Chasses au sanglier
Le Vautrait de Bois Boudran
Un déplacement à Fontainebleau. Veneurs présents. Un buisson creux. L'équipage prend sa revanche. Chasse remarquable de sangliers.
(Un vautrait est une meute spécialisée dans la chasse au sanglier)
Nous avons fidèlement enregistré, l'an passé, les succès de cette excellente meute : deux grands loups, vingt louveteaux et louvarts, dix sangliers, onze daims et deux cerfs; en tout quarante-cinq animaux, la plupart portés bas par les chiens, quelques-uns tués au milieu d'eux : tels avaient été dans quatre forêts différentes les résultats glorieux des laisser-courre de cet équipage.
Les chasses de cette année ont présenté un début moins brillant : ce n'est pas que les animaux manquassent dans le pays qui environne le château de Bois-Boudran, quartier général de nos veneurs ; outre quelques daims et cerfs, trois ou quatre compagnies de sangliers, et même quelques solitaires, avaient été reconnus par les valets de limier pendant toute la saison dernière. Mais une remonte de vingt chiens anglais de la plus grande beauté, arrivée un peu tard ; une autre de dix jeunes bâtards anglais, nés au chenil, demandaient d'abord à être bien mises dans la voie; et si l'on joint à ce premier désavantage la sécheresse excessive de l'été dernier, les difficultés sans nombre qu'éprouvent des chiens anglais habitués à chasser en plaine, lorsqu'ils sont transportés tout à coup dans les demeures presque impraticables dont se compose la majeure partie des forêts où chasse d'ordinaire l'équipage, on s'expliquera facilement ces premiers échecs, d'autant moins humiliants pour la meute, qu'en définitive, malgré tant d'obstacles réunis, trois sangliers et trois daims ont cependant été pris par elle depuis le mois de novembre jusqu'au mois de janvier.
Le 14 de ce mois, rendez-vous avait été donné à l'élite de nos veneurs à la Croix de Saint-Hérem, forêt de Fontainebleau. Il était difficile de voir une plus brillante réunion de chasseurs. Nous citerons, entre autres, M. Bush, ce célèbre sportsman anglais, qu'on peut si justement aussi appeler un excellent veneur français; M. le comte Charles Greffülhe; M. Célestin de Pontalba; MM. Alphonse et Édouard de Perregaux; M. le baron de la Rochette ; M. le marquis de Pracomtal, dont le tact exquis avait su ce jour-là renoncer aux bottes fortes si utiles au louvetier du fangeux Nivernais, pour adopter les élégantes bottes à revers du chasseur des allées sablonneuses de Fontainebleau, M. Henri Thuret, cet ancien propriétaire d'un des meilleurs équipages qu'il y ait eus en France; M. Philippe Hottinguer, veneur consommé autant que modeste, M. le comte de Tholozan enfin, ce joyeux boute-en-train de tous les déplacements.
Malheureusement le sort fatal jeté sur l'équipage n'était point encore levé. Tous les veneurs que nous venons de nommer sont à leur poste ; l'administration de la forêt s'est jointe à eux, et cette foule inquiète, impatiente, se promène en attendant le rapport dans la vaste étoile du carrefour, où les chiens tout hardés frémissent d'ardeur, tandis que les chevaux anglais frappent du pied la terre. Enfin, à midi sonnant, le dernier valet de limier rentre : on l'entoure, on le presse... mais, hélas ! il n'a pas plutôt parlé, qu'un découragement général s'empare de l'assemblée : les compagnies de sangliers qui, toute la saison, n'avaient pas quitté la forêt, ont traversé la Seine dans la nuit même.
Que faire?... Ma foi, où passent les sangliers, les veneurs passent aussi : on se décide à les poursuivre, et rendez-vous est donné à Valence pour le 17. Cette fois, MM. le baron de la Rochette, Henri Thuret, Alphonse et Edouard de Perregaux, se trouvent seuls présents à l'appel; mais c'est pour acquérir la triste certitude, et cela deux jours de suite, qu'ils n'ont pas serré les fuyards d'assez près. Le 17 et le 18, en effet, les valets de limier ont bien connaissance de sangliers, mais ces animaux, toujours sur pied, s'en vont fuyant vers le fond du pays. Enfin le 19 on rejoint à Montigny la compagnie entière, et là, quarante sangliers sont rembuchés ensemble. Jusqu'alors chacun, plein d'une noble émulation, avait brûlé du désir d'atteindre l'ennemi : en le rencontrant si nombreux, la crainte commence à s'emparer des cœurs les plus intrépides ; et bientôt, malgré toutes les précautions imaginables, la tournure que prend la chasse justifie ces appréhensions trop bien fondées : il devient impossible d'éviter le change ou l'accompagné, et les sangliers battent en retraite, se relayant toute la journée devant les chiens, qui méritaient un ennemi plus loyal. Le lendemain, la température a changé ; la gelée commence, légère, il est vrai, mais suffisante cependant pour motiver une trêve de huit jours, à laquelle il faut condamner l'équipage.
