|
|
Deffence et inhibition des dances publiques
et jeux des-honnestes ès Dimanches et aux jours de Festes de la glorieuse
Vierge Marie
Guillaume par la grâce de Dieu Evesque
de Meaulx, à tous les Curez de nôtre Diocèse, Salut.
Il n'y a personne qui ignore (s'il
a pris la teinture de la vraye foy) que la solennité du Dimanche
n'est appuyée sur l'invention des hommes, ains sur la tradition
de Dieu, lequel par son infinie misericorde & bonté a mystiquement
sanctifié ce jour, affin que comme il porte la figure du vray Sabath
& jour de repos que nous attendons, la creature vinst à se
remettre devant les yeux les innombrables bien-faicts qu'elle a receû
de son Créateur, & à plorer amairement, de ce que non
seulement elle demeure sans reconnoissance & satisfaction, mais mesmes
s'est volontairement précipitée dans un abisme d'impietez,
d'où jamais elle ne pourra se retirer, sy elle ne se noye dans
les larmes & les regrets, assistée de la toute-miséricordieuse
grâce de Dieu, qui déployant les richesses de sa patience,
ne se contente pas de nous attendre à pénitence, s'il ne
nous prestoit mesmes la main secourable de sa faveur.
|
|
|
|
Toutefois par la malice des hommes &
l'astuce de Sathan, l'on en est venu là que de changer la medecine
en poison, dédiant au Diable ce jour sacré, qui n'a été
seulement institué que pour purger nos offences, & rendre à
Dieu l'honneur qui luy est deûb; & au lieu d'amender les faultes
passées, nous en accumulons tous les jours de nouvelles l'une sur
l'autre, sans craindre qu'elles nous accablent en fin dessous leur faix;
Car nous sommes aujourd'huy tellement aveuglez, ou pour mieux dire insensez,
que de croire que les festes & jours sacrez n'ont été
à autre fin donnez de Dieu, que pour fouler aux pieds son honneur,
& remplir ce gouffre béant d'iniquitez, & tant plus nous
nous sommes veautrez dedans les vices, tant mieulx croyons nous avoir
solennizé le sainct Dimanche; de sorte que ce n'est plus un Sabath
& jour de repos pour les hommes, mais bien pour les chevaulx, car
tandis qu'ils se reposent dans leurs êtables, non seulement nous
nous envelopons dans les affaires & autres serviles occupations, mais
mesmes nous nous portons la teste baissée à toutes sortes
d'impietez; & plus la feste est solennelle, plus nous faisons les
folastres & insensez, & commettons tout plein de choses que les
Gentils (a) mesmes auraient honte de practiquer en l'adoration de leurs
Idoles & faulses Deitez.
Car comme nous revenions de la visite
que faisons ordinairement de nôtre Diocèse, pour célébrer
la feste de l'Assomption Nôtre Dame en nôtre Eglise (b), Nous
avons appris (non sans un extrême déplaisir & particulier
ressentiment) qu'en ce jour solennel, & aux précédens,
l'on avoit faict des dances publiques en plein carrefour, & au lieu
le plus apparent de toute la ville; & qu'à cet effect on avoit
faict dresser un échaffault près le grand portail de nôtre
Eglise, pour y servir aux joueurs d'instruments, & autres farceurs
& baladins : bien qu'il vaudroit bien mieux cultiver les champs &
la vigne, que non pas dancer les jours de festes & du Dimanche, veû
que l'un semble nécessaire, & nous retire des occasions d'offencer
Dieu, ou l'autre n'est seulement que pour assouvir nôtre plaisir
désordonné, & vrayement une pépinière
de tous mal-heurs.
Car l'on dict que tous les péchez
voltigent avec les danceurs au millieu du cercle de la dance : & si
ces perdus & débauchez ne doivent point prendre pour couverture
de leur faulte, que ce qu'ils en font, n'est que par manière de
récréation, puis que les jours de festes sont instituez,
non pour le contentement du corps, mais pour le salut de l'âme;
non pour rire & s'ébattre, mais pour plorer; non pour rendre
hommage au diable, mais honneur à Dieu : & plus nous nous arrestons
à ces folies, plus méritent-elles de châtiment &
moins d'excuse : d'où vient que la playe s'est desjà quasi
cicatrisée, & le mal comme passé en coûtume; de
sorte qu'à peine croit-on que ce soit péché, ce qui
se faict par accoutumance de la façon, bien que tout au contraire
il n'y ait rien qui offence nôtre Dieu plus aigrement, que de voir
une âme opiniastre en son iniquité.
