le choléra de 1832
texte d'Eugène Roch

Eugène Roch publia deux tomes de "Paris malade, esquisses du jour" en 1832 puis 1833. Il s'agit de saynettes mettant en scène divers personnages faisant face à la crise du choléra, depuis des chiffonniers jusqu'au premier ministre qui décèdera de cette maladie. Peu connu, Eugène Roch publia aussi un texte sur le cimetière du père Lachaise, dans le Livre des Cent et Un, ouvrage collectif .

Préface de Paris malade, esquisses du jour
Moutardier éditeur, Paris 1832

Paris en bonne santé, Paris avec son embompoint d'un ancien député du centre, Paris dans tout l'éclat des fêtes et des jeux, au sein de ses beaux-arts et de son opulence, livré à toutes les séductions, entraîné dans tous les excès et soucieux de rien, si ce n'est de plaisir, a été décrit mille fois; mais Paris malade, Paris vêtu de flanelle, Paris devenu maigre, Paris au régime ; oubliant le vin de Champagne pour la menthe poivrée, ou le vin de Surêne pour l'eau de la rue de la Roquette ; Paris suspendant ses raouts, désertant ses théâtres remisant ses landaus dans la crainte de les voir en file avec les corbillards, rentrant à l'approche de la nuit, et consultant le médecin sur le nombre et l'à-propos de ses bonnes fortunes ; puis encore Paris indocile, Paris qui ne veut pas se confesser; Paris impénitent, ce qui fait sourire, et Paris assassin, ce qui fait horreur... ce Paris-là n'a point encore trouvé de peintre. C'est qu'en vérité, cette situation n'est point ordinaire et ne se reproduit qu'une ou deux fois par siècle ; il faut la saisir sur le fait, mais Dieu nous garde de son retour. Certaines gens prétendront que Paris est malade encore de bien d'autres choses ; qu'il ne s'agissait point seulement de montrer Paris sur des béquilles, mais encore Paris à la besace. Il est pauvre à présent ce riche Paris; il ne se soutient qu'à l'aide de cartes d'indigence, de faillites et de soupes économiques. Enfin on voudra revoir Paris tel qu'il n'avait jamais été vu : Paris canonné et balafré par la mitraille, Paris en état de siège, sans l'assistance des Cosaques, des Écossais et das Autrichiens. Voilà ce qui demande quelques explications plus sérieuses : elles font l'objet de cette préface.
D'innombrables opuscules ont été publiés dans tous les pays sur la nature, les symptômes, la marche et les moyens curatifs du choléra-morbus ; nulle part on n'a imaginé de reproduire un tableau animé des mouvements populaires auxquels il a donné lieu ; de cette vive impression qu'il est venu jeter au milieu de la vie active et presque toute publique de la société actuelle ; des modifications, passagères pour le monde élégant, mais dont les classes inférieures conserveront quelques traces, qu'il a opérées dans les relations, les habitudes et les mœurs privées; du plus ou moins de résistance morale opposée à ses progrès; enfin du sentiment religieux qu'il aurait pu réveiller ou de l'indifférence profane dans laquelle l'empire des idées philosophiques a retenu les esprits. Ces aperçus montrent le but et le dessein de mon livre. C'est à Paris surtout qu'il devenait intéressant de les mettre en relief. L'idée qu'un fat agréable a de sa personne, les Français l'ont généralement de leur nation, et les Parisiens surtout des habitants de leur cité. Il semble que les plus impitoyables fléaux doivent reculer devant leurs épigrammes ou venir expirer dans leurs murs sous les coups d'une férule légère. Les autres peuples, accoutumés à les croire beaucoup sur parole, ont dû se montrer curieux de les voir à l'épreuve. Malheureusement, un épisode, qui paraîtra un anachronisme dans notre histoire, donnerait un bien cruel démenti à l'avancement de notre civilisation, si l'on négligeait de faire voir comment l'imprudence d'un seul avait pu ouvrir la route à l'égarement de la multitude, et comment l'impatience d'un insupportable malaise peut absoudre, sans le justifier, le crime d'une aveugle vengeance.
La politique et les mœurs sont presque devenues synonymes, tant elles se fondent désormais dans les mêmes nuances; une peinture des mœurs sans un reflet de politique, pour ainsi dire à chaque trait, serait une peinture infidèle et manquerait de son vrai coloris. Nous vivons aujourd'hui des souvenirs de juillet, invoqués sans cesse par les uns contre la marche du gouvernement, et par les autres en sa faveur. Tandis que les premiers se fortifient contre des orages qu'ils voient s'amasser sur toutes nos frontières, les seconds ne lisent autour de nous que dans un ciel brillant qui les fait sourire de béatitude. Les Esquisses du jour ne pouvaient donc se soustraire aux systèmes et aux faits politiques du dedans et du dehors. Le langage fidèle de toutes les opinions complétera au contraire la reproduction historique d'une époque dans un ouvrage dont les développements pourraient se résumer ainsi : Paris entre l'invasion du choléra et l'état de siège. Les poètes ont quelquefois personnifié la Peste pour lui demander compte à elle-même des contrées qu'elle a parcourues. Si j'osais, malgré le peu d'attrait que les prosopopées offrent de notre temps, user de la même fiction avec le choléra, pendant son séjour en France, on serait surpris du nombre et de la grandeur des événements qu'un laps de quelques mois peut enfermer:
"J'ai vu, pourrait-il dire, les trois grandes cours du Nord ratifier, après dix-huit mois d'attente pour les peuples, un traité qu'elles ont déclaré inexécutable le lendemain de leur acceptation. J'ai vu la nationalité polonaise effacée, et un Scythe donner impunément un démenti, connu du monde entier, à la promesse solennelle d'un roi des Français. J'ai vu le roi d'Angleterre appeler un ministère tory, au nom de Wellington, et ce ministère ne pouvoir s'unir, se former, se mouvoir, et répondre à cet appel; j'ai vu alors, sous un ministère wigh, s'effectuer la réforme parlementaire, peut-être le plus grand pas du siècle. J'ai vu en France une femme proscrite lancer en quelque sorte une fusée volante de la Provence dans la Vendée, pour allumer la guerre civile dans l'Ouest et dans le Midi; je l'ai vue elle-même traverser hardiment la France et Paris, et se retirer (fol espoir !) dans une autre île d'Elbe, plus voisine des côtes françaises. J'ai vu mourir, sous un fardeau qui avait été aussi trop pesant pour lord Castelreagh, l'Atlas du système du 13 mars, qui serait tombé avec lui si l'idée-mère et la propriété n'en avaient été revendiquées par une volonté supérieure. J'ai vu succéder à un convoi officiel, où le gouvernement avait déployé toute sa pompe, le plus beau convoi national auquel ait assisté l'enthousiasme populaire. J'ai vu, ce dont aucune autre époque de notre histoire n'offre d'exemple, Paris, au sein de la paix, mis en état de siège. J'ai vu la diète de Francfort briser l'existence indépendante des divers souverains d'Allemagne, et abaisser devant la Prusse, l'Autriche et la Russie, le flot patriotique qui s'élevait entre elles et la France. J'avais vu mourir Goethe, Berzélius et Cuvier; j'ai vu mourir le fils de Napoléon! .... (*)

