Les voituriers par
terre /20
Marchands de bois
Si le petit peuple des champs et des bois tirait souvent le diable par
la queue, il n'en était pas de même des marchands de bois qui
faisaient travailler les voituriers thiérachiens. Avec les laboureurs,
ils constituaient l'aristocratie paysannne: "La
condition essentielle pour faire le métier de marchand de bois, par
vocation ou par occasion, c'est de posséder d'abondantes disponibilités.
L'exploitation des bois est rémunératrice, mais elle immobilise
d'importants capitaux pendant près d'une année, en attendant
que les bois séchés et véhiculés puissent être
mis en vente... l'exploitation des bois, encore plus que celle de la terre,
a déjà pris une allure nettement capitaliste. Elle est, par
sa nature même, réservée à ceux qui ont de l'argent."
Emile Mireaux: Une province française
au temps du Grand Roi: la Brie
Forêt de Barbeau, ventes de la manse abbatiale | ||
Forêt de Barbeau, réserves de la manse abbatiale | ||
Forêt de Barbeau, ventes de la manse conventuelle | ||
Forêt de Barbeau, réserves de la manse conventuelle | ||
Forêt Saint Germain, ventes | ||
Forêt Saint Germain, réserves |
Les marchands de bois étaient rarement propriétaires des forêts qu'ils exploitaient. Avant la Révolution, en Brie centrale, elles étaient le plus souvent la possession d'ordres religieux. L'actuelle forêt de Villefermoy appartenait à l'abbaye de Saint Germain des Prés de Paris, pour le massif sud, encore nommé Bois de Saint Germain, et pour le massif ouest à l'abbaye de Barbeaux. L'ancienne dénomination du bois était d'ailleurs "forest de Barbeau".
Possessions des institutions religieuses autour de Villefermoy
Un très bel atlas, déjà présenté
à la page des ports décrit les possessions de l'abbaye:
"Atlas général de la seigneurie, justice haute, moyenne
et basse de la prévôté de Ville Fermoy et ses dépendances,
des fiefs de la Charmée, le Jardin, Courpitois, les Equieuvres pars
en partie et de la terre et seigneurie de Barbeau Tennery, La Riotterie,
La Gringalletterie, les Grands Champs, la Chaumarderie, la Borde aux Moines,
la Forêt au Razoir, des Bois de la Forêt de Villefermoy ou le
Grand Barbeau, des Fermes du Danjoux, la Loge des prés, Moligny,
Champagne et autres lieux appartenant à la manse conventuelle de
l'abbaye royale de Barbeau, ordre et filiation de Cisteaux au diocèse
de Sens."
AD77, 101 H 28
Extrait de l'atlas de Barbeau 1774
"...Voulons que ... la quatrième partie au moins des bois dependans des Eveschez, Abbayes, Benefices, Commanderies & Communautez Ecclesiastiques, soit toujours en nature de fustaye..." Colbert prévoyait de réserver un quart de la superficie des forêts pour de grands arbres, destinés à la construction de vaisseaux de guerre. La construction navale nécessitait aussi des bois aux formes particulières, le "bois courbes". Les voituriers en bois courbe étaient sujets à de nombreux contrôles, que l'on peut découvrir dans un "Etat des courbes envoyées au chantier de Paris pour la construction des chaloupes canonnières par les officiers forestiers de l'Inspection de Fontainebleau" et autres documents. AD77 7 Mp 361
Doc: voituriers en bois courbe de la forêt de Fontainebleau
"Un quart de la forêt
destiné à croître en haute futaie, c’est à
dire destiné à être maintenu jusqu’à la
cent vingtième année.. (Détail amusant: 120
ans après 1669 nous amène en 1789 ) le
surplus est structuré en coupes ou ordinaires ou "ventes"
ou "triages". Ces termes sont synonymes et leur sens n’est
pas celui du langage usuel. Il désignent des compartiments ayant
la forme d’un rectangle allongé. Lorsque le dernier vient d’être
vidé de son peuplement, le premier va l’être bientôt...
Les peuplements sont exploités sur un mode cyclique qui favorise
la régénération..."