Le 28, un nouveau rendez-vous est fixé au rond-point de Villeneuve, dans les bois de Montigny ; par une coïncidence fâcheuse, ici se reproduit encore la circonstance qui a fait manquer la chasse du 19. C'est dans trente sangliers qu'on attaque : ils se séparent il est vrai, mais c'est pour se rejoindre plus loin, et, de change en change, les animaux promènent encore sans résultat la meute que M. le comte Henri Greffülhe et M. le baron de la Rochette suivent seuls ce jour là jusqu'à la nuit tombante. Cependant ce laisser-courre, en apparence infructueux, eut des conséquences importantes : outre qu'il mit les chiens à fond d'haleine, il fit repasser la Seine aux animaux las d'être tourmentés sur l'autre rive.
Effectivement, deux jours après, arrive une lettre de Delamotte, le garde de Franchard, excellent valet de limier: il annonce la rentrée de vingt sangliers dans les demeures de Fontainebleau. L'équipage est immédiatement dirigé de Bois Boudran sur la forêt, et rendez-vous donné pour le mardi 31 janvier à la Croix de Saint-Hérem.
Cette réunion improvisée ne présentait pas, à beaucoup près, l'aspect animé de celle du 14; M. le baron de la Rochette, MM. Alphonse et Édouard de Perregaux, accompagnaient seuls M. le comte Henri Greffülhe, qui, ayant appris à ses dépens que les sangliers n'attendent personne, s'était vu pris trop à court cette fois pour prévenir tous ses nombreux amis. Amédée Delamotte fait, à midi, rapport de la compagnie entière dans les forts de Recloses ; un quart d'heure après, elle est lancée par six chiens d'attaque, et au bout de dix minutes, quarante chiens de meute, amenés à propos par Labrisée et Fontaine, sont découplés sur une bête d'un an, déjà séparée. Sauter le Pavé de Nemours, traverser la futaie de Saint-Hérem, arriver au Long-Rocher, tout cela est pour l'animal l'affaire d'un quart d'heure ; mais les chiens y sont aussitôt que lui, et, trouvant que la vitesse ne lui réussit pas, le sanglier essaye de la ruse.
Tous nos lecteurs connaissent les rochers de Fontainebleau ; ils se figureront facilement la difficulté qu'il y a pour les chiens à suivre l'animal sur ces masses énormes de grès, où il ne laisse exactement aucune trace : monter et descendre sans cesse, dépister le sanglier dans ses nombreux retours, sur le terrain le plus désavantageux, tel fut le métier auquel l'équipage se vit condamné pendant une demi-heure. Mais, à la fin, l'animal lui-même se lasse de ce manège ; il prend son parti en brave, le train devient terrible, et vingt minutes après le sanglier, porté bas en plaine, au bord de la rivière du Loing, est tué à coups de couteau de chasse par M. Édouard de Perregaux. La chasse n'avait pas duré en tout une heure et quart.
