La Chapelle Rablais
dans la Capitainerie de Fontainebleau
3 / les paysans & la chasse

"Vu le procès verbal fait le treize de ce mois (juillet 1783) par Veron, Guerdat, Durand, Dupuis, Gilles et Bertrand, tous gardes à cheval présenté et affimé véritable le quatorze communiqué au procureur du Roy qui a donné ses conclusions ledit jour. Contre Jacques Mallet manouvrier demeurant chez François Dupont, laboureur à Frévant paroisse de la Chapelle Rablais et interrogatoire subi le quatorze de ce mois par ledit Mallet, desquels procès verbal et interrogatoire il résulte que il a été pris en flagrant délit par lesdits gardes étant muni de plomb et poudre et chassant avec ledit Dupont lequel armé d'un fusil s'est enfui alors, et qui s'est ce jourd'huy volontairement présenté devant nous et est convenu des faits... promettant au surplus de remettre le plus incessamment ledit fusil au greffe de cette Capitainerie... condamné ledit François Dupont cy présent et ledit Jacques Mallet son domestique solidairement à deux cents livres d'amende, faisant cent livres pour chacun, laquelle amende sera payée le lendemain de la Saint Martin onze novembre prochain... " AD77 B 64
En plus de la confiscation des armes, une amende de deux cents livres représentait une somme énorme au vu des salaires pratiqués à l'époque dont nous avons une bonne estimation grâce à l'agronome anglais Arthur Young qui était à Nangis en juillet 1789; par jour: "Hommes, en été, 24 sous, en hiver, de 15 à 18 sous. Hommes, pendant la moisson, 30 sous; femmes en été 15 sous... "
Arthur Young Voyages en France

Le plus cocasse est que François Dupont, du hameau de Frévent, faisait partie d'une famille de gardes. Jean Dupont avait été "garde des terres et seigneuries de la Borde au Vicomte", Louis Dupont, lui même "garde chasses, eaux, plaines, bois et forêts de la terre et seigneurie de Saint-Germain-Laval et Laval-Saint-Germain" avait épousé Françoise Leblanc, fille de garde: "François Leblanc garde des Plaisirs du Roy décédé d'hyer dans sa maison de la Darderie (les Petites Maisons) ... en présence de Loüis Dupont, son gendre.. 1762" Les hameaux des deux familles de gardes étaient proches, comme le montre ce plan de 1742.
Sources: 10 février 1749 mariage Dupont Leblanc 5 mi 2828 p 523 // 6 septembre 1762 inhumation Francois Leblanc 5 mi 2828 p 25

Doc: traces des gardes

D'aucuns rusaient en faisant porter leurs armes par leurs enfants, de retour des bois, ce qui ne les empêchait pas de se faire pincer: 6 avril 1789, toujours à la Chapelle Gauthier, le garde Cousin a dressé procès-verbal contre Lamy Serrurier "responsable des faits de son fils cadet trouvé rentrant au village avec deux fusils.." AD77 B 65
Par contre, l'ordonnance de 1669 autorisait "nos sujets de la qualité requise par les ordonnances, passant par les grands chemins des forêts et bois, à porter des pistolets et autres armes non prohibées, pour la défense de leurs personnes." Il faut dire que la forêt de Fontainebleau était infestée de gredins; la Caverne des Brigands portait bien son nom...

Un manouvrier et un fermier du hameau de Frévent (Froid Vent), à la Chapelle Rablais ont eu la malchance de tomber sur cette patrouille volante de six gardes à cheval qui les ont surpris, fusil à la main...
La chasse était interdite aux privilégiés, dans le ressort de la Capitainerie de Fontainebleau, comme elle l'était dans tout le royaume pour le commun des mortels: "nos Rois y ont pourvû en deffendant aux Laboureurs, aux Marchands, & aux Artisans de chasser." Traité de la Police
Posséder un fusil était évidemment interdit au paysan, son usage pour se prémunir des bêtes "nuisibles et puantes" aurait pu être détourné pour la chasse d'un gibier autrement plus comestible, ou la rébellion au cours d'une jacquerie.
Tirer quelques coups de feu dans le cadre d'une procession était tout aussi prohibé:
" les habitants de La Chapelle-Gauthier prirent des fusils pour accompagner le Saint-Sacrement, le jour de la Fête-Dieu; ils furent attaqués par les gardes, un d’eux a été assigné et condamné par le tribunal de la Capitainerie à dix écus d’amende." Bulletin de la société archéologique de Seine et Marne 1866

