Dans l'étendue de la Capitainerie de Fontainebleau, où la Chapelle Rablais était englobée, il ne fallait évidemment pas porter atteinte au gibier, réservé aux chasses royales; il ne fallait pas non plus en gêner la croissance. Qui volait un oeuf, volait un boeuf (disons un cerf ou un sanglier) et en payait le même prix: " Comme aussi font défenses à toutes personnes de prendre les œufs des Perdrix & Phaisans dans les bois & campagnes, même les ayant pris de les élever, nourir & vendre à peine de cent livres d'amende pour la premiere fois, du double pour la seconde, & du fouet & bannissement pour la troisième.." Henry IV 1549 Le fouet et le bannissement avaient été les mêmes châtiments subis par les "braconniers incorrigibles" de la page précédente qui avaient tué "impunément avec fusils et chiens les cerfs, biches, sangliers et autre gibier."
La Chapelle Rablais dans la
Capitainerie de Fontainebleau
4 /Le gibier avant l'homme
Les revendications des Cahiers de Doléances ont souvent fait référence
aux abus dans les Capitaineries, tout en n'osant pas s'attaquer à
la personne royale: "Nous vivons sous un prince
ami du bien & le père de ses sujets... Sa majesté ignore
certainement tous les abus qui se commettent, sous son nom."
AD77 J 379 mémoire sur les capitaineries et principalement celle
de Fontainebleau
Pourtant, Louis XIV sur son lit de mort, avait
regretté avoir fait passer ses plaisirs avant le soulagement de son
peuple: "J’ai trop aimé
la guerre; ne m’imitez pas en cela, non plus que dans les trop grandes
dépenses que j’ai faites... Soulagez vos peuples le plus tôt
que vous le pourrez, et faites ce que j’ai eu le malheur de ne pouvoir
faire moi-même". Le Siècle
de Louis XIV, Voltaire
Que n'y avait-il songé de son vivant? Dans la Capitainerie de Fontainebleau
dont faisait partie la Chapelle Rablais, les "Plaisirs
du Roi" passaient avant le bien-être
de son peuple. Ses successeurs n'ont pas assoupli les contraintes
imposées aux paysans sur leurs terres qui, à quelques années
de la Révolution française, semblent nous ramener au Moyen
Age.
(Petit aparté) A noter qu'à
l'époque, il se cultivait de tout sur la moindre parcelle. Boucher
de la Richarderie cite, à Dammarie, les pois de bisaille et les dragées
de Champagne. Pois de bisaille, "mélange de pois gris et de vesce
pour nourrir la volaille" Reverso. Ces
pois de bisaille pouvaient aussi entrer dans la composition du pain bis, d'où
leur nom. La "dragée de Champagne" appelée aussi "Jarosse,
Gesse chiche et Gessette", faisait partie du genre des gesses, proche
des vesses et des pois. Tela Botanica et Wikipedia
Il s'en cultivait, à la Chapelle Rablais, jusque dans les fossés,
sur lesquels le curé Huvier hésita à prélever
sa dîme: "Comme il y avoit sur la levée de ce fossé
une petite partie de pois qui étoient ramés, je n'ai point requis
la dixme desdits pois; mais de ceux qui ne l'étoient pas, et dont quantité
étoit beaucoup plus considerable que ceux qui l'étoient."
Notes marginales du curé Huvier 1752/59
Registres paroissiaux originaux en mairie
L'interdiction d'aller aux champs en période de reproduction du gibier n'était que l'une des contraintes liées à la Capitainerie. Qu'est-ce qui n'était pas interdit ? Par quoi commencer ?
Restons dans les champs. Il était interdit, dans le ressort de la
Capitainerie, "à peine d’amende
arbitraire, d’établir aucun mur ou fossé, aucune haie
ou barrière sans permission expresse, de couper ou arracher les chaumes
avant le 1° octobre; de faire exploiter les taillis, couper, faucher
ou arracher de l’herbe dans les champs avant le jour de saint Jean-Baptiste."
