Soyeurs, piqueurs, sapeurs
et autres calvarniers

Les moissonneurs migrants / 2

Pour couper le blé, tous les manouvriers de la commune étaient réquisitionnés, de même que les maçons limousins, résidant la moitié de l'année au village, plus les vignerons des environs qui venaient en famille pour les deux ou trois semaines nécessaires à la moisson.

En plaine, il manquait encore de la main d'oeuvre, car la Brie est terre à céréales. Les labours et autres façons de la terre profitaient de la traction animale, mais non la moisson où tout devait encore se faire à la main.
"La moisson était effectuée par eux-mêmes chez les petits cultivateurs et, dans les exploitations plus importantes, par des vignerons soit du pays, soit de la Champagne ou de la Basse Bourgogne qui avaient l'habitude de quitter chaque année leur pays pour venir faire la moisson en Brie, plusieurs étant accompagnés de leurs femmes."
Le patois briard , Auguste Diot
"Les migrations de récolte mobilisent des familles entières, les femmes et les adolescents accompagnant le père de famille. Celle- ci peut constituer une équipe à elle seule, le mari moissonnant, la femme liant alors que les enfants glanent sur le champ. Dans certains départements du Bassin Parisien, les femmes constituent presque la moitié des effectifs de main d'oeuvre saisonnière."

Les migrations saisonnières en France sous le Premier Empire, essai de synthèse. Roger Béteille

 

 

L'enquête sur les travailleurs saisonniers recense sur les six mille migrants, quatre mille sept cents moissonneurs pour l'année 1809 venus d'Aisne, Aube, Côte d'Or, Haute Marne, Meuse (?) et Yonne pour la moisson. Certains Limousins faisaient même le long voyage, uniquement pour cette période, à l'inverse des maçons qui migraient d'avril à novembre. Dans l'élection de Guéret, en 1765, on trouve des brassiers qui "aident à faire la récolte dans les provinces de Brie et de Sologne ... Au commencement du mois de juin, il fut ainsi qu'il avoit accoutumé d'aller tous les ans faire la moisson dans la province de Brie, d'où estans de retour sur la fin du mois d'août dernier..."
Dans Annie Moulin: Les Maçons de la Creuse: les origines du mouvement
Les nombres révélés par les enquêtes sont sujets à caution. Alors que les conditions matérielles de la moisson avaient peu varié en quelques décennies, on ne trouve pour l'arrondissement de Provins (plus d'une centaine de communes) qu'un gros millier de moissonneurs sous Napoléon I° contre quatre fois plus pour les seules quatorze communes du canton, quarante ans plus tard... Un article sur la faux signale en 1.794 de 20 à 24.000 moissonneurs migrants à Meaux qui n'en reconnaît que 1.500 quinze ans plus tard. La conscription sous Napoléon ne peut expliquer une telle différence, alors qui croire?

Le préfet de l'Yonne, d'où provenait nombre de moissonneurs indique: "Chaque famille au village a son cultivateur attitré." Abel Châtelain: Brie, terre de passage.
"Les moissonneurs ne venaient qu'en temps opportun de leurs pays éloignés, car ceux qui avaient d'anciennes relations dans la Brie s'informaient du moment de la maturité avant de se déplacer. Les moissonneurs se tenaient sur les places et dans les rues des villes (Melun, Provins, Nangis, Bray, etc.), où les cultivateurs venaient les embaucher." Auguste Diot: Le patois briard.

