le choléra de 1832
Textes littéraires et documentaires
Ci dessous, quelques citations et paragraphes d'oeuvres littéraires
sur le choléra, classés par thèmes...
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Carte 1831
D'après l'opinion la plus répandue, c'est en 1817, dans l'Hindoustan,
que le choléra-Morbus pestilentiel éclata pour la première
fois... Nous ferons cependant remarquer que le Choléra-Morbus a paru
et s'est conservé au milieu des grandes agglomérations d'hommes,
dans les camps et dans les villes populeuses; qu'il a suivi régulièrement
les Armées, les Caravanes, les grandes routes fréquentés
et même les Navires qui l'ont transporté dans des Contrées
que leur éloignement semblait mettre à l'abri de ce fléau.
1817 Jessore, Calcutta, Bénarès...
1818 Dehly, Katmandou, Madras, Bombay Extension vers l'Est: Birmanie
1819 Pondichéry, Goa... Ile de Bourbon. Royaume de Siam
1821 Arabie, Perse
1822 Pékin
1823 Russie
1830 Moscou
1831 St Petresbourg, Pologne, Prusse, Autriche
Châteaubriand
Le choléra, sorti du Delta du Gange en 1817, s’est propagé
dans un espace de deux mille deux cents lieues, du nord au sud, et de trois
mille cinq cents de l’orient à l’occident ; il a désolé
quatorze cents villes, moissonné quarante millions d’individus.
On a une carte de la marche de ce conquérant. Il a mis quinze années
à venir de l’Inde à Paris : c’est aller aussi vite
que Bonaparte : celui-ci employa à peu près le même nombre
d’années à passer de Cadix à Moscou, et il n’a
fait périr que deux ou trois millions d’hommes.
Louis Blanc
Depuis la fin du mois d’août 1817 jusqu’au commencement
du mois d’avril 1832, le choléra, né dans le Delta du
Gange, avait au loin et dans toutes les directions porté ses affreux
ravages. Il s’était étendu jusqu’à l’Ile
de Timor, vers le sud ; jusqu’à Pékin, vers l’orient
; jusqu’aux frontières de Sibérie, vers le nord. Au nord-ouest,
il avait envahi Moscou, Saint-Pétersbourg, et suivi la ligne qui s’étend
de Dantzig à Olmutz. Attaché aux Russes, il avait paru avec
eux sur les champs de bataille de la Pologne, plus meurtrier que la guerre
elle-même. Il s’était répandu parmi les Polonais,
immédiatement après la bataille d’Iganie. Puis, on l’avait
vu fondre en Bohême, en Gallicie, en Hongrie, en Autriche, moissonnant
les peuples, franchissant en peu de jours d’énormes distances,
allant par bonds d’un royaume à l’autre, mais revenant
ensuite sur ses pas, comme pour ramasser et frapper les victimes oubliées.
Au mois de février 1832, il avait passé par dessus l’Europe
occidentale et il occupait Londres.
Chevalier
N'est-ce pas le tsar Nicolas I° qui, pour étouffer l'insurrection
polonaise a fait venir d'Asie des troupes qui ont amené le choléra
avec elles? «attaché aux Russes, écrit Louis Blanc lui-même,
il avait paru avec eux sur les champs de bataille de la Pologne, plus meurtrier
que la guerre même». N'a-t-il pas été importé
en Europe par les Polonais fugitifs? «Ah ! chère révolution,
lisons nous sur une caricature de l'époque, sans toi je serais resté
dans le Nord de la Russie, c'est toi qui en révolutionnant la Pologne,
m'a fait venir dans ce malheureux pays; de là je suis descendu en Allemagne,
en Angleterre, et enfin grâce à toi, révolution de juillet,
me voilà à Paris». (Roch)
Alexandre Dumas père
Le détroit seul nous séparait de lui. Qu'était-ce donc
que la distance de Douvres à Calais pour un géant qui venait
de faire trois mille lieues ? Aussi traversa-t-il le détroit d'une
seule enjambée.
Eugène Roch
-J'ai vu, en me rendant compte des époques, que le choléra-morbus
arrivé à Varsovie, M. Dernon a commencé à être
préoccupé; à Vienne, il a pâli; à Berlin,
il a maigri; à Londres, il a jauni. Que deviendrait-il donc si la maladie
franchissait la Manche?
-Couleur de cholérique, violet, noir ou bleu: ce sont les trois nuances.
Chronologie
Heine
Son arrivée fut officiellement notifiée le 29 mars, et comme
c'était le jour de la mi-carême, qu'il faisait beau soleil et
un temps charmant, les Parisiens se trémoussèrent avec d'autant
plus de jovialité sur les boulevards, où l'on aperçut
même des masques qui, parodiant la couleur maladive et la figure défaite,
raillaient la crainte du choléra et la maladie elle-même. Le
soir du même jour, les bals publics furent plus fréquentés
que jamais; les rires les plus présomptueux couvraient presque la musique
éclatante; on s'échauffait beaucoup au chahut, danse peu équivoque;
on engloutissait à cette occasion toutes sortes de glaces et de boissons
froides quand tout à coup le plus sémillant des arlequins sentit
trop de fraîcheur dans ses jambes, ôta son masque et découvrit
à l'étonnement de tout ce monde un visage d'un bleu violet.
On s'aperçut tout d'abord que ce n'était pas une plaisanterie,
et les rires se turent, et l'on conduisit bientôt plusieurs voitures
de masques du bal immédiatement à l'Hôtel-Dieu, hôpital
central où, en arrivant sous leurs burlesques déguisements,
le plus grand nombre moururent.
Choléra Paris vecteur de propragation: migrants et
nourrices
p 258 Il est des coupables tout désignés à l'extension
de l'épidémie sur une grande étendue du territoire. Nous
savons déjà que les maçons creusois y ont leur part,
du moins dans l'expansion vers le sud-ouest. Si l'on suit les déplacements
des armées, on voit des foyers éclater tout le long de leur
passage, particulièrement en direction du nord-est, et se multiplier
dans la Meuse. Les échanges commerciaux, le retour des étudiants
chez eux sont autant de facteurs susceptibles de disséminer la maladie.
Les nourrices, à cet égard, sont des agents vecteurs plus redoutables
qu'il n'y paraît. Cinquante pour cent des nourrissons parisiens, en
temps ordinaire, sont confiés à leurs mains mercenaires et partent
vers les villages proches de Paris, pour ceux des familles les plus aisées
qui peuvent ainsi leur rendre visite, ou vers des campagnes lointaines pour
ceux issus de milieux plus modestes. Le choléra ayant suscité
l'inquiétude des parents qui désiraient éloigner leurs
enfants de la contagion, les nourrices affluèrent de leurs provinces,
répondant ainsi à une demande importante. Mais, avec le nourrisson,
elles rapportaient le choléra dans leur village et l'on voyait, dans
leur famille, puis dans leur entourage et enfin dans la contrée, éclore
soudain un foyer épidémique. « Une carte de la répartition
géographique de ces nourrissons parisiens se superposerait sans doute
à celle de l'extension épidémique en mai ou en juin 1832
» (Bourdelais Raulot les choléra en France au XIX° Annales
1978). L'infrastructure des voies de communication ne peut être négligée
lorsque l'on considère la distribution du fléau et ce n'est
sans doute pas par hasard que la plus grande densité de la morbidité
et de la léthalité sont rencontrés dans le nord et le
nord-est où le réseau routier est le plus dense et les voies
navigables et les canaux les plus nombreux (Bourdelais Raulot les choléra
en France au XIX° Annales 1978)
Louis Blanc
Au surplus, le choléra n’était pas resté renfermé
dans Paris, il avait gagné plusieurs départements : l’Aisne,
la Cote-d’Or, l’Eure, l’Indre, l’Indre-et-Loire, le
Loiret, la Marne, le Nord, l’Oise, le Pas-de-Calais, le Rhône,
la Seine-et-Marne, la Seine-Inférieure, la Somme ; mais le bulletin
sanitaire de tous ces départements réunis ne présentait,
au 20 avril, qu’un chiffre de 904 malades, sur lesquels 405 morts. C’était
une mortalité peu considérable eu égard à celle
qui avait désolé la capitale. Toutefois, quelques communes situées
sur les bords de la Seine furent cruellement ravagées : dans le département
de l’Aube, le petit village de Courteron perdit 96 habitants, sur une
population de 500 âmes ; et plusieurs exemples de ce genre servirent
à confirmer cette observation, déjà faite, que le choléra
trouvait un puissant véhicule dans le cours des eaux.
