Soyeurs, piqueurs, sapeurs
et autres calvarniers
Soyeurs et calvarniers/ 3
Les moissonneurs qui venaient des contrées
proches ne maniaient pas la faux, mais la faucille:
"on les voyait arriver de dix lieues et plus, hommes et femmes, les pieds
nus dans leurs sabots de hêtre... sur l'épaule, un petit baluchon,
qui ne renfermait pas de toilette superflue.. sur l'autre, deux faucilles,
une médiocre et une plus grande appelée volant, habilement liées
ensemble par une cordelette de paille qui en protégeait le tranchant."
Ils ne venaient pas faucher, mais scier (soyer) le blé: "A
la charge par ledit sieur Laurent de faire soyer lesdits Bleds et faucher
ladite avoine en tems et saison convenable".
Extraits des pages précédentes
"Soyeurs de bled, faucheurs de prez",
la distinction se faisait déjà
au Moyen Age puisque le Ménagier de Paris, 1393, distinguait "soieurs,
faucheurs, bateurs en granche ou vendengeurs..."
"Soyeux" en Brie, les moissonneurs pouvaient être nommés
ailleurs: seilleurs, silleurs, mestiveurs, mestiviers, mestivots, messonniers
ou meysonniers...
Le soyage, travail à la faucille était plus lent, plus fatigant, moins bien payé, mais il était plus sûr que celui à la faux, qu'on appelait piquage, en Brie: "Avec les piqueux, les maladroits surtout, de nombreux épis verdaient s'échappaient du harnais et jonchaient le sol de tous côtés, ce qui n'avait pas lieu avec le soyage, travail propre et parfait." Le patois briard , Auguste Diot, Société d'Histoire et d'Archéologie de l'Arrondissement de Provins. 1930
"Dans la Beauce,
dans la Brie, et plusieurs autres provinces... on coupe les seigles et les
froments avec la faucille. Mais on y fauche les orges et les avoines."
Duhamel du Monceau, Eléments d'agriculture
1779
On utilisait la faux pour les foins et les céréales de printemps
et la faucille pour les céréales fragiles à tige longue,
la paille étant beaucoup plus haute que pour les variétés
modernes, comme on le voit dans cet extrait d'un tableau de Brueghel, qui
montre peut être une moisson idéale, mais aussi dans les planches
de l'Encyclopédie: à gauche, les foins coupés à
la faux, à droite, les blés sciés à la faucille
atteignent presque la hauteur d'un homme.
Verder: verbe très utilisé
en Brie, pouvant signifier se précipiter, culbuter, jaillir, éclabousser,
ricocher, rejaillir, se hâter, s’amuser, rejeter... que sais-je
encore?
Soyage: c'était autrefois, avant 1845 ou 1850, le
moissonnage des blés avec la faucille, synonyme en français
de scier les blés. Le soyeux était le moissonneur qui soyait
(se prononçait souéyage, souéyer, souéyeux)...
Auguste Diot
Piquage, piquer. On désignait ainsi le moissonnage
avec la faulx montée sur un harnais à trois ou à quatre
doigts, système ayant succédé au soyage.... Auguste
Diot
Ne pas confondre Piquer et Dépiquer
Dépiquer:Égrener le blé, soit en le
faisant piétiner par des bêtes, soit en le passant au rouleau,
soit maintenant, le plus souvent, au moyen d’une batteuse.
Dictionnaire de l’Académie française
Et ne pas confondre Piqueur et Brie et Piqueur du Livradois : "Ils
parcourent la France sous la forme de mendiants, d'incendiés, munis
de faux papiers, de pèlerines chargées de coquilles, de porteurs
d'agrues et de chapelets...
Ils revêtissent tous les déguisements... On les a vu dans le
gros de la Révolution paraître sous la forme d'émigrés
rentrés, de couleurs réfugiés, de prêtres déportés...."
