Champs ou forêts
?
5° page du dossier
La baisse de valeur des terres agricoles à la Chapelle Rablais à cause de la Capitainerie et le goût pour la chasse, que nous avons évoqués dans les pages précédentes, poussa les riches propriétaires à abandonner des terres agricoles pour les transformer en bois, agrandissant ainsi leur territoire de chasse. Ce n'était pas une si mauvaise affaire car une forêt était un bon placement pour celui qui possédait l'argent pour l'exploiter comme on l'a vu à la page consacrée aux marchands de bois du chapitre sur les voituriers thiérachiens.
Latour Maubourg, château des Moyeux | ||
Rihouet, château de Champbrûlé | ||
Trenet, maison forestière du Mée | ||
Putois, les Moulineaux, maire de Guignes | ||
Ségur, Vauvert, Delarue, tous hors commune | ||
Passez la souris sur les cartes |
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à gauche: grands propriétaires > Denis Toussaint Félix | ||
en bas: parcelles des petits propriétaires 1832 > 1913 |
Cette conversion de terres en bois ôtait de l'ouvrage aux nombreux manouvriers de la commune et n'en donnait pas encore aux bûcherons et autres travailleurs des forêts. Les voituriers en bois de la Thiérache avaient connu cette situation quand leurs terres avaient été converties en prairies. Cet "accourtillage" avait été l'une des causes de leur migration vers les forêts de Brie.
L'accourtillage dans le Hainaut, à la 28° page du dossier sur les voituriers thiérachiens
Les habitants de la Chapelle Rablais
protestèrent dès que la parole leur fut donnée : le
31 octobre 1789 ils adressèrent une lettre au Comité d'Agriculture
et du Commerce de l'Assemblée Nationale:
"Les principaux habitants de la Chapelle Arablay, près de Nangis
en Brie, élection de Montereau, supplient très humblement
Messieurs les vénérables membres de l'assemblée nationale
d'écouter favorablement leur supplique.
Depuis plusieurs années, différents propriétaires de
biens dépendant de notre paroisse laissent volontairement la plus
grande partie de leurs terres en friches et d'autres propriétaires
font planter une grande partie en bois. Comme une telle conduite est très
répréhensible, vu qu'elle est très préjudiciable
au bien général et qu'elle fait éprouver des torts
réels et des pertes sensibles à notre paroisse, les-dits habitants
osent supplier très instamment vos augustes personnes d'interposer
leur authorité et ordonner aux propriétaires des biens dépendant
de la Chapelle Arablay, de les faire valoir où de les louer à
un prix raisonnable et de leur défendre expressément de faire
planter leurs terres en bois, et vous ferez justice.
Rousseau, sindic; Cavillieu, Denis Toussaint Félix, Vourrel, Henri
Denis Félix, Lémaignan."
Archives Nationales F 10 284
La protestation des habitants de la Chapelle Rablais n'était pas isolée. Dans un village proche, le "cahier de plaintes, doléances et remontrances que font au Roy en l'assemblée des Etats Généraux les habitans de la paroisse d'Echoux Boulain" reflète les mêmes préoccupations: "… que les meilleurs biens de la ditte paroisse sont des bois considérables qui environnent de tous costés les terres, dans lesquels bois il se retire un grand nombre de bestes fauves et de gibier qui ravagent les moissons; que ces bois appartiennent à des personnes nobles ou privilégiés qui ne payent aucunnes impositions…"
"La cabale est bien certaine. Des habitans
des paroisses voisines en sont témoins. Ils sçavoient avant
l'assemblée qu'il n'y aurait aucun fermier dans la municipalité,
ils sçavoient même quels étaient les membres qui seraient
élus. D'ailleurs, un particulier de la paroisse en a donné avis
au Sr. curé par un billet conçu en ces termes: Mrs les bûcherons
ne veulent aucun laboureur dans leur municipalité. Ce billet a été
remis au Sr. curé dans la sacristie avant la messe, le jour de l'assemblée.