Dictionnaire de l'Ancien Régime , article Coupes, ordinaires, triages,
ventes, usances, révolutions p 351
Dans les coupes, l'ordonnance de 1669 prévoyait
de garder seize baliveaux par arpent, destinés à être
coupés tous les quarante ans, les "ventes" ne devant être
exploitées que tous les dix ans, ce qui n'était pas la tradition:
"Depuis toujours, l'usage s'était établi
de couper les bois taillis tous les neuf ans, soit de les louer pour neuf
années. Ce rythme subsista imperturbablement après comme avant
l'ordonnance de 1669." Emile Mireaux
Mais la baisse de rendement des taillis trop fréquemment abattus
allongea le rythme des coupes à la fin du XVII° siècle.
L'atlas de Barbeaux de 1774 montre une répartition sur vingt et une
"ventes", tant dans les bois des moines (34 arpents et 86 perches
chaque parcelle) que dans ceux de l'abbé ( 36 arpents 49 perches
14 pieds), soit un cycle de coupe étalé sur vingt et un ans,
ce qui était fort sage. A la fin du XVII° siècle, la vente
ou la location de la coupe d'un arpent de bois rapportait en moyenne 32
livres à ses propriétaires, sans compter l'exploitation des
baliveaux. A l'exploitant de débourser pour la coupe, la vidange,
le mesurage, les frais de transport et de manutention.... Chaque "Vente"
procurait un revenu d'environ 1.100 livres, tant à l'abbé
qu'aux moines, frais d'exploitation, coupe, transport et vente à
déduire.
Estimation des frais d'un marchand de bois dans Mireaux : Une province française
au temps du Grand Roi: la Brie
Chaque vente procurait un revenu d'environ 1.100 livres, tant à l'abbé
qu'aux moines.
Atlas de la forêt de Villefermoy 1774, agrandissement du montage,
description des cartes
Atlas de la forêt de Villefermoy 1774, exemple de carte: le Grand
Etang
Ce qui précède n'est qu'un exemple, tiré de sources locales, cela ne reflète pas la complexité de la gestion forestière que l'on peut deviner dans cet extrait de l'ordonnance de 1669: "forests, bois, buissons & garennes, assietes, ventes, coupes, délivrances & recollemens, mesures, façons, défrichement ou repeuplement de nos bois, & de ceux tenus en grurie, grairie, segrarie, tiers & danger, appanage, engagement, usufruit & par indivis, usages, communes, landes, marais, pastis, pâturages, panage, paisson, glandée, assiete, motion & changement de bornes & limites dans nos bois."
Les relations entre les travailleurs et les propriétaires des bois ont toujours été tendues. Les habitants de la paroisse d'Echouboulains, limitrophe de la Chapelle-Rablais, notaient, dans leur "Cahier de plaintes, doléances et remontrances que font au Roy en l'assemblée des Etats Généraux.. que les meilleurs biens de la ditte paroisse sont des bois considérables qui environnent de tous costés les terres, dans lesquels bois il se retire un grand nombre de bestes fauves et de gibier qui ravagent les moissons; que ces bois appartiennent à des personnes nobles ou privilégiés qui ne payent aucunnes impositions…"
Voir: la Chapelle Rablais dans la Capitainerie de Fontainebleau
Les cahiers de doléances de la Chapelle Rablais n'ont pas été conservés, cependant, le 31 octobre 1789: "Les principaux habitants de la Chapelle Arablay, près de Nangis en Brie, élection de Montereau, supplient très humblement Messieurs les vénérables membres de l'assemblée nationale d'écouter favorablement leur supplique: Depuis plusieurs années, différents propriétaires de biens dépendant de notre paroisse laissent volontairement la plus grande partie de leurs terres en friches et d'autres propriétaires font planter une grande partie en bois. Comme une telle conduite est très répréhensible, vu qu'elle est très préjudiciable au bien général et qu'elle fait éprouver des torts réels et des pertes sensibles à notre paroisse, les-dits habitants osent supplier très instamment vos augustes personnes d'interposer leur authorité et ordonner aux propriétaires des biens dépendant de la Chapelle Arablay, de les faire valoir où de les louer à un prix raisonnable et de leur défendre expressément de faire planter leurs terres en bois, et vous ferez justice." Archives Nationales F 10 284
Quelques jours après la supplique du syndic et des "principaux habitants de la Chapelle Arablay", le 2 novembre 1789, les biens du Clergé sont déclarés "Biens Nationaux", pour être vendus, suivis en 1792 des biens des émigrés. A la Chapelle Rablais, changèrent de mains:
Oh, oh, oh, Mon Cousin comme Diable vous voila
Que Diable avez vous fait de vos bois?