Symptômes
Le Juif errant, Rodin atteint du choléra
En disant ces mots, Rodin sourit d'une manière étrange; ses
yeux, ordinairement à demi voilés par ses flasques paupières,
s'ouvrirent tout grands et semblèrent briller plus que de coutume...
Depuis quelques moments et à mesure qu'il parlait, la physionomie et
la voix de Rodin subissaient une altération singulière: son
teint, toujours si cadavéreux, s'était de plus en plus coloré,
mais inégalement et comme par marbrures; puis phénomène
étrange ! ses yeux, en devenant de plus en plus brillants, avaient
paru se creuser davantage. Sa voix vibrait, saccadée, brève,
stridente.
L'altération des traits de Rodin, dont il ne paraissait pas avoir conscience,
était si remarquable, que les autres acteurs de cette scène
le regardaient avec une sorte d'effroi. Rodin était effrayant de férocité
en parlant ainsi; le feu de ses yeux devenait plus éclatant encore
; ses lèvres étaient sèches et arides, une sueur froide
baignait ses tempes, dont on remarquait les battements précipités;
de nouveaux frissons glacés coururent par tout son corps...
Rodin porta brusquement ses deux mains à son front avec un cri de douleur
étouffée.
- Qu'avez-vous? dit le père d'Aigrigny ; depuis quelques instants,
vous pâlissez d'une manière effrayante.
- Je ne sais ce que j'ai, dit Rodin d'une voix altérée; ma douleur
de tête augmente, une sorte de vertige m'a un instant étourdi.
Rodin s'interrompit encore. Son front ruisselait d'une sueur froide, il sentit
ses jambes se dérober sous lui, et il dit, malgré son opiniâtre
énergie : "Je l'avoue... je ne me sens pas bien, cependant, ce
matin, je me portais aussi bien que jamais; je tremble malgré moi,
je suis glacé."
... Rodin s'interrompit encore. Cette fois il poussa un cri aigu, tomba sur
une chaise placée près de lui, se rejeta convulsivement en arriére,
et appuyant, ses deux mains sur sa poitrine, il s'écria :
"Oh que je souffre!"
Alors, chose effroyable ! à l'altération des traits de Rodin
succéda une décomposition cadavéreuse presque aussi rapide
que la pensée; ses yeux, déjà caves, s'injectèrent
de sang et semblèrent se retirer au fond de leur orbite, dont l'ombre
ainsi agrandie forma comme deux trous noirs du creux desquels luisaient deux
prunelles de feu; des tiraillements nerveux saccadés tendirent et collèrent
sur les moindres saillies des os du visage la peau flasque, humide, glacée,
qui devint instantanément verdâtre; de ses lèvres, bridées
par le rictus d'une douleur atroce, s'échappait un souffle haletant,
de temps à autre interrompu par ces mots :
"Oh! je souffre, je brûle."
Puis, cédant à un transport furieux, Rodin, du bout de ses ongles,
labourait sa poitrine nue, car il avait fait sauter les boutons de son gilet
et à demi déchiré sa chemise noire et crasseuse, comme
si la pression de ces vêtements eût augmenté la violence
des douleurs sous lesquelles il se tordait... il éprouvait d'horribles
convulsions; tout à coup, rassemblant ses forces, il se dressa sur
ses pieds, droit et roide comme un cadavre; alors, ses vêtements en
désordre, ses rares cheveux hérissés autour de sa face
verte, attachant ses yeux rouges et flamboyants sur le cardinal, qui, à
ce moment, se penchait vers lui, il le saisit de ses deux mains convulsives...
-Quel symptôme!... s'écria le docteur Baleinier en examinant
avec une terreur croissante la face de Rodin, qui de verte devenait bleuâtre.
- Qu'y a-t-il donc? demandèrent les spectateurs tout d'une voix.
- Ce qu'il y a? reprit le docteur en se rejetant en arrière comme s'il
eût marché sur un serpent; c'est le choléra, et c'est
contagieux.
Giono/ Description par le docteur
p 481 / Le cholérique n'a plus de visage : il a un faciès, un
faciès éminemment cholérique. L'œil enfoncé
dans l'orbite et comme atrophié est entouré d'un cercle livide
et à moitié couvert de la paupière supérieure.
Il représente ou une bien grande agitation de l'âme ou une sorte
d'anéantissement. La sclérotique qui se laisse voir est frappée
d'ecchymoses ; la pupille qui s'est dilatée ne se contractera jamais
plus. Ces yeux n'auront jamais plus de larmes. Les cils, les paupières
sont imprégnés d'une matière sèche et grisâtre.
Des yeux qui sont restés écarquillés dans une pluie de
cendres à regarder des halos, des lucioles géantes, des éclairs.
Les joues sont décharnées, la bouche à moitié
ouverte, les lèvres collées sur les dents. La respiration passant
à travers les arcades dentaires rapprochées devient sonore.
C'est un enfant qui imite une monstrueuse bouilloire. La langue est large,
molle, un peu rouge, couverte d'un enduit jaunâtre.
Le froid qui a d'abord été sensible aux pieds, aux genoux et
aux mains tend à envahir tout le corps. Le nez, les pommettes, les
oreilles sont glacés. L'haleine est froide, le pouls est lent, d'une
faiblesse extrême, vers le déclin de l'existence physiologique.
Giono / Description mort d'un paysan
p 115 / Mais le visage qui était d'une maigreur excessive au point
de n'être qu'un crâne recouvert de peau se mit à blêmir
pendant que les grosses lèvres couvertes de poils durs se retiraient
autour des dents noirâtres et gâtées qui, dans ce bleu,
paraissaient presque blanches. Au fond des orbites très profondes les
yeux, dans de la peau plissée, papillotaient comme l'écaillé
de petites têtes de tortues.
Giono / Vomissements et diarrhée
p 65 / Sous les mains d'Angélo le corps était glacé et
dur. Il se couvrait de marbrures violettes. L'enfant se mit à vomir
et à faire une dysenterie écumeuse qui giclait sous lui comme
si Angélo pressait sur une outre.
Giono p 192 / Les cadavres continuaient à se soulager dans des suaires qui, maintenant, étaient faits de n'importe quoi : vieux rideaux de fenêtres, housses de canapés, tapis de tables et même, chez les riches, de dessus de baignoires. Des pots de chambre pleins à ras bord avaient été posés sur la table de la salle à manger et on avait continué à remplir des casseroles, des cuvettes de toilette et même des pots à fleurs, vidés en vitesse de leur plante verte : fougère ou palmier-nain, avec cette déjection mousseuse, verte et pourprée qui sentait terriblement la colère de Dieu.
Crécy
p17 Presque tous les cholériques soumis mon observation ont rendu soit
par la bouche, soit par l'anus, un plus ou moins grand nombre de lombrics,
pour la plupart morts, de la longueur de huit à quatorze pouces; mais
il en est surtout plusieurs à Villeneuve-le-Comte qui en ont expulsé
jusqu'à 40 et 50, et néanmoins je ne me suis point aperçu
que la présence dans les intestins d'une aussi prodigieuse quantité
de vers ait aggravé l'état des maladies.
Louis Blanc
Car le malade était cadavre, avant même d’avoir perdu la
vie. Sa face maigrissait avec une promptitude extraordinaire. On comptait
ses muscles sous sa peau, devenue subitement noire, bleuâtre. Ses yeux
étaient excavés, secs, réduits de moitié, et comme
retirés à l’aide d’un fil vers la nuque et dans
l’intérieur du crâne. La respiration du malade était
froide, sa bouche blanche et humide, son pouls d’une faiblesse extrême.
Sa parole était un souffle.
Des étourdissements, des bourdonnements d’oreille, des vomissements répétés, un sentiment étrange de prostration et en quelque sorte de vacuité générale, le froid gagnant tout le corps par les extrémités, des dérangements d’estomac excessifs, des crampes violentes dans les membres, une respiration pénible, une angoisse inexprimable dans la région précordiate, la peau couverte d’une moiteur glacée, tels étaient les principaux symptômes du mal. Abandonné à lui-même, il lui fallait trois jours à peine pour anéantir les malheureux dont il avait pris possession ; souvent, deux ou trois heures lui suffisaient.
