page d'accueil

Etienne Fare Charles Huvier/2
1724/1784 Curé de la Chapelle Rablais...
...de l'importance du baptême

Passez la souris sur les
illustrations pour leur légende.
Ctrl + pour agrandir la page

"Le 18° octobre 1724 a été baptisé par moy curé soussigné un fils né d'hier du mariage de Charles Antoine Huvier procureur fiscal du bailliage de cette ville avocat en parlement et bailly de Farmoutier et de Marguerite Basier sa femme qui a été nommé Etienne Fare Charles, son parain Etienne Person, sa maraine Jeanne Maguerite Huvier qui ont signé."
Registre paroissial de Coulommiers AD77 5 Mi 2256
Parrains et marraines des enfants de Charles Huvier et Marguerite Bazier étaient des membres de la famille : Jean Huvier, grand-père des nouveaux-nés, leur grand-mère paternelle Jeanne Daulx, la belle-mère de Charles, son frère, sa soeur marraine d'Etienne, la mère & un oncle de sa femme... Etienne Fare Charles reçut les prénoms de son père, Charles, et de son parrain "Estienne Person, marchand tanneur à Coulommiers cousin germain maternel de ma femme".

Son troisième prénom était féminin, Fare; Sainte Fare vécut au VII° siècle en Brie, elle prit le voile à Champeaux et fonda une abbaye qui prit son nom à Faremoutiers. A la naissance d'Etienne Fare Charles, son père était bailli de ce bourg, ce qui explique certainement ce choix de prénom.
Le prénom "Fare" fut très cher à son coeur : le 10 mai 1757, il justifiait son absence de la cure de la Chapelle Rablais :
"J'étois pour lors à Faremoutiers, et ai assisté à la procession de Snte Fare, ma bonne patronne."
Pendant son sacerdoce, dans cette paroisse, Fare fut donné en second ou troisième prénom, à seize nouveaux nés, mode qui déclina dès son départ. Ce pourrait être un marqueur de bonnes relations entre certains paroissiens et le curé qui s'attira aussi quelques inimités.

Un prénom venant de son parrain, un autre en l'honneur d'une sainte très locale, une lieue et demie seulement séparent Coulommiers de Jouarre, le troisième donné par son père; Etienne Fare Charles Huvier tint à faire figurer ces trois "noms" sur chaque écrit. Car, pour ce prêtre, le "nom" donné par le baptême chrétien avait bien plus d'importance que le "surnom" désignant la famille. Ce mode de pensée était par partagé par d'autres curés, comme celui de Châtillon sur Seine, dont j'ai consulté les registres pour un autre dossier, sur les traces d'une petite Antoinette Jeanrot, décédée à Guignes sur le chemin des Enfants Trouvés de Paris. La table alphabétique des naissances en 1759 suit l'ordre des prénoms et non celui des noms : Anne, Antoinette... jusqu'au rare prénom "Vorlette" qu'on ne trouvait qu'autour de la paroisse Saint Vorles de Châtillon. AD 21 Châtillon sur Seine table alphabétique 1700/1780 p 18

Dans cet "état des personnes qui ont été confirmées en l'église de Saint Mars en Brie le 10 septembre 1766", issu du registre paroissial de Cerneux, dernière paroisse d'Etienne Fare Charles, le "nom" désigne ce que nous appelons aujourd'hui prénom.
S'il avait l'habitude de citer ses trois prénoms, le curé Huvier faisait de même pour ses paroissiens, quand bien même il n'y aurait eu aucun risque de confusion : trois prénoms pour Marie Romaine Elisabeth Mellein, quatre pour Marie Françoise Denise Thérèse Flon...

Registre paroissial de Cerneux en mairie

 

 

Le baptême marquait l'entrée du nouveau-né dans la communauté chrétienne. Dans les petites communes rurales que desservit Etienne Fare Charles Huvier, seul le prêtre pouvait l'administrer. En cas de péril de mort, le chirurgien (voir page suivante) ou la sage femme n'était habilités qu'à "ondoyer" le nouveau-né. En 1753, le curé Huvier fit prêter serment à Marguerite Bectard, accoucheuse de la Chapelle Rablais depuis plusieurs années : "Ce jourd'hui quatorzieme jour de janvier mil sept cent cinquante trois, Margueritte Bectard femme d'antoine Rondinet manouvrier demeurant en cette paroisse ayant obtenu de Mr Le lieutenant des chirurgiens de Melun des p(rov)isions en bonne forme à l'effet de pouvoir exerçer dans l'étendue de notre paroisse les fonctions de sage-femme après luy avoir fait subir une examen suffisant sur la matiere et (la) forme du Sacrement de baptême, et luy avoir donné les avertissemens nécessaires pour s'acquitter chrétiennement desdites fonctions, nous avons lesdits jour et an que dessus reçeu d'elle en la maniere accoutuméé la prestation de serment."
La Chapelle Rablais, registre paroissial en mairie

