Soyeurs, piqueurs, sapeurs
et autres calvarniers
Les moissonneurs saisonniers / 1
Inutile de chercher soyeur, piqueur, sapeur et calvarnier dans des dictionnaires pesant moins de trente kilos. Les mots ne sont plus utilisés, ils ont été oubliés comme les métiers qu'ils qualifiaient et les techniques employées. Tous ont un rapport avec la moisson, telle qu'elle se pratiquait au temps de Napoléon I°. J'essaie ici d'en retrouver la trace à partir des archives du petit village briard de la Chapelle Rablais et des communes proches.
Moissonneurs saisonniers de Brie
Certains moissonneurs saisonniers ne franchissaient pas les limites du département, comme les six chefs d'équipe ayant signé un contrat avec le propriétaire cultivateur de la ferme de la Glasière aux Ecrennes, à quelques kilomètres de la Chapelle Rablais, quelques jours avant le début de la moisson:
Marché pour soyage
le 6 thermidor an VIII
Les citoyens Gilbert Henry Aumaistre, propriétaire
cultivateur, demeurant à la glasière, commune des Ecrennes d'une
part
Etienne Henry, Jean Renault, Jean Leclerc (ce dernier rayé) demeurant
à Samoreau
Théodore Paysan, Louis Luneau, demeurant à Champagne
Thomas Souillard, Pierre Billard, demeurant à Thomery , d'autre part
ont arrêté le marché suivant, lesdits Henry, Renault et autres, sans aucune solidarité entre eux, promettent et s'obligent de faire tant par eux que par leurs enfans pour lesquels ils s'engagent, le soyage à la moisson qui va s'ouvrir, de tous les grains de bled que ledit citoyen Aumaistre a en terre audit lieu de la glasière, de s'y rendre le jour qu'il les y appellera, d'y travailler sans discontinuation jusqu'au soyage parfait de la totalité de ladite récolte, sans pouvoir se livrer à d'autres travaux ou de semblables pour d'autres cultivateurs; ils s'engagent à faire ledit soyage à la hauteur de terre de cent huit millimètres, sans pouvoir excéder cent trente six millimètres (4 ou 5 pouces mesure ancienne) et de se fournir d'outils nécessaires à cette opération.
Ferme de la Glasière
entre les Ecrennes et le Châtelet en Brie. Plan d'Intendance et photo aérienne |
Ils s'obligent également pour eux et leurs enfants de ramasser toutes les avoines dudit citoyen Aumaistre lors qu'elles seront en l'état de l'être tant à la glasière qu'aux Fanons sans pouvoir lors de ce genre de travail non plus que dans celui de la moisson s'engager pour d'autres cultivateurs....
Ledit citoyen Aumaistre (sauf les cas qui
vont être prévus) promet et s'oblige de livrer auxdits soyeurs
la quantité de quatre boisseaux et demi de gorge (?) de froment mesure
comble du marché de Melun, par chaque arpent qui seront soyés,
de leur faire ladite livraison audit lieu de la glasière au fur et
mesure du battage qui se fera desdits grains et quand lesdits soyeux le requiéreront.
Indépendamment de ladite livraison la soupe sera trempée auxdits
moissonneurs pendant le soyage des bleds, et durant le ramassage des avoines
ils seront nourris par et aux dépens dudit Aumaistre.
Convenu expressément que dans le cas où ledit citoyen Aumaistre
reconnaîtrait que lesdits bleds ne sont pas soyés à la
distance qui vient d'être convenue il aura le droit d'en faire faire
la visite, et que ledit soyage est au dessus de cent huit millimètres
(5 pouces a. m.) de terre il sera livré auxdits soyeurs sur le grain
promis un boisseau de moins par arpent... entre de 6 et 7 pouces, pénalité
de deux boisseaux; entre 7 et 8 pouces trois boisseaux "et ainsy de suite"
visite par le juge de paix du canton (soyeurs) et citoyen Lefort, arpenteur
à Sivry pour le cultivateur.
Ont tous signé sauf Billard et Renault "qui ont déclaré
ne le savoir"
Minutes du notaire Pinault, le Châtelet en Brie: le citoyen Aumaistre et Henry et autres, 6 thermidor an VIII (25 juillet 1800) 227 E 104 n° 163
A une quinzaine de kilomètres de leur village, les six chefs de famille, avec femmes et enfants, allaient s'installer pour quelques semaines dans la ferme de la Glasière pour y couper le blé, l'avoine et les mettre en gerbes, nourris (la soupe est prévue, mais pas la pitance, ni le vin) et sommairement logés dans la paille et le foin; rejoints par une cohorte de calvaniers (calvarniers, calverniers...) chargés de transporter et entreposer les gerbes, auxquels succéderaient les batteurs en grange avec leurs fléaux qui sépareraient grain et paille. Il faudrait ensuite vanner, mettre en énormes sacs et monter la récolte au grenier...
