Maçons limousins à la Chapelle
Rablais / 13 |
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la souris sur les illustrations pour leur légende. |
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Les familles Momet et Pagot n'ont pas laissé d'autres traces en Brie que leurs passeports entre 1810 et 1820. En chercher dans les actes d'état civil était voué à l'échec car si les Creusois notaient leur présence quand un compagnon décèdait ou se mariait; contrairement à d'autres migrants, ils ne figurent jamais comme témoins dans les actes briards que j'ai relevés. Certains nomades ne restaient que quelques jours au village: les colporteurs, ramoneurs, étameurs, rémouleurs, cordonniers lorrains; trop peu de temps pour nouer des relations durables avec les gens du cru. Lesquels, en bons Briards, mettaient du temps à accorder leur confiance; mes parents, instituteurs de campagne, ont attendu longtemps avant d'être invités à franchir le seuil des fermes. |
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Pourtant, des saisonniers débardeurs,
bûcherons, scieurs de long, charbonniers, sabotiers... étaient
témoins dans de nombreux actes d'état civil. Rarement dans ceux
des manouvriers et autres petits paysans, pauvres à tout faire, auxquels
les migrants avaient peut être pris l'ouvrage. Ils fréquentaient
plutôt les travailleurs des bois et les artisans du cheval. Dans le
monde paysan, les migrants semblaient préférer fréquenter
ceux qui n'étaient pas attachés à la terre, comme les
bergers, qu'on trouve cités dans neuf actes, les batteurs en grange...
Doc:
relations entre migrants et autochtones. |
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Le séjour des maçons durait plusieurs mois, ils revenaient régulièrement dans le même village, ils auraient donc eu l'occasion d'établir des relations avec les gens du cru, ou d'autres migrants; peut être d'ailleurs l'ont-ils fait sans laisser de traces écrites. A Paris, ils avaient tendance à rester entre
eux: |
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Toujours à Paris, les maçons vivent
ensemble dans le même "garni" qui
"assure l'insertion dans la ville, parce qu'il apporte des informations
au nouveau venu sur le but essentiel de son voyage, trouver du travail dans
la maçonnerie. En échange, il donne des nouvelles du pays
à ceux qui l'ont quitté depuis longtemps... C'est le lieu
d'expression privilégié de la solidarité."
En était-il de même à la campagne où le groupe, présent, était moins nombreux. Restaient-ils entre eux, comme le font souvent les étrangers travaillant loin de leur pays d'origine, immigrés comme coopérants? |
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Pendant leur long voyage, les paysans
n'étaient pas tendres avec les Limousins; les écrivains
ne manquent pas de le signaler:
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" Les chiens aboyèrent.
Des hommes, fiers d'être chez eux, pleins de mépris pour les
vagabonds que nous étions, nous crièrent, les uns du seuil,
les autres, plus hardis, s'avançant à nous toucher: -Hou !
les mangeurs de châtaignes ! - Les femmes vous ont chassés
! -Il n'y a donc plus de pitance chez vous ! - Geais nourris de caillé
! - Panses molles ! "A l’oie, à l'oie, voilà les plante-fougères, voilà les mangeurs de châtaignes ! -On n'a plus de châtaignes, on a tout donné aux cochons!" Le voyage oublié des maçons de la Creuse "Des paysans dans un champ se mirent à pousser des cris: "Les mangeurs de châtaignes sont de passage!" ... de solides gaillards, leur canne bien en main, déposèrent leur musette et jaillirent du groupe en direction des paysans.." Jean Guy Soumy, les Moissons délaissées |
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La conduite des maçons
limousins n'était pas toujours exemplaire quand ils traversaient
les campagnes et les bourgs: "Comme
nous partions tous à la fois le matin d'une ville ou d'un bourg,
nous commencions à pousser le vieux cri des Creusois, quand ils
sont en train de danser au son de la musette dans nos granges: "Hif,
hif, hif, fou, fou !" Nous faisions donc un tapage étourdissant,
et cela, bien entendu, sans craindre de réveiller les habitants
qui pouvaient dormir encore."