Préfet du Puy de Dôme 1808
Auguste Diot, cultivateur de la région de Provins, détaille en 1930 les techniques de moisson: "Il y a quatre-vingt ans, (1930- 80= 1850) la faucille était le seul outil employé pour couper les blés et les seigles... Le soyage durait environ quinze à vingt jours. Les soyeux travaillaient par équipe de cinq ou six. Le plus fort qui, en même temps, était le plus habile, était le premier en avant, car son travail était le plus difficile, ayant à dégager le passage à côté d'une autre emblave. Souvent ce premier était relayé par un autre pendant l'attelée ou la journée suivante, lorsque le travail d'ouverture (le dérivage) était trop pénible."
"L'opérateur s'avance la tête tournée vis à vis le grain qu'il veut abattre. Il saisit les chaumes de la main gauche en tournant la paume en dedans. En même temps il engage le croissant de la faucille dans la moisson, l'appuie contre le grain saisi par la main gauche, et tirant brusquement vers lui le tranchant de l'instrument, la poignée se trouve coupée." Maison rustique du XIXe siècle 1835
"Les soyeux se mettaient à l'ouvrage dès les premières
clartés du jour, certains d'entre eux avant trois heures, d'autres
avant quatre heures du matin au plus tard, car c'était le matin qu'ils
se trouvaient le plus à l'aise pour travailler, la chaleur les accablant
au milieu de la journée. Ils ne rentraient à la ferme qu'à
la nuit close. On leur apportait au champ leur dîner de midi (la soupe
disait-on), dans de grandes timbales à double compartiment, la soupe
dans le bas et la pitance dans le compartiment supérieur et aussi
leur vin (un litre par personne) et de grandes bouteilles de grès
remplies d'eau fraîche, qu'ils avaient le soin de cacher sous plusieurs
gerbes pour les mettre à l'abri du soleil.
Le repas terminé, ils dormaient un somme d'une demi-heure ou d'une
heure avant de reprendre leur travail.
Le soir, ils ne quittaient le soyage que pour avoir le temps nécessaire
au ramassage de leurs manvées (la poignée de blé coupé,
qu'il posait à terre à côté de lui, s'appelait
une manvée) faites dans la journée, afin de les mettre en
gerbes et les lier avant de rentrer à la nuit complète (à
la raide nuit, suivant l'expression). Les gerbes étaient laissées
sur le champ...
Ils soupaient de soupe au lait et de charigot, de miroton ou autres mets
et légumes variés. Ils couchaient dans les greniers sur des
lits étendus sur le plancher, les jeunes dans le foin ou la paille.
"
Après ce petit détour par la grange du curé, revenons aux moissonneurs. A en croire l'article contesté de René Tresse sur le développement de la fabrication des faux en France de 1786 à 1827 et ses conséquences sur la pratique des moissons, la faucille n'aurait eu que des qualités, au contraire de la Maison Rustique qui "trouve que la faucille est désavantageuse sous tous les rapports" :
"Le travail des moissonneurs consistait en la
coupe, le ramassage et le liage des gerbes qu'ils laissaient sur le champ.
La mise en moyettes (pratique inconnue
du temps des soyeurs) était effectuée
par le personnel de la ferme, ou bien par des femmes faisant ce travail
à la tâche, à l'arpent (1fr. 50). Avant le système
des moyettes, on plaçait les gerbes à plat sur la terre, dont
deux, croisées entre elles, mises dans un sens, puis les épis
de quatre autres reposant perpendiculairement sur ces deux premières,
ensuite trois autres sur les quatre précédentes, deux sur
ces trois et une comblant le tas, le tout formant ainsi une pyramide allongée.