Les gardes de la Capitainerie eux-mêmes avaient l'interdiction d'user d'autres armes que pistolets et épées, ou de courir la campagne avec l'attirail du braconnier: "Font pareilles défenses aux Gardes Bois & Chasses de porter autres armes que l'épée & pistolet de ceinture, pour leur défense seulement, & de mener aucuns Chiens à la campagne & dans les bois à leur suite ... ou de fil d'archal, pieces & pans de rets, colliers, filets, ailliers de fil ou de soye"
Traité de la Police

L'ordonnance de Colbert n'autorisait arquebuses et fusils que lorsque les gardes étaient à la suite de leurs capitaines et de leurs lieutenants. Il faut dire qu'il n'était pas rare que le braconnier ait aussi été le garde comme
"le nommé Geoffroy ancien garde de cette capitainerie soupçonné de braconnage"
AD77 B 64 22 septembre 1784

Reste à savoir si cet article de l'Ordonnance de Colbert a effectivement privé les gardes royaux de leurs escopettes.

Parenthèse: d'autres gardes en forêt de Bierre (forêt de Fontainebleau), les forestiers, ne se gênaient pas non plus pour profiter illégalement de la forêt: "Cependant la forêt était dévastée par des délits de toutes sortes auxquels venaient s'ajouter les malversations de ceux qui l'administraient. M. Barillon d'Amancourt, maître des requêtes ordinaire de l'hôtel du roi, chargé de la réformation de la forêt de Bierre, en 1664, condamna à de fortes amendes, en tout 4.340 livres parisis, sans compter les restitutions, le lieutenant, le procureur, le greffier, le receveur, le sergent appréciateur, les deux sergents traversiers et cinq sergents à garde sur huit; les trois autres en furent quittes pour des admonestations. Le lieutenant, le procureur, un des traversiers et trois sergents à garde durent défaire de leurs offices."
Bulletin de la Société d'archéologie, sciences, lettres et arts du département de Seine-et-Marne 1869

On a vu, sous la Révolution, le garde Miloche organiser lui-même le pillage de la forêt, tout en s'inventant des agressions: "Cejourd'huy huit juin 1792 ... j'ai apperçu de loing venir trois quidants (quidams) munis de chacun un fusil et une cognée sous leurs brats sont entrés dans laditte réserve environ sur les huit heures et demy du soir ayant la tête bandée de leur mouchoir et leur chapeau rabattu sans avoir pu les connaître... ... je les ai poursuivi l'un d'eux sont retourné sur moy et avoit un coup de fusil chargé à bal une desdittes bal ayant percé mon chapeau sur ma tête santant avoir été blessé à cause d'un morceau de bois qui m'a parré le coup. de manière que nous sommes retourné sans avoir pu les connaître à cause de leur déguisement ayant des blaudes (blouses) de toile par dessus leur habillement .." AD77 L396 n° 39 & 41

Voir la 26° page du dossier sur les Thiérachiens: Us et abus dans les bois
Doc: vols de bois sous la Révolution