On me les a coupés, hé, hé, hé.
Ou bien Jean qui pleure et Jean qui rit.
Etienne Labarre, marchand de bois au Châtelet en Brie, faisant travailler
des Thiérachiens de forêt de Villefermoy, achèta le
28 mars 1801 à Jean François Philippot: 51 ares 14 ca de terres
labourables, puis en mai 14 ares 29 ca de terres labourables à François
George. minutes du notaire Pinault, le Châtelet
en Brie AD 77 227 E 105 Il avait aussi acquis des Biens Nationaux:
"La chapelle Sainte-Reine et les Trous des Carrières
(appelés ensuite Trous du Cimetière) devenus, par la loi du
4 novembre 1791, biens nationaux, ont été achetés par
Étienne Labarre, le 13 messidor An IV, au district de Melun qui lui
en a passé vente par deux actes séparés, le 30 pluviôse,
An V."
Notice historique sur le Châtelet en Brie
Zones d'ombre dans la vie d'Etienne Labarre, marchand de bois
Son confrère, François Gatien Champagne,
de Montereau, achèta cette même année 1801, 3 hectares,
43 ares, 77 ca de prés aux Ecrennes à Jacques François
Montaigu et 42 ares, 18 ca de prés à la Chapelle Gauthier
au lieu dit Pré au Roy à Jean Baptiste Bodson. AD
77 227 E 105
En 1803, il acquit deux maisons sur les trois que compte le petit hameau
des Trois Chevaux, pour y installer, non des bûcherons ou voituriers
en bois, mais des fermiers.
Les bois de Barbeau et de Saint Germain ne furent pas vendus mais entrèrent dans la "liste civile" pour devenir plus tard forêt domaniale de Villefermoy. Les premières années furent légèrement anarchiques et d'aucuns s'empressèrent de piller ce qui n'était pas trop activement gardé.
Voir plus loin: us et abus dans les bois
Voir plus loin: us et abus dans les bois sous la Révolution
Les bûcherons s'opposèrent aux fermiers pour la gestion des
municipalités: "La première cause
de la cabale est que les petits particuliers regardent comme à eux
les bois ecclésiastiques immenses qui environnent la ditte paroisse,
à cause du décret qui les met sous la sauve garde des municipalités,
et espèrent, en s'emparant des charges municipales, continuer impunément
les dégâts qu'ils y ont fait cidevant."
Gilbert-Robert Delahaye: troubles électoraux à Echouboulains
en 1790
"trois fiefs et seigneuries, huit maisons, dont une huilerie à la Sirène, les métairies de la Martinière et du Coudraye également appelée les Métairies, trois manoeuvreries aux Essarts et de nombreuses pièces de terres, bois, prés.." sont les propriétés acquises par le marchand de bois Marc Goudard entre 1736 et 1777 autour de Montargis, n'hésitant pas à acheter des petites fermes, les "manoeuvreries" pour agrandir ses terres, tout en laissant les bâtiments à l'abandon, "la conséquence de ceci fait que la taille, qui est un impôt royal, se répartit sur moins de familles ce qui augmente la part de chacun" d'où procès avec les habitants du lieu. Recherches de Frédéric Pige
D'autres marchands de bois ont laissé
des traces chez le notaire de la Chapelle Gauthier. Ils étaient marchands
de charbon de bois: "Le charbon de bois jouait,
à cette même date, un grand rôle dans la cuisine. Le fourneau
à charbon aujourd'hui si désuet, était le maître
des cuisines de nos pères; il y eut bien quelques essais de chauffage
à la tourbe, notamment à Paris en 1784. Mais ce combustible
ne réussit pas mieux que la houille à conquérir les sympathies
de la population habituée de longue date à l'emploi des excellents
charbons cuits près de Saint-Florentin ou sur les rives de l'Armançon."