(*) Ces événements comprennent quatre mois, depuis le 22 mars, jour de la mort de Goethe et de l'invasion du choléra à Paris, jusqu'au 22 juillet, jour de la mort de Napoléon II.


"femme proscrite..."
L’insurrection royaliste dans l’Ouest de la France en 1832 est une tentative militaire de la duchesse de Berry pour renverser la monarchie de Juillet. L’opération échoua rapidement en raison de la mobilisation locale assez faible, l’insurrection se limitant à l’Est de la Loire-Inférieure, le Sud-Est de l’Ille-et-Vilaine et le Nord de la Vendée.
Wikipédia, article : Guerre de Vendée et Chouannerie de 1832

"Système du 13 mars"
Casimir Perier avait longtemps médité ce que devait être la présidence du Conseil, et avait théorisé un régime quasi-parlementaire, dans lequel le cabinet est fort et "le roi règne mais ne gouverne pas", selon la fameuse maxime de Thiers. C'est ce qu'on devait appeler désormais "le système du 13 mars", fondé sur la marginalisation du roi, la solidarité du cabinet et de la majorité parlementaire et la soumission de l'administration, ce que Ludovic Vitet désigna en deux mots : "une dictature libérale".
Wikipédia, article Casimir Périer, mort du choléra le 16 mai 1832

"Beau convoi national..."
Le général Lamarque est mort à la suite de son infection, liée à la deuxième pandémie de choléra, le 1er juin 1832.
Ses obsèques furent prétexte à l’insurrection républicaine de 1832. Celle-ci servit d'arrière-plan à une partie des Misérables de Victor Hugo, épisode durant lequel, le jeune Gavroche meurt, près de la barricade de la rue de la Chanvrerie, pendant cette insurrection républicaine réprimée par la troupe.
En effet, Lamarque était devenu un symbole populaire, d'une part du fait de sa renommée d'ancien officier et d'homme politique « à principes » issu de la Révolution et de l'ère napoléonienne, et d'autre part du fait de son engagement républicain. Il était respecté pour ses facultés d'action : c'était un député de gauche populaire ainsi qu'un des chefs républicains.
Ainsi, les partisans républicains acceptèrent mal que les derniers honneurs soient rendus à ce fervent républicain par des royalistes légitimistes ; ils prirent cela comme une forme de récupération. L'ampleur de l'insurrection fut telle que Louis-Philippe aurait même envisagé de quitter Paris.
Wikipédia , article : Jean Maximilien Lamarque

"J'avais vu mourir Goethe, Berzélius et Cuvier..."

Jean Léopold Nicolas Frédéric Cuvier, dit Georges Cuvier, né le 23 août 1769 à Montbéliard et mort le 13 mai 1832 à Paris, est un anatomiste français (né sujet montbéliardais), promoteur de l'anatomie comparée et de la paléontologie au XIXe siècle. Il meurt à Paris le 13 mai 1832 des suites du choléra, à l’âge de soixante-deux ans.
d'après Wikipédia, article Georges Cuvier

Johann Wolfgang (von) Goethe , né le 28 août 1749 à Francfort et mort le 22 mars 1832 (à 82 ans) à Weimar, est un romancier, dramaturge, poète, théoricien de l'art et homme d'État allemand.

Berzélius
Pas d'autre référence que Jöns Jacob Berzelius savant suédois, fondateur de la chimie moderne avec Antoine Lavoisier, John Dalton et Robert Boyle, né en 1779, décédé en 1848. Aussi nommé Jean-Jacques Berzélius ; une rue de Paris porte son nom.
Donc, pas décédé en 1832.

"j'ai vu mourir le fils de Napoléon"

Napoléon François Joseph Charles Bonaparte, né le 20 mars 1811 au palais des Tuileries, à Paris, et mort le 22 juillet 1832 au palais de Schönbrunn, à Vienne (tuberculose), est le fils et l'héritier de Napoléon Ier, empereur des Français, et de sa seconde épouse, Marie-Louise d'Autriche. Prince impérial, il est titré roi de Rome à sa naissance.
d'après Wikipédia, article Napoléon II


Textes littéraires et documentaires sur le choléra, page des choix

Première page du dossier sur le choléra

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