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Le marguillier
Physiologie des rats d'église 1841

Comme l'indique le nom de l'ouvrage de Jules Ladimir, "Physiologie des rats d'église", il ne faut pas s'attendre à un tendre portrait du Suisse, du bedeau, du sacristain, du sonneur, de l'organiste, du joueur de serpent, des chantres, des enfants de choeur, de la loueuse de chaises, du séminariste, des gueux de l'église, dont le donneur d'eau bénite etc...
Dans ce texte, il croque en bon bourgeois conformiste, un marguillier de ville, tout opposé à celui de campagne, au service la Fabrique de l'église.

Le marguillier

Tandis que les chevaux des conquérants s'emportent à travers le monde et piétinent dans le sang des peuples ;
Tandis que l'émeute bat les rues, et que des cris de mort retentissent dans les carrefours ;
Tandis que la faim décime des populations, et qu'un travail ingrat flétrit la sainte et douce enfance ;
tandis que chaque jour voit surgir des découvertes imprévues qui portent les plus terribles coups de pied a la routine et aux préjugés;
Tandis que la société, vieille machine usée et vermoulue, se détraque de toutes parts et que demain peut-être nous allons nous réveiller dans un nouvel ordre social ;
Le Marguillier prend les choses comme elles viennent, et va son petit bonhomme de chemin.
Bon citoyen, bon voisin, bon ami, bon fils, bon époux , bon père, bon oncle, bon parrain, bon compère, bon boutiquier, n'ayant pas la moindre velléité de ruiner par ses inventions le commerce des artificiers, il mettra demain son pied sur les mêmes pavés où il les met aujourd'hui ; son épouse le cravatera de la même façon ; il mangera le même nombre de rôties dans son café et fera, comme aujourd'hui, le voyage du Palais-Royal pour régler sa montre sur le canon qui part à midi, quand il fait du soleil.
Pourtant cet homme sec et blême ne manque pas d'un certain poids , et jouit d'une haute dignité qui lui fait porter avec orgueil son chef vénérable. Quoique ses occupations de chaque jour soient engrenées de manière a ne pas laisser un intervalle où puisse germer une idée utile, il lui est, je ne sais par quelle fissure du crâne, venu celle de frayer avec les dignitaires de l’Église, et de s'immiscer dans le conseil de fabrique. La part qu'il prend aux délibérations, consiste 1° a voter pour que l'on enlève, comme indécentes, les figures sculptées au portail de Notre-Dame, et pour que l'on badigeonne l'édifice de haut en bas ; 2° a se faire adjuger les fournitures qui concernent sa partie ; 3° à entasser sur le sein de sa fidèle épouse les plus grosses brioches qui surmontent le pain béni.
La principale fonction du Marguillier consiste à tenir, dans les processions, un gros cierge carré, en carton peint, flanqué de deux écussons rouges. Ce gros cierge de carton contient dans son intérieur un ressort, à l'extrémité duquel on adapte un bout de bougie que l'on allume. Soit négligence du Sacristain, soit espièglerie d'un Enfant de Chœur, il arrive qu'au moment ou personne n'y pense, le ressort se détend, le bout de bougie s'élance et retombe sur le nez du dignitaire ébahi. Un pareil événement dérange pour huit jours l'équilibre du Marguillier, le fait sortir de son assiette et lui coupe l'appétit.
Avec la dignité dont nous venons d'énumérer les principaux avantages, le Marguillier cumule celle de membre de deux ou trois confréries.
Les confrères se rassemblent de temps à autre, avec la permission de l'autorité, pour expédier aussi vite que possible, une enfilade incommensurable de Pater, d'Ave et de Credo et pour psalmodier d'une voix d'arrachement les sept psaumes de la pénitence. Ils élisent à la pluralité des voix :
Un président qui ne préside rien ;
Un secrétaire, qui n'écrit pas la moindre patte de mouche ;
Un trésorier, qui n'a pas de caisse ;
Un surveillant, qui ne surveille pas.
Le président porte la bannière de la confrérie; le vice-président, le secrétaire, le trésorier et le surveillant tiennent les cordons ou rubans qui s'y attachent. Les autres suivent clopin clopant, cahin, caha, avec leur habit noir, leur col de chemise hyperbolique, leur col-cravate semblable à un carcan, et leur gros cierge en carton.
