La vie retrouvée
des voituriers tirachiens / 21
Tirachiens et galvachers
Moi dit l’un, j’ai d’un coup de mon fameux
Bâton
Etendu raide mort, "Bien-Aimé le Breton"
En le voyant tomber, son proche camarade
Ignorant si du flanc je connais la parade
Me porte un coup de bout qui m’effleure la peau
J’y riposte, et le mien lui brisa son chapeau...
Furieux de n’avoir pu lui fendre le crâne… je saisis une
pierre…
Ce coup me réussit, je le frappe à la tempe
En le voyant tomber, aussitôt je décampe.
Conseils d'un vieux compagnon à son fils prêt à partir pour le Tour de France 1840
Quand des érudits ont cherché
une étymologie à ce sobriquet donné par des paysans,
cela a donné lieu à bien des interprétations, depuis
le simpliste gars-vacher (cow-boy, pour tout dire, pourquoi pas Gaucho?) jusqu'au
nationaliste qui, rapprochant "gal" de Gaulois fait remonter ce
surnom à la plus haute antiquité: "vacher
gaulois, indice perpétuel de la vénération des Indoux,
et par suite des Gaulois envers les vaches, et qui donna naissance à
une foule de réglements, à ce point même qu'on porta des
peines sévères contre les voleurs de bouse." Essai
d'un vocabulaire celto-kymrique.
Il est bien rare qu'un surnom donné à un étranger au
"pays" soit tendre et affectueux: "Le
mot n’est pas d’origine morvandelle, mais berrichonne: galvache
est une déformation de "galouache" ou "galouage",
le fait de "courir les chemins". En fait, il s’agit bien de
termes péjoratifs au départ." Claude
Régnier "La galvache implique l’idée
d’une vie errante et relâchée".... "galvachou",
"coureur de grands chemins, vagabond" Eugène
de Chambure
Dans le Morvan, "pays
sauvage où neige et glace sévissent communément six mois
par an, où la justice craint le paysan et où le paysan ne craint
que le diable...", le paysan était devenu artiste dans
le dressage des boeufs "à l'origine, des
barrés à l'échine rayée de blanc et aux cornes
pointues, vestiges de l'ancienne race rouge morvandelle aujourd'hui totalement
disparue" qu'il attelait à la "çarotte"
à deux roues, puis au char à quatre roues, pour parcourir les
chemins tortueux.
Citations: sites de Lorme et Anost
Ce petit texte a servi de base à une fresque réalisée
à Moulins-Engilbert sur le mur du musée de l’élevage,
qui a remporté le prix du public dans le cadre du festival «
Faites le mur » (septembre 2014)
Premier départ du foyer, le jeune
Morvandiau peut être "toucheur de boeufs", il convoie les
animaux de boucherie jusqu'aux marchés de Sceaux ou de Poissy:
"On lui confie alors quatorze animaux non liés,
qu'il doit convoyer aidé de son chien, en évitant les villes,
les bourgs et même les écarts proches de ces derniers, couchant
à la belle étoile par tous les temps, ayant des provisions de
bouche pour douze journées." site
d'Anost
Comme les Thiérachiens, les toucheurs de boeufs pour Paris bénéficièrent
de passe-droits pour la pâture des bêtes migrantes.
Enfants gardiens de vaches, adolescents laboureurs ou meneurs de troupeaux, à l'âge adulte, certains Morvandiaux choisirent de quitter le pays la moitié de l'année pour tenter l'aventure de la Galvache.
Les documents ne permettent pas de faire ressortir une constante, comme les dates de départ et retour révélées par les passeports pour l'intérieur de la Chapelle Rablais. Au contraire d'autres migrants, les maçons de la Creuse, qui les demandaient au printemps puis à l'automne, les voituriers les sollicitaient n'importe quel mois de l'année.
Chère Fanchon, assuie tas yeux,
Voichi le moument des r’aidieux,
Ailons, mai belle,
Aidoucis ton chaigrin,
Souais-mouai fidèle
Jusqu’ai lai Saint-Martin...