Martin Nadaud |
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Les Limousins étaient-ils si différents des habitants de l'Ile de France? " Un jour que je rôdais autour d'un groupe d'ouvriers occupés à creuser un puits artésien, trois ou quatre d'entre eux plus effrontés que les autres, se mirent à me plaisanter. "Eh petit muffle, tu n'avais donc plus de châtaignes à te mettre sous la dent, que tu viens manger notre pain." D'autres ajoutaient "Donne-nous donc l'adresse de ton tailleur, ton accoutrement te va étonnamment bien." Martin Nadaud Sans sa "musette", comment différencier ce paysan creusois d'un paysan briard? A l'odeur, qu'on ne peut reproduire ici? "Lorsque
la saison des moissons rassemble ces peuples dans un même canton,
on distingue facilement les Quercinois et les Rouergats à l'odeur
fétide et ammoniacale qu'ils répandent autour d'eux, tandis
que celle des Auvergnats rappelle le petit lait aigri et tournant à
la putréfaction." Peut être à l'oreille: "Léonard Desforges, maçon du diocèse de Limoges qui fait partie d'une bande de "chauffeurs" qui sévit en Beauce... reconnu à cause de son accent de maçon limousin" Annie Moulin |
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Les Limousins ne parlaient pas tout à
fait le même langage que les Briards, lesquels étaient
loin d'employer un français parfait: "Son étabe était
infestée pa' la fieuv apteuse." sans oublier les p'tits
viaux, les ormouères et les rlaviers. Martin Nadaud déclare:
"Ma mère était d'ailleurs une paysanne assez singulière;
jamais elle ne sut prononcer un mot de français; jamais elle
ne s'était mis de souliers aux pieds." Les Archives nationales ont mis en ligne une carte inter-active des langues régionales qui "offre une représentation de la situation linguistique et dialectale de la France métropolitaine au XXe siècle", à l'échelle du canton. Celui de Nangis, dont fait partie la Chapelle Rablais utilisait le dialecte champenois, de l'aire française; celui de Bénévent l'Abbaye pratiquait le Marchois, de l'aire occitane. Lien vers les Archives nationales, carte linguistique de la France |
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On peut avoir une petite idée du langage
des Limousins en découvrant une version d'un texte qui avait
été proposé par le Ministère de l'Intérieur
français en 1807 dans diverses provinces. Il s'agit de l'adaptation
en dialecte local de la parabole de l'enfant prodigue : |
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Il est fort douteux que les paysans aient manié
la langue si littéraire qui servit de base à l'enquête
sur les dialectes populaires, de même que certains correspondants
se sont trouvés gênés pour traduire en langage populaire
des tournures fort éloignées des campagnes, d'où
un savoureux "bonne torche" en Hainaut qui suit de peu "bonne
chère" et le "ressuscité", sans équivalent
local, (même à l'église où la messe se faisait
encore en latin, le curé, dos tourné aux fidèles.) |
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Une enquête plus récente propose des variantes d'une fable d'Esope en diverses langues régionales, texte et enregistrement de la voix: "La bise et le soleil se disputaient, chacun assurant qu'il était le plus fort, quand ils ont vu un voyageur qui s'avançait, enveloppé dans son manteau. Ils sont tombés d'accord que celui qui arriverait le premier à faire ôter son manteau au voyageur serait regardé comme le plus fort..." Voici la retranscription d'un extrait de cette fable, relevée à Fursac, quinze kilomètres de Mourioux: " Ilhs son tombats d'acòrd que queu-qui qu'arriverí le premier a li far enlevar son mantel serí gaitat come le pus fòrt." A Bourganeuf, vingt kilomètres de Mourioux: "Futeten de consent que 'queu-qui que 'ribariá le prumier a far posar son manteu au voiatjor seriá visat coma lo pus fòrt." |
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Moqués par
les paysans des contrées qu'ils traversaient, comme par les Parisiens
"ils se savent très peu appréciés des travailleurs
parisiens qui les jugent avares et qui raillent leurs goûts et leur
dialecte"; repliés sur le groupe, pour le travail, le logement,
les rares moments loin du chantier: entraînement à la savate,
école du soir, quelques chopines et quelques coups de poings...
Les maçons limousins ne semblaient pas chercher le contact avec les autochtones, c'est du moins ce qu'il ressort des témoignages dans les villes. Réalité ou caricature ? Et qu'en était-il dans les campagnes ? |
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Sur plus d'une centaine de maçons limousins retrouvés
autour de la Chapelle Rablais, quarante cinq ont un rapport étroit
avec ce petit village. Le graphique ci-dessous, faisant correspondre
leurs noms (verticalement) et les années où ils laissèrent
des traces (horizontalement) fait ressortir plusieurs périodes.
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Le nombre d'actes est insuffisant pour établir
des statistiques valables, mais on peut remarquer que les migrants repérés
dans le petit village de la Chapelle Rablais (dont les lieux d'origine
sont marqués en rouge, plus ou moins foncé suivant leur
nombre, sur la carte des départements au temps de Napoléon
I°) et les provenances des milliers de migrants en direction du
département de Seine et Marne, à la même époque
(en bleu, quand on passe la souris sur la carte), se recoupent presqu'exactement;
et leur étude permet de retrouver les faits de société
décrits par les historiens pour cette époque. |
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Passez la souris sur la carte | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
On ne sait pas quels furent les travaux de
la grosse poignée de maçons creusois venus à la
Chapelle Rablais. On ignore s'ils avaient passé entre eux un
accord pour "pratiquer leur art de
massons dans le pays de Gâtinois ou autre pays excepté
la Marche" comme le firent François
Gerbaud, maçon à la Mézière, paroisse de
la Saunière et Jean Ducloup, maçon du bourg de St Laurent,
non loin de Guéret, se promettant de payer leurs valets de moitié
et de partager les profits, en 1659. Notaire
Aubreton, la Saunière, 6 E 3578 Il faudra donc se contenter d'étudier leurs déplacements, avant et après la Chapelle Rablais, que l'on peut reconstituer grâce aux visas successifs apposés sur leurs passeports, et leur vie hors de la Brie, ce que nous verrons à la page suivante... |
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