Bulletin de la société archéologique
de Seine et Marne 1866 Comment travailler
dans ces conditions? Le cahier de doléances de Valence en Brie, commune
proche (celui de la Chapelle Rablais n'ayant pas été conservé)
note: "et que nonobstant les gardes chasses
ne puissent point empêcher les cultivateurs de nettoyer leurs grains
des mauvaises herbes et autres choses nuisibles à l'accroissement
et à la maturité, & qu'ils ne soient point obligés
de faire épiner leurs emblaves."
"Epiner les emblaves" quelle étrange pratique. Les
emblaves ou emblavures étaient les parcelles à céréales.
Les "épines" reviennent fréquemment dans les textes
de lois ou de doléances concernant la Capitainerie: "Seront
réputés suspects de braconnage ou de le favoriser, tous propriétaires
ou cultivateurs qui, suivant les ordonnances, n'auront pas mis et n'entretiendront
pas sur leurs terres, pendant tout le temps qu'elles ne seront pas couvertes
de hautes moissons, hauts herbages ou légumes, cinq épines
au moins pour chaque arpent d'icelles: et seront lesdites épines
de grosseur et longueur suffisantes, et fixées en terre d'un pied
de profondeur au moyen d'une cheville de fer." AD77
8[4490 p 58
Les animaux domestiques étaient,
eux aussi, soumis aux contraintes de la Capitainerie: les chats "...
si utiles pour la conservation des grains dans les granges et dans les greniers.
L'usage observé dans les Capitaineries ne permet pas à la vérité
aux Gardes de tuer les chats domestiques ni dans les villages ni sur les murs
des jardins et des enclos, mais il leur est enjoint de les tirer lorsqu'ils
se trouvent dans les plaines, sous prétexte que les chats font partie
de ce qu'on appelle en terme de chasse Bêtes puantes... Les Capitaineries
encouragent à ce noble exploit en leur payant (aux fermiers et petits
cultivateurs) cinq sols par pattes de chat." AD77
8[4490
On imagine l'émoi chez les amateurs de chatons si mignons !
"En date du 9 août 1666, il enjoignit
aux propriétaires et fermiers de ficher en terre cinq épines
par arpent, dans les huit jours qui suivaient la récolte, à
peine de dix livres d’amende par épine manquante. Les bergers
étaient tenus, pour repiquer convenablement celles qu'arracheraient
leurs bestiaux , de ne jamais sortir sans s’être munis d'une
cheville en fer. "
Bulletin de la société archéologique de Seine et Marne
1866
En parsemant les champs moissonnés de buissons
épineux, le Capitaine des chasses proposait une parade au braconnage
"au traîneau" que nous avons vu à la page précédente,
les "épines" entravant le râtissage du filet sur
les chaumes.
Les procès verbaux suivis d'amendes "pour
n'avoir point épiné" n'étaient pas rares,
les "Registres de causes du Roi" concernant la Capitainerie, en
sont remplis.
Les routes de chasse traversant la forêt étaient interdites au commun des mortels, d'où nouvelle doléance à Valence en Brie: "Qu'il soit permis à tous particuliers de passer en tout temps dans les routes de chasse pour aller d'un village à un autre sans qu'on puisse en empêcher..."
"Contre Jean Carré voiturier
à Montereau pour avoir passé dans une route avec voiture condamné
à dix livres d'amende au profit du garde."