Pour une surveillance plus stricte, les gardes locaux étaient doublés d'équipes de gardes à cheval: "Vers la fin du règne de Louis XIII, le Capitaine des chasses avait sous ses ordres : un lieutenant à Fontainebleau et un autre au Châtelet en Brie, dix gardes spéciaux pour la forêt et vingt pour les environs, dont la moitié était à cheval." Bulletin soc. archéo 77 1866
Nous avons, vu plus haut, le garde Cousin verbaliser pour un "
fils cadet trouvé rentrant au village avec deux fusils" en 1789 ou coincer en 1788 "Dupin, voiturier à la Clotée, à l'occasion d'un collet de corde que les gardes avoient trouvé attaché dans la haye du jardin dudit Dupin." AD77 B 65 /9
Lui et autres gardes proches, dans les villages, étaient sous la surveillance d'équipes volantes composées de nombreux gardes à cheval qu'il aurait été bien difficile de tous circonvenir:
"Veron, Guerdat, Durand, Thévenin, Dupuis, Gilles, Bertrand, Digouet, Charton, Cavillon et Beauvais" formaient une équipe le 6 juillet 1783; "Veron, Guerdat, Durand, Dupuis, Gilles et Bertrand" surveillaient ensemble les abords de Villefermoy, une semaine plus tard. AD77 B 64
François Dupont se sentait peut être autorisé à porter un fusil à deux pas de sa maison de Frévent qui était accolée à la "Forest de St Germain la Valle" appartenant au "haut et puissant seigneur Mre Jean-Nicolas de Boullongne, chevalier baron de Marigny le Chatel, seigneur et gouverneur de Montereau où faut-Yonne, seigneur de Flavy, Prunay, Faux, Villecerf, Saint Germain Laval, Laval Saint Germain et autres lieux, conseiller d’Etat ordinaire et au conseil royal, intendant des finances". L'hôtel de Boullongne, place Vendôme donne une idée de la puisance du personnage. correspondance avec Jean François Viel

Si en 1700, ce bois avait pu être englobé par erreur dans les limites de la Capitainerie: "sa Majesté auroit ordonné qu'elles seroient portées de la Chapelle Rabelais au Petit Villeneuve les Bordes, Villeneuve le Comte, Gurcy, Montigny & le long des bois de Montigny à Coutanson, par les grands chemins à Forges & Montreau..." , depuis 1768, cette forêt était définitivement hors Capitainerie: "par l'ancien chemin de la Chapelle Rabelais, à l'extrémité de la Forêt de Saint Germain, où étoit ci-devant le Hameau de Guerchy, la Terre & Forêt de Saint Germain- Laval, restant en entier hors desdites limites..." voir la première page de ce chapitre
Le 13 juillet 1783, François Dupont fit quelques toises vers l'ouest et, franchissant le chemin, se retrouva sur le territoire de la Capitainerie où il eut le malheur de se faire prendre par une brigade volante.

Les braconniers ayant rarement dévoilé leurs secrets dans des manuels, on peut découvrir leurs techniques dans les interdictions qui leur sont faites: "chasser avec arquebuses, ailliez, filets, collets, poches, tonnelles, treneaux, ni autres engins de Chasses, mener, ni faire mener chiens couchans, levriers, chiens courans, épagneux & oiseaux; même aux Laboureurs & Bergers de mener aucuns chiens; s'ils ne les tiennent en lesse pour la conservation de leur bestail..." Louis XIII. le 25 Juin 1624 et aussi "fil d'archal, pieces & pans de rets, colliers, filets, ailliers de fil ou de soye"
Par exemple, la technique de chasse au traîneau, décrite dans l'Encyclopédie de Diderot, que les braconniers utilisaient, mais contre laquelle le législateur imposa une parade que nous découvrirons à la page suivante...

