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Etienne Fare Charles
Huvier/1 |
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Les archives du petit village briard de la Chapelle Rablais récèlent deux pépites, dans la mesure où l'on considère qu'un petit tas de papiers jaunis peut constituer un trésor. Deux dossiers qui ne se retrouvent pas dans les archives de toutes les communes. L'un des ces "trésors" est une collection de passeports pour l'intérieur de la première moitié du XIX° siècle, ancêtres des cartes d'identité, ils étaient nécessaires, dès que l'on dépassait les limites du canton. Si la moitié des documents concerne des habitants du village, l'autre moitié a révélé des travailleurs saisonniers venus d'autres provinces, parfois très lointaines. |
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Cette collection de deux cents passeports a été le point de départ de longues recherches sur ces migrants de travail auxquels j'ai consacré plusieurs dossiers : les cordonniers et rémouleurs lorrains, les femmes en voyage, les charbonniers, marchands de sangsues ou de bagues de Saint Hubert, les moissonneurs de l'Aube, de l'Yonne et des provinces du Nord, les voituriers en bois originaires de la Thiérache, les maçons de la Creuse et de la Haute Vienne, les scieurs de long du Forez et du Velay... et bien d'autres, venus de leurs lointaines provinces exercer en Brie leurs métiers spécialisés.
Les passeports, page des choix |
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Le deuxième petit trésor
se cache dans les pages des registres paroissiaux, ayant bien souffert
du passage du temps avant restauration. Au milieu du XVIII° siècle,
Etienne Fare Charles Huvier, curé de la "Chapelle Arablay"
emplissait les espaces vides des recueils où il n'aurait dû
noter que les baptêmes, mariages et inhumations. En plus de quelques
brèves "nottes" de sa main, il nota sur plus d'une vingtaine
de pleines pages ses efforts pour donner un peu de prestige à sa
petite cure campagnarde. Il avait fait de même dans sa paroisse
précédente, Marolles en Brie et s'épanchera encore
plus dans les registres de sa dernière cure, à Cerneux.
Nombre d'autres documents permettent de reconstituer une grande partie
de sa biographie, actes passés chez les notaires royaux ou apostoliques,
notes d'un curé proche, livres de raison de son père, sa
mère, d'un neveu etc.. Resteraient à découvrir les
écrits personnels de ce curé graphomane...
Si le fil rouge de ce chapitre sera la biographie d'un curé au XVIII° siècle, ce sera surtout l'occasion d'essayer d'aborder bien des aspects de la vie dans un petit village briard voici plus de deux cents ans. |
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"Le mardy dix sept octobre mil sept cent vingt quatre deux heures du matin, la lune prenant sa fin et la nouvelle lune commençant ledit jour à trois heures cinquante une minutte, ma femme est accouchée d'un fils qui a été baptisé le mercredy a cinq heures et demy du soir par Mr Millot curé, son parain Sr Estienne Person, Md tanneur à Coulommiers cousin germain maternel de ma femme, la Maraine Marguerite Huvier ma soeur femme du Sr Jacques Carrette, greffier de la maréchaussée de Meaux, et a esté nommé Estienne Farre Charles." Journal de Charles Huvier AD77 195 J 8 |
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Les astres avaient-ils prévu
que le petit Etienne Fare Charles, né à Coulommiers à
"deux heures du matin, la lune prenant sa fin et la nouvelle lune
commençant ledit jour à trois heures cinquante une minutte"
deviendrait prêtre? Son père, Charles,
notait avec précision toutes les naissances de ses enfants : "le
dimanche vingt trois juin mil sept cent vingt, trois heures de relevée,
le dix huit de la lune, ma femme est accouchée d'une fille qui
a estée nommée Jeanne Charlotte Margueritte"
laquelle décédera d'une crise d'asthme
en 1798. "Le vingt quatre may mil sept
cent vingt et un, entre une et deux heures du matin, le vingt neuf de
la lune", naissance de Jeanne Marie
Charlotte, qui ne vécut que jusqu'au 29 juillet de la même
année. "Le mardy trente décembre
mil sept cent vingt deux, le vingt trois de la lune jour du dernier quartier,
sept heures du matin", naissance de
Jean. Après Etienne, Marie Françoise Claude naquit le 26
septembre 1725 "à dix heures
du soir, le dix huit de la lune."