La première cause de la cabale est que les petits particuliers regardent
comme à eux les bois ecclésiastiques immenses qui environnent
la ditte paroisse, à cause du décret qui les met sous la sauve
garde des municipalités, et espèrent, en s'emparant des charges
municipales, continuer impunément les dégâts qu'ils y
ont fait cidevant et surtout cet hiver, malgré les reproches réitérés
que leur en a fait le Sr. curé dans ses prônes. Aussi ont-ils
nommé pour maire, un particulier qui est assigné deux fois à
la Justice du lieu pour dégâts de bois et qui l'an passé
a été condamné à cent livres d'amende et de frais
pour le même sujet et à restituer dudit bois. Ce particulier
a été aussi nommé président de l'assemblée;
plusieurs, tant des officiers municipaux que des notables, sont dans le même
cas."
lettre du curé Duparcq AN IV 62 n° 1878
pièce 10 citée dans Troubles électoraux à Echouboulains
en 1790 Gilbert-Robert DELAHAYE Extrait de Provins et sa région, n°
130 - 1976 Bulletin de la Société d'histoire et d'archéologie
de Provins 1977
Un bref épisode démocratique,
pendant la Révolution française, mit aux prises fermiers et
bûcherons, dans ce même village d'Echouboulains: "Mrs les
bûcherons ne veulent aucun laboureur dans leur municipalité."
Il est possible que des tensions entre les deux groupes se soient manifestées
dans les autres communes partagées entre terres et forêts, comme
la Chapelle Rablais, mais les traces n'en ont pas été conservées.
Avant, comme après la Révolution, les terres
étaient aux mains de riches propriétaires. A la Chapelle Rablais,
le cadastre de 1832 recense cent trente (très) petits propriétaires
et huit gros, qui ont autant de fermiers. Les champs des petits propriétaires
rayonnent autour des villages, après les jardins puis les vergers;
autour des Montils, ils suivent encore la structure en arête de poisson
liée au défrichement médiéval.
En passant la souris sur la carte, on fera apparaître les terres de
Denis Toussaint Félix, l'un des "principaux habitants de la
Chapelle Arablay, près de Nangis en Brie", assez aisé,
possédant un belle maison et qui fut maire; ses petits champs sont
dispersés autour du village, pour suivre la rotation des cultures
par assolement.
Dans le Conseil de 1834, on ne comptait qu'un seul manouvrier, Jacques Auxerre. Les autres conseillers étaient gardes particuliers: Jean Baptiste Leconte et François Amable Goyer; vigneron (le seul de cette commune humide) Jacques Saviard; artisan, le charron André Gambrelle; l'ancien maire, Denis Toussaint Félix; les autres étaient "cultivateurs" ce qui correspondait au "fermier" ou "laboureur" de l'ancien régime, chef d'exploitation agricole: Jean Louis Decornoy, Pierre Charles Jouin, Louis François Lisle, Nicolas Enguerrand qui ne savait signer, et Joseph Honoré Gervais. Sources: délibérations du conseil municipal & recensement 1836
Pour être électeur depuis la loi du 19 avril 1831, il fallait payer un impôt direct (le cens) supérieur à 200 francs et 500 francs pour être éligible.
Les riches propriétaires faisaient
rarement partie du Conseil municipal, leur résidence principale n'étant
pas la Chapelle Rablais. Just Charles César Faÿ Latour Maubourg,
châtelain des Moyeux fait exception: il a été nommé
maire, au changement de régime, en 1830, en remplacement de Denis Toussaint
Félix (qui conservait un mandat de conseiller). Mais "Charles"
Latour Maubourg n'avait pas été élu par les villageois;
il avait été nommé par le sous-préfet de Provins.
Si les bourgeois n'étaient pas au Conseil, leurs représentants
y figuraient: par exemple, comment Jean Louis Decornoy, fermier de Tourneboeuf
aurait-il pu s'opposer aux désirs du propriétaire de sa ferme,
le châtelain des Moyeux?