Fromageot
C'est justement de la région de Saint Florentin que proviennent
les charbonniers que l'on retrouve dans les villages alentour Villefermoy:
Jacques Badier, originaire de Chailley qui décède en 1815 à
la Chapelle Gauthier; les membres de la famille Fourrey, originaires de Chailley,
Arces et autres villages autour de la forêt d'Othe et qui s'installeront
aux Montils, charbonniers et marchands forains de bagues miraculeuses.
Citons encore Edme Joseph Gras, charbonnier cuiseur, demeurant au Ruet,
commune de "Vernizy", mandataire
d'un marchand de charbon de bois, découvert dans un autre acte du
notaire Tartarin en 1820; François Henry Casimir Michault, charbonnier
de Venizy qui décède chez Véronique Fouet, veuve de
Louis Bailly à la Chapelle Gauthier, en 1815; en 1776 décède
Toussaint Pouillot âgé de treize ans, "fils
mineur de Jean Pouillot charbonnier et d'Edmée Pouillot ses père
et mère demeurant ordinairement à Chaillé paroisse
de Venizi diocèse de Sens... ont assité au convoi son sudit
père et Nicolas Chevallier maître d'école de cette paroisse.";
Marie François Heurpeaux de Venizy
ou Chailley, fils de voiturier, charbonnier de l'Yonne qui se marie en Brie
en 1778, comme en 1775 "Jacques René
Prestat âgé d'environ trente deux ans fils majeur de défunt
René Prestat et Edmée Matthieu ses père et mère
de la paroisse de Chailley succursale de Venizy diocèse de Sens élection
de Joigny, ledit Jacques Prestat charbonnier se retirant dans cette paroisse
depuis deux à trois ans", épousant
Marie François Roubault... furent témoins, deux autres charbonniers:
Jean et Savinien Simonnet.
Antoine Labarre, père d'Etienne, originaire de l'Yonne, se livrait
au commerce du charbon, comme à celui du bois: 1761
"Transaction entre Jérôme Lepère (père),
voiturier par eau de Corbeil et Antoine Labarre, dit Maurice, marchand de
bois, paroisse Saint Paul, Paris concernant trois bateaux de charbon (de
bois)" Base Arno
Doc: Traces des charbonniers et marchands de charbon de bois en forêt de Villefermoy
Accompagnant les charbonniers, on trouve leurs
patrons, les marchands de charbon de bois, eux aussi originaires de la forêt
d'Othe. Ils négocient l'achat de "bois à charbon"
dans les "ventes", auprès des propriétaires. En
1817, Jean François Renvoyé, lui aussi de Chailley, négocie,
à la Chapelle Gauthier, deux cent cinquante cordes auprès
de "Monsieur André Etienne Antoine
Chabenat de Bonneuil, propriétaire à Paris rue de Hanovre
numéro cinq... moyennant trois mille cinq cents francs à raison
de quatorze francs la corde. Obliger le commettant de payer le prix ci dessus
au domicile de la dame veuve Bazin, marchande de bois à Vaugirard
près Paris... (quatre billets à ordre) ... consentir que la
cuisson ne commence qu'après l'acceptation des billets..."
Puis, en 1820, Jean François Renvoyé mandate "Edme
Joseph Gras garçon majeur, charbonnier cuiseur, demeurant au Ruey,
commune de Vernizy... pour lui et en son nom acheter soit des sieurs Claude
Méry Chertemps, cultivateur demeurant en la ferme de Montjay, commune
de Bombon et Jacques Louis Rogue, cultivateur demeurant aux Frileux commune
de Blandy et tous autres dans l'étendue du département de
Seine et Marne, tous bois charbons à vendre en la présente
année, pour être cuits en la présente année et
notamment desdits Chertemps et Rogue tout le bois charbon et le brigot d'une
vente sise à la Pivoiserie terroir et commune de Saint Méry,
canton de Mormant, de la contenance de dix neuf hectares (quarante cinq
arpents) environ et tout le bois charbon d'une remise dite le Bellay, située
mêmes terroir et commune..."
