Les bagues de Saint Hubert
Les Fourrey, charbonniers et forains
Le 28 juin 1830, Anne Sylvie Fourrey se
rend à la mairie de la Chapelle Rablais pour solliciter de Denis Toussaint
Félix, le maire, le renouvellement de son passeport pour l'Intérieur.
A la rubrique profession, elle fait écrire: "marchande
de bagues de Saint Hubert".
Peut- être est-elle accompagnée des deux enfants qui la suivront
sur les routes l'année suivante, quand elle figure sur le passeport
de son mari: le sieur
Melin Pierre Joseph accompagné de sa femme et de deux enfans,
profession de manouvrier. En 1834, un seul enfant de 15 ans l'accompagnera
encore.
Anne Sylvie est née en 1795 ou 96 dans le village d'Arces dans l'Yonne, à la lisère de la forêt d'Othe. Elle est toute petite: seulement un mètre quarante sept centimètres: quatre pieds six pouces! Sur le passeport, le secrétaire de mairie n'a pas poussé la précision jusqu'au millimètre comme pour le curé qui mesure un mètre six cent trente neuf millimètres! Il faut dire que la photo d'identité n'existe pas encore et que la description du titulaire du passeport est plutôt vague. Nous pouvons faire connaissance d'Anne Sylvie et de son mari, Pierre Joseph Melin .
Les Fourrey font de petits métiers: Amboise Fourrey, né en 1796 est charbonnier cuiseur; il a demandé un passeport en 1820 pour se rendre à Coulommiers.
Délivré sur la demande du requérant le présent passeport sur sa bonne conduite et moralité. Il manque la signature de deux témoins ou le dépôt d'un ancien passeport, ce qui semble montrer qu'il voyage pour la première fois et que la famille est bien connue dans le village:
François Joseph Fourrey né
en 1790, est manouvrier: le travail de ses mains est sa seule richesse. Victor,
recensement militaire en 1826 affiche l'honorable profession de cultivateur,
son père ayant été manouvrier, Thomas, recensé
en 1848 est manouvrier, son père était cuiseur de charbon. Anne
Sylvie et Ambroise sont nés dans le village d'Arces, Joseph est né
sur l'autre lisière de la forêt d'Othe, dans le village de Chailley:
la famille d'un bûcheron-charbonnier avait l'habitude de migrer fréquemment
au gré des coupes de bois dans la forêt. Il existe, d'ailleurs,
un lieu dit "La Charbonnière"
à peu de distance des villages d'Arce et de Chailley.
La famille Fourrey habitait aux Montils,
le principal hameau de la commune, une toute petite maison, sur la parcelle
294, cadastrée A 295 qui sera agrandie en 1838.
La maison et le jardin de 0,1505 ha étaient les seules propriétés
des parents. Sur la matrice cadastrale, la maison de la veuve Fourrey sert
de référence pour la septième catégorie inférieure,
la dernière, taxée seulement quatre francs par an; deux journées
de travail d'un manouvrier, alors que le presbytère, appartenant au
curé, était taxé pour 30 francs, maison de première
classe; le château des Moyeux 200 francs.
Joseph Victor Fourrey possédait une petite maison sur 44 ares de terrain aux Montils, cadastrés 375 et 376 A. C'était une maison de sixième catégorie.
Anne Sylvie et son mari logeaient dans une maison de sixième catégorie, toujours aux Montils sur une parcelle cadastrée 458 et 459 A sur les plans de 1832. Les familles Fourrey et Melin ne possédaient aucun autre terrain que le jardin sur lequel était bâtie leur petite maison.
On retrouve la famille Fourrey en 1859,
dans l'Etat des débiteurs des Sommiers des Surséances,
renseignements sur les redevables du Trésor, conservé
à la Mairie. Il s'agit de la liste des
coupables de petits larcins n'ayant pas payé leurs amendes. Quarante
et un cas sont évoqués, petits vols, délits ruraux, délits
dans la forêt de l'Etat, chasse... Et une escroquerie jugée en
1842; celle de l'ancien garde champêtre révoqué en 1840
qui, contrairement à ses devoirs avait compromis
plusieurs par ses faux rapports en les incitant lui- même à faire
paître leurs bestiaux dans les lieux non communs ou de couper l'herbe
dans des mares réservées par leurs propriétaires et avait
ensuite verbalisé contre ces personnes.
Délibérations du Conseil Municipal,
1840, archives de la Mairie
Dans l'Etat des débiteurs, la famille Fourrey, Foures, Fourré, Fourret, comme Melin, la femme, marchande de balais et la femme Soleil, que nous retrouvons sur d'autres passeports, marchande de sangsues, est citée plus d'une fois:
Il a été noté pour Nicolas et sa femme: Tous deux décédés à l'hospice de Provins, ne possédant aucun bien; Louis Thomas et Jacques Léon: décédés à l'hospice de Provins.
La maison est petite, la famille nombreuse, les ressources à la limite de la légalité. En 1830, Anne Sylvie, son mari, accompagnés des enfants demandent un passeport pour la Seine et Marne et les départements limitrophes qu'ils renouvelleront jusqu'en 1836. Ni la femme, ni le mari ne savent lire; ils ne peuvent obtenir une patente de colporteur. Ils iront de village en village pour proposer des bagues de Saint Hubert...
Sources:
Recensements militaires du début XIX° siècle
Carte de Cassini, milieu XVIII° siècle
Registres paroissiaux et Etat Civil