"Une fois arrivés,
après de longues journées d'une marche forcée, ils
louaient un pré pour mettre leurs animaux et pour le reste, travaillaient
sans trêve ni repos, dormant dans la hutte du charbonnier ou sous
le chariot, solitaires mais jamais oubliés par ceux qu'ils avaient
laissés. Du lever du soleil à son coucher, ils chargeaient
le bois de moulée, débardaient les billes, les grumes et les
billots, jusqu'à des troncs énormes que personne n'aurait
pu transporter, puis leur chantier achevé, alors que la forêt
d'automne rougissait de nouveau, ils prenaient le chemin de leurs huis lointains,
cheminant devant leurs rougeauds. Pendant la longue absence des hommes,
les femmes, les vieux et les enfants assuraient les récoltes de la
belle saison, soignant les animaux restant, préparant l'hivernage,
portant à bout de bras et de courage, l'avenir incertain de la maison."
musée des Galvachers Anost
Les galvachers ne charriaient pas que du bois: "ces charretiers morvandiaux transportèrent tout ce qui put être chargé; des pavés de granit pour les grandes percées parisiennes du baron Hausmann, aux vins de Bourgogne, en passant par les pierres meulières des banlieues, sans oublier les éléments nécessaires à la construction des voies de ce chemin de fer qui, un jour prochain, mettrait à mal cette pratique ancestrale." musée des Galvachers Anost
"Si l’on en juge par les témoignages des enfants ou des descendants, une chose paraît claire : on a gagné de l’argent. Aujourd’hui, les photos, les maisons, les propriétés sont là pour l’attester. Bien sûr, on n’a pas fait fortune. Mais par rapport à ceux restés au pays, on a pu se permettre des dépenses qui n’auraient jamais été possibles sans cet apport d’argent." site lemorvandiaupat
"Bien peu y font fortune; beaucoup
même y ont mangé leur petite aisance et auraient mieux fait de
rester cultiver leurs terres mais une fois endurcis à ce métier,
les charretiers n’ont plus de goût à la culture. Il n’est
pas difficile d’être galvacher il suffit d’acheter deux
ou trois paires de bœufs à crédit, de faire construire
un ou deux chariots et d’aller entreprendre de l’ouvrage. A la
Saint Martin, on revend les bœufs avec deux ou trois cents francs de
perte par paire; il faut aussi payer pâture, foin, charron, maréchal,
boulanger; et si le charretier a quelques centaines de francs de bénéfice,
il s’estime très heureux."
Jean Simon, instituteur et maire de Lavaut de Frétoy
1883
"Les bœufs
se révèlent moins rentables que les chevaux dans les contrées
marécageuses, mais sont plus sensibles aux épizooties et à
l’humidité. Leur vitesse de déplacement est moindre (4
à 5 lieues par jour), leur ferrage lent et difficile. Enfin, un huitième
des animaux est hors service après 8 à 10 jours de marche en
convoi. La conclusion est donc sans appel: "Il paroît certain que
ces équipages ne pourroient convenir au service des corps d’armée
et des divisions actives et que l’on ne pourroit les employer qu’au
transport des denrées sur les derrières de l’armée."
Le cheval dans la Grande Armée
Cheval ou boeuf, à chacun sa spécialité,
quoiqu'on ait vu de curieux attelages mêlant l'un et l'autre. Les Tirachiens
préféraient le cheval, mais des boeutiers fréquentaient
les mêmes chemins: "une auberge avec écuries,
servant d'arrêt aux beutiers et aux tire-à-chiens qui y prenaient
leur repas de midi et y faisaient également manger leurs bœufs,
chevaux, mulets et ânes." auberge
du Petit Châtelet
"Partout où le tirage des boeufs
est isolé, leur service d'entremêle fort bien avec celui des
chevaux. Il est commun de voir, de cette manière, un cheval et un boeuf
attelés ensemble; ils se conviennent très bien. Quelquefois
le boeuf détourne sa tête, et va avec ses longues cornes heurter
le museau du cheval; celui-ci ne s'en émeut point. La queue du boeuf,
en s'agitant, va chasser quelquefois les mouches de son voisin; celle du cheval
lui rend bientôt le même service. Le cavalier, monté sur
le cheval, fouette tantôt le cheval, tantôt le boeuf: tout s'arrange
à merveille. J'ai ri quelquefois, en me rappelant avec quelle niaise
solennité on a fait des expériences en Angleterre sur le pas
du boeuf et sur celui du cheval. Que ces messieurs viennent en Allemagne,
il y verront à tout moment, soit dans les champs, soit sur le routes,
le cheval et le boeuf marcher l'un à côté de l'autre au
même pas." Le Cultivateur, journal
de l’industrie agricole 1829
En 1874, l'abbé Henry émit
l'hypothèse que les chevaux allaient succéder aux boeufs: "Cette
spéculation a beaucoup perdu dans l'esprit du pays et ne tardera pas
à être abandonnée parce que les routes qui sillonnent
aujourd'hui les forêts permettent aux chevaux de faire un service que
jusqu'alors les boeufs, par leur patience, pouvaient seuls exécuter."
L'abbé était certainement meilleur prêtre et historien
que forestier car le cheval ne remplaça pas le boeuf et ceux que j'ai
vu travailler se passaient bien de routes pour débarder. abbé
V.B. HENRY, curé de Quarré les Tombes