Le nombre de saisonniers était considérable. Dans les arrondissements de Coulommiers et Melun, dont les fiches communales ont été conservées, on relève des transferts massifs dans de minuscules communes: cent dix moissonneurs à Quiers dont le village ne comptait alors que 235 habitants; cent vingt migrants à Aubepierre (302 habitants), comme à Andrezel (248 habitants); une centaine à Clos Fontaine (184 habitants) et plus de la moitié de la population à Ozouër le Repos: cent quarante saisonniers pour 278 habitants. On pourrait continuer avec d'autres communes, marquées sur la carte d'une puce violette, qui ont en commun d'être situées dans la plaine céréalière de Brie, et non dans ses franges boisées, comme la Chapelle Rablais.
Les autres arrondissements (plus pâles sur la carte) ont globalisé leurs réponses. Provins (1.200) et Meaux (1.500) déclarent des moissonneurs venus d'autres départements, mais non celui de Fontainebleau où les migrants ne se seraient occupés que de taille de pierres, grosse maçonnerie, sciage des bois, ramonage et commerce de peaux, sans compter les multiples ouvriers du château.
"Ce sont des ménages de journaliers ... laissant leurs enfants à la garde des voisins: on les voyait arriver de dix lieues et plus, hommes et femmes, les pieds nus dans leurs sabots de hêtre... sur l'épaule, un petit baluchon, qui ne renfermait pas de toilette superflue.. sur l'autre, deux faucilles, une médiocre et une plus grande appelée volant, habilement liées ensemble par une cordelette de paille qui en protégeait le tranchant. " Paul Cunisset-Carnot, cité dans "Paysans et notables du Morvan au XIX° siècle" Marcel Vigreux
"Dans l'Yonne, les exploitants de coches d'eau mettent à la disposition des moissonneurs de grandes barques découvertes qui leur permettent de gagner le centre du Bassin Parisien sans grande fatigue. Cependant, la grande majorité des voyages s'effectue à pied."
Roger Béteille, opus cit.
Le maire de Presles, répondant à l'enquête de 1809 précise:
"Il vient non habituellement mais momentanément dans le temps de la moisson quelques ouvriers du département de l'Yonne. Il en passe quelques uns en troupe de sept à huit quelquefois 9 à 10 qui ne séjournent que quelques jours."

A l'heure actuelle, je n'ai pas trouvé de preuve que des moissonneurs venus d'autres contrées soient venus couper le blé à la Chapelle Rablais, à part le contrat d'emblavures qui délègue à un entrepreneur de la Chapelle Gauthier la moisson de la petite ferme de Trenel. La main d'oeuvre locale devait suffire pour la récolte des blés.

Il faut dire que, si la terre était déjà dans les mains de gros propriétaires au début du XIX° siècle, la production de céréales n'était pas dominante à la Chapelle Rablais: une bonne partie du terroir était en bois ou en friches. Le reste, hors jardins et vergers, était partagé en trois zones de culture appelées saisons: "faucher ladite avoine en tems et saison convenable" : saisons des bleds, des mars, des jachères suivant une rotation triennale. Le froment n'occupait que le tiers du territoire mis en culture. De plus, on ne récoltait que ce que voulait bien laisser le gibier, dont la prolifération était entretenue par les gros propriétaires, leurs châteaux servant surtout de rendez-vous de chasse; à noter que les bois appartenaient aux riches, ce qui était source de conflits, comme on le voit dans un autre chapitre consacré à la chasse.

Première page du chapitre bois/champs: la Chapelle Rablais dans la Capitainerie de Fontainebleau
Découvrir les curieuses pratiques du Comte Greffuhle à la fin du XIX° siècle concernant le gibier

Les gros propriétaires en 1832
 

    Latour Maubourg, château des Moyeux
    Rihouet, château de Champbrûlé
    Trenet, maison forestière du Mée
    Putois, les Moulineaux, maire de Guignes
    Ségur, Vauvert, Delarue, tous hors commune
 
Passez la souris sur la carte
 
    Bois
    Friches

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   Courrier

Venus par groupes de six à dix, ou bien en famille, les moissonneurs affluaient des régions voisines pour les travaux de la moisson, en Brie. Nous découvrirons plus loin leurs conditions de vie.
Doc: l'enquête de 1809
"...tous lesquels cy devant dénommés sont occupés dans le courant de l'année aux travaux du peu de vignes sittuës sur le terroir de cette commune, et lors de la saison de la moisson, une partie reste pour moissonner les seigles de ce territoire et vont en Brie pour la récolte des froments et l'autre partie vont faire moissons en Champagne et de là en la Brie; ceux qui partent en Champagne pour faire les seigles partent ordinairement du premier au quinze juïllet vieux stile, et les autres pour la Brie partent ordinairement aux environs du vingt cinq juillet aussy vieux stile."
la municipalité de Céant en Othe, le 1° messidor an 2° de la République française une et indivisible AD 10 L 534
En l'an 2 de la Révolution où la crise des céréales sévissait, des listes de moissonneurs furent établies en vue de réquisitions. On peut ainsi avoir une petite idée du nombre de manouvriers quittant leur village pour faire les moissons en Brie. Ainsi, à "Céant en Othe" déjà cité (Séant en Othe, nom révolutionnaire du village de Bérulle qui ne voulait plus porter le nom des anciens seigneurs) sur les 705 habitants recensés en 1793, cinquante quatre figuraient sur les listes de moissonneurs soit 13%; le bourg proche d'Aix en Othe, près de mille cinq cents habitants, prévoyait d'envoyer soixante dix moissonneurs soit 21% de la population. Archives de l'Aube L 534
mise à jour: décembre 2018