Le surlendemain, 2 février, rendez-vous est pris à la Croix du Grand-Maître : présence des mêmes veneurs. Trente sangliers ont repassé la Seine dans la nuit; Labrisée et Delamotte ont bien connaissance d'une vingtaine d'autres en très-bonne voie, mais toujours sur pied, et qu'il n'a pas été possible de embucher. On se dispose néanmoins à essayer de les rejoindre, lorsque M. Édouard de Perregaux, qu'un heureux hasard avait mis un peu en retard ce jour-là, arrive ventre à terre, faisant rapport de cinq animaux qu'il a vus par corps sauter sur la route de la Croix du Grand-Maître, à deux cents pas environ du rendez-vous. Quarante chiens amenés à la voie sont aussitôt découplés et partent à fond de train. C'est à dessein que nous employons cette expression, car c'était plutôt une course qu'une chasse, les chiens chassant pour ainsi dire à vue. Au Pavé de Moret, les animaux se séparent, et cinq minutes après une laie à son tiers-an est portée bas par dix-huit chiens sous la futaie du Pavé du Prince. A ce moment, M. le baron de la Rochette et Labrisée, qui suivaient huit chiens chassant une bête d'un an, déjà mal menée, entendent sonner l'hallali derrière eux ; ils n'hésitent plus alors à donner une harde de dix chiens, amenée par Fontaine. Chassé encore plus vivement, l'animal est porté bas une demi-heure après, en plaine, au milieu du village des Sablons, et tué à coups de couteau de chasse par M. le baron de la Rochette.
C'est alors le tour de nos deux veneurs de sonner un second hallali ; mais ils entendent tout d'un coup des tons pour chiens à leur droite. Sans hésiter, ils enlèvent les vingt chiens qui aboient l'animal mort, et dix minutes après les voilà sur la voie d'un troisième animal que M. le comte Greffülhe et l'Andouiller ont vu sauter pendant que, leur animal pris, ils ralliaient à la seconde chasse. Du même âge que le dernier, il était seulement mené par deux chiens, mais maintenant c'est à trente qu'il a affaire ; aussi est-il porté bas un quart d'heure après. Troisième hallali au Carrefour de la Petite-Haie.
Le lendemain matin, 5, un sanglier est encore rapporté au chenil. Il a été pris la veille au bord de la Seine, près du parc de la Rivière, par trois chiens seulement. Cette journée fait à la fois honneur à la vitesse des chiens et à l'activité des veneurs. Sur cinq sangliers attaqués, quatre ont été pris, et cela en moins de trois heures. Nous voilà certes bien loin du temps où du Fouilloux ne craignait pas d'interdire aux veneurs de son époque de frapper à la brisée d'un sanglier au-dessous de son tiers-an, sous peine de sonner la retraite manquée. Non-seulement on a attaqué des bêtes de compagnie, mais la prise de trois d'entre elles a justifié tant d'audace, et les chiens sont si peu fatigués, qu'ils chasseront le surlendemain pour la troisième fois de la semaine.
Le 4 février, rendez-vous à la Croix du Grand-Maître, à cinq minutes de laquelle l'Andouiller laisse-courre un bon ragot. MM. de la Rochette, Alphonse et Edouard de Perregaux sont encore présents à côté de M. le comte Henri Greffülhe. Un cerf et trois biches se sont rembuchés dans la même enceinte que l'animal; aussi ne découple-t-on que six chiens d'attaque à une heure de l'après-midi. La brisée est saignante, les chiens partent chassant, et chassant même si bon train, que les quarante chiens de meute ne peuvent malheureusement être donnés que de très-loin. L'animal prend son parti en ligne droite vers la Seine; mais à moitié chemin tous les chiens sont ralliés à sa poursuite, et il a à peine dix pas d'avance au moment où il se précipite dans l'eau de la prairie du parc de la Rivière. Quelques chiens des plus ardents suivent d'abord à la nage, mais la largeur du fleuve débordé les effraye bientôt, et ils regagnent la terre. Arrivé à une île qui se trouve au milieu du courant, le sanglier s'y arrête un moment pour secouer ses soies hérissées, puis le son bruyant des trompes le décide à se replonger de nouveau dans la Seine ; il gagne l'autre rive, et commence aussitôt à gravir le rocher de Samoreau.
Il faut un courage véritable et un épiderme cuirassé pour entreprendre des laisser-courre au travers de ces frimas et de ces giboulées. Jeudi dernier ( mi-carême ), alors que les blanchisseuses grelottaient sur leurs chars, le vautrait du vicomte Henri de Greffulhe, méprisant la bise et bravant l'onglée, attaquait à midi un ragot en forêt de Fontainebleau et le portait bas après six heures de chasse, à la Croix du Grand-Maître. MM. Lambrechl, de Dampierre, et Diesbach, Gustave de Borda, comte Lavaur, Mareuil de Cerivillo (qui a eu les honneurs du pied), de Porcaro, d'Astier de la Vigerie et autres chevaliers... sans peur de rougir leurs nez et de geler leurs mains, assistaient à l'hallali.
