Provins le canal inachevé
Le projet de Vauban/2

Recherches, iconographie: Michelle Marc
Transcription et choix des textes,iconographie,
mise en page: Jean Bernard Duval

Dans son Mémoire pour la navigation des rivières, fruit d'une réflexion entamée dans les années 1690, Vauban dresse un inventaire des cours d'eau qu'il envisage d'équiper afin d'y faciliter le passage des bateaux. Longtemps, ce projet est apparu comme fantaisiste tant certaines rivières mentionnées par Vauban paraissent peu propices à la navigation. Mais, si l'on tient compte de tous les types de navigation ainsi que de leur caractère saisonnier, ce projet prend une autre teneur.

extrait d'Historia thématique n°106 Vauban

"Partant de Paris pour un voyage du Dauphiné, le 21 mai 1700, j'ai pris mon chemin par Provins pour visiter la rivière de Voulsie à la réquisition de quelqu'un de mes amis. " ainsi commence le mémoire d'une douzaine de feuillets, rédigé par Vauban. Le fonds ancien de la bibliothèque de Provins en conserve une copie, datant de 1741, cote ms 90, par l'héritier du premier entrepreneur, le sieur Dubuisson, hélas, pas l'original de Vauban !
Le maréchal de Vauban proposait trois projets pour rendre la Voulzie navigable, de Provins à la Seine, après avoir constaté que le débit des rivières et la configuration du terrain permettaient la création d'une voie d'eau, sans avoir à abattre maisons ni moulins.

"Le premier moyen est de s'attacher simplement au cours tel qu'il est, évitant tous les moulins par autant de canaux détachés".... " égaler les fonds et l'élargir de 4 à 5 toises ..." tout en veillant aux amas de vase.

"Le second moyen serait d'employer les endroits du cours de la rivière les plus commodes et de redresser les autres par des canaux qui donneront moyen de mieux placer les saz... "

" Le troisième moyen serait de faire un canal en droiture par le plus court chemin indépendamment de la rivière qui ne lui servirait que pour en tirer les eaux nécessaires.
Depuis la sortie de la ville jusqu'à son embouchure dans la Seine, la rivière a 9.955 toises sur 105 pieds de pente lequel cours est coupé par 9 moulins & de 3 ou 4 rapides qui diminuent considérablement sa profondeur. "

Vauban prévoyait un canal d'une largueur six à neuf toises, d'une profondeur six pieds d'eau, coupé de treize
" saz de deux écluses" de huit pieds de chute, dix toises de largeur et trente six de longueur. Il décrivit les matériaux pour les écluses, les talus, les ponts, levis ou de préférence tournants. Le port de Provins aurait eu dix huit toises de large, cinq à six pieds de profondeur, avec des quais de sept toises de largeur "afin que les charrois y puissent facilement tourner."

Plutôt qu'à l'aménagement des rives de la Voulzie, Vauban donnait sa préférence à la création d'un canal; plus court de mille huit cents toises, "le remuement des terres en sera bien moins cher parce qu'on ne sera point embarrassé du courant de la rivière..." Il aurait présenté moins de problèmes avec les riverains: "Il y aura toujours quelques plaintes à essuyer de la part des meuniers sur le plus ou moins d'eau."

Planche de l'Encyclopédie Diderot d'Alembert décrivant un sas à deux écluses

Estimation des dépenses
Achat des terrains  
37.500 £
Excavation du canal  
38.906 £
Berges, digues  
8.000 £
Dix ponts  
10.000 £
"Pont d'entrée dans la ville avec sa grille"  
2.500 £
Revêtement des quais dans la ville et façon du crâne  
17.760 £
"Treize saz à deux écluses"  
231.439 £
Maison de 13 éclusiers  
7.800 £
total  
373.905 £

Vauban ne s'était pas contenté de tracer des plans et d'en établir le devis, il avait aussi fait une étude de prospective, montrant, une fois de plus, qu'il n'était pas qu'un ingénieur surdoué: c'était un touche à tout de génie; "qu’il s’agisse de fortification, de stratégie militaire, de réflexion sur la paix, des moyens et de la nécessité de recenser la population ou du calcul estimatif pour connaître jusqu’où peut aller la production d’une truie pendant dix années de temps, dans le traité sur La cochonnerie, comme du projet de Dîme royale, ou encore de la réflexion sur la place et le rôle de la noblesse."
Extrait d'un article de Danielle Birck sur le livre: "les Oisivetés de Monsieur de Vauban", recueil de textes orignaux du Maréchal, éditions Champ Vallon

