Le patois briard
Les moissons

Avant l'emploi, aujourd'hui généralisé, des machines agricoles, c'est-à-dire il y a une trentaine d'années, le fauchage et le moissonnage se faisaient à bras d'hommes. Il y a soixante-dix ou soixante-quinze ans, tous les grains étaient battus au fléau. Ces divers travaux étaient effectués à la tâche, les faucheurs et les moissonneurs étant payés d'après le nombre d'arpents coupés par eux ; les batteurs en grange suivant le nombre de boisseaux de grain qu'ils avaient battus. Le fauchage étant terminé à l'époque du battage, les faucheurs devenaient ordinairement des batteurs à l'automne et en hiver.

La moisson qui se faisait à la faucille (soyage) il y a quatre-vingts ans, puis ensuite à la faulx (piquage), la moissonneuse-lieuse n'ayant complètement remplacé le piquage que depuis vingt-cinq ans environ, la moisson était effectuée par eux-mêmes chez les petits cultivateurs et, dans les exploitations plus importantes, par des vignerons soit du pays, soit de la Champagne (de l'Aube) ou de la Basse Bourgogne qui avaient l'habitude de quitter chaque année leur pays pour venir faire la moisson en Brie, plusieurs étant accompagnés de leurs femmes.

La moisson étant le travail le plus urgent et le mieux rétribué de l'année, la plupart des gens d'un métier autre que la culture dans les villages, l'abandonnaient pendant un mois pour se livrer à ce travail, tels les maçons, les charpentiers, les menuisiers, étant aussi dans l'obligation de ne pouvoir pratiquer leur métier ordinaire pendant ce temps, puisque les cultivateurs, entièrement absorbés par leurs travaux de moisson, ne pouvaient s'occuper de charrier les matériaux dont ces artisans ont continuellement besoin là où ils opèrent. Les cantonniers des routes, eux-mêmes, avaient un congé d'un mois, donné par leur administration pour leur permettre également d'aider à la moisson.

Les moissonneurs (dits moissonneux) étaient au travail avant l'aube, ayant emporté leur déjeuner qu'ils mangeaient vers sept heures. A onze heures on leur apportait, de la ferme, dans le champ, leur dîner consistant en soupe, pain, viandes variées, mais souvent le pot-au-feu, c'est-à-dire bœuf, porc et choux ensemble, fromage et salade, un litre de vin du pays par personne et de l'eau dans de grosses bouteilles en grès. Après dîner, les moissonneurs se reposaient pendant une heure, à l'ombre de gerbes mises debout, puis ils reprenaient leur travail. Au goûter de quatre heures, on mangeait les restes du dîner, mais surtout du fromage. Dans certaines fermes on ne donnait, comme nourriture, que la soupe et la pitance, c'est-à-dire le pain et le vin non compris que les moissonneurs se procuraient eux-mêmes. Les moissonneurs habitant la localité n'étaient ordinairement pas nourris par l'employeur.

Les moissonneurs ne quittaient le travail qu'à la nuit complète (à la raide nuit, selon l'expression). Ils soupaient de soupe au lait et de charigot, de miroton ou autres mets et légumes variés. Ils couchaient dans les greniers sur des lits étendus sur le plancher, les jeunes dans le foin ou la paille.

Vers 1880, le prix d'un arpent de blé moissonné (piquage) était de 12 à 15 francs avec nourriture. On donnait 2 fr. 50 à 3 francs en plus si les moissonneurs n'avaient que la soupe et la pitance ; 6 à 7 francs en plus à ceux qui n'étaient pas nourris.