L'animal s'est fait battre dans l'une des plus belles portions de la forêt, portion peu connue et peu fréquentée... Les cochers n'y mènent jamais le touriste, invariablement condamné aux gorges de Franchard ou à la contemplation de quelques vieux arbres. C'est dans ces parages que se trouvent des sites sauvages et solitaires dont le caractère tranche absolument avec les futaies civilisées et les grès citadins des zones journellement explorées. Qui, par une belle matinée d'automne, n'a pas vu le « Rocher Besnard » avec ses bouleaux grêles émergeant des bruyères, ne connaît rien des véritables enchantements sylvestres. Qui ne s'est pas arrêté au pied de la Male-Montagne, mamelon énorme à l'aspect sombre et défendu de tout accès profane par des ronciers séculaires, ignore les impressions forestières qui émeuvent, bouleversent, épouvantent même et font comprendre les légendes de monstres et de géants réfugiés dans des antres inaccessibles, où ils dévorent les voyageurs attardés et les chasseurs imprudents. La Male-Montagne contient des repaires et des forts où les animaux, sûrs d'échapper à la rencontre de l'homme, se tiennent volontiers.
Les chiens les plus hardis renoncent à
fouler ses épines gigantesques. J'y ai jadis tiré deux coups
de fusil sur une bande de sangliers qui a disparu dans d'infranchissables
fourrés, pour reparaître soixante mètres plus loin sur
un tertre. En cet endroit, la troupe s'est arrêtée un instant.
Le plus vieux de la compagnie a paru me désigner à ses camarades,
qui ont poussé des grognements ironiques à l'adresse de ma maladresse,
et tout est rentré dans le grave silence habituel à cette thébaïde
farouche et touffue.
Le Rocher Besnard est le quartier préféré des chevreuils
et des peintres. Ces deux espèces d'indigènes y vivent en si
parfaite intelligence qu'un jour de l'an de grâce 1867 le paysagiste
Teinturier, entendant remuer derrière lui, se retourna et vit un brocard
qui regardait agir son pinceau. Son mouvement mit la bête en fuite,
au moment peut-être où elle allait lui dire, comme le paysan
de Barbizon, planté derrière Millet en train d'esquisser une
scène champêtre :
- C'est tapé, ça !
On ne s'arrête pas en si beau chemin : les chiens blessés, ceux qui ne sont pas rentrés, les chevaux un peu éprouvés par trois chasses dans la même semaine, la neige qui tombe en abondance, la gelée qui menace, tout cela n'arrête pas M. le comte Greffülhe. Fontaine, valet de chiens à pied, est envoyé au contre-pied pour requêter les chiens restés de l'autre côté de l'eau; et rendez-vous est donné pour le mardi 7 à la Croix de Saint-Hérem. Au jour dit, .M. le baron de la Rochette se trouve seul présent avec M. le comte Henri Greffulhe. Le rapport est des plus satisfaisants, et surtout remarquable dans une forêt si claire, où l'on a chassé sans interruption toute une semaine. Hamel, ce vétéran des valets de limier, dernier reste de la grande louveterie de France, a un ragot seul à la Croix du Grand Maître ; Labrisée et Delamotte font rapport de quatre bêtes de compagnie au Belvédère; l'Andouiller enfin laisse-courre un sanglier venant à son tiers-an au carrefour du Gros-Feuillard.
C'est à cette dernière brisée qu'on va frapper. L'animal, lancé à deux heures seulement par six chiens d'attaque, reçoit cinq minutes après quarante chiens de meute découplés à propos. Après avoir traversé rapidement les masses de rochers qui se trouvent de ce côté, le sanglier saute le Pavé de Recloses, longe ensuite le champ de manœuvres, passe la grande route de Bouron près de la Faisanderie, et prend enfin son parti en ligne droite sur le Long-Rocher sans pouvoir gagner une minute d'avance sur les chiens. Après s'y être fait battre une grande demi-heure sans mettre une seule fois en défaut la meute qui le suit, malgré tout l'avantage que lui donne le terrain, il gagne les forts de Mariotte, et traverse le village de Bouron, chassé à vue par l'équipage. C'est littéralement au milieu des chiens qu'il remonte la pente des rochers qui dominent ce village; à dater de ce moment, il tient tous les cinquante pas ; enfin, porté bas au carrefour de la Cave-aux-Brigands, il est tué par l'Andouiller d'un coup de carabine, après avoir blessé huit de ses vaillants adversaires.