AD77 273 E 40 minutes du notaire Tartarin, la Chapelle Gauthier
Jean François Renvoyé disposait
de plusieurs milliers de francs pour mener à bien ses transactions,
mais ne savait même pas signer "Ledit
sieur Renvoyé a déclaré ne savoir écrire ni
signer"
En 1817, auprès du même notaire, chez le même aubergiste,
le sieur Louis Charles Devin qui faisait quelquefois fonction de mandataire,
un autre marchand de charbon de bois -toujours de Chailley- signait une
reconnaissance de dette: "six mille francs pour
prêt avances que ledit Paget reconnaît lui avoir été
faites par M. Delavillarmois pour faciliter son commerce de marchand de
charbon... laquelle somme ... s'oblige de rendre et payer à mondit
sieur Delavillarmois en sa demeure au château de la Chapelle Gauthier..."
et pour sûreté, hypothèque ses biens à Chailley
et Venizy.
On est bien loin de la fortune et des prétentions sociales des grands
marchands de bois!
Sous Louis XIV : "L'exercice de la profession est libre, qu'il s'agisse des marchands bourgeois résidant à Paris ou des marchands forains, ceux du plat pays. Ce sont de véritables entrepreneurs qui exploitent, transportent et vendent. Ils sont tenus toutefois de vendre en personne "ou par leurs gens": point de commissionnaire pour éviter les frais superflus. Ils ne peuvent "faire aucunes associations secrètes". Les adjudicataires des coupes dans les forêts royales ne peuvent avoir plus de trois associés, dont ils sont tenus de donner les noms au greffe de la maîtrise. Si l'exercice de la profession est libre, elle est toutefois interdite à certaines catégories de personnes: aux ecclésiastiques, gentilshommes, officiers, magistrats de police et de finances, ainsi qu'aux officiers des forêts et chasses royales, à leurs enfants, gendres, frères, beaux-frères, oncles, neveux et cousins germains." Emile Mireaux
Condition première pour être
marchand de bois: être fortuné: le commerce de bois immobilise
des capitaux pendant le temps de l'exploitation des parcelles. Deux ans étaient
prévus, sous François Premier: "la
première année pour abbatre & façonner, & la
seconde pour en faire sortir le bois & le conduire sur les ports, &
que tous les bois qui se trouveroient appartenans aux Marchands dans les forêts
après ce delay passé, seroient confisquez au profit du Roy,
ou des Seigneurs Hauts-Justiciers." Traité
de la Police Sous le Roi Soleil, "la coupe
et le façonnage commencent à la fin de l'automne et se prolongent
jusqu'au milieu d'avril, parfois jusqu'à la mi-mai. La vidange doit
être terminée à la Saint-Remi, le 1er octobre." Mireaux
Il faut aussi savoir gérer des équipes, tant sur les exploitations
que sur les lieux de vente: "Vous serez marchand
de bois ... Voyons Paris, il vous y faudra louer un chantier, payer patente
et des impositions, payer les droits de navigation, ceux d'octroi, faire les
frais de débardage et de mise en pile, enfin avoir un agent comptable.."
Balzac: Les Paysans Par contre, les
revenus ne dépendent pas des aléas climatiques, comme pour les
laboureurs, à la merci d'une sécheresse, d'une gelée,
d'un orage...
En capitalistes avisés, les marchands
de bois savent rentabiliser leurs affaires. Pour ne rester que dans le cadre
des voituriers acheminant le bois des forêts aux ports, les marchands
ont préféré employer des étrangers au pays plutôt
que la main d'oeuvre locale qui aurait été plus à même
de s'organiser. D'où les protestations des paysans que les Thiérachiens
et les galvachers privent de labeur, en cassant les prix: "Quant
à la difficulté des charrois, les Thiérachiens, les Bourguignons
qui font cent lieues pour venir avec leurs boeufs débarder nos ventes
de bois à la barbe des Laboureurs, démontrent assez que le préjugé
seul peut combattre ici la vérité." Vues
patriotiques d'un laboureur
"... en payant des voitures ordinaires ce qu'il convient, on n'en manquera
jamais, ni les marchandises n'en seront pas plus chères, étant
bien notoire que les marchands qui emploient d'autres voituriers que ceux-là,
ne vendent pas à plus haut prix que ceux qui s'en servent. Ce n'est
donc que pour faire le bénéfice de quelques marchands qu'on
a sollicité et surpris au Roi une pareille autorisation (lettres patentes
autorisant la pâture); mais pour enrichir ces particuliers, personne
n'a pouvoir de mettre propriété d'autrui à contribution."
