le choléra de 1832
texte de George Sand

La romancière revient à Paris au printemps 1832 emmenant avec elle sa fille Solange. Voyage à risque car l'épidémie de choléra commencée en mars va atteindre une pointe terrifiante en avril et mai, précisément au moment où elle arrive dans la capitale. On recense plus de 850 décès en un jour. Six personnes dans son immeuble sont emportées par le choléra. George Sand avait alors envisagé de fuir Paris, se sauver à cause de son enfant « mais tout le monde disait que le déplacement et le voyage étaient plus dangereux que salutaires et je me disais aussi que si l'influence pestilentielle s'était déjà à mon insu attachée à nous au moment du départ il valait mieux ne pas la porter à Nohant où elle n 'avait pas pénétré et où elle ne pénétra pas »

Edouard Leduc : La dame de Nohant ou la vie passionnée de George Sand

Histoire de ma vie / chapitre 27

J'avais pensé à me sauver, à cause de ma fille; mais tout le monde disait que le déplacement et le voyage étaient plus dangereux que salutaires, et je me disais aussi que si l'influence pestilentielle s'était déjà, à mon insu, attachée à nous, au moment du départ, il valait mieux ne pas la porter à Nohant, où elle n'avait pas pénétré et où elle ne pénétra pas.
Et puis, du reste, dans les dangers communs dont rien ne peut préserver, on prend vite son parti. Mes amis et moi, nous nous disions que le choléra s'adressant plus volontiers aux pauvres qu'aux riches, nous étions parmi les plus menacés, et devions, par conséquent, accepter la chance sans nous affecter du désastre général où chacun de nous était pour son compte, aussi bien que ces ouvriers furieux ou désespérés qui se croyaient l'objet d'une malédiction particulière.

.../...

Parmi le groupe de compatriotes amis qui s'était formé autour de moi, aucun ne se laissa frapper de cette terreur funeste qui semblait appeler le mal et qui généralement Le rendait sans ressources. Nous étions inquiets les uns pour les autres, et point pour nous-mêmes. Aussi, afin d'éviter d'inutiles angoisses, nous étions convenus de nous rencontrer tous les jours au jardin du Luxembourg, ne fût-ce que pour un instant, et quand l'un de nous manquait à l'appel, on courait chez lui. Pas un ne fut atteint, même Légèrement. Aucun pourtant ne changea rien à son régime et ne se mit en garde contre la contagion.

.../...

On sait ce qui se passa en ce lieu. Dix-sept insurgés s'étaient emparé du poste du petit pont de l'Hôtel-Dieu. Une colonne de garde nationale les surprit dans la nuit. «Quinze de ces malheureux, dit Louis Blanc (Histoire de Dix ans), furent mis en pièces et jetés dans la Seine. Deux furent atteints dans les rues voisines et égorgés.»
Je ne vis pas cette scène atroce, enveloppée dans les ombres de La nuit, mais j'en entendis les clameurs furieuses et les râles formidables; puis un silence de mort s'étendit sur la cité endormie de fatigue après les émotions de la crainte.
Des bruits plus éloignés et plus vagues attestaient pourtant une résistance sur un point inconnu. Le matin, on put circuler et aller chercher des alimens pour la journée, qui menaçait les habitans d'un blocus à domicile. A voir l'appareil des forces développées par le gouvernement, on ne se doutait guère qu'il s'agissait de réduire une poignée d'hommes décidés à mourir.

La journée du 6 juin fut d'une solennité effrayante, vue du lieu élevé où j'étais. La circulation était interdite, La troupe gardait tous les ponts et l'entrée de toutes les rues adjacentes. A partir de dix heures du matin jusqu'à la fin de l'exécution, La longue perspective des quais déserts prit au grand soleil l'aspect d'une ville morte, comme si le choléra eût emporté le dernier habitant. Les soldats qui gardaient les issues semblaient des fantômes frappés de stupeur. Immobiles et comme pétrifiés le long des parapets, ils ne rompaient, ni par un mot ni par un mouvement, la morne physionomie de la solitude. Il n'y eut d'êtres vivans, en de certains momens du jour, que les hirondelles qui rasaient l'eau avec une rapidité inquiète, comme si ce calme inusité les eût effrayées.

 

Textes littéraires et documentaires sur le choléra, page des choix

Première page du dossier sur le choléra

 Courrier

    Page d'accueil