1841 Chasse à
courre
en forêt de Villefermoy
6° page du dossier sur la chasse
Article du Journal des Chasseurs 1841 "...
l'équipage, expédié quelques jours d'avance à
Fontainebleau, a brillamment marqué sa première sortie par
la prise d'un magnifique dix-cors...
Parties à neuf heures et demie de Paris par le chemin de fer de Corbeil,
accompagnées seulement de M. le Comte de Cambis et de M. le général
Marbeau, aide de camp du duc d'Orléans, leurs altesses étaient
à midi moins un quart en forêt, à la Croix du Grand
Veneur, le rendez vous convenu. Là les princes trouvèrent
un renfort de trois cavaliers prêts à suivre la chasse: M.
Ampère, M. d'Este et M. le Baron de la Rochette (Moreau
de la Rochette, près Melun). Rapport fut fait par Lombardin,
nouveau premier piqueur du prince, d'un cerf dix-cors jeunement (cerf
de cinq ans), détourné au bois des Seigneurs, sur la
route d'Orléans, à deux grandes lieues du rendez-vous, et
aussitôt on se mit en route pour procéder à l'attaque.
Lorsqu'on l'eût découplé au carrefour des Pieds Pourris
(détaché les chiens attachés par paire), les
chiens rapprochèrent quelque temps avant de lancer. L'animal ne bondit
qu'à une heure et demie seulement, et, après avoir parcouru
une partie de la forêt, passant par Franchard, la Croix du Grand Veneur,
les fonds de la vallée de la Sole, la croix de Toulouse, la ferme
de Courbisson, et traversant la plaine de Sermaize, il vint se jeter à
la rivière en face du Petit Barbeau, tandis que les veneurs, obligés
de côtoyer la rive pour gagner le bac à Fontaine le Port, faisaient
un énorme détour avant de pouvoir passer la Seine.
Léon Bertrand reprend l'épisode de
1841 dans un recueil publié en 1862:
"... le 13 juillet 1841, il y a eu juste de cela un an le 13 du présent
mois, époque qui datera désormais parmi les jours néfastes,
s'accomplissait au pied des rochers de Fontainebleau, sur les rives ombragées
de la Seine, un épisode plein d'intérêt qu'a déjà
raconté tout au long notre chronique... Un cerf dix cors jeunement,
attaqué aux bois des Seigneurs, passait la rivière au Petit
Barbeau, poursuivi par quelques chiens d'élite, et, tandis que les
veneurs gagnaient le bac à Fontaine le Port, pour traverser à
leur tour, eux et leurs chevaux, l'animal, profitant de ce retard, perçait
tout droit en plaine, où il avait pris beaucoup d'avance sur la meute.
Arrivé de l'autre côté de l'eau, l'équipage balance,
indécis. Les piqueurs eux-mêmes semblent se consulter à
deux fois avant de rien entreprendre. Comment suivre, par cette chaleur
étouffante? Comment surtout se lancer à travers cet océan
de blés encore debout, immenses savanes qui déroulent à
perte de vue tout un horizon de moissons jaunissantes. Deux jeunes cavaliers
surviennent, ce sont les ducs d'Orléans et de Nemours, et à
l'instant même toute hésitation a cessé. Une requête
sonne; les chiens retrouvent la voie et rapprochent. Quoi qu'il arrive,
morbleu, il ne sera pas dit que la Vénerie du Prince, dût le
cerf crever bêtes et gens, n'aura pas accepté le défi
qu'on lui jette. On se rappelle quelle fut l'issue glorieuse de cette lutte,
de part et d'autre si noblement engagée et soutenue; on sait comment
après un débùcher de plusieurs lieues à travers
champs, l'animal fut pris à Villefermoy, au bout de cinq mortelles
heures de chasse. Jamais courre n'avait autant intéressé les
princes, le duc d'Orléans, surtout, que ce beau triomphe flattait
doublement comme maître d'équipage, et tout récemment
encore, aux dernières courses de Chantilly, S.A.R., qui nous faisait
l'honneur de chasser avec nous, éprouvait un véritable plaisir
à nous rappeler quelques circonstances de cette prise mémorable.
Les obstacles de la saison, la difficulté du pays, les fatigues de
cette expédition, accomplie sous un soleil brûlant, le maigre
repas de la ferme des Hollains, si bien assaisonné par l'appétit
et la gaieté des convives, les six à sept lieues de retraite
à faire pour regagner Fontainebleau et un lit où nos veneurs
n'eurent pas besoin d'être bercés pour dormir, tous ces incidents
étaient autant de joyeux souvenirs présents à l'esprit
du prince, et qui lui faisaient nous dire en souriant "Je me souviendrai
du 13 juillet, ce fut une rude journée."