Formule du serment des sages-femmes

Même si le terme "baptiser" est employé, tant par le curé que dans les "Instructions sur le rituel" où figure le serment, l'acte accompli par la sage-femme n'avait pas la même valeur que celui du prêtre. Imagine-t'on l'institution ecclésiatique donner autant d'importance à une femme, laïque de surcroît, qu'à un prêtre? Les sages-femmes procédaient à un "ondoiement" que le curé doublait dès que possible d'un baptême suppléé.

Le 3 août 1771, le vicaire baptisa normalement Véronique Christine Langlois, mais le curé Huvier ajouta dans la marge : "sous condition, ayant été ondoyée à la maison, et doutant de la validité du baptême" Il avait agi de même quelques mois plus tôt, ajoutant dans la marge du baptême de Catherine Guezou : "sous condition ayant lieu de douter de la validité du baptême." Registre paroissial de Cerneux AD 77 5 Mi 7773
Catherine ne resta en vie qu'une semaine, Véronique décéda en octobre, quelques mois après sa naissance. Cependant, l'une comme l'autre avait vécu assez longtemps pour avoir été présentée à l'église, au curé.

Les enfants baptisés reçus au Paradis.

Ayant reçu le baptême, Véronique et Catherine avaient pu recevoir une sépulture chrétienne, habituellement refusée aux exclus de la société : excommuniés, suicidés, hérétiques, sorcières, criminels ... et bébés morts sans baptême! Si elles n'avaient vécu qu'une courte existence terrestre, elles étaient néanmoins assurées de leur vie éternelle puisqu'exemptes de péchés. Ce qui pouvait réconforter un peu les parents. Mais quel sort pouvait être réservé aux enfants morts avant d'avoir pu être baptisés?

"C'est moins la mort terrestre qui inquiète que le salut éternel. Pour être sauvé, le baptême est indispensable. Il peut, seul, effacer la faute originelle qui entache la condition humaine depuis la faute d'Adam. Les parents qui n'ont pas pu baptiser leur enfant avant sa mort ressentent une profonde culpabilité et gardent sans doute longtemps l'image d'un être innocent torturé par les flammes de l'enfer et dont le corps ne peut être enterré dans le cimetière paroissial car il n'appartient pas à la communauté chrétienne." Didier Lett : Les enfants morts sans baptême et la naissance du Limbus puerorum aux XIIe-XIIIe siècles

Dans les premiers temps, les petites âmes étaient vouées éternellement au feu de l'enfer. Puis vers les XII° & XIII° siècles, "le manichéisme, bon/mauvais, qui entraîne soit l'enfer, soit le paradis, ne satisfait plus [l'homme médiéval]. Il ne peut plus admettre que son salut lui échappe complètement. C'est pour ces raisons qu'est né le purgatoire, lieu d'attente pour le pécheur, commun des mortels, ni foncièrement bon ni foncièrement méchant." Source : idem

Mais le Purgatoire n'était pas destiné aux petites âmes sans baptême. "A côté du Purgatoire s’individualisent deux autres lieux d’attente de l’Au-Delà : les limbes. Le limbe des patriarches accueillait les Justes de l’Ancien Testament, patriarches, prophètes, et aussi Adam et Ève, qui, ayant vécu avant le baptême, n’avaient pu acquérir ce passeport obligatoire pour le Paradis... L’autre limbe, le limbe des enfants, continuait à accueillir les enfants morts avant le baptême. N’ayant pas d’autre péché que le péché originel dont ils n’étaient pas responsables, ils n’y subissaient pas de peines infernales."
https://provincedesienne.com/2019/07/10/limbes/

