frédéric II constitue avec des prisonniers français qu'il a contraints à s'engager, sept bataillons (Frei Bataillonen französischen Deserteuren) qui d'ailleurs lui procurent bien des mécomptes.
La pression est très vive également sur les hommes de mer, car les marines manquent de matelots. Pendant la guerre de Sept Ans, les Anglais étendent aux pêcheurs français, considérés comme marins du Roi à cause du système des classes, capture et captivité. Les pontons d'Angleterre ont laissé de mauvais souvenirs à cause des conditions pénibles dans lesquelles y vivaient les captifs.
article d'André Corvisier
Dictionnaire de l'Ancien Régime PUF 1996
Mais dites-moi donc belle,
Où est votre mari ?
Il est dans la Hollande,
Les Hollandais l'ont pris !