Extrait de La Chasse et les Chasseurs par Léon Bertrand 1862 p 198
et suivantes
Suivent quelques paragraphes sur le décès de l'héritier
du trône royal, non de France, mais des Français, pour reprendre
le titre de son père, Louis Philippe.
Léon Bertrand semble plus attentif à ne pas écorcher les titres des comtes, ducs et princes que ses articles mettent en scène, que de vérifier ses sources. Pour preuve, dans ce même livre,"La chasse et les chasseurs", la narration très crépusculaire d'un crime perpétré l'an V de la République, à la ferme de la Hotte, commune de Favières, qu'il intercale dans la description des chasses Rotschild. C'est ainsi qu'il double la liste des morts, et ressuscite, pour le faire périr aussitôt, le mari d'une veuve, accompagné dans le trépas par rien moins que cinq enfants qui n'existaient pas, le tout par une de "ces nuits d'orage, profondes, horribles, où la foudre sillonne la nue, où les vents déchaînés mugissent, tandis que le troupeau inquiet bêle et gémit au fond du berceau..."
Page "les chauffeurs de pâturons", le crime de la ferme de la Hotte
Dans ses relations de chasse, on peut douter
de la distance parcourue: 25 lieues, soit cent kilomètres en une après-midi;
on peut aussi s'interroger sur l'excessive générosité
pour une frugale collation: "un fonds social de cent écus à
peu près, grâce à la prévoyance de Mgr le duc de
Nemours qui, le plus riche de tous, avait à lui seul sept napoléons
bien comptés."
Que penser d'un "charretier qui labourait à la charrue" au
beau milieu du mois de juillet alors que les moissons de l'époque étaient
plus tardives qu'aujourd'hui?
Quant aux lieux
cités dans sa description de cette chasse à courre, ils prennent
des libertés avec l'orthographe à mesure que l'on s'éloigne
de Fontainebleau. Rien que trois approximations dans cet extrait: "les
fonds de la vallée de la Sole, la croix de Toulouse, la ferme de Courbisson,
et traversant la plaine de Sermaize". Solle prend deux L, Courbisson
est Courbuisson et Sermaise ne prend pas de Z. sources:
carte des chasses du Roi 1809; Cassini; IGN
"Il vint se jeter à la rivière
en face du Petit Barbeau.." n'est pas exact: le Petit Barbeau est sur
la rive gauche, celle de la forêt de Fontainebleau, d'où venait
la chasse; "en face" se situe l'ancienne abbaye de Barbeau.
Un bac est mentionné
à Barbeau même, où traversa le cerf, sur l'extrait ci-dessous
de la "Carte des chasses du Roi" de 1809; mais il est bien possible
qu'il n'ait pas été en fonction, en plein coeur de l'été
"sous un soleil brûlant". Les chiens et les piqueurs qui n'avaient
pas peur de mouiller un peu leur bottes ont dû tout simplement traverser
à gué. La Seine du temps passé présentait un tout
autre aspect que celui qui nous connaissons: "Alors qu'en temps normal
nous pouvons presque partout contempler de beaux cours d'eau dont les eaux
profondes s'écoulent lentement entre les rives bien réglées,
ceux qui nous ont précédés ne voyaient guère que
de banales et plates rivières parsemées d'îlots et de
javiots, bordées de mores et d'atterrissements, environnées
de noues ou voves marécageuses." Sur le cours de la Haute Seine,
entre Montereau et Paris, on ne comptait pas moins de 58 gués. Pour
la zone qui nous intéresse, entre Héricy et Fontaine le Port,
on trouvait un gué entre Samois et Héricy, puis, moins de neuf
cents mètres plus loin un premier gué à Barbeau où
l'eau n'était qu'à 90 cms, trois cents mètres plus loin,
le second gué de Barbeau à moins de 80 cms, un autre à
Fontaine le Port, deux kilomètres plus loin à seulement 70 cms,
puis Saint Joseph, la Cave, Livry...
Les gués de la Seine et de l'Yonne de Nogent-sur-Seine et d'Auxerre
à Paris P. Verdier de Pennery Bulletin de la Société
préhistorique de France, tome 56, n°11-12, 1959
Quant au retour, il put se faire par le pont de Valvins, construit depuis
1825; le seul entre Montereau et Melun, si l'on oublie le vieux pont entre
Samois et Héricy, existant au Moyen Age, mais dont la dernière
arche s'écroula en 1839. Groupement
de recherches archéo. subaquatiques.
