Les voituriers par terre / 7
Que voituraient les voituriers?

Ayant choisi de s'installer dans un pays sans routes, sans production particulière, que pouvait bien voiturer les voituriers découverts dans les Passeports pour l'Intérieur, les Registres d'Etat Civil conservés à la mairie de la Chapelle Rablais et les actes notariés.

Au début de cette enquête, seuls deux petits mots sur un document peuvent donner une indication sur les transports qu'effectuaient ces voituriers. J'ai donc essayé de réunir des éléments pour ensuite échafauder une hypothèse en prenant bien garde de ne la présenter que pour ce qu'elle est.
Prenons un exemple actuel: un étranger à la région passant à Mormant et Nangis et découvrant une telle concentration de camions citernes pourrait penser qu'il doit y avoir, à proximité, un lieu où ils seraient utiles. Il aurait raison car entre Mormant et Nangis se situe la raffinerie de Grandpuits. Le même, attiré par le rayonnement culturel et économique de la Chapelle Rablais, découvrant deux puits de pétrole aux limites de la commune pourrait avancer l'hypothèse que la raffinerie s'est installée à cet endroit pour profiter des gisements pétrolifères du Bassin parisien, ce qui serait tout à fait faux: la raffinerie est alimentée par pipe line depuis le Havre, la production locale de pétrole étant minime par rapport au volume traité.
Il en est de même pour nos voituriers: s'ils se sont installés là, c'est qu'ils avaient quelque chose à y faire et que la situation, bien qu'éloignée des grandes voies de communication, n'était pas si gênante que cela.

En notant les lieux de destination indiqués sur leurs demandes de passeports, on remarque qu'il se rendaient souvent dans leurs lieux d'origine: les bourgs de Momignies et de Beauwelz dans le département français de Jemappes -ce sera le sujet de la suite du dossier- qui fera ensuite partie du tout nouveau royaume de Belgique. Ils y avaient même entraîné un compagnon voiturier, Edme Tissot, originaire de la Loire. Le motif, quand il était signalé : pour régler leur affaire ou pour affaire de famille... ce n'étaient donc pas des déplacements liés à leur métier.

Curieusement, le verso de leurs passeports est fréquemment vierge, il ne montre que peu de traces d'usure ou de pliage. Cela tendrait à prouver qu'ils n'ont pas souvent eu l'occasion de justifier de leur identité, soit auprès des mairies des villages visités, soit auprès de la maréchaussée... donc peu l'occasion de prendre les grandes routes.

Quand il comporte une mention au verso, le passeport montre alors des signes d'usure, donc d'usage. L'extrait ci dessus montre le verso du passeport de Philippe Joseph Badoulet, demandé le 23 décembre 1821 et annoté le 7 avril 1823... n'ayant pu se procurer une feuille sur le Moment, ma déclaré qu'il alloit du côté de Sourdin pour y chercher de l'ouvrage de son état de voiturier. Signé Félix, maire de la Chapelle Rablais. Le 19 avril, son compatriote Charles Thomas Nival demande aussi un passeport pour Sourdun, au verso, il le fait compléter le 13 mai 1824 .

Il désirait ensuite aller dans les environs de la forêt de la Fourtière pour y travailler de son état de voiturier. Cette forêt de la Fourtierre est aussi la destination de Joseph Bouillart, le 31 mars 1816 au lieu dit la Fourtierre, département de l'Aube, celle de Jean Joseph Lainé, le 28 avril 1816 allant à la Fourtierre, celle de Philippe Joseph Badoulet, le 31 mars 1816 allant à la Fourtière, département de l'Aube.

Le 27 août 1826, Philippe Badoulet, 57 ans, fait renouveler son passeport pour se rendre à Montmort avec son fils François Joseph, 19 ans. Un mois plus tard, on apprend que le père y est décédé.


 Cartes de localisation des voituriers

  Les passeports, page des choix
  Retour: charrettes, tombereaux et sabots

  Suite: complément d'enquête


 
Cette hypothèse semble confirmée par un acte de 1807 concernant le prêt de 1.000 francs, sans intérêt, par Nicolas Joseph Pupin, habitant les Trois Chevaux à Edme Tissot, à l'origine, scieur de long de la Loire, celui qui, plus tard, rejoindra le groupe des voituriers de Momignies, après avoir acheté le matériel et les chevaux de Louis Meunier, lui aussi voiturier, demeurant aux Montils.
Il y est indiqué en toutes lettres: voiturier en bois.

Je n'ai pas trouvé d'autre trace d'une forêt de la Fourtierre, dans l'Aube, que le nom d'une rue à Ervy le Châtel, à la limite de la forêt d'Othe, à quelques kilomètres des lieux de naissance des voisins de Badoulet, aux Montils, les frères et soeurs de la famille Fourrey dont nous avons évoqué les vagabondages dans le chapitre sur les femmes sur les routes et celui des marchandes de bagues de St Hubert. En 1836, un fils Badoulet, Philippe Cyprien épousera une fille Fourrey, Joséphine Rose. Ils se connaissaient bien, on peut imaginer que ces marchands forains auraient pu indiquer aux voituriers un endroit où ils trouveraient à exercer leur profession. (autre localisation possible, voir p 14 du dossier)

Momignies, d'où sont originaires les voituriers est au centre de massifs forestiers qui ont permis le développement de verreries et de forges, grosses consommatrices de bois. Montmort et Sourdun sont tous deux à la limite de la zone boisée de la côte d'Ile de France.

Grandvilliers, les Trois Chevaux pour la Chapelle Gauthier, les Montils, les Petites Maisons et Frévent pour la Chapelle Rablais, la ferme de la Grande Loge sur Echouboulains, tous ces lieux où résident des voituriers se situent à la lisière de la forêt de Villefermoy, anciennement "forêt de Barbeau." Certains même n'ont comme adresse que: "demeurant à la Chapelle Gauthier en la forêt de Barbeau. "

Cartes de localisation des voituriers

Momignies, la Chapelle Rablais, clairière dans la forêt de Villefermoy, Sourdun, Montmort, et la forêt de la Fourtierre, explicitement nommée ont tous un point commun: leurs bois.

Une concentration de voituriers dans une région sans routes, sortant peu du canton, fréquentant des lieux boisés et résidant à la lisière de forêts.
Qu'auraient- ils donc pu voiturer à part du bois, sortant des forêts troncs et bûches?