Cahier de doléances de Chelles
François Gatien Champagne, 1761/1805,
était marchand de bois à Montereau "Du
citoyen Champagne, marchand de bois à Montereau... pour charrois de
bois savoir quatorze cordes de grands bois rendus au port de Barbeau.."inventaire
Dupin
Outre les "ventes" qu'il exploitait à Villefermoy, les maisons
et parcelles qu'il acquérait, il avait hérité de son
père, boucher à Montereau, des bois dans la forêt de Valence
et de terres à Tavers, où se trouve le lieu dit "la Tirache",
comme on l'a vu à la page précédente.
la Tirache, Tavers, bois de Valence
Doc: Traces des marchands de bois
Simon Joseph Champagne avait aussi acquis "le
domaine de Coutençon sur lequel se trouvait la ferme de la Briolle,
ancien château fortifié à présent détruit
dont le nom fut adopté par la descendance." amelleh
sur Geneanet Le père du marchand de
bois tentait, en achetant un fief, de changer d'état pour accéder
à la noblesse, comme le fit aussi Etienne Labarre à Bois Louis:
en 1788, il signait "Labarre de Bois
Louis... en son fief du Bois Louis situé en cette paroisse",
mais pendant la Révolution, en 1790 Etienne revint à un simple
"Labarre"! Etat civil du Châtelet
Ils essaient de quitter le Tiers Etat non seulement pour le prestige, mais
aussi pour les privilèges associés. Ainsi Marc Goudard, marchand
de bois à Auxerre veut-il être
"privilégié" et ceci vaudra aussi pour sa descendance.
Il veut être affranchi de droits et ne plus payer que la capitation,
que la noblesse paye aussi, mais avec un rabais."
Il s'engage à payer des seaux goudronnés et leurs crochets,
destinés à lutter contre les incendies dans sa ville, en contre
partie, demande "l’exemption d’ustancils,
subsistance, logement des gens de guerre, guet, garde, collecte [...], et
la protection de votre grandeur pour être taxé à la
somme de 6 livres pour sa capitation pour chaque année dont il ne
paye actuellement que la somme de 25 livres." Frédéric
Pige
Etienne Labarre était aussi administrateur
départemental et juge de paix, sous la Révolution, ce qui lui
permit d'user de son influence pour tenter de châtier ceux qui empiétaient
sur son commerce; il demanda la création d'une brigade de gendarmerie
au Châtelet en Brie, qui aurait été bien utile pour surveiller
les forêts qu'il exploitait:
"7 février 1792 Comme confrère,
comme Juge de paix et principallement comme ami de l'ordre, je vous préviens
qu'il se commet dans mon canton des délits affreux, qui finiront, si
l'on n'y met ordre, par avoir les conséquences les plus funestes; les
bois nationaux sont entièrement dévastés, en beaucoup
d'endroits, dans les coupes d'un an et deux ans, les souches sont arrachées,
à ce mal j'en vois succéder un autre non moins grand, les particuliers
circonvoisins y mettent paître leurs troupeaux, de manière qu'il
y a lieu de croire qu'il n'y poussera jamais de bois, je vous cite, Messieurs,
pour exemple la forêt de Vilfermoy; les bois des particuliers situés
près des villages commencent aussi à être fort endommagés
et les citoyens lésés n'osent se plaindre, intimidés
par les mal intentionnés qui en imposent, parcequ'ils ne sont point
réprimés, ce qu'il est cependant bien facile de faire, n'étant
pas en aussi grand nombre qu'on se l'imagine; des citoyens sont assassinés
pour ainsi dire en ma présence, sans que je puisse faire aucun exemple;
ce n'est pas que je manque de fermeté ni que j'autorise le vice, celà
n'est pas dans mes principes, mais que je manque des moyens nécessaires
pour faire exécuter la loi. ... pour que nous ayons enfin une brigade
au Châtelet et si ce minystre ne fait pas son devoir, dénoncez-le
à l'assemblée nationale, pour le lui faire faire: sous le règne
des lois, quand on a la raison et la justice pour soi, on peut parler sans
crainte, ce sont là les droits de l'homme libre dans lesquels je mourrai."