Causes
Giono / Mouche du choléra
p 423 / La mouche du choléra ne volait pas, paraît-il, au-dessus
d'une certaine altitude. Les gens se réfugiaient sur les hauteurs quand
ils pouvaient.
Châteaubriand
Qu’est-ce que le choléra ? Est-ce un vent mortel ? Sont-ce des
insectes que nous avalons et qui nous dévorent ? Qu’est-ce que
cette grande mort noire armée de sa faux, qui, traversant les montagnes
et les mers, est venue, comme une de ces terribles pagodes adorées
aux bords du Gange, nous écraser aux rives de la Seine sous les roues
de son char ?
Crécy
Pense à l'exposition des villages et la présence de cours d'eau,
sans preuve:
p 11 L'épidémie s'est prolongée à Tigeaux depuis
le 14 avril jusqu'à la fin de juin; et ce qu'il y a de bien extraordinaire,
et qui, selon moi, restera toujours inexplicable, c'est que pendant tout ce
temps il n'y a pas eu un seul cholérique à Dammartin, qui n'est
qu'à deux ou trois portées de fusil de là, dans le même
vallon et à la même exposition, tandis que, dans les premiers
jours d'août, la maladie faisait dans ce village de nombreuses victimes.
Heine
Par la grande misère qui règne ici, par l'immense malpropreté
qu'on y trouve ailleurs encore que dans les classes les plus pauvres, par
l'irritabilité du peuple surtout, par sa légèreté
sans bornes, par le manque total de dispositions et de mesures de prévoyance,
le choléra devait s'étendre avec plus de promptitude et d'horreur
qu'en aucun autre lieu.
Contagion
Théorie des miasmes / wiki
La théorie des miasmes (du grec ancien µ?asµa : «
pollution ») est une théorie épidémiologique aujourd’hui
infirmée imputant aux miasmes, une forme nocive de « mauvais
air », des maladies telles que le choléra, la chlamydiose, la
peste noire, ou encore la malaria dont la traduction italienne est littéralement
« mauvais air ».
Acceptée depuis les temps anciens en Europe, en Inde et en Chine, la
théorie des miasmes a finalement été battue en brèche
au XIXe siècle par la découverte des microbes qui a donné
lieu, en retour, à la théorie microbienne comme source de ces
maladies. ../...
Les miasmes étaient considérés comme une vapeur ou un
brouillard toxique rempli de particules issues de la matière décomposée
(les miasmata) qui causaient des maladies. La théorie miasmatique supposait
que les maladies étaient le produit de facteurs environnementaux tels
que l’eau contaminée, l’air vicié et des conditions
d’hygiène déplorables, ces infections ne se transmettant
pas entre individus, mais affectant les personnes qui résidaient dans
le lieu particulier d’où émanaient de telles vapeurs identifiables
par leur odeur fétide. .../...
La large acceptation de la théorie des miasmes pendant les épidémies
de choléra ont éclipsé la théorie partiellement
correcte défendue par John Snow, selon laquelle le choléra se
répandait au travers de l’eau...
La science explique aujourd'hui le phénomène notamment par le
fait que certaines maladies sont causées par des agents pathogènes
(virus, bactéries, prions), ces derniers étant transmissibles
d'individus à individus (contagion) par contact physique direct, ou
indirect (le vecteur pouvant être l'eau, les gouttelettes de Pflüge,
l'alimentation, ou un vecteur intermédiaire vivant)
Giono / Contagion
p 377/378 / Notamment, il était ici de toute évidence que le
choléra ne se transmettait pas par contagion. S'il était contagieux,
disait-on, nous serions déjà tous morts. Or, nous ne sommes
pas tous morts (certains ajoutaient même : « Loin de là
! » Donc, il n'est pas contagieux. Donc, il n'est pas nécessaire
de brûler la paille qui produit une fumée si nauséabonde
et si suffocante. Et surtout, il n'était pas obligatoire de mettre
en quarantaine dans la quarantaine les personnes qui avaient soigné
la personne décédée, ou eu des relations avec elle.
Crécy
p 3 ...nous eûmes occasion de l'observer pour la première fois
à Crécy le 10 avril dernier. C'était sur deux jeunes
gens, les fils Roubeaux et Camuset, arrivés la veille de la capitale,
emportant avec eux le germe de cette cruelle maladie qu'ils croyaient éviter
en fuyant, mais dont ils devaient être incessamment parmi nous les premières
victimes.
p 8 La même circonstance se représente à Tigeaux, petit village éloigné de Crécy d'environ une lieue, et séparé de lui par une haute colline. L'état sanitaire y était très satisfaisant. Arrive de Paris, le 13 avril, la fille du sieur Marchant, flotteur, que la maladie surprend le lendemain 14, et dès le 20 plusieurs cas de choléra se présentent.
p 8 Je constate ces faits, sans prétendre en rien déduire en faveur de la contagion, à laquelle je ne crois pas. Le mode de propagation du choléra est jusqu'à présent tout aussi inconnu que sa cause première.
Eugène Roch, miasmes
Et si je vous disais ce que je viens d'apprendre ! A Montmartre on a écorché
un mouton; puis, avec un ballon fixe, on l'a enlevé dans l'air, tout
dépouillé de sa peau. Quand il a eu fini de se promener après
deux heures de courses, savez vous dans quel état il est redescendu?
-Je ne sais pas.
-Dans la plus complète décomposition.
Maladies associées
Crécy choléra accompagné de suette et
de cholérine.
p 15 ...Lachapelle m'a fourni, depuis le 18 avril jusqu'au 8 juin, 1 choléra,
7 cholérines et 4 suettes; Serbonnes, depuis le 25 avril jusqu'au 11
juin, 4 choléras, 2 cholérines et 1 suette...
Louis Blanc
On reconnaissait en général cinq périodes dans le choléra,
celle du choléra léger ou cholérine, celle de l’invasion
du mal, celle du choléra algide ou bleu, la période de réaction,
et enfin la période typhoïde.
Remèdes
Giono / Remèdes
p 479 /480 / En principe, il n'y a rien à faire. Des cataplasmes sur
des jambes de bois, il y en a, vous pensez bien, des variétés
infinies. Le calomel en est un. Non, je n'en ai pas. Qu'est-ce que vous voulez
que j'en fasse ? Le sirop de gomme aromatisé à la fleur d'oranger
en est un autre. On a le choix entre les sangsues à l'anus et la saignée,
à quoi il ne faut pas être grand clerc pour penser en pareil
cas. On passe des lavements au cachou, du rathania à l'extrait de quinquina,
la menthe, la camomille, le tilleul, la mélisse. En Pologne, on donne
un grain de belladone ; à Londres, deux grains de sous-nitrate de bismuth.
On applique des ventouses sur l'épigastre, des sinapismes sur l'abdomen.
On administre (et le mot est joli) de l'hydro-chlorate de soude ou de l'acétate
de plomb.
Heine / flanelle
La flanelle est en effet la meilleure cuirasse contre les attaques du choléra,
notre plus cruel ennemi. Vénus, dit le Figaro, porterait aujourd'hui
une ceinture de flanelle. Pour moi, je suis dans la flanelle jusqu'au cou,
et me crois aussi invulnérable. Le roi lui-même porte aujourd'hui
une ceinture de la meilleure flanelle citoyenne.
Choléra Paris / sangsues
p 153 Il faut, bien entendu, prélever le plus de sang possible puisqu'il
afflue dans les lésions phlegmasiques et les entretient. On incise
les veines et les artères mais les saignées sont très
peu efficaces car la circulation est ralentie chez ces malades cyanoses :
les veines écrasées ne laissent sourdre que quelques gouttes
d'un sang épais, noirâtre. Le meilleur moyen est d'avoir recours
aux sangsues et, sans se poser de questions, on les applique dans les zones
supposées enflammées. Le malade vomit-il ? Leur place est à
l'épigastre. A-t-il une pesanteur rectale, de la diarrhée ?
On les installe en couronne autour de l'anus. Est-il prostré ? On les
accroche aux mastoïdes et l'on y ajoute des scarifications du cuir chevelu
où des ventouses viendront encore pomper un peu de sang. « Vingt
sangsues à la vulve, trente, quarante sangsues aux cuisses sont prescritions
courantes à l'Hôtel-Dieu » (Delaunay le corps médical
et le choléra en 1832).
Ces petites bêtes, mises à la mode par Broussais, sont devenues
d'une utilisation si fréquente dans la pharmacopée que tous
les étangs de France en sont épuisés. On est dans l'obligation
de les importer de Bohême, de Hongrie et, maintenant, de toute l'Europe.