AD77 B 65/1 Capitainerie de Fontainebleau, registre des causes du Roy Commencé
le 9 juin 1785 & fini le 21 aoust 1789
"Le sieur de Montmorin, capitaine des chasses de Fontainebleau, tire de sa place des sommes immenses et se conduit en vrai brigand. Les habitants de plus de cent villages voisins ne sèment plus leurs terres ; les fruits et graines étant mangés par les bêtes. D’Argenson: Mémoires cité dans Taine: L’ancien régime
Pour les petits paysans de la Chapelle Rablais, le pire fléau dû à la Capitainerie, réserve de chasse du Roi, était le gibier lui-même, "l’énorme quantité de gibier que les capitaines entretenaient, au grand préjudice de l’agriculture" 1866 Société archéologique 77 sans oublier les pigeons réservés aux seuls détenteurs d'un fief: "les pigeons font un degas considérable dans les moissons et dans le tems de la semence pourquoi ils demandent ou que les colombiers soient detruis ou que les propriétaires d'iceux soient tennus de fermer leurs colombiers pendans le tems des semances et pandans la grenaison jusqu'à la fin des moissons." cahier de doléances Garentreville
Les paysans étaient obligés d'engager
des gardes, principalement pour les vignes (rares sur le sol argileux de
la Chapelle Rablais, il faut le dire, un seul vigneron cultivait sur un
affleurement de sable et de grès, non loin du stade):
"... quelques vignes qu'ils gardent six mois de l'année en faisant
des factions et gardes, jour et nuit avec tambours et charivari pour faire
fuir les bêtes destructives” Taine
En 1783, on note la présence d'un "gardeur
de nuit pour les bleds pris avec une terrine remplie de viande de sanglier,
cuite, dont il auroit saisi un morceau". AD77
B 64
Quelques années plus tard, vers 1880, on entendra
encore un charivari ponctué de grands claquements de fouets, dans
les parcelles autour de la Chapelle Rablais, elles auront une toute autre
origine, comme on le verra plus loin. Quelques années encore et l'on
notera la présence de petits gardiens dans les champs, des enfants
qui manquaient l'école pour "aller aux corbeaux" et, jouant
aux épouvantails, les empêchaient de picorer les grains fraîchement
semés.
Registre d'appel de l'école 1914
"La Nature déploie une si grande fécondité dans
la reproduction des lapins, dont un seul couple peut donner, quatre ou cinq
fois par an, des portées de neuf à dix petits..." AD
77 8[4490 Toute cette joyeuse troupe faisait
des ravages dans les champs et les bois et creusait des terriers où
les chevaux risquaient de se prendre les sabots.
"L’ordonnance de 1669 avait prescrit aux officiers des
chasses, sous peine de 500 livres d’amende et de suspension, de faire
fouiller et renverser tous les terriers, dans les forêts du roi. Plus
tard, sous Louis XVI, un arrêt du Conseil du 6 janvier 1776 permet
aux propriétaires de détruire eux-mêmes les lapins dans
les bois d’une contenance inférieure à cent arpents,
et partout ailleurs, même dans les bois du roi, après s’être
muni d’un certificat de l’intendant constatant que des dommages
avaient eu lieu." Bulletin de la société
archéologique de Seine et Marne 1866
Mais cette permission de chasser soi-même le lapin n'était presque jamais donnée, et les registres de la Capitainerie ne manquent pas de PV liés aux lapins, par exemple, contre des propriétaires de chiens "qui renversent des raboulières de lapins." AD77 B 64
"Leurs capitaines de chasse, veneurs, gardes
forestiers, gruyers, protègent les bêtes comme si elles étaient
des hommes, et poursuivent les hommes comme s'ils étaient des bêtes."
Taine : l'Ancien Régime
La Capitainerie prit fin, avec d'autres privilèges,
la nuit du 4 août 1789. Le dernier acte du registre note l"élargissement
de Garnier, Passard et Guillier détenus ès prison de la Capitainerie."
AD 77 B65/1
Louis Victoire-Lux de Montmorin de Saint-Hérem,
dernier gouverneur de Fontainebleau et Capitaine des Chasses, finit
tragiquement lors des massacres de septembre 1792, empalé, dit-on.
Quant aux paysans, s'ils purent profiter du gibier
(passez la souris sur l'image, et repérez les lapins), ils
eurent à affronter, aux cours du XIX° siècle d'autres
brimades que leur réservaient les riches propriétaires des
bois. A suivre...