Traineau, (Chasse.) est un filet qui a deux aîles fort longues, avec un bâton à chaque côté, & que deux hommes traînent la nuit à - travers champs, dans les endroits où ils ont remarqué qu'il y a du gibier, & dès qu'ils voient, sentent, ou entendent quelque oiseau sous le filet ils le lâchent à terre pour prendre le gibier qui est dessous; ce filet a depuis 6 jusqu'à 12 ou 15 toises de long, & 15 à 18 piés de hauteur; on les fait à grandes mailles pour qu'ils ne soient pas si lourds. On prend au traîneau les perdrix, les cailles, vanneaux, bécasses, pluviers, ramiers, grives, oies sauvages, canards & autres oiseaux.
Encyclopédie Diderot

L'amende semble excessive par rapport à la faute: "François Premier, à Lion, au mois de May 1515. Item, Ceux qui prendront & chasseront aux Buissons, Forests & Garennes, Lievres, Connins, Perdrix, Phaisans & autres Gibiers, en venant contre nosdites Ordonnances, pour la premiere fois payeront vingt livres d'amende s'ils ont de quoi, & au defaut de ce, demeureront un mois en prison au pain & à l'eau..." Il faut dire que les gardes, mal payés et devant amortir l'achat de leur charge, percevaient une partie de l'amende: "Un tiers au roi, un tiers aux officiers des chasses qui s'en régalent les jours où ils tiennent leurs séances barbares ... la troisième part revient aux gardes, de sorte que dans un tribunal réglé et assermenté, les juges et les dénonciateurs partagent les dépouilles des délinquants. Quelle législation!"
La tentation pouvait être forte, pour certains gardes, de verbaliser injustement, d'où la plainte d'une commune voisine: "7° pour que les procès verbaux des gardes chasses fassent foi en justice, ils soient deux ou un seul et deux témoins comme les notaires pour les actes."

Citations: Traité de la Police 1710 / Pdf CG Brie, Valérie Arnold-Gautier: le garde des plaisirs du Roi dans le nord de l’Ile-de-France
J 379 mémoire sur les capitaineries et principalement celle de Fontainebleau / Cahier de doléances Valence en Brie

La peine de mort pour fait de braconnage, confirmée par les édits de 1601 et 1607 n'avait été supprimée qu'au temps de Louis XIV, mais les juges n'étaient pas tendres pour les "braconniers incorrigibles", les peines allaient en augmentant : "Item, Ceux qui prendront & chasseront aux Buissons, Forests & Garennes, Lievres, Connins, Perdrix, Phaisans & autres Gibiers, en venant contre nosdites Ordonnances, pour la premiere fois payeront vingt livres d'amende s'ils ont de quoi, & au defaut de ce, demeureront un mois en prison au pain & à l'eau; la seconde fois seront battus de verges sous la Custode jusques à effusion de sang; & la tierce fois seront battus de verges autour des Forests, Buissons ou Garennes où ils auront délinqué, & bannis à quinze lieues desdites Forests, Buissons ou Garennes" Traité de la Police // Sous la custode = en prison

16 juin 1785. Jugement qui condamne Louis, Michel et Pierre Lecerf, déclarés braconniers incorrigibles, à être bannis à quinze lieues de la forêt et capitainerie, après avoir été préalablement battus de verges autour des forets, bois et garennes où ils braconnaient...
Sur ce qui nous auroit été représenté par le procureur du Roy de la Capitainerie royale des chasses de Fontainebleau que les braconnages multipliés et récidivés exercés dans l'étendue de cette Capitainerie depuis plusieurs années par les nommés Louis, Pierre et Michel LeCerf frères, tous les trois de la paroisse du Vaudoüé, étans portés à leur comble et portés aux plus grands excès, sans que les peines d'amende, de prison et de longue détention ayent pu les empêcher de retourner après leurs élargissemens au métier de braconnage et de tuer impunément avec fusils et chiens les cerfs, biches, sangliers et autre gibier qu'ils rencontrent dans les bois plaines et rochers, ce qui fait justement présumer que cette fureur de chasses indües ne peut que les conduire comme d'autres braconniers leurs pareils aux crimes de vols et de meurtres...