En 1824, on en faisait déjà venir trois cent mille par an ;
la médecine physiologique aidant, la consommation est passée
à trente-trois millions en 1827. On n'ose plus les compter en 1832
(anonyme rapport sur la marche et les effets du choléra 1834).
Louis Blanc
Malheureusement, les avis différaient d’une manière extraordinaire
sur la nature du traitement à employer. M. Magendie prescrivait du
punch dans une infusion de camomille. La base du traitement de M. Récamier
consistait dans les affusions d’eau froide. Le médecin en chef
de l’hôpital temporaire des Greniers d’abondance, M. Rostan,
faisait plonger le malade dans un bain à 52 degré Réaumur
; au sortir du bain, une saignée au bras était pratiquée,
et des sangsues étaient appliquées sur la région épigastrique
; M. Rostan prescrivait en même temps une infusion aromatique de mélisse,
de menthe ou de camomille. Le président de la commission envoyée
en Pologne, M. Londe, consultait les inspirations de l’organisme et
pratiquait la médecine du symptôme ; M. Gerdy employait, dans
la période algide, trois vésicatoires le long de la colonne
vertébrale, au cou, au dos et aux lombes ; des synapismes à
l’épigastre et aux membres ; l’eau de Seltz. Dans la période
de réaction, il eut recours aux saignées, mais rarement. MM.Touzet
et Coster proposaient la méthode de l’oxigénation du sang.
M. Andral administrait à ses malades une potion d’acétate,
composée d’ammoniaque, de sulfate de quinine, d’éther
sulfurique et de camphre, et faisait opérer des frictions sur les membres
avec la teinture de cantharides. Le traitement anti-phlogistique avait été
adopté par M. Bouillaud, qui, comme moyen auxiliaire, employait les
excitants de la peau et les opiacés. M. Gendrin faisait usage de l’opium
à forte dose. Application de ventouses scarifiées à l’épigastre,
extraction de 2 ou 3 onces de sang, plus ou moins, suivant l’âge,
la force du malade et l’état du pouls, frictions avec de la flanelle,
décoctions de têtes de pavots, fumigations, tels étaient
les éléments du traitement de M. Dupuytren. Dans un mémoire
publié sur le choléra-morbus, M. le baron Larrey indiquait,
comme les meilleurs topiques, les ventouses scarifiées, les vésicatoires
volants, composés de cantharides et de camphre, les frictions sèches
avec de la laine, les onctions avec les huiles aromatiques. En sa qualité
de premier médecin du quartier-général de l’armée
polonaise, M. Wolowski avait fait sur le choléra des études
approfondies : il en distinguait de deux sortes, le choléra asthénique
et le choléra inflammatoire et il combattait le premier par l’eau
de menthe poivrée très-chaude, par l’opium à haute
dose, par des frictions avec de la flanelle, par des synapismes et des ventouses
sèches, appliqués sur les extrémités, sur le ventre
et sur l’estomac ; contre le second, il avait recours aux saignées,
à l’usage d’une potion composée dans des proportions
déterminées, de salep, d’eau commune et de laurier cerise,
et aussi à l’application de ventouses mouchetées sur le
ventre, la poitrine et l’épine dorsale. Cette énumération,
qu’il serait inutile et fastidieux de prolonger, suffit pour montrer
combien les médecins étaient loin de s’entendre sur le
choix des meilleurs moyens curatifs à employer.
Alexandre Dumas
On médicamenta au hasard ; comme un homme surpris par un voleur dans
la nuit frappe au hasard au milieu de l'obscurité, espérant
atteindre ce voleur, la science espadonna dans les ténèbres.
.../... Les uns administrèrent des toniques, c'est-à-dire
du punch, du vin chaud, du bordeaux, du madère.
Les autres, n'ayant en vue que les douleurs d'entrailles, traitèrent
ces douleurs par les deux systèmes en présence à cette
époque : ceux-ci par le système physiologique de Broussais,
qui consistait à saigner les malades, et à leur mettre des sangsues
sur l'estomac et sur le ventre – traitement qui avait pour but de combattre
la maladie dans sa nature inflammatoire – ceux- là par les opiacés,
les calmants, les adoucissants, l'opium, la belladone, l'ellébore –
c'était combattre sinon la maladie, du moins la douleur – d'autres,
enfin, essayaient de réchauffer par les bains de vapeur, les frictions,
les fers brûlants.
Eugène Roch
-Joseph ! si tu allais chercher au café des Nouveautés un demi-boll
de punch anticholérique d'après la recette du docteur Magendie?
-Prendrai-je aussi quelques livres de glace, suivant le système antiplogistique
du docteurs Broussais?
Je me sens, depuis que j'ai les bras passé dans ces manches de flanelles, un moral d'airain; pourvu, bien entendu, que je ne voie paraître sur ma table ni salade, ni légumes, ni surtout ces excécrables radis, que je mange avec tant de plaisir et qui m'ouvrent si bien l'appétit; mais en temps de choléra, le radis, c'est l'abomination du règne végétal, c'est l'épidémie incarnée.
Prix des remèdes
Chevalier
les substances réputées préservatrices de la peste, écrit
Considérant, le camphre, le chlorure de chaux et autres drogues dont
le commerce prévoyant avait empli ses magasins, s'élèvent
de prix en proportion du mal et de la terreur de la population...
Mortalité
Crécy
p 18 Si maintenant l'on retranche de nos morts ceux qui ont succombé
avant d'avoir pu recevoir les secours nécessaires, ceux qui ont refusé
ces mêmes secours ou à qui ils ont été mal administrés,
et qui s'élèvent assurément à plus de 13, il nous
reste 50 morts sur 160 choléras intenses; et ce résultat, qui
justifie du reste notre première assertion est certes l'un des plus
favorables qu'il soit possible d'obtenir en l'état présent de
la science vis à vis de la maladie qui nous occupe.
Eugène Sue
Dans les quartiers sombres, infects, où, au milieu d'une atmosphère
morbide, vivaient entassés une foule de prolétaires déjà
épuisés par les plus dures privations, et, ainsi que l'on disait
énergiquement alors, tout mâchés pour le choléra,
il ne s'agissait plus d'individus, mais de familles entières enlevées
en quelques heures ; pourtant, parfois, ô clémence providentielle!
un ou deux petits enfants restaient seuls dans la chambre froide et délabrée,
après que père et mère, frère et soeur étaient
partis en cercueil.
Choléra Paris : nombre de morts
p 249 Le choléra a tué à Paris...
pendant la première période dite d'invasion, début 26
mars, Carnaval, maxi le 14 avril :
en mars 90 personnes
en avril 12.733
en mai 812
en juin (jusqu'au 15) 266
Total 13.901
pendant la seconde période dite de recrudescence :
fin juin 602
juillet 2 573
août 969
septembre 357
soit au total 4.501
total général 18.402 2,3 % de la population de Paris: 785.000
Comportements
Paris ville magnifique...
Et le choléra...
p 77 Des années après, Charles de Rémusat en est encore
tout confondu : « II y avait plus d'une année que, parti du fond
de l'Asie, [le choléra] marchait vers l'occident de l'Europe. On en
racontait les ravages ; on nous en prédisait l'invasion ; nous écoutions
avec curiosité mais sans effroi. Nous pensions que ces grandes pestes
dont parlent les historiens n'appartenaient qu'au Moyen Age. Elles ne pourraient
plus pénétrer dans une société aussi avancée
: notre climat, la salubrité de notre pays, nos règlements de
police, les progrès de la science, nous en préserveraient. Comment
supposer qu'une ville magnifique telle que Paris serait, comme les cités
misérables de l'Orient, la proie d'une contagion indochinoise ? »
(Charles de Rémusat mémoires de ma vie t II ).
Chevalier
«Riche de sa position géographique la plus avantageuse, lisons-nous
en un rapport officiel, d'un ciel doux, d'un climat tempéré,
d'un sol fécond, d'une heureuse distribution de la propriété
territoriale, d'une industrie universelle, d'une instruction assez générale
et par cela même d'une hygiène publique et privée qui
laisse peu à désirer, les Français ont l'espoir d'être
préservés du fléau».
Eugène Roch
Sommes-nous barbares comme les moujicks russes? n'avons nous pas contre lui
notre esprit léger, et toute une artillerie de bons mots et de calembours?