"Jésus, pendant sa mort terrestre, entre son expiration sur la croix le vendredi saint et sa résurrection au matin de Pâques, était descendu dans le limbe des patriarches et en avait fait sortir les justes de l’ancienne loi", par contre, "la salle d'attente des enfants morts sans baptême est un lieu très particulier puisque l'on n'en sort jamais." Sources : Province de Sienne / Didier Lett De l'errance au deuil

Dans les Limbes, les enfants morts sans baptême

Dante, dans la Divine Comédie, place dans le premier cercle de l'Enfer les Limbes où il s'intéresse plus aux Patriarches qu'aux enfants non baptisés : "perché non ebber battesmo, ch’è porta de la fede che tu credi... ils n'avaient pas péché... S'ils eurent du mérite, il n'est pas suffisant : ils n'ont pas le baptême, seule porte d'entrée à la foi qui te sauve." Chant IV

Dans le "limbus puerorum", les enfants morts sans baptême ne souffraient pas de la "peine des sens", le tourment physique infligé par moult diablotins, mais de la "peine du dam", "châtiment des damnés, et qui consiste dans la privation éternelle de la vue de Dieu" Larousse du XX° siècle en six volumes 1927

"Dans le célèbre Couronnement de la Vierge d'Enguerrand Quarton (ci-dessus), les enfants, dans une grotte rocheuse qui matérialise le limbe, sont représentés les paupières baissées pour signifier que le baptême n'a pas ouvert leurs yeux et leur chair est grisâtre au lieu de resplendir de la clarté céleste qui illumine les autres enfants du tableau, morts baptisés. Mais leur regard est tourné vers Dieu et leurs mains sont jointes." Didier Lett la naissance du limbus puerorum

Depuis 2007, le Vatican estime que le concept des limbes, dans lesquels séjourneraient les enfants morts sans être baptisés, serait dénué de réalité...

Lien externe vers des extraits du livre de Didier Lett "De l'errance au deuil"
Lien externe vers le Couronnement de la Vierge d'Enguerrand Quarton

"Ceux qui sont morts au cours d'un état de passage, ou bien ceux dont la mort n'a pas été sanctionnée par le rite adéquat, et qui, par conséquent, sont morts sans l'être vraiment, sont des êtres qui n'ont de place nulle part, ni dans ce monde-ci, ni dans l'autre, et qui deviennent des esprits malfaisants, des démons."
Citation de L. Stoma dans Didier Lett la naissance du limbus puerorum

La crainte de l'enfer pour le nouveau-né, la peur que son âme erre sans repos par défaut de baptême et de sépulture en terre chrétienne poussaient certains parents à forcer un peu le destin:
"A la fin du XVIIIe siècle, pour faire bénéficier le mort-né sans baptême des vertus de l'eau de pluie qui tombait sur le toit de l'église de Kinzheim, au moment d'un baptême, les parents enterraient le corps sous le chéneau de la gouttière." August Lamb cité par Jacques Gélis

Certains parents ne se résignaient pas à laisser partir leur nouveau-né sans baptême. Si l'on ne pouvait baptiser un mort, il fallait essayer de ramener à la vie, juste le temps d'une bénédiction.
Ils espéraient un petit miracle auprès d'un saint, ou plutôt d'une sainte vénérée par les femmes enceintes, la Vierge Marie, mère de Jésus Christ, et d'autres moins connues comme Sainte Honorine, Sainte Marguerite, qui sut se délivrer du ventre d'un dragon, augurant d'une bonne "délivrance" lors de l'accouchement.

Les parents et les témoins guettaient un signe : "Ici, on parle de «chaleur au côté ou au cœur», d'une «notable et visible rougeur à son cœur, à sa face» ; là on constate que l'œil s'ouvre, on «reconnaît sensiblement le mouvement du cœur», le sang perle au nez ou aux oreilles, un bras ou une jambe se déplace légèrement, la langue sort sur la lèvre, l'enfant jette un peu d'urine.."
Jacques Gélis Essai d'analyse et d'interprétation du sanctuaire à répit

"Il ne semble pas qu’il y ait eu supercherie ou hallucination collective dans ces récits, mais interprétation erronée de phénomènes physiques dus au processus de décomposition des petits cadavres bien étudié par la médecine légale du XIXe siècle : ramollissement, coloration, saignements, bruit des viscères. Pour les témoins, quelque chose d’extraordinaire se produisait." Wikipédia