Cette page ne traite pas des rapports entre
les riches chasseurs et les paysans à moins qu'on n'imagine un sens
caché à cet extrait, où l'on pourrait imaginer la royale
chevauchée au travers des moissons, comme dans les images d'Epinal
d'un moyen âge fantasmé...
"Comment surtout se lancer à travers cet océan de blés
encore debout, immenses savanes qui déroulent à perte de vue
tout un horizon de moissons jaunissantes. Deux jeunes cavaliers surviennent,
ce sont les ducs d'Orléans et de Nemours, et à l'instant même
toute hésitation a cessé."
Nous retrouverons les conflits entre possesseurs de forêts et paysans dans les pages suivantes où l'on découvrira quelle était la conception de la chasse du châtelain de Bois Boudran, qui possédait aussi des terres à la Chapelle Rablais.
La curée faite, il s'agissait de songer à la retraite. Il
était sept heures, on se trouvait à plus de six lieues de
Fontainebleau et personne n'avait rien pris depuis l'attaque. Les princes
qui désiraient se rafraîchir, gagnèrent l'habitation
la plus voisine, la petite ferme des Hollains (voir
plus loin), où, moins bien traités que le roi Henri
chez Michaud le meunier, ils ne trouvèrent pour alimens que du pain
de seigle et quelques oeufs et pour boisson du mauvais cidre. Du reste cette
petite halte, assure-t'on, ne fut point pour nos veneurs l'épisode
le moins amusant de la journée.
"Un instant, messieurs, Messieurs, dit sérieusement le duc d'Orélans
à ses compagnons de chasse au moment où ils s'apprêtaient
à faire honneur à ce maigre repas. Avant de consommer, si
nous consultions un peu nos fortunes? Chacun mit la main à sa poche
et calcula le fond de sa bourse. Nos honorables convives pouvaient réunir
entr'eux un fonds social de cent écus à peu près, grâce
à la prévoyance de Mgr le duc de Nemours qui, le plus riche
de tous, avait à lui seul sept napoléons bien comptés.
"Allons, à table, messieurs, nous avons assez pour payer la
carte. D'ailleurs, ajouta-t'il gaîment, j'en serais quitte pour engager
ma signature si nos ressources personnelles ne suffisaient pas."
Dix heures et demie du soir venaient de sonner à Fontainebleau lorsque
les princes arrivèrent au château, où la vénerie
ne rentra qu'à une heure dans la nuit; et c'est ainsi que s'est terminée
une chasse qui, fort belle et fort habilement conduite depuis le commencement
jusqu'à la fin, fait le plus grand honneur à Lombardin, dont
elle a on ne peut mieux inauguré le début dans ses nouvelles
fonctions de premier piqueur.
On estime à plus de vingt cinq lieues le terrain parcouru dans ce
brillant laisser-courre (action de lâcher
les chiens, en une seule fois, sur l'animal chassé à courre);
et certes il faut des chevaux qui aient du fond pour tenir sans broncher
aux fatigues d'une expédition aussi rude."
Journal des chasseurs octobre 1840/ septembre 1841p 356 et suivantes signé L.B. Léon Bertrand, repris dans la Chasse et les chasseurs, chapitre XII la ferme des Hollains, p 170...
Un an, jour pour jour, après cette chasse, le 13 juillet 1842, le
duc d'Orléans mourait dans un accident de calèche:
"... un événement fatal, imprévu, et pourtant
dans les tristes conditions de notre fragile humanité, est venu,
plongeant la capitale dans la stupeur et le deuil, consterner, au milieu
des diverses nuances des partis, même les coeurs les plus insensibles.
Mercredi dernier, pas plus tard, est mort le plus misérablement du
monde, à deux pas du palais de ses pères, dans une pièce
basse servant d'arrière boutique, un prince jeune, spirituel, aimable,
le modèle accompli de toutes les qualités physiques et morales,
l'orgueil d'une famille illustre, l'espoir le plus cher d'une Royale Dynastie..."
journal des chasseurs p 191...
Ce décès inspira un poème de 31 strophes à
Alfred de Musset, dont voici la 28°:
Que ce Dieu, qui m'entend, me garde d'un blasphème !
Mais je ne comprends rien à ce lâche destin
Qui va sur un pavé briser un diadème,
Parce qu'un postillon n'a pas sa bride en main.
Ô vous, qui passerez sur ce fatal chemin,
Regardez à vos pas, songez à qui vous aime !