La volonté des possesseurs était d'exploiter au mieux leur domaine. En regoupant les terres, comme on le voit sur la carte, afin d'échapper à l'emprise des pratiques agricoles communautaires (assolement, vaine pâture...), en éliminant les petites fermes isolées pour ne garder que quelques grosses exploitations; en cultivant au mieux les terres agricoles et en délaissant les moins fertiles pour les convertir en bois.
Doc: les hameaux de la Chapelle Rablais
Les registres de délibérations et des arrêtés du Maire renferment de nombreuses demandes d'autorisation de planter en bois, rarement refusées.
Deux villages au centre de deux clairières.
Nous sommes revenus, sept cents ans après le défrichement,
à la situation initiale du Moyen Age. Leur nouvelle extension est
récente et mesurable comme l'indique le graphique des pourcentages
par rapport à la superficie totale de la commune, suivant d'ailleurs
une évolution du territoire boisé semblable pour la France:
25% au XVII° siècle, puis 15% au début du XIX° pour
connaître une remontée à 26% actuellement. dans
Duby, histoire de la France
D'un cadastre à l'autre, le nombre des possédants diminue, qu'il s'agisse des petits ou des gros. Les raisons de cette diminution ne sont pas les mêmes: départ pour les uns, concentration de la propriété pour les autres.
Ci contre: carte des petits propriétaires 1832 > 1913
L'emprise des grands propriétaires (en orange) passe de 71% du territoire à 88% le siècle suivant. le nombre des propriétaires de plus d'un hectare (en rouge) passera de 83 (sur 136 possédants) à 38 (sur 108). La part des résidents qui n'était que de 20% au cadastre de 1832 n'était plus que de 4% à celui de 1913.
Ci contre: un point représente un propriétaire;
à gauche, en 1832; à droite en 1913
Il a été possible de se rendre de la Chapelle à Nangis sans traverser de bois (carte de Cassini, fin XVIII°); la photo aérienne montre que ce n'est plus possible. On note par ailleurs la disparition de la plus grande partie de la Haye de Brie, entre Rampillon et Valjouan, vestige forestier médiéval.
Passez la souris sur la carte ci-dessous:
Les grands propriétaires du XIX° siècle
ont favorisé l'extension de la forêt, par souci de rentabilité,
mais aussi pour se préserver des terrains de chasse:
"Situé au centre d'une région
de grandes et belles chasses giboyeuses, les Moyeux est une des plus remarquables
entre toutes. On tuait et on tue chaque année: 4.000 lapins de garenne,
1.000 faisans, 250 lièvres, 600 perdreaux, 50 chevreuils, des cerfs
et des sangliers.
Le domaine est doté à cet effet d'une organisation bien comprise:
centres d'élevage de gibier, de repeuplement et postes de garde.
Le principal élevage, la faisanderie, est située à
proximité du château, juste à la limite du parc...
Un des avantages de la chasse des Moyeux réside dans le fait qu'elle
n'est pas isolée. Le domaine s'encastre en effet au milieu d'autres
domaines giboyeux. Voulez-vous connaître ces voisinages, en partant
du nord pour faire le vaste tour du propriétaire? La propriété
de Mme Chennevières; les Brûlis à M. Berseon, le domaine
des Bordes à M. Dutey Harispe, le domaine de Cotanson à M.
de Cernay, la forêt domaniale de St Germain Laval, les terres de la
ferme des Gargots à M. Touchart, la forêt domaniale de Villefermoy,
la propriété de M. Emile Tancelin, la propriété
de M. Le baron Hottinger. Non loin aussi est la célèbre chasse
de Bois Boudran."
Ainsi était décrite la chasse des Moyeux dans le catalogue
d'une vingtaine de pages pour sa vente, vers 1920. Encore
merci à Maurice Amatteis qui m'a donné une copie de la brochure.
Doc: l'intégralité de la brochure éditée en 1920 pour la vente des Moyeux.