"Le répit n’est possible qu’en certains sanctuaires, le plus souvent consacrés à la Vierge dont l’intercession est nécessaire pour obtenir un miracle." Wikipédia
"Les sanctuaires à répit ont fonctionné de la fin du XIIIe siècle à la Première Guerre mondiale en Europe occidentale. Il en a été comptabilisé 277 en France, 56 en Belgique, 14 en Allemagne du Sud, 38 en Autriche, 30 en Suisse, 42 en Val d’Aoste et Piémont."
Leur fréquentation fut importante, si l'on en juge par les "faits jugés miraculeux, consignés par des prêtres" enregistrés en certains lieux, entre le XVI° et le XVII° siècle: 138 cas en 50 ans à Avioth dans la Meuse, 459 en moins de 25 ans Faverney en Haute Saône, 336 à Moustiers Sainte Marie en seulement sept ans... Citations : Jacques Gélis Essai d'analyse et d'interprétation du « sanctuaire à répit

En Brie, les parents pouvaient essayer de ramener leur nourrisson à la vie dans le sanctuaire à répit de Pringy. S'agissait-il de l'église actuelle ou des ruines de Notre Dame de Corbeil conservés dans le parc du château de Montgermont? "Vers 1820, le comte de Gontaut-Biron va acquérir des vestiges de l’église qui vont être rassemblés artificiellement pour créer une ruine romantique dans la cour arrière du château. Tout a été remonté pour évoquer les ruines d’une église, mais sans aucun caractère archéologique, seulement pour l’aspect pittoresque." Elise Baillieul

Des fouilles à Blandy les Tours et près de l'église Saint Ayoul à Provins, où une chapelle était dédiée à Saint Marguerite, ont rélévé un grand nombre de sépultures de "sujets immatures", quatre vingt dix à Provins pour seulement vingt et un adultes, plus de soixante dix à Blandy auprès d'une très ancienne église retrouvée dans l'enceinte du château. "La présence notoire des fœtus de Blandy-les-Tours étaye l'hypothèse que cette église anonyme ait été, pendant près de deux siècles, un sanctuaire à répit."
Valérie Delattre Les sépultures de nouveau-nés au moyen-âge: l'hypothèse d'un sanctuaire à répit précoce à Blandy-les-Tours

Valérie Delattre a la prudence de ne pas affirmer que le cimetière découvert Blandy révélait un sanctuaire à répit, car les inhumations y eurent lieu près de deux siècles avant la généralisation de ces lieux miraculeux, à partir du XII° siècle, quand apparut la notion de limbe des enfants.

 

Autre exemple de ferveur populaire en rapport avec le curé Huvier qui fut chapelain dans l'église des soeurs Notre Dame de la Paix, à Coulommiers, quand Guillaume Rihouet Desnoyers en était curé. A la page précédente, nous avons fait la connaissance de ce prêtre aussi ascétique qu'intransigeant au point d'avoir été condamné à être pendu en effigie, avant de revenir en grâce à Coulommiers comme nous le verrons plus loin.

"Tous les jours on en voyait agenouillés [de pieux admirateurs], en prière, aux abords de sa tombe, et beaucoup venaient de loin. Les étrangers pouvaient bien se demander ce que signifiaient ces rubans de toute couleur noués aux bras de la croix; le premier paysan venu leur eût dit que c'étaient des "vœux", c'est-à-dire des ex-voto symbolisant les infirmités diverses qui, selon le mot vulgaire, "nouent" les organes ou les membres, infirmités que ce "bon M. Desnoyers" aurait reçu le privilège de guérir. On soupçonne là un de ces nombreux calembours forgés par le populaire en vue de préciser, pour la mémoire, la "spécialité des divers saints patrons" De "Desnoyers" à "dénouer" la distance est faible pour une oreille rustique. Très tôt après sa mort, le saint prêtre fut invoqué en faveur des personnes percluses et des enfants arrêtés dans leur développement ou tardifs à marcher."

Bulletin de la Conférence d'histoire et d'archéologie du diocèse de Meaux 1894

Il n'est pas certain que les Pères de l'Eglise aient eu, tant pour les sanctuaires à répit que pour ces cultes populaires, la même croyance en leurs vertus miraculeuses.

Après ces vagabondages à partir de trois prénoms qui nous menèrent jusqu'aux portes du Paradis, il est temps de redescendre sur terre, pour retouver les traces d'Etienne Fare Charles Huvier, curé briard au XVIII° siècle.

 


  Suite : le curé Huvier 3° page : nourrissons et nourrices