... requièrent pour le Roy que lesdits Louis, Michel et Pierre LeCerf, frères, fussent déclarés braconniers incorrigibles... seroient condamnés à servir le Roy à perpétuité sur les galères en qualité de forçat (rayé) pourquoy sur le requis dudit procureur du Roy avons condamné et condamnons lesdits Louis et Michel LeCerf frères à être battus de verges entour des Bois et forêts de cette Capitainerie conformément aux ordonnances et les avons bannis à perpétuité à quinze lieües hors du ressort de cette Capitainerie...
B 65/1Capitainerie de Fontainebleau, registre des causes du Roy Commencé le 9 juin 1785 & fini le 21 aoust 1789

Plus larges extraits de ce jugement

François Dupont et Jacques Mallet n'ont pas eu la chance de faire partie de cette charrette de grâciés, en 1785: "Causes du Roi en la capitainerie royale des chasses de Fontainebleau. Décharge de la sentence contre les Thiérachiens et autres habitants de la Chapelle Rablais. Entre Thomas Hardy, Charles Pepin (Pupin), Charles Nivalle (Nival) père et fils et Jean Baptiste Desruelles (Déruelle), voituriers du pais de la Thiérache opposants à notre sentence rendue au siège du Châtelet en Brie le trois juillet dernier.." AD77 B 65 La sentence rendue au Châtelet n'avait pas été transmise en temps et heure au siège de la Capitainerie de Fontainebleau, représentée sur le tableau ci-dessus, entraînant la nullité des condamnations: "à la fin de nullité de ladite sentence et du procès verbal sur lequel elle est intervenue à défaut d'affirmation d'icelui et du dépost au greffe dans le délay ..."
Les voituriers en bois dits "Thiérachiens" de la Chapelle Rablais avaient peut être laissé divaguer leurs chevaux, braconné ou emprunté les routes forestières réservées aux chasses royales; la sentence ne l'indique pas, il faudrait retrouver les actes du Châtelet...

Dossier sur les voituriers en bois "Thiérachiens" 31 pages

Ont aussi été grâciés pour une infraction non mentionnée : "la veuve Landanté (Lédenté), le nommé Rousseau, la veuve Limozin (Limousin), demeurant tous aux Montils paroisse de la Chapelle Rablais et Jean Nicolas Henry le jeune demeurant aux Moyeux même paroisse... le nommé Locar (Nicolas Logue) charon demeurant à la Chapelle Rablais, Nicolas Henry père laboureur demeurant au Ru Guérin paroisse de la Chapelle Rablais, Joseph Hervet fermier au Mez, le sieur Maugis père manouvrier à Fontenailles, Simon Jacquiot laboureur au Petit Villeneuve paroisse de la Chapelle Rablais, le nommé Picard manouvrier aux Montils susdite paroisse le nommé Robey (Robert) manouvrier demeurant à la Chapelle Gauthier... Jean Estancelin (Tancelin) manouvrier demeurant aux Montils paroisse de la Chapelle Rablais" , sans compter quelques habitants de Samoreau, Sablons...

Extraits du texte de cette sentence
Localisation de la Capitainerie au château de Fontainebleau

Les voituriers débardeurs de bois en forêt de Villefermoy, les "Thiérachiens", déjà cités et longuement étudiés, se révélaient redoutables braconniers: "Les habitants des bois, comme sabotiers, charbonniers, fendeurs, bûcherons et les voituriers qui tiennent du pays de Luxembourg et qu’on appelle Tirachiens, tous ces gens-là se rassemblent quelquefois ou se mettent séparément. Ils sont bien difficiles à surprendre, ils cachent leurs fusils dans les bois, sans jamais approcher de la loge avec, et guettent toutes sortes de gibier, particulièrement le sanglier sur lequel ils donnent plus que sur les biches. Tous ces animaux sont accoutumés avec les chevaux qui pâturent, ils approchent même des feux qu’ils font toute la nuit, mais ils tirent rarement aux environs des loges, à moins que ce ne soit dans le bois de quelque seigneur qui n’a pas le droit de chasser le cerf...
... Quand ils sont à proximité ou même dans les capitaineries de Sa Majesté ou de Messeigneurs les princes du sang, ils prennent les précautions que je vais décrire. Ils partent devant le jour, selon où ils ont dessein de se placer et où ils connaissent les meilleurs passages. S’ils réussissent, ils laissent l’animal en le mettant hors d’état de se corrompre en lui ôtant les suites si c’est un sanglier, ainsi du reste. Après quoi, ils vont avertir leurs compagnons, ils portent des sacs pour le mettre après l’avoir dépecé, avec la peau : ils cachent les entrailles et tout ce qu’ils ne veulent pas emporter dans un trou qu’ils font en terre.
Si c’est la nuit, ils font comme les autres braconniers, ils détournent un cheval de voiturier, le chargent de l’animal tué, après l’avoir coupé par quartiers qu’ils attachent avec des barres, et renvoient le cheval le lendemain. Lorsque l’animal est à la loge, ils posent des sentinelles par crainte de surprise, et les autres le dépouillent. Ils mettent tout ce qui ne leur convient pas, comme la peau et les os, dans un fourneau ; si ce sont des charbonniers, ceux-ci le font brûler avec leur feu et le reste de la viande se met au saloir qui est en terre à quelque distance de la loge, pour servir au besoin. "
M.E.Pichon, La Thiérache, 1876