On appelait ces tas des trios, des diziaux ou des douziaux, suivant les
localités. "
Le patois briard , Auguste Diot
"Il est rare que l'on trouve de l'avantage à faire enjaveler ou engerber et lier les grains coupés par les moissonneurs. On perd du temps dans les déplacemens inutiles, dans les allées et venues. Il convient d'avoir, pour cette spécialité, un atelier dirigé par un homme habile et actif, (calvanier) bien au fait de cette manoeuvre, ayant assez de sagacité pour diriger sa troupe sur un point préférablement à tel autre, et prenant conseil des circonstances plutôt que du hasard." Maison rustique
"La faucille permet de couper haut, la javelle ne dépassant pas 80 cm de longueur. Le chaume est systématiquement laissé long pour le plus grand avantage de tous. Le métayer y voit un moyen de fumer la terre en un temps où la paille est souvent donnée en nourriture à un cheptel peu abondant, la litière étant empruntée aux bois et aux arbrisseaux de végétation spontanée. Le faucillage a encore la réputation de rendre le glanage plus fructueux, le pauvre bénéficie ainsi d'un droit d'usage sur le chaume qui servira à couvrir sa maison.. les chasseurs eux- mêmes déclarent que la faux détruit les nids de cailles ou de perdrix. L'un des arguments principaux demeure toutefois la préférence des journaliers pour un travail lent qui occupe beaucoup de bras."
Les passeports, plan du site | |
1° page: les moissonneurs saisonniers de Brie | |
2° page: les moissonneurs migrants | |
suite: Piqueurs et sapeurs | |
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Bibliographie | |
Courrier | |
La grande majorité des moissonneurs itinérants maniait donc la faucille et provenait de contrées proches, principalement de vignobles: Marne, Aube, Yonne, mais aussi du Morvan. Nous verrons dans la page suivante que les faucheurs et sapeurs, bien plus rares, provenaient de régions plus éloignées...
Avec le casuel (paiement des cérémonies), la
dîme était la seule ressource de nombreux curés qui, en
plus de leur subsistance, devaient régler l'achat des ornements d'église
et des livres saints, ainsi que l'entretien de la nef et des transepts de
l'église, le choeur étant à la charge des paroissiens.
Dans certains cas, la dîme était prélevée par de
"gros décimateurs" (évêque, chapitre, abbés,
monastères) qui reversaient au prêtre une "portion congrue",
peu élevée. Pour la paroisse de la Chapelle Rablais, c'est le
curé qui se chargeait de recueillir cet impôt.
Etienne Charles Fare Huvier, desservant de la paroisse au milieu du XVIII°
siècle, a bataillé contre le seigneur du village pour recouvrer
les dîmes qui lui étaient dues et que le curé précédent,
vieillissant, avait dû laisser en deshérence: "Le
mardy 29° aoust 1758 Edme Rondinet mon dixmeur à dixmé dans
le parque de Mr des moyeux et en sa présence plusieurs bottes d'orge,
Le jeudy trente un aoust jacques Renier mon domestique natif de Bazoches près
Provins et jacques Martin Calvernier natif de fontenailles ont dixmé
en l’absence de Rondinet dixmeur du Canton et ont voituré chez
moy plusieurs bottes d'avoine dixmée dans une allée dudit parc
au levant en présence dudit Sr des moyeux et sans opposition de sa
part." Registre paroissial, mairie Chapelle
Rablais
Au Moyen Age, le droit d'éteule...
"permet à tous les habitants du hameau
de venir chercher dans les champs, sitôt les épis tranchés,
la paille qui servira à couvrir leurs maisons, à faire la litière
de leurs bêtes, à allumer leur feu etc.. Dans ce but, il est
interdit de moisonner autrement qu'à la faucille avec laquelle on tranche
au dessous de l'épi." Régine
Pernoud, dans Histoire du Peuple français
Le mois de juillet des Très riches heures du duc de Berry, XV°
siècle, montre deux moissonneurs utilisant une grande faucille, le
volant, aidés d'une baguette, suivant une technique qui se rapproche
de la sape flamande (voir page suivante).
Il ne semble pas que la paille laissée soit bien haute, de même
sur la glaneuse de Brughel, ci dessus .