Les voituriers par terre / 6
Charrettes et tombereaux
Sur environ deux cents cartes postales représentant la Chapelle Rablais à la fin du XIX°, début XX° siècle, rares sont celles où figure un véhicule. Dans les vignettes ci contre, on découvre, ici, une charrette, là, un tombereau, une voiture couverte pour aller au marché ou à la chasse... Rares aussi dans les tableaux de Millet qui peignait, vers le milieu du XIX° siècle, le monde paysan à Barbizon, à quelques kilomètres de notre village. A la même époque, Corot, peignant une route, n'y fait figurer qu'un malheureux cavalier.
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Faut- il penser que les routes
et les chemins étaient vides, au début du XIX° siècle,
quand nos voituriers par terre demandaient leur passeport? Il faut distinguer
routes et chemins. La Chapelle Rablais est au milieu d'un grand vide
de routes, sur la carte de Cassini, XVIII° siècle, aucune
voie carrossable n'est indiquée. |
Il faut rejoindre Nangis pour
trouver une route digne de ce nom. Nangis et le Châtel sont au
carrefour de plusieurs voies: vers l'ouest, le chemin bordé d'arbres
ne dépasse pas la ferme de Maupas en direction de Fontenailles,
vers le sud, longeant l'enceinte du château, la route se dirige
vers Montereau. Le projet de la dévier par la Chapelle Rablais
au temps de la Révolution française n'a pas eu de suite. |
Les rouliers devaient être nombreux sur l'axe Paris Provins
Troyes Bâle passant par Mormant et Nangis... Quel
que soit le côté par où l'on sorte de la capitale,
on se trouve sur les chaussées les plus larges & les plus
solides.... Le
trafic en était réglementé:
Pour éviter l'embarras que causeroient
sur les chemins les voitures qui seroient trop larges, on a fixé
en 1624, la longueur des essieux de chariots & charrettes à
5 piés 10 pouces, avec défenses aux ouvriers d'en faire
de plus longs... et l'entretien plus
ou moins à la charge des riverains et des utilisateurs: ...La
charge d'une voiture à deux roues est de 5 poinçoins
de vin ou de trois milliers pesant d'autres marchandises. Il est néanmoins
permis aux rouliers de porter 6 poinçons de vin, en portant
au retour du pavé & du sable aux atteliers des grands chemins.
On oblige même présentement ceux qui retournent vuide
de porter une certaine quantité de pavé. |
Les voituriers devaient céder le pas aux arrogants postillons menant le courrier de Poste en Poste: Sur la grande route, endormi dans sa charrette, un voiturier du pays, un ami tarde-t-il à livrer passage ? une salve prolongée (de fouet) le rappelle affectueusement à son devoir ; un roulier malappris met-il trop de lenteur à céder la moitié du pavé ? le fouet, plus rude alors dans ses éclats, lui ordonne de se hâter ; hésite-t-il encore ? le fouet, au passage, lui lance une admonition des plus vives à la figure... |
Mon propos n'étant pas les routes de poste, je prendrai garde de m'y aventurer, d'autres en ont parlé qui sont bien plus savants que moi en ce domaine. Toujours est- il que nos voituriers ne devaient pas avoir de rapports avec la Poste, sinon, ils en auraient revendiqué le titre: le postillon, avec son uniforme et sa grosse botte avait plus de prestige que le simple voiturier par terre, ancêtre du camionneur. Ils ne devaient pas non plus être de simple charretiers car les deux métiers sont différenciés parmi ceux des quatre vingt deux jeunes de vingt ans qui ont tiré au sort leur conscription entre 1816 et 1846. On y recense dix neuf charretiers et un voiturier, à peu près autant que les seize bûcherons ou les quinze manouvriers. Liés au transport, on trouve aussi quatre charrons et trois maréchaux ferrants qui, à cet âge, devaient continuer leur formation de compagnon. On a vu l'un d'eux: François Ferdinand Félix, garçon maréchal, demander à plusieurs reprises un passeport pour travailler de son état près du Havre, puis en Seine et Marne, plus tard à Chevry, ensuite à Brie...
Voir la description de son passeport dans la page "les formalités"
Pour avoir une petite idée des véhicules qui circulaient sur les chemins du village, nous disposons de quelques documents: les archives de la commune conservent plusieurs recensements pouvant nous donner une idée du nombre de voitures et de chevaux... Dans le Registre de Renseignements Statistiques de 1857 / 1865, les chevaux ne sont pas mentionnés parmi les productions agricoles comme les 151 bovins et les 970 ovins.
On en trouve mention dans le Recensement des Propriétaires de chevaux de plus de six ans et de mules de plus de quatre ans daté de 1877, de même que dans le Registre des Recensement des voitures attelées, il s'agissait de listes de bêtes ou de matériel susceptible d'être réquisitionné en cas de conflit; n'oublions pas que la guerre de 1870 n'était pas si loin: le Prussien avait été à nos portes comme l'indique cet extrait du cahier journal de l'instituteur pour les journées du 16 au 19 septembre 1870. Il avait fallu payer 1.359,60 francs en septembre 1870 en "répartition à faire de la somme de 164.737 francs qui tombe sur l'arrondissement de Provins qui est engagé, pour éviter les représailles, à payer dans le délai de six jours" puis encore 3.134 francs sur l'imposition d'un million frappant le département le 8 janvier 1871. Sans compter la vache réquisitionnée!
L'époque était donc au recensement de tout ce qui pourait servir en cas de conflit: voiture, chevaux, et même la charpie pour panser les blessures... Mais n'est recensée qu'une partie du cheptel ou des véhicules. On trouve 54 chevaux dont quarante pour les grosses fermes. Il en reste moins d'une quinzaine pour la centaine de familles composant le vllage.
Le registre des voitures attelées de 1880 recense vingt huit véhicules
à deux roues: 19 tirées par un cheval, 9 par deux. Aucune
voiture à quatre roues. Les plus lourdes appartenant toutes aux grosses
fermes. Qui d'autre possédait un véhicule? Neuf cultivateurs,
deux maçons - dont l'ancêtre de l'entrepreneur actuel, ainsi
qu'un autre Félix, Auguste, un aubergiste, un rentier, un marchand
de bois, un fendeur de lattes et, enfin, trois voituriers: encore un Félix:
Charles, Xavier Michaut et Philippe Clausier.
La liste de ces voitures est incomplète car la seule ferme des Moyeux
déclare en 1920: deux tapissières,
dix grandes fourragères, un grand chariot, huit tombereaux etc...
pour trente chevaux. Les choses ont dû évoluer, entre
1880 et 1920, mais les techniques agricoles devaient être proches,
les tracteurs n'ayant pas encore remplacé la traction animale. Dans
un inventaire de la ferme des Montils en 1918, on note deux
bons chevaux de trait de 7 à 12 ans, une voiture à quatre
roues, deux voitures charriantes de un et deux chevaux et du matériel
agricole, dont une moissonneuse lieuse Mac Cormick
à l'état neuf...
Il semble donc que le moyen de locomotion le plus courant n'était autre que les deux bons vieux pieds chaussés de sabots...