"L'on tient pour certain que la ville de Provins & sa dépendance pourrait dès à présent fournir tous les ans 6.000 muids de blé à Paris, des orges, des avoines à proportion, une très grande quantité de fruits de toute espèce, de légumes de toute sorte, comme pois, fèves, haricots, lentilles, navets, carottes et quelques eaux de vie, ce qui s'accroîtrait considérablement s'il y avait faculté de voiturer."

A l'époque, voiture, voiturer, voiturier se rapportaient à tous les modes de déplacement, au point que les deux canards de la fable de la Fontaine proposaient à la tortue: "Nous vous voiturerons par l'air en Amérique" et Bernardin de St Pierre note, dans Paul et Virginie: "les nuages que le vent alizé voiture dans le ciel..." On distinguait les voituriers par terre des voituriers par eau. .

"Voiture: Transport de personnes ou de choses pesantes qui se fait par le moyen de chevaux, charrettes, bateaux, etc. Les rouliers, les patrons d'un vaisseau doivent avoir leurs lettres de voiture, qui contiennent l'état des choses voiturées.
Se dit, aussi de la manière de porter les choses. La voiture par litière est la plus commode, celle par eau est de moindre coût, et c'est la plus douce. La plus rude voiture est celle des chevaux de messagers, de chasse-marée. Les voitures d'Orient se font par des bœufs ou des chameaux, celles des montagnes par des mulets. On dit proverbialement : adieu la voiture, quand on se moque d'une chose qui tombe, qui se renverse."
Dictionnaire de Furetière, XVII°s


Vauban évoquait aussi la possibilité d'établir des manufactures, de toiles, draps... "plantis d'arbres fruitiers, beurre, fromage & tout ce que la terre peut produire, le pays étant très bon & pouvant porter toutes sortes de fruits.
Pour retour, les bateaux pourraient monter les sels... marée et autres marchandises.
Il ne faut pas douter que le revenu des terres à portée de ce canal ne s'accrût d'au moins un sixième, pour les grands et les petits."

 

"Les bateaux de Seine ne conviennent pas; ils sont trop courts et trop larges & ne sauraient passer que par grands pertuis...On pourra faire des bateaux de 16 à 17 pieds de large sur 9 toises de corps droit... ce qui fera 12 toises 2 pieds de longueur en tout... qui porteront en pleine charge depuis 160 jusqu'à 170 milliers pesant, je veux dire plus de 50 muids de blé & 12 milliers de foin..."

 

Estimation de trente bateaux pour 300 voyages par an," un bateau pourrait descendre de Provins à Paris en trois jours, il séjournerait là huit jours pour débiter sa marchandise, six pour recharger & 8 pour remonter ce qui ferait 25 jours pour l'aller et venir..."

 

"Pour cette exécution, si l'on pouvait trouver une seule personne qui fût en état de l'entreprendre ... sinon, une compagnie de gens associés qui aient les reins assez forts pour l'entreprendre... Ladite société se doit assurer d'un ingénieur intelligent, bien payé & de deux à trois bons maîtres maçons & appareilleurs..."

 
Vauban poussa le souci du détail jusqu'à préciser " de ne point se servir de la hotte au transport des terres, mais de la brouette pour lesquelles pouvoir utilement employer, il faudra se pourvoir de quantité de planches afin d'en faciliter le roulage..."
 

Dans "les Oisivetés de Monsieur de Vauban", une pincée de mots résume le projet de navigation sur la Voulzie montrant que ce projet n'était pas une priorité de la fin du règne de Louis XIV.
" Continuant à remonter la Seine depuis Montereau jusqu'à Nogent et Pont sur Seine, qui est l'endroit où elle commence à porter bateau, on trouve la petite rivière de Voulzie qui descend de Provins. Elle peut se rendre navigable depuis là jusqu'à son embouchure, avec grande utilité pour cette ville et les pays alentour…"

Oisivetés de Monsieur de Vauban Tome 4 Navigation des rivières ed Champ Vallon


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