AD77 L 396
A Montereau, Pierre Nicolas Préau,
maire de la commune, surveillait lui aussi les trafics de bois; son expérience
de marchand de bois lui permettait, indiquait-il, de découvrir la provenance
de bûches frauduleuses:
"Ce jourd'hui, vendredi premier juin mil sept cent quatre vingt douze
sept heures du matin, nous, Pierre Nicolas Préau Maire de Montereau
Fault Yonne y demeurant, ayant été instruit que par une suite
des délits et brigandages qui se commettent journellement depuis plusieurs
années dans les forest et bois voisins, et notamment dans ceux de Vallence
et de Boulains, il arrive fréquemment à Montereau des voitures
chargées du bois provenant de ces vols et pillages; que notamment il
est arrivé hier matin deux voitures et de deux pareilles voitures viennent
encore à l'instant de passer, qu'ayant fait examiner le lieu où
ces deux dernières voitures se déchargent, il a appris que c'étoit
chez le sieur Bertin, aubergiste rue de la Poterie à l'auberge Saint
Nicolas.
Examen par nous fait de la qualité et grain dudit bois, nous avons
par nos connaissances particulières, et presque certaines reconnu que
ledit bois provient des bois de la forest de Saint Germain appartenant à
la Nation comme dépendant de la ci-devant abbaye de Saint Germain des
Prés."AD77 L 396
Voir plus loin: us et abus dans les bois
Voir plus loin: us et abus dans les bois sous la Révolution
La puissance financière et la position
sociale des marchands de bois pour la provision de Paris ont dû être
à l'origine de privilèges destinés à leurs employés,
les Thiérachiens, car on imagine mal comment ces pauvres voituriers
semi-étrangers auraient pu influencer le Roi pour qu'il leur accorde
ces lettres patentes: "Louis, etc. Par arrêt
cejourd'hui rendu en notre conseil d'état, nous y étant, et
pour les causes y contenues, nous aurions, en confirmant aux voituriers connus
sous le nom Thiérachiens la faculté dont ils ont ci- devant
joui de faire paître leurs chevaux et bœufs dans les communes,
prés fauchés, bruyères..."
Faut-il voir aussi l'influence des marchands de bois dans cette réquisition
de tous les partenaires de la Provision de bois pour Paris, qui les obligeait
à délaisser les travaux agricoles -eux aussi indispensables
en ces temps de disette- pour revenir à leurs fonctions premières?
décret du 8 ventôse an III AD 77 L372
Les marchands de bois étaient rarement propriétaires des forêts qu'ils exploitaient. Avant la Révolution, en Brie centrale, elles étaient le plus souvent la possession d'ordres religieux. L'actuelle forêt de Villefermoy appartenait à l'abbaye de Saint Germain des Prés de Paris, pour le massif sud, encore nommé Bois de Saint Germain, et pour le massif ouest à l'abbaye de Barbeaux. L'ancienne dénomination du bois était d'ailleurs "forest de Barbeau".