Vente d'emblavures
Jacques Masson, laboureur
au Trenel, la Chapelle Rablay a.. "vendu et promis faire jouir et garantir
de touttes saisies et revendications quelconques à S. Nicolas Laurent,
marchand, demeurant à la Chapelle Thiboust de Berry à ce présent
et acceptant. Scavoir la récolte des Bleds et avoines appartenant audit
Masson à faire sur les terres dépendantes de partie de la ferme
du Grand Trenel consistant à environ treize arpents de Bled et douze
arpents d'avoines en plusieurs pièces dont la déclaration suit..."
"A la charge par ledit sieur Laurent de faire soyer lesdits Bleds et
faucher ladite avoine en tems et saison convenable, et de les engranger s'il
juge a propos dans la grange dudit Trenel louée audit Masson (sera
tenu ledit Laurent quinzaine après la Récolte de faire / rayé
)"
"Cette présente vente faite moyennant la somme de cinq cent six
livres pour lesdites emblavures de Bled et avoines, scavoir pour ledit Bled
à raison de vingt six livres l'arpent et pour l'avoine à raison
de quatorze livres chacun arpent."
"les pailles qui proviendront desdites emblavures appartiendront audit
sieur Laurent."
Laurent signe, Masson " a déclaré ne
scavoir ecrire ny signer..."
minutes du notaire Vaudremer, Nangis , AD77 188 E
66
Ces différentes valeurs de l'arpent en Brie remontent
au Moyen Age, quand la Grande Haye délimitant les possessions du
Roi de France et du Comte de Champagne frôlait la Chapelle Rablais.
On peut le constater dans un document de 1282, décrivant les possessions
de Gauthier Cornu, seigneur de la Chapelle Arablay, où se mêlent
Grand Arpent et Arpent de Champagne, pour décrire des terroirs proches:
"C'est le fey que monsor Henri de Beau marches
tient de monsor Gautier le Cornu: c'est assavoir environ IIII XX arpens
de boys au grand arpent qui tient au bois devant Le Mes et au haies de Brie,
et XIII arpenz au grant arpent delez le chemin de Brie, et L VII arpenz
et III quartiers delez les haies de Brie, et delez le boys Saint Germain
a larpent de Champeigne, et des haies de Brie XXV arpenz au grand arpent;
item la moitié du fief de la Charmée."
Paul Quesvers : Notes sur les Cornu dans Bulletin
de la société archéologique de Seine et Marne tome
X 1893
voir les pages sur l'origine du village
pages sur la Haie de Brie
Lesdit soyeurs se divisent entre eux la besogne dudit soyage ainsy qu'il suit:
Etienne Henry soyera quatre hectares cinquante neuf ares
trente cinq centiares (neuf arpents ancienne mesure)
Jean Renault deux hectares cinquante cinq ares dix neuf centiares (cinq arpents
ancienne mesure)
(rayé : ) Jean Le Clerc deux hectares six ares vingt trois centiares
(six arpents ancienne mesure)
à noter: erreur: 6 arpents correspondent à
3 ha etc...
Théodore Paysan deux hectares cinquante cinq ares dix neuf centiares
(cinq arpents ancienne mesure)
Louis Luneau trois hectares cinquante sept ares vingt sept centiares (sept
arpents ancienne mesure)
Thomas Souillard sept hectares soixante cinq ares cinquante sept centiares
(quinze arpents ancienne mesure)
Et Pierre Billard trois hectares cinquante sept ares vingt sept centiares
(sept arpents ancienne mesure)
Etienne Henry est décédé le 30 mai 1810, hélas,
la numérisation rend l'acte illisible.
Jean Renault avait 66 ans en 1800, il était vigneron.
Théodore Paysan n'avait que 28 ans en 1800, il est décédé
en 1830.
Entre 1800 et 1836, on découvre au moins trois Thomas Souillard à Thomery; l'un âgé de 23 ans en 1800, un autre de 27 ans. L'Ancien avait 80 ans à son décès en 1820, soixante ans quand il a signé le contrat, (si c'est le bon) pour lui, sa famille, femme et enfants chargés de mettre en gerbes, et un autre "soyeur" car la superficie à couper était trop importante pour un homme seul.
Les passeports, plan du site | |
Suite: les moissonneurs migrants des autres départements | |
|
|
Bibliographie | |
Courrier | |
"Les habitants de votre commune vont ils chercher
de l'ouvrage hors de ce département ?