Un arrangement avec les gardes était souvent possible "... les gardes leur prêtent bien souvent des armes en leur défendant le menu gibier ; mais tout y passe, loups, renards, lièvres, lapins, etc... Il est vrai que les peaux de loup, de renard et les corps même sont remis au garde qui se fait honneur de cette capture que le seigneur lui paie et qui ne lui a rien coûté... ni peine, ni poudre, ni plomb. Avec l’argent des peaux on remplit le petit tonneau, et l’on se régale dans la loge avec quelque bon morceau de cerf ou de sanglier dont le garde a toujours sa part à emporter chez lui." M.E.Pichon, La Thiérache, 1876
D'après un témoignage oral que j'ai recueilli, à la Chapelle Rablais, nombre de petits paysans ou ouvriers agricoles braconnaient pour améliorer leur subsistance. Ils passaient des accords qui ressemblaient fort à du chantage auprès des gardes: "Si tu ne me laisses pas faire, je mets des collets bien visibles sur le passage de ton patron, et il s'en prendra à toi..."

Le fruit du braconnage se retrouvait quelquefois sur la table des rôtisseurs et autres "pâtissiers" plus spécialistes des tourtes à la viande que de l'éclair au chocolat. D'où des lois pour essayer de réglementer cette pratique: "des Rotisseurs, Patissiers, Revendeurs & autres recellateurs qui dudit menu peuple acheptoient lesdits Lievres, Perdrix & Herons pour les revendre à leur mot.
font très-expresses inhibitions & défenses à tous Marchands Forains, Patissiers, Rotisseurs & autre d'acheter, faire acheter, vendre & débiter aucunes bestes fauves rousses & noires, ni quartiers d'icelles, & ausdits Patissiers de les mettre en pâte, à peine de confiscation desdites bestes, venaisons & pâtez, & d'amende; sçavoir pour chaque Cerf, Biche ou Faon de Biche 250 liv. d'amende, & pour les Chevreuils, Sangliers & Marcassins, six-vingt livres d'amende; permettons néanmoins ausdits Patissiers de mettre en pâte la venaison qui leur fera apportée par personnes & gens à eux connus seulement... font aussi lesdits Juges pareilles inhibitions & défenses ausdits Marchands Forains, Rotisseurs, Lardeurs & autres, d'acheter, vendre, ni exposer aucuns Lievres & Perdrix, & aux Patissiers de les mettre en pâte; sçavoir, à l'égard des Lievres depuis le premier jour de Caresme de chacune année jusques au dernier Juin suivant, & à l'égard des Perdrix depuis le même temps jusqu'au dernier Juillet aussi de chacune année... "

Henry IV à Fontainebleau le 5 Janvier 1549
Arrest des Juges en dernier ressort sur le fait des Eaux & Forests, au Siege General de la Table de Marbre du Palais.
La Capitainerie dans les jardins de Fontainebleau