Possessions des institutions religieuses autour de Villefermoy
S'il se trouvait bien quelques petits marchands de bois, les coupes les
plus importantes étaient encore aux mains de notables, influents
et plus qu'aisés. A la fin du XIX° siècle, un entrefilet
dans un journal local révèle un marchand de bois dont la notice
biographique montre bien qu'en un siècle, la situation n'avait guère
changé depuis la période révolutionnaire :
La Chapelle Rablais. "Ne trouvant pas leur salaire
suffisamment rémunérateur, les bûcherons de la coupe
des Moyeux viennent de se mettre en grève. L'exploitation appartient
à M. Ouvré, marchand de bois à Paris, conseiller général
de Seine et Marne." 14 avril 1889 Journal
de Seine et Marne
Né en 1852, André Félix Ouvré faisait partie d'une dynastie de notables, tant Parisiens que Seine et Marnais, fils d'un marchand de bois, petit fils d'un juge au tribunal de commerce de la Seine... Six Ouvré furent conseillers généraux du canton de Château Landon sur les douze mandatures de 1833 à 2015. André Félix fut aussi maire de cette ville de 1871 à 1878. Industriel (il fonda la sucrerie de Souppes sur Loing, toujours dans la famille) et marchand de bois, il était aussi président de la chambre syndicale des marchands de bois à brûler de Paris et de la banlieue, en plus d'une douzaine de titres et fonctions: "Exploitation dans les forêts de l'Etat et bois de particuliers dans plusieurs départements. Très importantes cultures dans Seine et Marne. Usines de Souppes, sucrerie, distillerie. Occupe continuellement 2.500 à 3.000 ouvriers et pour les deux tiers au moins en Seine et Marne" Base Léonore notice L2029009
Doc : André Félix Ouvré, marchand de bois à Villefermoy et plus encore...
Fils d'un manouvrier de Moigny sur Ecole, Nicolas Véron père
commença comme "chartier de vacation" dans une ferme à
Nandy, l'un de ces modestes meneurs d'attelages qui devaient s'arrêter
de manger quand le premier charretier pliait son couteau, comme l'avait
vécu l'un de mes grands-pères. Il y épousa la fille
d'un manouvrier, puis se fixa à Chailly en Bière, garde des
bois de M. de Boismont, en 1755 à la naissance de Nicolas Martin;
garde des bois de M. Chiquet de la Perrière, seigneur de Chailly
à la naissance de Paul en 1757; il était homme d'affaires
de M. de Palerme à son décès en 1780.
Nicolas Martin, le marchand de bois cité dans l'acte de 1789, fut
régisseur de la terre de Faÿ, hameau de Chailly en Bière
en 1780 et 1786, laboureur en 1781, et marchand de bois de 1789 jusqu'à
son décès en 1804.
Les Véron sont un bel exemple d'ascension sociale, de simple charretier,
le père fut ensuite garde de bois seigneuriaux, puis gagna la confiance
d'un propriétaire "homme d'affaires de M. de Palerme",
possédait-il, en plus du fief de "Maison Rouge" près
de Ponthierry, la ferme de Faÿ dont le fils fut régisseur et
laboureur, ce qui, à l'époque, signifiait que le fermier possédait
le matériel de culture et quelquefois le cheptel, donc était
suffisamment aisé. Puis il fut marchand de bois, ce qui nécessitait
aussi des capitaux. Si la Révolution n'avait pas changé l'ordre
établi, peut-être un de ses fils aurait-il développé
l'entreprise et aurait, lui aussi, cédé à la tentation
de détenir un fief, un titre... Véron de Faÿ, pourquoi
pas?
D'autres marchands de bois aux ambitions certainement modestes ont été découverts, pour certains, à partir de la biographie de Martin Nicolas Véron. Julien Chevry, son garde-vente en 1789 fut au service d'un autre marchand de bois quelques années auparavant: Jean Louis Simon fut parrain, et son épouse marraine, d'un fils de Julien Chevry, prénommé lui aussi Julien; Simon se déclarait marchand de bois. Dans d'autres actes, il est maçon et couvreur...
A Faÿ, hameau de Chailly en Bière, où Martin Véron fut marchand de bois jusqu'en 1804, le recensement de 1836 fait apparaître un autre marchand de bois : Jacques Antoine Crenier qui fut successivement berger à son mariage en 1823, manouvrier en 1828 et 1831, marchand de bois en 1833 et en 1836, cultivateur en 1848 et de nouveau manouvrier à son décès en 1874. Il est probable que ce n'était qu'un marchand de bois local, le pécule qu'un berger aurait pu amasser étant loin d'être suffisant pour envisager un investissement important.
Léon Nicolas, garde-vente à son mariage en 1891, était marchand de bois au recensement de 1911 à la Chapelle Gauthier... D'autres sont encore à découvrir...