Les habitans de ma commune comme étant pays
vignoble ne sort pas que pour la moisson.
Combien y en a-t'il à peu près qui soient dans cet usage ?
A peu près vingt personnes
Dans quel département vont -ils ?
Dans la Brie et les environs de Melun.
Quand partent ils et quand reviennent-ils ?
à l'entré de la moisson et rentre après la moisson.
Quelle est la nature des travaux qu'ils vont chercher ? La moisson.
Combien croyez-vous qu'ils puissent rapporter d'argent à leur retour?
Environ 75 à 80 francs par homme. "
Tous les bras étaient bienvenus: ceux des
journaliers et très nombreux manouvriers de la commune.
Les Limousins, venus dès Pâques pour les travaux de maçonnerie
et qui avaient déjà interrompu leur "limousinerie"
en juin pour une première coupe des foins, arrêtent encore
leurs activités de maçonnerie au plein coeur de l'été;
ils sont rarement cités parmi les moissonneurs, mais un maçon
sur deux, environ est aussi qualifié de faucheur. On verra plus loin
que cela n'est pas synonyme de moissonneur. S'ils fauchent en août,
c'est le regain des foins.
Les fermiers faisaient appel à tous pour
rentrer la moisson au plus vite de crainte des orages; avant la généralisation
des moyettes (voir page suivante), le blé était récolté
très mûr et sec: "Le dogme
scrupuleusement observé d' engranger une moisson sèche, fait
que la moisson est accomplie à maturité complète du
blé..."
René Tresse. voir biblio.
La moisson était donc plus tardive que maintenant: "Considérant
que les travaux de la moisson ne commencent guère dans la commune
que dans les premiers jours du mois d'août et se continuent jusqu'à
la fin de ce mois... les familles seraient privées de leurs enfants
au moment où elles en auraient le plus besoin et où elles
ne pourraient s'occuper de leur entretien." Ainsi
répond la municipalité de la Chapelle Rablais à une
enquête sur une modification des congés estivaux. A une autre
période de l'année, les enfants manquaient l'école
pour "aller aux corbeaux"
et, jouant aux épouvantails, les empêchaient de picorer les
grains fraîchement semés.
Registre d'appel de l'école 1914
Enquête sur les travailleurs saisonniers,
1809
Commune de Brie sur Hyères (Brie Comte Robert)
On voit ainsi un tailleur itinérant,
originaire de Bargeville en Lorraine, accompagné de son épouse,
abandonner son métier le temps de la moisson : "lequel
étoit venu pour travailler à la moisson.'
Si l'on a gardé sa trace, c'est qu'il eut le malheur de décéder,
donc de laisser un acte dans les registres paroissiaux. C'était à
Mortcerf chez un cordonnier, ayant lui aussi des liens avec la Lorraine: il
était né à Braux Saint Rémy dans la Marne, aux
franges de la Meuse, dont étaient originaires tant de cordonniers que
l'on retrouve en Brie; son épouse Nicole Jupin habitait le même
bourg que le tailleur. Quarante cinq ans après le décès
du tailleur-moissonneur Charles Dupin, sa petite fille Catherine épousera
Jean Pierre, petit fils du cordonnier Nicolas Louis Priant.
Le même an que dessus (1786) et le vingt du mois
d'aout a été inhumé dans le cimetière de cette
paroisse la corps de Charles Dupain tailleur d'habits de profession de la
paroisse de Brandeville diocèse de Reims lequel étoit venu pour
travailler à la moisson Dieu l'a appelé à luy le jour
d'hier âgé d'environ cinquante cinq ans muni des sacremens de
la pénitence et d'Extrème onction ledit deffunt mari en son
vivant de Glaudette Hurel. L'inhumation faite en présence de laditte
épouse qui a déclaré ne savoir signer de Nicolas Louis
Priant maître cordonnier en cette paroisse et de Nicolas DeLaCour (signe
Lacour) garçon cordonnier qui ont signé avec nous le présent
acte. Etat civil Mortcerf AD77 5 Mi 3240
Ce chapitre du site a été remarqué
par le service Valorisation des Publications
des Archives départementales 77
4 Az 1071
Les amendes prévues sont particulièrement
lourdes, mais les contestations ne devaient pas être rares, comme le
litige opposant Charbonnier, laboureur, la Boulaye, Vanvilliers à "Nicolas
Chevillart et six autres soyeurs de Vénizy en Bourgogne ayant travaillé
pendant la présente moisson...", le 12 août 1791.
Tribunal Police rurale Nangis, audience du 12 août
1791 AD77 UP 2310 n° 81