Les chauffeurs
de pâturons
"L'an cinq de la République française, le 20 floréal,
onze heures du matin, nous avons été informés que la
nuit dernière un assassinat horrible avait été commis
à la ferme de la Hotte, dépendance de cette commune. Nous
nous sommes en conséquence transporté audit lieu où
nous avons reconnu la réalité de ce crime atroce et nous y
avons trouvé six personnées égorgées.
Après avoir examiné ces malheureuses victimes, nous y avons
reconnu:
1° la citoyenne veuve Gilles Nicolas, âgée de soixante huit ans, fermière à ladite ferme, ayant les bras liés ainsi que les jambes, les yeux bandés, les pieds, les jambes et les cuisses brûlées au point que la peau des jambes en est ravalée.
2° avons pareillement reconnu les nommés Pierre Joseph Legendre, neveu et charretier de ladite veuve, jeune garçon fort et vigoureux, âgé de trente ans environ, natif de Bellefontaine, sur lequel nous avons observé que les mains étant liées derrière le dos, étaient dépouillées des chairs à ces ligatures, jusqu'aux os ce qui annonçait qu'il avait probablement fait des efforts considérables pour aller au secours de sa tante.
3° Jacques Brailly, garçon, âgé de soixante douze ans, en pension chez cette veuve, natif d'Hocquincourt en Picardie.
4° Marie Louise Berry, servante de ladite veuve, native de Bussy Saint Georges, près Lagny.
5° Dominique Mangin, âgé de trente sept ans, cordonnier comme ambulant, natif d'Ypécourt (Meuse), se retirant ordinairement à PontCarré et couché cette nuit, en passant, dans cette ferme où il était connu.
6° Michel Carré (Callet), vacher de ladite veuve, natif de Paris, âgé d'environ cinquante quatre ans.
Nous n'avons pu sur le champ avoir d'autres renseignements.
La servante était étendue au bas de l'escalier du grenier;
le pensionnaire était blotti au pied de son lit, et les quatre autres
étaient l'un sur l'autre dans la cave ou le cellier. Tous les pieds
liés, les bras derrière le dos, les yeux bandés et
le cou coupé.
Nous avons aperçu sur la table de la cuisine un rasoir et un mauvais
couteau, tout ensanglantés. Les voisins disent que le rasoir appartenait
au pensionnaire et le couteau à la servante.
Enfin les assassins n'ont laissé personne de vivant dans la ferme.
Ils ont volé le linge, les habits et autres effets, ont emmené
quatre bons chevaux qu'ils ont garni de selles cavalières.
Avons observé après divers renseignements que ces scélérats
ont dirigé leurs pas vers Paris.
An cinq de la République, 30 pluviôse.
La femme Jean Baptiste Pichard déclare
que le samedi 30 pluviôse an cinq vers dix ou onze heures du soir on
avait frappé à la porte de sa maison à diverses reprises
que le lendemain, on était de nouveau venu frapper à la porte
donnant sur le jardin vers deux heures du matin que l'on avait essayé
d'enlever les portes, que bien qu'elle ne connût pas les individus,
elle crut reconnaître la voix d'un d'entre eux qui habitait Favières
et qui passait pour faire partie de la bande des chauffeurs.
On dit que ces brigands frappaient principalement les populations solitaires,
les paysans et les acquéreurs des biens nationaux.
Bien des villages ont payé leur
tribut à ces assassins.
Les parents dont les enfants étaient aux armées leur écrivaient:
"La désolation et la crainte prennent tous nos instants, chaque
nuit, on entend le chauffeur qui ricane et frappe au volet."
On se confiait volontiers timidement certains noms de paysans que l'on soupçonnait faire partie de cette association.
L'an cinq de la République française, un crime horrible fut commis à la ferme de la Hotte, à Favières, Seine et Marne, par des "chauffeurs", bande de brigands composée de prisonniers libérés, de déserteurs et du rebut des armées républicaines.
Une version romancée de ces événements est parue dans "La chasse et les chasseurs" par Léon Bertrand , 1862 dans un chapitre consacré aux chasses du baron Rotschild, nouvel acquéreur de la ferme. On notera avec amusement, entre deux effrois vampiresques, l'augmentation du nombre des victimes qui a plus que doublé et les erreurs dans les liens de parenté où l'auteur invente un père et des enfants...
Une nuit, dit-on, par une de ces nuits d'orage, profondes, horribles, où la foudre sillonne la nue, où les vents déchaînés mugissent, tandis que le troupeau inquiet bêle et gémit au fond du bercail, les portes de la cour furent enfoncées avec fracas, comme minuit sonnait au plus prochain village: un homme masqué parut sur le seuil de la maison, et le vieux fermier, entouré de sa femme et de ses enfants, qui se pressaient avec frayeur autour de lui, n'avait pas encore eu le temps de demander le nom de son nouvel hôte quand un cri terrible le lui apprit: c'était le chef d'une bande de chauffeurs... A un signal, ils se précipitèrent tous, menaçants et masqués comme leur maître; un énorme brasier fut allumé en face le foyer domestique, et là, chaque membre de cette malheureuse famille, traîné à son tour devant le chef des brigands, et placé les pieds nus sur des charbons en feu, eut à subir, pour en arracher l'aveu de prétendus trésors, toutes les tortures de la plus effroyable question qu'ait jamais imaginée l'inquisition elle-même... Une heure après, tout se taisait, même le chien du berger, dans la ferme redevenue silencieuse et solitaire. Le tonnerre ne grondait plus qu'au loin et à de rares intervalles. Mais aussi, quand l'aube parut, quelle horrible scène de désordre et de carnage! Treize cadavres sanglants et mutilés, gisaient étendus pêle-mêle au milieu de la cour de la Hotte; treize, nombre fatal, le fermier, sa femme, ses cinq enfants, cinq domestiques attachés à sa maison, et un misérable savetier ambulant que l'orage avait surpris en route, et que sa mauvaise étoile avait guidé vers un si funeste asile.
mise à jour: mars 2018