N'avons nous pas nos lumières, l'état de nos sciences, la supériorité
de nos médecins, la prévoyance de notre administration?
Vienne le choléra, il sera sifflé, bafoué, conspué,
ridiculisé, vandevillisé; il mourra de honte et d'inanition.
Insouciance
Châteaubriand
Et chacun continuait de vaquer à ses affaires, et les salles de spectacle
étaient pleines. J’ai vu des ivrognes à la barrière,
assis devant la porte du cabaret, buvant sur une petite table de bois et disant
en élevant leur verre : «À ta santé, Morbus! »
Morbus, par reconnaissance, accourait, et ils tombaient morts sous la table.
Les enfants jouaient au choléra, qu’ils appelaient le Nicolas
Morbus et le scélérat Morbus.
Choléra Paris Hugo, Dumas... probabilité d'être
malade
p 177 Victor Hugo, après s'être fait prier, récite ses
derniers poèmes ; quant à Liszt, il est toujours tout prêt
à se mettre au piano avec la vigueur qu'on lui connaît. Aucun
d'entre eux ne songe plus au choléra car ils ont calculé, une
fois pour toutes, en mauvais statisticiens, que « cinq cents trépassés
par jour sur un million d'hommes, ce n'était pas tout à fait
un mort sur mille vivants et l'on avait, à tout prendre, bien plus
de chances d'être un des mille vivants que d'être le mort »
(Alexandre Dumas mes mémoires).
Chanson
V'là l'choléra Aristide Bruant dans Chansons et monologues 1897
, à propos du choléra de 1884
Paraît qu'on attend l'choléra, / La chose est positive. / On
n'sait pas quand il arrivera, /Mais on sait qu'il arrive.
V'là l'choléra ! V'là l'choléra ! qu'arrive !
De l'une à l'autre rive, Tout le monde en crèv'ra!
Poème
Mi carême Gustave Levavasseur Poésies complètes tome 3
... La nuit de mi-carême, un masque à tête folle / Grimaçait,
faisait rage et s'égaudissait fort. / On riait. Tout à coup
il fit la cabriole / Et se tint coi. Ce fut très drôle. Il était
mort.
Eugène Sue
Deux hommes, grotesquement déguisés en postillons des pompes
funèbres, ornés de faux nez formidables, portant à leur
chapeau des pleureuses eu crêpe rose, et à leur boutonnière
de gros bouquets de roses et des bouffettes de crêpe, conduisaient le
quadrige. Sur la plateforme de ce char étaient groupés des personnages
allégoriques représentant : Le Vin, la Folie, l'Amour, le Jeu.
Ces êtres symboliques avaient pour mission providentielle de rendre,
à force de lazzi, de sarcasmes et de nazardes, la vie singulièrement
dure au bonhomme Choléra, manière de funèbre et burlesque
Cassandre qu'ils bafouaient, qu'ils turlupinaient de cent façons, la
moralité de la chose était celle-ci : "Pour braver sûrement
le choléra, il faut boire, rire, jouer et faire l'amour. "
Châteaubriand
Si ce fléau fût tombé au milieu de nous dans un siècle
religieux, qu’il se fût élargi dans la poésie des
mœurs et des croyances populaires, il eût laissé un tableau
frappant. Figurez-vous un drap mortuaire flottant en guise de drapeau au haut
des tours de Notre-Dame, le canon faisant entendre par intervalles des coups
solitaires pour avertir l’imprudent voyageur de s’éloigner
; un cordon de troupes cernant la ville et ne laissant entrer ni sortir personne,
les églises remplies d’une foule gémissante, les prêtres
psalmodiant jour et nuit les prières d’une agonie perpétuelle,
le viatique porté de maison en maison avec des cierges et des sonnettes,
les cloches ne cessant de faire entendre le glas funèbre, les moines,
un crucifix à la main, appelant dans les carrefours le peuple à
la pénitence, prêchant la colère et le jugement de Dieu,
manifestés sur les cadavres déjà noircis par le feu de
l’enfer.
Puis les boutiques fermées, le pontife entouré de son clergé, allant, avec chaque curé à la tête de sa paroisse, prendre la châsse de sainte Geneviève ; les saintes reliques promenées autour de la ville, précédées de la longue procession des divers ordres religieux, confréries, corps de métiers, congrégations de pénitents, théories de femmes voilées, écoliers de l’Université, desservants des hospices, soldats sans armes ou les piques renversées ; le Miserere chanté par les prêtres se mêlant aux cantiques des jeunes filles et des enfants ; tous, à certains signaux, se prosternant en silence et se relevant pour faire entendre de nouvelles plaintes.
Rien de tout cela : le choléra nous est arrivé dans un siècle de philanthropie, d’incrédulité, de journaux, d’administration matérielle. Ce fléau sans imagination n’a rencontré ni vieux cloîtres, ni religieux, ni caveaux, ni tombes gothiques ; comme la terreur en 1793, il s’est promené d’un air moqueur, à la clarté du jour, dans un monde tout neuf, accompagné de son bulletin, qui racontait les remèdes qu’on avait employés contre lui, le nombre des victimes qu’il avait faites, où il en était, l’espoir qu’on avait de le voir encore finir, les précautions qu’on devait prendre pour se mettre à l’abri, ce qu’il fallait manger, comment il était bon de se vêtir.
Chevalier : Paris malade
C'est Roch écrivant : "Paris en bonne santé, Paris avec
son embonpoint d'un ancien député du Centre, Paris dans tout
l'éclat des fêtes et des jeux a été décrit
mille fois; mais Paris malade, Paris vêtu de flanelle, Paris devenu
maigre, Paris au régime : oubliant le vin de Champagne pour la menthe
poivrée, ou le vin de Surène, pour l'eau de la rue de la Roquette..."
Incrédulité
Chevalier
Hervé Bazin: "Le livre des 101". C'est alors qu'une affreuse
nouvelle circule parmi les groupes. Heureusement, elle venait du Moniteur:
elle arrivait avec un caractère officiel et l'on avait devant soi quelques
temps pour en douter.
Fuir Paris
En 1884, ceux qui partaient de Paris (comme pendant le siège ) étaient surnommés le "francs-fileurs" surnom des déserteurs.
Heine
Un malaise plus matériel que moral, contre lequel ou ne pouvait se
défendre, m'aurait chassé de Paris comme tous les autres étrangers;
mais mon meilleur ami, gravement malade, y serait demeuré seul. Je
fais cette remarque pour qu'on ne considère pas comme une bravade mon
séjour à Paris. Un fou seul eût pu trouver du plaisir
à braver le choléra.
Crécy
p 10 ...chacun avait l'air triste et soucieux; on ne voyait pas l'ami engager
son ami à venir partager son dîner; on sortait peu et on ne s'abordait
que pour se demander: « Y a-t-il de nouveaux malades ? quels sont-ils
? combien de morts ? »
Heine
On dit qu'on a délivré dans ces circonstances plus de cent mille
passe-ports. Quoique le choléra attaque avec une préférence
visible la classe la plus pauvre, les riches n'ont pas laissé de prendre
la fuite. Il ne faut pas en vouloir à certains parvenus s'ils se sont
sauvés. Le choléra, pensaient-ils, qui vient du fond de l'Asie,
ne sait pas que nous avons gagné dans les derniers temps beaucoup d'argent
à la bourse il pourrait bien nous prendre encore pour de pauvres hères
et nous faire manger de l'herbe par la racine.
Choléra Paris
p 106 « Le nombre des chevaux de poste pris dans les journées
des 5, 6 et 7 avril fut de 618, et celui des passeports augmenta de 500 par
jour. Dans les hôtels et les maisons garnies les sorties s'élevèrent
pendant tout le mois d'avril de 900 à 1 000 et les entrées n'allèrent
pas à 500. » En fait, dans les voitures des Messageries royales
et dans celles des Messageries générales de Laffitte et Caillaud,
les deux principales entreprises de transport au départ de Paris, il
sort plus de 700 personnes par jour au mois d'avril alors qu'il en arrive
à peine 300. Mais c'est compter sans les riches qui se sauvent dans
leurs berlines, ni ceux qui, lorsque les diligences sont pleines, louent des
fiacres ou des charrettes. Mérimée se désole : «
Le choléra, outre qu'il a tué un bon nombre d'honnêtes
gens, a fait fuir en province les jolies femmes. On est maintenant dans un
véritable embarras pour finir ses soirées » (Lemaire scélérat
morbus à Paris).