Journal de Charles Huvier AD77 195 J 8 |
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Etienne Fare Charles
est né dans une famille de magistrats; avec les alliances par mariage,
on compte plus d'une douzaine d'huissiers, greffiers, procureurs, avocats,
baillis dans la parentèle. Jean Huvier, arrière grand-père
paternel du futur curé avait été procureur à Rebais,
maire d’Orly (en Brie) et prévôt de Boitron; son grand-père
aussi prénommé Jean fut greffier du bailliage et siège
présidial, procureur ès-sièges royaux de Meaux; Jacques
Antoine, son père, à sa naissance était "procureur
fiscal du bailliage de cette ville avocat en parlement et bailly de Farmoutier";
ses titres furent : avocat en parlement (1716), écuyer, conseiller
du roi assesseur en la juridiction du prévôt de la maréchaussée
à Meaux, procureur fiscal au bailliage et maîtrise des eaux et
forêts de la châtellenie de Coulommiers (1719), bailli et maître
particulier des eaux et forêts de Faremoutiers (1722), bailli de Rebais
(1738), président de l’assemblée municipale de Coulommiers
(1744), lieutenant en l’élection de Coulommiers (1747), subdélégué
de l'intendance de Paris au département de Coulommiers (1752-1754).
Jean Huvier, frère du curé : écuyer, lieutenant (17/09/1743)
des eaux et forêts de la maîtrise particulière de Coulommiers,
avocat au Parlement de Paris (12/11/1744), en Parlement (1757) seigneur du
Mée, de Maricorne et de Rouville; bailli (nommé le 1er, reçu
le 17/01/1748-1790) de la châtellenie-pairie, maire (1750) de Coulommiers;
subdélégué de l'intendance de Paris (1754); conseiller
et procureur du roi (1766) en l'élection de Coulommiers; secrétaire
du roi (1774); correspondant (1787) de la société royale d'Agriculture;
procureur syndic (1787) du département de Rozay; commissaire du roi
(1790-1791) près le tribunal du district de Rozay séant à
Coulommiers; propriétaire à Coulommiers... |
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Les offices étaient vénaux sous l'Ancien Régime, et on verra plus loin qu'il pouvait en être de même au niveau des cures, mais d'une manière bien détournée, pour éviter l'accusation de simonie... "l'office est une charge d'État, parcelle de l'autorité publique, de justice, de finance ou d'administration, achetée par les familles aisées du royaume." criminocorpus.org Le grand-père du curé acheta
pour son fils (père du curé) une charge de procureur fiscal
pour la coquette somme de mille livres : "Par
traité fait avec Mr Nitot le 27. janvier 1717 mon père
a acquis de luy pour moy la charge de procureur fiscal de Coulommiers,
moyennant la somme de mil livres qui luy a esté payée
le 10 février ensuivant, de laquelle charge jay une quittance
de finance du thrésorier de Monseigneur le Duc de Luynes du trois
dudit mois de janvier au bas d'un ordre de mondit Seigneur."
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Les actes du XVIII° siècle
regorgent d'interminables énunération de titres, comme ci-dessus,
au point que dans l'acte de mariage de sa nièce, célébré
par le curé Huvier en 1775 à Cerneux, sur les 441 mots du
texte, 183 décrivent les titres des hommes; les femmes n'étant
définies que par les termes : épouse, veuve, fille de, damoiselle
majeure, damoiselle mineure, que suivent les titres des époux,
vivants ou décédés.
Dans la liste des titres que portèrent les Huvier, on peut noter une progression dans les honneurs, mais une constance dans la fonction de bailli. Ce qui peut s'expliquer par la possibilité de transmettre sa charge à ses héritiers :"En payant tous les ans le soixantième du prix de sa charge, le magistrat qui ne l’avait pas résignée en faveur d’autrui acquérait le privilège de la transmettre à ses héritiers ; ceux-ci avaient une année pour la vendre." Cette contribution portait le doux nom de Paulette. Alfred Maury L’Administration française avant la Révolution de 1789 1873 |
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Les Huvier étaient suffisamment fortunés
pour disposer, à l'époque de Jean Huvier, frère
du curé, d'une belle demeure avec jardins à la française
à Coulommiers, d'une grosse ferme sur le territoire de Saints...