A l'exception de M. de Cambis qui n'ayant pas son cheval de chasse ordinaire
se méfiait un peu de celui qu'il montait et crut devoir prendre le
parti de ne point quitter les bords de l'eau, où il ne tarda pas
en effet à rallier une vingtaine de chiens, veneurs et piqueurs traversèrent
la rivière et bientôt arrivés dans les bois de Barbeau
reprirent leur chasse un instant ralentie.
L'animal, qui avait beaucoup d'avance était débûché
depuis long-temps au milieu d'une plaine immense, laissant Valence sur sa
droite; et c'est alors que, pour ne point le perdre au milieu de toutes
ces moissons encore debout, il fallut user de la plus grande prudence.
Pendant deux heures ce fut un rapproché continuel, où l'on
ne parvint à relever plusieurs défauts consécutifs,
qu'en foulant sagement et en prenant chaque fois les devants et les arrières.
Un seul valet de chiens à pied appuyait la meute quand elle traversait
une pièce de blé, suivant un sillon pour ne point faire de
tort, tandis que les cavaliers allaient plus loin chercher une jachère.
Du reste nulle indication à espérer dans ces campagnes désertes,
peuplées au loin de quelques fermes isolées; aucun de ces
renseignements si précieux en chasse et que cet excellent duc de
Bourbon ne payait jamais moins d'un louis à tout paysan qu'il rencontrait
sur son chemin. Le cerf avait traversé la route de Melun à
Montereau à quelques pas d'un cantonnier, mais ce brave homme qui
travaillait ne s'en était pas seulement aperçu. Enfin, dans
la direction présumée que l'animal tenait, on avisa un charretier
qui labourait à charrue:
"N'as-tu rien vu? alla demander Lombardin à cet homme.
-Pardon, j'ai vu un chevreuil qui a suivi la berge du fossé tout
au long de cette allée de pommiers, répondit le charretier
en indiquant avec son fouet une avenue assez éloignée.
-Combien y a-t'il de temps, à peu près?
-Au moins deux heures, s'il n'y a pas plus."
Ce rapport n'était pas fait pour encourager nos veneurs; cependant
aucun d'eux ne se rebuta, et on se mit avec une nouvelle ardeur à
la poursuite du fugitif. Au bout de l'allée, que l'animal avait effectivement
parcourue, se trouvait une petite remise d'un arpent; or le cerf devait
y être entré car les chiens se récriaient plus chaudement,
tâtant aux branches et aux portées. Le piqueur entra dans le
fourré, et comme il foulait sonnant un requêté, tout
à coup, voilà mon dix-cors qui bondit sous le nez de son cheval:
alors eut lieu sous les yeux des princes, et comme pour les dédommager
de leurs peines, le relancé à vue le plus magnifique.
Léon Bertrand, le narrateur, ne semble pas avoir participé directement à cette chasse; il n'aurait pas manqué d'intercaler un "je" ou un "nous", car il n'hésitait pas à se mettre en scène quand il côtoyait un puissant: ".. aux dernières courses de Chantilly, S.A.R. qui nous faisait l'honneur de causer chasse avec nous..." Le journaliste transmet des informations de seconde main, avec tous les risques de déformation que cela comporte, recueillies auprès des nobles chasseurs ou des piqueurs et valets de chiens. Il est possible qu'un de ses informateurs ait été "Lombardin" (pas de Monsieur Lombardin pour les domestiques), remplaçant du maître d'équipage du duc d'Orléans, auquel il passe par deux fois la rhubarbe et le séné; l'un des articles se termine par ".. fait le plus grand honneur à Lombardin..." et une note en bas de page que je n'ai pas recopiée: " Tout porte à croire que si Lombardin plus actif et plus jeune que son prédécesseur veut s'occuper sérieusement de son métier, la meute ne perdra rien à ce changement..." Mais Lombardin, comme ses confrères, connaissait certainement plus Chantilly que Fontainebleau et moins encore les écarts fort éloignés du château: "l'équipage, expédié quelques jours d'avance à Fontainebleau".
Un petit intermède entre des destructions de cultures par le gibier
sous la Capitainerie de Fontainebleau et d'autres destructions de cultures
par le gibier sous le grand capitalisme...
Les deux fils de Louis Philippe, roi des Français, Ferdinand Philippe
Louis Charles Éric Rosalino d'Orléans, 30 ans, duc de Chartres,
duc d’Orléans et prince royal héritier de France, et
son frère Louis Charles Philippe Raphaël d'Orléans, 27
ans, duc de Nemours, participèrent à une chasse à courre
en forêt de Fontainebleau, puis de Villefermoy, le 13 juillet 1841.