Louis Blanc
On doit cette justice au roi et à sa famille, qu’ils n’allèrent
pas chercher au loin un refuge contre le danger. Mais la plupart des gens
riches fuyaient, les députés fuyaient, les pairs de France fuyaient.
Les messageries royales emportaient de Paris, à elles seules, plus
de sept cents personnes par jour. Quand les diligences regorgeaient de pâles
voyageurs, on partait dans des voitures de place, on partit ensuite dans des
charrettes. Et en vain criait-on à tant de hauts fonctionnaires, que
leur place était là où il y avait un si grand nombre
de malheureux à rassurer et à secourir !
Délires
Emeutes
Louis Blanc assainissement
Sous le coup de cette effroyable maladie, l’administration prit les
mesures d’urgence. On s’occupa de l’assainissement de la
ville. On songea enfin à faire entrer un peu d’air et de lumière
dans ces quartiers fangeux où l’on avait sans remords laissé
vivre et mourir le pauvre, quand tous n’étaient pas encore menacés.
Le nombre des bornes-fontaines fut augmenté ; les ruelles les plus
étroites, les plus infectés, furent pavées et fermées
; des travaux rapides nettoyèrent les immondices de l’île
Louviers...
Louis Blanc chiffonniers
Une mesure, fatale dans la circonstance, fit sortir un soulèvement
de ces imprécations. Un nouveau système avait été
adopté pour l’enlèvement des boues, et l’entrepreneur
avait reçu l’autorisation d’enlever les immondices dans
la soirée, c’est-à-dire avant que les chiffonniers eussent
eu le temps d’y ramasser ces objets où l’indigence sait
trouver encore quelques vestiges d’utilité. C’était
porter atteinte aux moyens d’existence de plus de dix-huit cents personnes,
non compris les boueurs, privés de leur bénéfice par
une mesure qui laissait les anciens tombereaux sans emploi. Des attroupements
nombreux couvrent les rues et les places. On s’empare des tombereaux
de forme nouvelle, on les lance à la rivière ou on les brûle.
Heine chiffonniers
Rien ne ressemble au trouble et à la confusion avec lesquels tous les
établissements de santé furent organisés. Il se forma
une commission sanitaire; on institua de toutes parts des bureaux de secours,
et l'ordonnance relative à la salubrité publique fut mise promptement
en vigueur. Ce fut alors qu'on se heurta d'abord contre les intérêts
de quelques milliers d'hommes qui regardent comme leur propriété
la saleté publique. Ce sont les chiffonniers, qui cherchent toute la
journée leur vie dans les ordures qu'on jette en tas au coin des bornes
des maisons. Munis de grands paniers pointus sur le dos, un bâton crochu
à la main, ces hommes à figures pâles et malpropres errent
dans les rues et savent découvrir dans ces ordures et revendre beaucoup
de choses qu'on peut encore utiliser. Mais quand la police, ne voulant plus
que la boue s'amassât dans les rues, en eut donné le nettoiement
à l'entreprise, et que les ordures chargées dans des charrettes
durent être emportées immédiatement hors de la ville et
déposées en pleine campagne, où il était libre
aux chiffonniers d'y pêcher tout à leur aise, ceux-ci se plaignirent,
non pas tout à fait de ce qu'on leur enlevait leur pain, mais de ce
qu'on paralysait leur industrie; que cette industrie était un droit
sanctionné par la prescription, et comme une propriété
qu'on ne pouvait leur ravir arbitrairement, il est curieux que les preuves
qu'ils produisaient en cette occasion soient absolument les mêmes dont
nos gentillâtres, syndics de corporations, maîtres de guildes,
prédicateurs à dîmes, commensaux des facultés et
autres semblables docteurs en privilèges, arguent toutes les fois qu'il
est question de balayer enfin les vieux abus dont ils tirent profit, et d'enlever
ce fumier du moyen âge pour que le moisi séculaire et les miasmes
méphitiques n'empoisonnent pas notre vie d'aujourd'hui. Comme leurs
protestations ne servirent à rien, les chiffonniers cherchèrent
à faire tomber par la violence la réforme du nettoiement ils
tentèrent une petite contre-révolution, soutenus par leurs alliées
les revendeuses, vieilles femmes qui étalent et brocantent le long
des quais les puantes guenilles qu'elles achètent aux chiffonniers.
Alors nous vîmes la plus repoussante de toutes les émeutes les
nouvelles voitures de nettoiement furent brisées et jetées dans
la Seine les chiffonniers se barricadèrent à la Porte Saint-Denis,
et les vieilles marchandes de loques combattirent avec leurs grands parapluies
sur la place du Châtelet. La générale battit. Casimir
Périer fit rappeler à son de tambour ses mirmidons du fond de
leurs boutiques; le trône bourgeois trembla; la rente tomba les carlistes
jubilèrent. Ceux-ci avaient enfin trouvé leurs alliés
naturels, chiffonniers et revendeuses de guenilles, lesquels se prévalent
des mêmes principes, se font les champions des vieilles coutumes, des
traditions d'ordures, des intérêts de pourritures de toute espèce.
Chevalier
Les événements d'avril ? Tout commence par une émeute
de chiffonniers. Le Conseil municipal ayant mis en adjudication, dès
1831, le service de nettoiement de la ville et ayant autorisé l'adjudication
à «faire un tour de roue supplémentaire à la tombée
de la nuit », les 1.800 chiffonniers de la capitale, spoliés
de leur principal bénéfice, se mettent, le 1er avril, c'est-à-dire
quelques jours après l'arrivée officielle du choléra
à Paris (Le 26 mars.) à incendier les charrettes de l'entrepreneur
Savalette; soutenue par le peuple, l'émeute s'étend des barrières
au centre de la capitale et dégénère en deux jours en
émeute politique; le même jour en effet, les prisonniers politiques
de Sainte-Pélagie se mutinent, appuyés de l'extérieur
par des renforts républicains. Le lendemain et en même temps
que se développent ces premiers troubles, les rapports de police signalent
une agitation de ces êtres «qu'on ne voit jamais dans les temps
ordinaires et qui semblent soudain sortir de dessous le pavé »,
repris de justice ou forçats libérés, qui abandonnant
leurs repaires de la Cité, osent se montrer en place de Grève
et sur les boulevards. C'est alors que se répandent des bruits d'empoisonnement
et que de malheureux passants ayant tête ou allure d'empoisonneurs ou
transportant tout simplement quelque innocent produit pharmaceutique sont
poursuivis, massacrés sur place ou jetés dans la Seine. Le 3
avril, émeutes chiffonnières, entreprises criminelles, assassinats
collectifs se confondent, une tourmente publique qui trouve dans l'agitation
politique son exutoire et à laquelle doit faire face, dans la nuit
du 3 au 4, une mobilisation générale des force de l'ordre.
.../... Par l'intermédiaire des chiffonniers, des criminels, des empoisonneurs et des auteurs de massacres, c'est toute la misère matérielle et morale de la population ouvrière de Paris qui se trouve désignée, ainsi qu'un habituel comportement.
Emeutes de juin 1832
Chevalier
Quant aux événements de juin, qui succèdent immédiatement
à la deuxième offensive du choléra, on sait comment les
funérailles du général Lamarque dégénèrent
en une insurrection républicaine qui, le 5 juin, met en danger le régime,
hérissant de barricades ces rues que le choléra vient à
peine d'abandonner, la rue aux Ours, la rue Jean-Robert, la rue Brisemiche,
la rue Beaubourg, la rue de la Verrerie, la rue des Lombards, avant d'agoniser
le 6 dans les soupentes du cloître Saint-Merry.
Empoisonneurs
Maxime du Camp
C'était l'heure du choléra. La ville était affolée
; elle croyait aux empoisonneurs ; sans cause apparente, elle se ruait sur
des hommes inoffensifs, les déchirait et les jetait à la rivière.
Châteaubriand
À Athènes, le peuple crut que les puits voisins du Pirée
avaient été empoisonnés ; à Paris, on accusa les
marchands d’empoisonner le vin, les liqueurs, les dragées et
les comestibles. Plusieurs individus furent déchirés, traînés
dans le ruisseau, précipités dans la Seine. L’autorité
a eu à se reprocher des avis maladroits ou coupables.