Peut-on estimer cette fortune ? "Il
existe un document curieux qui contient les noms des familles les plus
importantes de la ville, au moment de la Révolution. C'est le
registre des déclarations faites devant la municipalité
de Coulommiers, pour l'exécution du décret du 6 octobre
1789, qui a été retrouvé par un collectionneur
dans les archives d'une étude de notaire."
Les lettres d’une mère, épisode
de la Terreur publiées en 1901 |
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Il est un titre
qui ne revient qu'épisodiquement dans les énumérations,
celui d'écuyer, censé signaler l'appartenance à la noblesse.
Le père d'Etienne ne fit figurer ce titre que dans son acte de mariage,
en 1719 Coulommiers 5 Mi 2255 p 145, de 1720
à son décès en 1754, il n'est plus mentionné.
Jean Huvier, frère du curé, l'omit jusqu'en 1775 puis ne cessa
de le mentionner dans les actes suivants. |
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Les
armoiries du bailli Jean Huvier.
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La qualification d'écuyer était
strictement réservée à la noblesse comme le montre cet
édit de janvier 1634: "Défendons
à tous nos sujets d'usurper le titre de noblesse, prendre la qualité
d'écuyer et porter armoiries timbrées, à peine de 2.000
livres d'amende, s'ils ne sont de maison et extraction noble."
Jean Huvier, 1722/1791, bailli et maire
de Coulommiers se fit appeler "Huvier du Mée", du nom de
la ferme qu'il possédait dans la paroisse de Saints, proche de Coulommiers,
où Etienne Fare Charles, le curé, prit sa retraite. L'acquisition
d'un fief était alors une "savonnette à vilains",
autrement dit un premier pas vers un anoblissement tant souhaité par
la bourgeoisie: "À la mort de son père,
le jeune Salomon acheta, suivant l'expression du temps, une savonnette à
vilain, et fit ériger en baronnie la terre de Villenoix, dont le nom
devint le sien." Balzac, Louis Lambert
1832
Voir l'anoblissement des oculistes du roi, propriétaires des Moulineaux,
à la Chapelle-Rablais La fonction de bailli aurait dû être
réservée aux nobles d'épée : "A
la tête des nobles et des gens de pied, ils allaient, ainsi que le prescrivait
la déclaration du 6 juillet 1493 et conformément au vieil usage,
faire des chevauchées, arrêter les vagabonds et les malfaiteurs.
Ceci explique pourquoi, tandis qu’aux XVIe et XVIIe siècles on
continuait à exiger des baillis et des sénéchaux la qualité
de noble, elle n’était pas requise de leurs lieutenans, qui devaient
en revanche justifier de leurs degrés en jurisprudence. Il y a un ou
deux siècles, le titre de bailli et de sénéchal était
seulement honorifique. Réputé chef de la noblesse dans son bailliage,
le bailli en présidait les assemblées ; il était
encore chargé de convoquer le ban et l’arrière-ban, qu’on
n’appelait plus, il est vrai, sous Louis XIV et Louis XV." A la fin de l'Ancien Régime," les bailliages deviennent surtout des tribunaux d'appel pour les procès devant le tribunal du prévôt royal ou les tribunaux seigneuriaux." Wikipédia Les Huvier n'étaient baillis que de petites villes dans le nord de la Brie; le bailliage de Coulommiers comme celui de Faremoutiers et de Rebais, ne figurent pas dans la liste et la carte des bailliages à la fin de l'Ancien Régime établies par Armand Brette, les deux communes étant englobées dans celui de Meaux, généralité de Paris. Lien externe : carte des bailliages de la Généralité de Paris par A. Brette 1904
Pour résumer : Etienne Fare Charles naquit dans une famille de notables aisés qui continuaient leur ascencion sociale, mais sans faire partie de l'aristocratie. Les Huvier occupèrent une place importante dans la ville de Coulommiers.
Suite : de l'importance du baptême Curés et paroissiens, page des choix
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