Les confrères jouissent du droit de ne pas payer de chaises pour leurs exercices qu'ils font toujours debout ou à genoux.
Pendant le prône ou le sermon, les Marguilliers trônent au banc-d'œuvre, en face de la chaire. Ils admirent la face du Prédicateur, dont le vulgaire ne voit que le profil. Souvent, dans la chaleur de l'improvisation, celui qui prêche leur adresse une allocution directe.
Ainsi, après avoir tonné contre les impies qui ne respectent pas la défense écrite en gros caractère, au mur extérieur de l’Église, un missionnaire s'écria, en se tournant vers le banc d'œuvre : « Si de pareilles choses se renouvellent, c'est à vous, Marguilliers, a y mettre la main ! »
Le Marguillier est haut sur jambes comme un héron, sec comme un parchemin de famille et jaune comme un sou de Louis XVI. Sur son crâne nu et poli se dressent quelques rares cheveux roux, durs et raides comme de l’herbe flétrie. Ses petits yeux gris et ronds s’enfonce profondément dans leur orbite, surmontés d'un sourcil en broussailles. Sa figure blême s'allonge en lame de couteau ; et sa mâchoire supérieure avance considérablement sur l'inférieure.
Il est constamment serré dans un antique habit à queue de morue, lequel comprime tellement ses poumons, qu'il est obligé de souffler au lieu de respirer. Il a un tic qui le fait sauter de six pas en six pas, comme s'il voulait battre un entrechat. Quand il écoute quelqu'un, il s'occupe à courir après les parcelles de tabac qui s'égarent sur son jabot toujours empesé comme un bonnet de Canchoise. Les Marguilliers qui se servent de perruques ont conservé l'usage de la poudre, et se coiffent à l'oiseau royal. Tous ces
honnêtes personnages sentent l'aigre-doux et tournent continuellement dans un cercle d'occupations et d'habitudes dont voici les principales :
Dans ses promenades, le Marguillier conduit en laisse un chien aussi charnu qu'il est, lui, décharné. Il suit l'animal qui le tire, court quand il court, s'arrête quand il s'arrête, le contemple lorsqu'il satisfait à quelque nécessité, et tient un fouet pour l'empêcher de se livrer a de folles amours;
Il porte une grosse montre, dite bassinoire, dont les breloques résonnent sur son ventre comme sur la peau d'un tambour ;
Il se sert de lunettes dont chaque verre égale en circonférence un écu de six francs ;
Quand il tousse, il met sa main devant sa bouche, et il crache dans son mouchoir ;
Il n'entreprend aucune affaire le vendredi, et ne change pas de chemise ce jour-là ;
Lorsqu'il tonne, il fait le signe de la croix.
S'il a quelque bosse au front, il y applique une compresse d'eau bénite ;
Il frémit si l'on répand du sel sur sa table, ou s'il voit des couteaux en croix.
Le Marguillier hausse les épaules, lorsqu'il entend dire que de jeunes médecins entreprennent un voyage vers une contrée en proie à la peste, pour braver le fléau, et s'exposer à mourir peut-être sans confession ; tandis qu'il serait si simple et si efficace de prendre la châsse de St-Roch, celui qui rendit l'âme en vrai chrétien, dans les bras de son compagnon, et de la promener lentement par la ville, avec une escorte de Marguilliers en grande tenue !
Après de longs et paisibles jours, le Marguillier s'éteint comme une chandelle des huit. A sa mort le soleil ne se voile pas, les ténèbres ne couvrent pas la terre, les fleuves ne débordent pas, les montagnes ne s'agitent pas sur leur base, les loups ne hurlent pas dans l'ombre, les statues ne versent pas des larmes de sang, aucune voix ne s'entend dans l'air, aucune comète ne flamboie dans le ciel. Seulement, au cimetière du Père-Lachaise, s'élève une pierre surmonté d'une urne brisée, ou d'un amour qui éteint un flambeau, et sur laquelle on lit cette inscription : Aux mânes de Jean Porrichon, pharmacien, Marguillier de sa paroisse, mort à l'âge de soixante-seize ans, regretté de tous ceux qui ont eu l'avantage de le connaître. Ce monument a été élevé par son épouse qui ne cessera de le pleurer et de vendre d'excellente manne en larmes !!!

Physiologie des rats d'église par Jules Ladimir, illustrations Alexandre Josquin & Théodore Maurisset Paris 1841

 

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