Heine
... on entendit tout d'un coup le bruit que cette foule d'hommes qu'on enterrait
si vite ne mouraient pas de maladie, mais bien du poison. On avait, disait
on, eu l'art de répandre du poison dans tous les comestibles, aux marchés
de légumes, chez les boulangers, chez les bouchers, chez les marchands
de vins.
C'était surtout au coin des rues où se trouvant les cabarets peints en rouge que se rassemblaient et délibéraient les groupes, et c'était presque toujours là qu'on fouillait les hommes qui avaient l'air suspect, et malheur à eux si l'on trouvait dans leurs poches quelque chose d'équivoque. Le peuple se précipitait sur eux comme un animal sauvage, comme une troupe d'enragés. Beaucoup se sauvèrent par leur présence d'esprit, beaucoup furent arrachés au danger par l'intrépidité de la garde municipale qui patrouillait partout ce jour- là; d'autres reçurent des blessures et des contusions dangereuses : six hommes furent impitoyablement massacrés. Nul aspect n'est plus horrible que cette colère du peuple, quand il a soif de sang et qu'il égorge ses victimes désarmées. Alors roule dans les rues une mer d'hommes aux flots noirs, au milieu desquels écument çà et là les ouvriers en chemise comme les blanches vagues qui s'entre-choquent, et tout cela gronde et hurle sans parole de merci, comme des damnés, comme des démons. J'entendis dans la rue Saint-Denis le fameux cri "A la lanterne!"
Louis Blanc
Mais voilà que tout-à-coup un bruit sinistre se répand
parmi ce peuple en émoi. On raconte qu’un complot infernal a
été formé ; que le choléra n’est point à
Paris ; que des scélérats s’en vont partout jetant du
poison dans les aliments, dans le vin, dans l’eau des fontaines. Le
peuple ouvre l’oreille à ces discours, charmé, dans l’excès
de ses maux, de trouver devant lui, au lieu d’un fléau qui échappe
à toute vengeance, des ennemis vivants et saisissables. Puis, au milieu
des groupes que la passion aveugle, se glissent ceux qui ont coutume de pousser
au désordre parce qu’ils s’y plaisent, et ceux qui l’excitent
pour en profiter. L’anxiété gagne de proche en proche
: il n’est bientôt plus question dans Paris que d’empoisonnements
et d’empoisonneurs.
Cette fable serait peut-être tombée d’elle-même, ou, du moins, elle ne serait pas devenue la source de tant d’assassinats, si, dans le but de satisfaire des haines politiques ou pour faire preuve de vigilance, le préfet de police, M. Gisquet, n’eût publié une circulaire dans laquelle on lisait ces mots d’une inconcevable imprudence : « Je suis informé que, pour accréditer d’atroces suppositions, des misérables ont conçu le projet de parcourir les cabarets et les étaux de bouchers, avec des fioles et paquets de poison, soit pour en jeter dans les fontaines ou les brocs, et sur la viande, soit même pour en faire le simulacre et se faire arrêter en flagrant délit par des complices qui, après les avoir signalés comme attachés à la police, favoriseraient leur évasion, et mettraient tout en œuvre pour démontrer la réalité de l’odieuse accusation portée contre l’autorité. »
Il n’en fallut pas davantage pour confirmer le peuple dans ses soupçons. Alors fut, pour un instant, soulevé le voile qui dérobe aux yeux du riche le fonds hideux de l’état social dont il veut jouir ; alors, au travers de cette société mise en mouvement dans toute son étendue, on put entrevoir ce que la civilisation moderne recèle en ses abîmes. De l’ombre de ces quartiers où la misère se laisse oublier, sortirent soudain, pour inonder la capitale, des masses d’hommes aux bras nus, au visage sombre, au regard plein de haine. Que cherchaient-ils ? Que demandaient-ils ? Nul ne le disait. Seulement, ils exploraient la ville d’un œil défiant, et s’agitaient avec des murmures farouches. Les meurtres ne tardèrent pas. Passait-on muni d’une fiole ou d’un paquet ? On était suspect. Un jeune homme fut massacré rue du Ponceau, pour s’être penché à la porte d’un marchand de vin, dans le but de savoir l’heure ; un autre eut le même sort, près du passage du Caire, pour un motif à peu-près semblable ; un troisième fut mis en lambeaux, dans le faubourg Saint-Germain, pour avoir regardé dans un puits ; un juif périt, parce que, marchandant du poisson à la halle, il s’était mis à rire d’une manière étrange, et qu’on avait trouvé sur lui, en le fouillant, un petit sachet de poudre blanche, laquelle n’était autre chose que du camphre ; sur la place de Grève, un malheureux fut arraché du poste de l’Hôtel-de-Ville, où il avait cherché asile, on l’égorgea, et ses restes sanglants, un charbonnier les fit déchirer par son chien. Scènes affreuses qui sont le crime de la société, partout où règne un injuste partage des jouissances et des lumières !
Et mille circonstances déplorables se réunissaient pour entretenir le peuple dans l’erreur. On aperçut dans plusieurs rues de longues traînées de vin et de vinaigre ; des dragées colorées furent semées dans différents quartiers ; des mains inconnues glissèrent pendant la nuit sous les portes cochères des morceaux de viande ; on parlait de gâteaux empoisonnés donnés, sur divers points, à de petites filles. Comment tout cela n’aurait-il pas agi sur l’imagination du peuple, surtout après la publication d’une circulaire où une conspiration d’empoisonneurs était officiellement dénoncée par la police ?
Eugène Sue
Sur la muraille noirâtre et lézardée de l'arcade on pouvait
lire un placard récemment appliqué ; il portait ces mots tracés
au moyen d'un poncif et de lettres de cuivre :
"Vengeance !... vengeance !... Les gens du peuple qui se font porter
dans les hôpitaux y sont empoisonnés, ce parce qu'on trouve le
nombre des malades trop considérable; chaque nuit des bateaux remplis
de cadavres descendent la Seine, Vengeance ! et mort aux assassins du peuple
! "
- Votre camarade a peut-être bu en route à quelques
fontaines ?
- Oui, monsieur, répondit le soldat, il mourait de soif, il a bu deux
gorgées d'eau sur la place du Châtelet.
- Alors il a été empoisonné, dit l'homme.
- Empoisonné? s'écrièrent plusieurs voix.
- Il n'y aurait rien d'étonnant, reprit l'homme d'un air mystérieux
; on jette du poison dans les fontaines publiques; ce matin on a massacré
un homme rue Beaubourg : on l'avait surpris vidant un paquet d'arsenic dans
le broc d'un marchand de vin .
Giono / Choses bizarres
p 360 / Il était cependant obligé de convenir que certaines
choses avaient plutôt l'air bizarre, mais il ne fallait pas croire que
cela provenait de petites mouches qu'on avalait avec la respiration. Son compère
lui avait dit qu'à la Motte, qui n'est qu'à cinq lieues d'ici,
un chien s'était mis à parler ; il avait même récité
les réponses du catéchisme sur l'extrême-onction. Il n'était
pas le seul à savoir que sur le territoire de Gantières, le
22 juillet dernier, il était tombé une averse de crapauds. Ce
sont des faits. Il connaissait une femme qui a toujours été
recta et mère de famille ; et sur la tête de ses enfants elle
pouvait jurer avoir sorti elle-même de l'oreille de sa cadette qui s'appelle
Julie un petit serpent gros comme le doigt et long comme une aiguillée.
Un animal jaune, rétif comme un âne qu'elle tua avec son hachoir
et qui prononça distinctement les mots Ave Maria avant de mourir.
Médecins
Crécy p 7
Me voilà certes bien loin de compte avec une méprisable coterie
( la même sans doute qui a lâchement accusé le jeune médecin
de Bellou d'empoisonner tous les cholériques de Boutigny ), qui a répandu
et cherche à accréditer le bruit aussi absurde qu'atroce que
pas un de ceux qui avaient eu le malheur de tomber entre mes mains n'avait
réchappé !
p 8 Mais les chiffres sont là; ils sont exacts, positifs, irrécusables, en la possession de M. le maire de Crécy, qui les a lui-même établis sur nos rapports journaliers, et ces chiffrent constatent que, dans les communes de Bouleurs, Lachapelle, Voulangis, Villiers et Veaucourtois, il y a eu, pendant les mois d'avril et de mai, 230 malades du choléra, de la cholérine ou de la suette; que 39 morts s'en sont suivies, et que sur ce nombre j'en ai traité 165, et perdu seulement 15 !