Cette chasse, qui rappelle, par le parti qu'a pris l'animal, une belle chasse de cerf, n'a pas duré plus de deux heures, sans un défaut, le train toujours très-sévère : une couche assez épaisse de neige couvrait la terre, et cette circonstance, favorable le matin pour les valets de limier, devait naturellement gêner beaucoup les veneurs pour galoper à la suite des chiens. Cependant aucun accident n'est arrivé, et plusieurs personnes, tant de Fontainebleau que des environs, étaient à la mort avec les veneurs que nous avons cités et les piqueurs.
Nous devons ici rendre hommage à la bienveillance toute particulière dont M. de Bois d'Hyver a fait preuve dans ce déplacement : toujours présent aux rendez-vous, M. l'inspecteur de Fontainebleau favorisait, en amateur zélé de la chasse à courre, par les ordres donnés à ses gardes, le matin la quête des valets de limier, et dans la journée la chasse elle-même.
Mais c'est surtout au choix intelligent des chiens, à ce mélange bien proportionné des chiens anglais et des bâtards choisis toujours, il est vrai, avec la plus inflexible sévérité, que les veneurs, présents à ces chasses, sont redevables des brillants hallalis auxquels ils ont assisté. Dans l'équipage de Bois-Boudran, point de système exclusif; nulle de ces théories bonnes à discuter dans un cercle, mais impraticables sur le terrain; ou chasse comme on peut, et pour le mieux. On tâche surtout de suivre, de loin il est vrai, et sans avoir la prétention ridicule d'en approcher, les errements de chasse légués aux veneurs modernes, par le premier veneur de son époque, monseigneur le duc de Bourbon, de la maison duquel sort le piqueur qui dirige la meute de M. Greffülhe.
Le succès inouï qui a couronné ce déplacement, et qui est évidemment autre chose que du bonheur, prouve du reste que, pour être modeste, la méthode n'en est pas moins bonne. Et, si une pensée triste est venue troubler, pour nos veneurs, la joie de ces hallalis successifs, lorsque rien ne manquait ni à la difficulté du triomphe ni à la loyauté parfaite avec laquelle il avait été obtenu, c'est le souvenir de ce prince, nous dirons, nous, de ce sportsman accompli, dont la perte est à jamais regrettable ; et qui, après avoir donné la permission de courre le sanglier à Fontainebleau, dont M. Henri Greffülhe profite encore, avait assisté l'année dernière, presque à pareille époque, à l'hallali d'un sanglier à son tiers-an, porté bas dans la même forêt par le même équipage.
Quand j'ai commencé à publier ce site (les dinosaures broutaient
encore sous mes fenêtres), Internet était loin de ressembler
à la "Samaritaine" d'aujourd'hui où l'on peut trouver
tout, et même ce qu'on ne cherche pas.
Les articles cités ne sont pas datés. Je me suis demandé
s'il était possible de découvrir, grâce aux recherches
en ligne, quelle année chaque chasse avait pu
se dérouler. Evidemment, cela n'a qu'un intérêt anecdotique;
il est certain que la face du monde ne sera pas changée si l'on peut
affirmer qu'un sanglier a été poursuivi en 1840 plutôt
qu'en 1850...
Le premier article "le vautrait de Bois Boudran"
est assez facile à dater. Les chasseurs cités sont le père
et l'oncle d'Henry Greffulhe, mari d'Elisabeth Caraman Chimay auquel je
consacre plusieurs pages. Le site "Mémoire des équipages"
indique que leur meute fut vendue en 1848 au comte de la Guiche et à
la Société de Rambouillet. Donc la description du vautrait
est antérieure à 1848, même si le livre fut publié
en 1862 et que Charles, le père, vécut jusqu'en 1888 et Henri,
l'oncle, jusqu'en 1879.
Le texte se termine par l'évocation du décès d'un prince:
"le souvenir de ce prince, nous dirons, nous,
de ce sportsman accompli, dont la perte est à jamais regrettable
; et qui, après avoir donné la permission de courre le sanglier
à Fontainebleau, dont M. Henri Greffülhe profite encore, avait
assisté l'année dernière, presque à pareille
époque, à l'hallali d'un sanglier à son tiers-an, porté
bas dans la même forêt par le même équipage."