C'est pourquoy Dieu nous ayant mis
comme en êchauguette pour surveiller (c) à la conservation
de sa maison (quoy qu'indignes de cette charge) Nous avons résolu
d'aller au devant de cet abus, & de retrancher les insolences, scandales
& desordres qui en proviennent, de peur que les âmes fidelles
(dont le rachapt a coûté sy cher à notre Saulveur)
seduictes par un si détestable erreur, & délaissant
leur cher Epoux nôtre Seigneur, elles ne viennent à estre
le prix & la proye du père de ténèbres (d). De
là vient que puisque Dieu vous a mis en main la charge de son troupeau
sous ma conduite. Nous vous mandons qu'advertissiez soigneusement au prosne
vos paroissiens d'un tel erreur & aveuglement, & que vous faisiez
retentir le clairon de la parole de Dieu ès oreilles de ceulx qui
font semblant de ne pouvoir ou ne vouloir entendre, (de crainte qu'on
ne nous demande un jour compte de ces brebis égarées) avec
commission de marquer le nom des opiniastres & endormis, qui ne voudront
pas s'éveiller au son de la trompette; & que vous mesmes alliez
en personne trouver ces farceurs & baladins (qui sont les vrays heraults
de Sathan pour enlacer les pauvres ames dans ses filets) & ceulx que
l'on appelle coûtumierement les valets de la feste avec tous autres
qui leur prestent faveur, aide & support, pour les admonester tous
en particulier, comme nous les admonestons par ces Présentes, que
sous les peines ordonnées par les Canons, ils ayent à s'abstenir
doresnavant de telles impietez, & à sanctifier les Saincts
Dimanches, & les jours dédiez à l'honneur & mémoire
de la très sacrée Vierge Marie Mère de Dieu, leur
faisant à sçavoir que s'ils n'acquiescent pas à vos
advertissements, Nous procéderons contre eulx par voyes telles
que de droict et de raison. Et ce pendant Nous vous mandons qu'admonestiez
en vos prosnes & prédications tous & chacuns nos Paroissiens,
& autres nos sujects qui s'y trouveront, que suyvant le précepte
de Dieu & de l'Eglise, ils sanctifient & observent deuëment
lesdits jours de Dimanches, & toutes les festes de nôtre Dame,
leur deffendans sous peine d'excommunication & autres portées
par le droict, de faire dances publiques, ou de s'y trouver en ces jours-là.
Et voulons que ce présent Monitoire soit affiché aux portes
de nôtre Eglise, & de toutes les autres de nôtre Diocèse,
& que par cette affiche & publication faicte en vos prosnes, il
ayt autant de poids et d'authorité que si on l'avoit signifié
à tous vos Parroissiens en particulier, vous enjoignons de nous
récrire au plûtost, & nous mander fidellement ce qu'un
chacun de vous aura faict en l'exécution de ces Présentes.
Donné à Meaulx l'onzième
d'Aoust, mil cinq cents vingts
(a) les Gentils : les païens
(b) notre église : la cathédrale de Meaux
(c) Surveiller : étymologiquement l'évêque est celui
qui "veille sur"
(d) Satan. Cf Evangile selon St Jean
(e) Bretonneau ouvrage cité p 194, ajoute: "Au mesme feuillet
se trouvent deux autres semblables deffences des dances, l'une pour la
Ferté Gaucher, l'autre pour Faremoutier."
AZ14390 Monitoire de Guillaume Briçonnet
sur la sanctification du dimanche et l'interdiction des danses publiques (Meaux,
11 août 1520) [ Extrait de la Revue d'Histoire et d'Art de la Brie et
du Pays de Meaux, 1976, in-8°, p. 37-41]
Définition de monitoire
A/ Lettre adressée par l'autorité
ecclésiastique aux fidèles leur enjoignant, sous peine d'excommunication,
de dénoncer tous les faits répréhensibles dont ils
ont connaissance.
Le prêtre lui a dit qu'on préparait à Rome un monitoire
contre les propositions condamnables [de la philosophie] et qu'il serait foudroyé
s'il ne se rétractait (Mérimée,
Lettres comtesse de Montijo, t.2, 1865, p.268).
L'évêque d'Amiens lance un monitoire. Voici ce que c'est qu'un
monitoire: c'est un ordre à tous les fidèles, sous peine de
l'enfer, de dire ce qu'ils savent ou croient savoir de tel ou tel fait (Hugo,Actes
et par., 4, 1885, p.74).
- Emploi adj. Des lettres monitoires (Ac.).
B/ Citation à comparaître devant un tribunal ecclésiastique
sous peine d'excommunication.
également att. en lat. médiév. comme subst. neutre monitorium
«précepte» (ca 840 ds Nierm.) et dans le syntagme littere
monitorie (1220 ds Latham).
https://www.cnrtl.fr/definition/monitoire
|
|