Eugène Sue
... le porteur et le vieillard sont foulés aux pieds, et leurs gémissements
sont couvers par ces cris : "Mort aux carabins !"
Louis Blanc
Le peuple, qui croyait aux empoisonnements, se mit à maudire les médecins.
Il se rassemblait en tumulte à la porte des hôpitaux, et se répandait
en plaintes ou en menaces. Un jour, on transportait un cholérique à
l’Hôtel-Dieu, et la foule, en le voyant passer, se précipitait
en tumulte. Le médecin qui accompagnait le malade, s’avance alors,
soulève la couverture qui cachait la victime, et montrant au peuple,
qui recule d’épouvante, cette face livide, ces yeux éteints,
cette bouche béante: «Vous ne croyez pas au choléra ?
s’écrie-t-il, eh bien voici, un cholérique.» Pour
passer par de pareilles épreuves, il fallait une singulière
force d’âme, mais le courage ne manqua pas aux médecins,
dont la conduite fut en général digne d’éloge et
quelquefois d’admiration. Exposés aux coups d’une colère
aveugle, ils la bravèrent avec le même sang-froid qu’ils
mettaient à affronter la maladie, et l’on en vit qui, pour éviter
le risque d’être arrêtés et retardés dans
leurs visites aux malades, traversèrent la ville en veste et en casquette,
comme de simples ouvriers.
Enterrements, fossoyeurs
Châteaubriand
Sur la place de la Bourse, où se réunissaient des cortèges
d’ouvriers en chantant la Parisienne, on vit souvent jusqu’à
onze heures du soir défiler des enterrements vers le cimetière
Montmartre à la lueur de torches de goudron. Le Pont-Neuf était
encombré de brancards chargés de malades pour les hôpitaux
ou de morts expirés dans le trajet. Le péage cessa quelques
jours sur le pont des Arts. Les échoppes disparurent et comme le vent
de nord-est soufflait, tous les étalagistes et toutes les boutiques
des quais fermèrent. On rencontrait des voitures enveloppées
d’une banne et précédées d’un corbeau, ayant
en tête un officier de l’état civil, vêtu d’un
habit de deuil, tenant une liste en main. Ces tabellions manquèrent
; on fut obligé d’en appeler de Saint-Germain, de La Villette,
de Saint-Cloud. Ailleurs, les corbillards étaient encombrés
de cinq ou six cercueils retenus par des cordes. Des omnibus et des fiacres
servaient au même usage : il n’était pas rare de voir un
cabriolet orné d’un mort couché sur sa devantière.
Quelques décédés étaient présentés
aux églises ; un prêtre jetait de l’eau bénite sur
ces fidèles de l’éternité réunis.
Eugène Sue
A chaque instant des choses nouvelles et sinistres frappaient votre vue :
tantôt passaient par les rues des charrettes remplies de cercueils symétriquement
empilés. Elles s'arrêtaient devant chaque demeure : des hommes
vêtus de gris et de noir attendaient sous la porte ; ils tendaient les
bras et à ceux-ci l'on jetait un cercueil, à ceux-là
deux, souvent trois ou quatre, dans la même maison...
A la lueur fumeuse des torches qui jetaient de grandes clartés rougeâtres sur les sapins noirs et sur les pierres blanches des sépulcres, bon nombre de fossoyeurs fossoyaient allègrement en fredonnant. Ce dangereux et rude métier se payait alors presque à prix d'or; on avait tant besoin de ces bonnes gens, qu'il fallait, après tout, les ménager...
Heine corbillards
.. une vieille femme était restée toute la nuit à la
fenêtre, dans le faubourg Montmartre, pour compter les cercueils qu'on
faisait passer devant sa maison, et qu'elle en avait vu trois cents; puis,
quand vint le jour, saisie par le froid et par les douleurs du choléra,
elle-même expira.
Arrivés dans le voisinage du cimetière, mon
cocher arrêta tout d'un coup, et quand, sortant de ma rêverie,
je regardai autour de moi, je ne vis plus que ciel et cercueils. Nous étions
entrés dans la bagarre de quelques centaines de voitures d'enterrements,
qui faisaient ensemble file à la porte étroite du cimetière,
et, dans l'impossibilité de me retirer, il me fallut subir quelques
heures d'attente au milieu de ce noir entourage.
... comme en ce moment un cocher voulut couper un autre à la porte
du cimetière, le désordre se mit dans les files, les gendarmes,
le sabre nu, piaffèrent au travers; des cris et des jurements s'élevèrent
çà et là, quelques voitures furent culbutées,
des cercueils se brisèrent en tombant et des cadavres en sortirent.
Alors je crus voir la plus effrayante de toutes les émeutes, une émeute
de morts.
Conséquences / Après l'épidémie
Châteaubriand
Je n’aurais pas été trop fâché de m’en
aller emporté sous le bras de ce fils aîné de Vischnou,
dont le regard lointain tua Bonaparte sur son rocher, à l’entrée
de la mer des Indes. Si tous les hommes, atteints d’une contagion générale,
venaient à mourir, qu’arriverait-il ? Rien : la terre, dépeuplée,
continuerait sa route solitaire, sans avoir besoin d’autre astronome
pour compter ses pas que celui qui les a mesurés de toute éternité
; elle ne présenterait aucun changement aux habitants des autres planètes
; ils la verraient accomplir ses fonctions accoutumées ; sur sa surface,
nos petits travaux, nos villes, nos monuments seraient remplacés par
des forêts rendues à la souveraineté des lions ; aucun
vide ne se manifesterait dans l’univers. Et cependant il y aurait de
moins cette intelligence humaine qui sait les astres et s’élève
jusqu’à la connaissance de leur auteur. Qu’êtes-vous
donc, ô immensité des œuvres de Dieu, où le génie
de l’homme, qui équivaut à la nature entière, s’il
venait à disparaître, ne ferait pas plus faute que le moindre
atome retranché de la création !
Choléra Paris :chute du nombre des mariages
p 115 Si les maires sont harassés par les dispositions auxquelles l'extension
de la maladie les oblige, ils n'auront guère pénétré
dans la salle des mariages en ce mois d'avril ; à peine le vingtième
du nombre habituel des couples a convolé ; on prévoit une baisse
considérable de la natalité pour janvier prochain, au moins
dans la capitale.
Choléra Paris: orphelins du choléra
p 196 Les plus défavorisés ayant reçu les secours indispensables,
voici que surgit une nouvelle catégorie de sujets dont la population
aura à s'occuper. L'épidémie a fait de tels ravages au
sein de certaines familles que père et mère ont été
emportés, laissant de jeunes enfants dans le plus grand dénuement
: on les appelle les « orphelins du choléra » et leur nombre
grandit chaque jour. C'est une charge importante : il ne s'agit plus de distribuer
quelques rations de soupe grasse ou une ceinture de flanelle ; ces enfants
devront être élevés pendant de nombreuses années
et la générosité, pour eux, devra se multiplier.
Textes littéraires
Jean Giono : Le hussard sur le toit 1951
M.A. Bazin L’époque sans nom, Esquisses de Paris, 1830-1833, Paris, Alexandre Mesnier, 1833 Tome 2 chapitre 23
Eugène Sue (1804-1857) : Le juif errant impr. de E. Blot et fils (Paris) 1875. Illustrateur : Gavarni (1804-1866),
Maxime du Camp : Souvenirs littéraires 1892
Alexandre Dumas père: Mémoires chapitre 233
Châteaubriand : Mémoires d'Outre Tombe livre 35°
George Sand Histoire de ma vie 1855 chapitre 27
Heinrich Heine : De la France Editeurs : Michel Lévï frères, Paris 1833 / 1857
Louis Blanc : Histoire de dix ans, Tome 3 chapitre V 1843 (2e éd.) (III, p. 215-243).
Eugène Roch : Paris malade, esquisses du jour. 2 tomes. Paris 1832 /1833
Gustave Levavasseur : Poésies complètes tome 3, poème mi-carême
Aristide Bruant : Chanson: "V'là l'choléra" dans Chansons et monologues 1897
Relation historique et médicale de l'épidémie de Crécy et des villages circonvoisins par A Adrien Paris 1832
Carte Itinéraire du choléra-morbus pestilentiel ses irruptions et sa marche progressive en Asie et en Europe par A.-H. Dufour 1831
Louis Chevalier Louis : Le Choléra, la première épidémie du XIXe siècle Bibliothèque de la Révolution de 1848, Tome 20, 1958.
Première page du dossier sur le choléra