Il s'agit du duc d'Orléans, fils de Louis Philippe, mort le 13 juillet
1842. La recherche fut d'autant plus aisée que Léon Bertrand
a consacré deux articles, dans ce même ouvrage, à une
chasse à courre en forêt de Fontainebleau, puis de Villefermoy,
une année avant le décès du prince héritier.
Voir "chasse à courre 1841"
Les chasses décrites dans "le vautrait du Bois Boudran"
se déroulant une année après ce décès
durent donc avoir lieu en 1843, du 14 janvier au 7 février comme
il est indiqué dans le texte.
La chasse décrite dans le livre "En plein
air" se situe après 1880, année où le vicomte
Greffulhe obtint la concession de chasse au sanglier en forêt de Fontainebleau
et avant septembre 1887 (date de publication du livre: 1887, dédicace
à Louis Singer précisément datée de septembre
1887).
"A partir de 1868, ce fut le Vicomte de Greffulhe,
fils de Charles, qui remonta l’équipage en l’augmentant
d’une seconde meute. Il chassait cerfs et sanglier à Bois-Boudran
et à Villefermoy. En 1880, il eut les sangliers de la forêt
de Fontainebleau." notice de Mémoire des Équipages.
Cette chasse à courre a bien eu lieu en forêt de Fontainebleau:
"forêt de Fontainebleau, Croix du Grand-Maître,
Rocher Besnard, Male Montagne..." sont cités.
Même si Henry Greffulhe est connu comme "le comte Greffulhe",
il est ici qualifié de vicomte car le titre de comte était
encore porté par son père qui décédera l'année
suivant la publication du livre, soit 1888. Quant à la subtilité
Henri (i) le tonton et Henry (y) le neveu, elle n'était pas connue
de tous les chroniqueurs.
La seule indication de date est la mi-carême:
"Il faut un courage véritable et un épiderme
cuirassé pour entreprendre des laisser-courre au travers de ces frimas
et de ces giboulées. Jeudi dernier ( mi-carême ), alors que
les blanchisseuses grelottaient sur leurs chars, le vautrait du vicomte
Henri de Greffulhe, méprisant la bise et bravant l'onglée,
attaquait à midi un ragot en forêt de Fontainebleau..."
Ne reste plus qu'à trouver un jeudi de mi-carême de grand froid, entre 1880 et 1887.
Un épisode de très grand froid avait
eu lieu pendant l'hiver 1879/80 qui compta 75 jours de gelée entre
décembre et janvier. Lors de la débâcle de la Seine,
à cause du redoux, le pont des Invalides s'écroula sous la
pression des glaces. Mais, succédant à l'hiver le plus froid
du siècle, le mois de mars fut au contraire extrêmement doux.
D'autre part, on ne sait pas si les chasses de Greffulhe purent commencer
en janvier 1880, année de concession de la chasse à Fontainebleau.
La période approximative de la mi-carême de 1881 fut douce
et nuageuse, de même qu'en 1882, qualifié de doux et ensoleillé,
comme 1884 et 1886, "chaud". Ne restent que 1883 "glacial",
1885 "froid et humide" et 1887 "glacial".
En précisant la date exacte de la mi-carême qui n'est
pas juste à la moitié des quarante jours, mais le jeudi de
la troisième semaine entière des quarante jours de pénitence,
(pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué..), on peut
éliminer le jeudi 19 février 1885 où la température
relevée à Montsouris était de plus 2,3°; éliminons
aussi 1887, malgré une période de froid du 12 au 22 mars,
car la mi-carême se situait le jeudi 24 mars où la température
était remontée à plus 3,9°. Ne reste plus que 1883:
la mi-carême se fêtait le jeudi 8 mars où il avait fait
moins 2,5° pendant une période de froid s'étendant du
4 au 17 mars. Sachant que les température en campagne sont inférieures
à celles relevées à Paris, on peut admettre que, le
jeudi 8 mars 1883, "le vautrait du vicomte
Henri de Greffulhe, méprisant la bise et bravant l'onglée,
attaquait à midi un ragot en forêt de Fontainebleau..."
Ce qui nous fait une bien belle jambe, mais tend à prouver qu'Internet peut être une mine inépuisable de renseignements (mais aussi d'âneries inutiles) !
PS: On retrouvera l'un des chasseurs, Gustave de Borda, dans une page en préparation sur Greffulhe et Proust.