Le travail des moissonneurs consistait en la coupe, le ramassage et le liage des gerbes qu'ils laissaient sur le champ. La mise en moyettes (tas de gerbes de 9 à 12 debout) était effectuée par le personnel de la ferme, ou bien par des femmes faisant ce travail à la tâche, à l'arpent (1 fr. 50). Avant le système des moyettes, on plaçait les gerbes à plat sur la terre, dont deux, croisées entre elles, mises dans un sens, puis les épis de quatre autres reposant perpendiculairement sur ces deux premières, ensuite trois autres sur les quatre précédentes, deux sur ces trois et une comblant le tas, le tout formant ainsi une pyramide allongée. On appelait ces tas des trios, des diziaux ou des douziaux, suivant les localités.

Les faucheurs (dits faucheux) travaillaient à la ferme pendant une grande partie de l'été. Ils étaient payés à un prix fixé à l'arpent, 5 à 8 francs et nourris, il y a cinquante ans environ. Ils commençaient à faucher fin mai et commencement de juin les premières coupes de fourrage de toute sorte, à faulx nue, c'est-à-dire celle-ci montée sur un hante. Cette première fauchaison terminée, ils aidaient à rentrer à la ferme le fourrage fané. On ne reprenait la faulx que pour la moisson, un mois après environ. Quelques faucheurs avaient des vignes auxquelles ils donnaient les façons nécessaires, pendant cet intervalle. Les autres étaient occupés à la ferme pour charger et épandre du fumier.

La moisson venue, les faucheurs coupaient parfois quelques arpents de blé en attendant le fauchage des secondes coupes ou regains de fourrage coïncidant avec l'époque de la moisson. Cette coupe s'effectuait avec la faulx montée sur un harnais à trois doigts ou crochets et, lorsqu'elle était terminée, ils fauchaient les avoines à la volée avec la faulx ajustée sur un harnais à quatre doigts, lançant leurs coups de faulx de manière à placer l'avoine en andains réguliers. Ce fauchage à la volée se faisait à l'époque où l'on ne connaissait pas encore les engrais chimiques, les avoines, étant semées après chaume de blé, ne poussaient alors qu'une paille très courte et se fauchaient ainsi facilement.

Quand on a commencé à mettre des engrais dans les avoines et que l'on n'avait pas encore les moissonneuses, comme les avoines poussaient alors plus grandes, on a été obligé de les piquer comme les blés. Mais on ne les liait pas, on étendait sur la terre la brassée ramassée (appelée une mouette) en l'allongeant un peu. A cette époque, on ne semait que des avoines noires de Brie qui n'arrivaient à leur maturité que 12 à 15 jours après celle des blés.

Aujourd'hui, on ne cultive plus que des avoines hâtives mûrissant presque en même temps que les blés. Depuis vingt-cinq ans, toutes les céréales sont coupées à la moissonneuse-lieuse, même chez les bricoliers n'ayant que deux ou trois chevaux. On attelle trois chevaux de front à ces machines.

Depuis quelques années on emploie, dans beaucoup de fermes, en plus des moissonneuses à chevaux, des tracteurs mécaniques entraînant deux moissonneuses donnant 2 m. 75 au moins de largeur de coupe, alors que celle à chevaux n'a que 1 m. 50. Quand le beau temps le permet, dix à douze jours suffisent pour couper la moisson.

Avant la mise en pratique générale des machines à battre, par des entrepreneurs de battage, chez tous les cultivateurs, c'est-à-dire à la même époque où la moisson se faisait à la faucille, toutes les céréales, blé, avoine, orge, se battaient au fléau (au fiau) par des batteurs (des batteux) qui étaient le plus souvent les faucheurs de fourrage de la saison d'été.

L'article se poursuit par le battage, à lire dans le livre d'Auguste Diot: le Patois briard, publié en 1930 et réédité en 2007 par la Société d'Histoire et d'Archéologie de l'Arrondissement de Provins, qui a autorisé la publication de cette longue citation.

Extrait d'un texte d'Auguste Diot (1858/1932), en appendice de son livre "Le Patois briard dont, plus particulièrement, le patois parlé dans la région de Provins".
Cet extrait ne concerne que la moisson, d'après les souvenirs de cet ancien cultivateur.