Le patois briard
Le soyage

Extrait d'un texte d'Auguste Diot (1858/1932), en appendice de son livre "Le Patois briard dont, plus particulièrement, le patois parlé dans la région de Provins".
Cet extrait ne concerne que le soyage, d'après les souvenirs de cet ancien cultivateur.

 

C'était autrefois, avant 1845 ou 1850, le moissonnage des blés avec la faucille, synonyme en français de scier les blés. Le soyeux était le moissonneur qui soyait (se pron. souéyage, souéyer, souéyeux).

Il y a quatre-vingt ans, la faucille était le seul outil employé pour couper les blés et les seigles. Les avoines et les orges se coupaient à la faulx, à la volée. Dans une ferme un peu importante, une exploitation de 350 à 400 arpents, on occupait quinze à vingt soyeux. Des vignerons des environs de Bar-sur-Aube et de Bar-sur-Seine, des champenois comme on les appelait (des champenois), après avoir donné à leurs vignes les façons nécessaires, venaient faire la moisson en Brie avant les vendanges, complétant ainsi les moissonneurs du pays dont le nombre n'était pas suffisant pour cet urgent travail.

Le soyage durait environ quinze à vingt jours. Les soyeux travaillaient par équipe de cinq ou six. Le plus fort qui, en même temps, était le plus habile, était le premier en avant, car son travail était le plus difficile, ayant à dégager le passage à côté d'une autre emblave. Souvent ce premier était relayé par un autre pendant l'attelée ou la journée suivante, lorsque le travail d'ouverture (le dérivage) était trop pénible.

La plus grande partie des terres de la plaine de Brie était, à cette époque, disposée en billons (nommés ici sillons, pron. sellions) de six ou huit raies ; chaque soyeux moissonnait un sillon de largeur. La poignée de blé coupé, qu'il posait à terre à côté de lui, s'appelait une manvée.

Les soyeux se mettaient à l'ouvrage dès les premières clartés du jour, certains d'entre eux avant trois heures, d'autres avant quatre heures du matin au plus tard, car c'était le matin qu'ils se trouvaient le plus à l'aise pour travailler, la chaleur les accablant au milieu de la journée. Ils ne rentraient à la ferme qu'à la nuit close. On leur apportait au champ leur dîner de midi (la soupe disait-on), dans de grandes timbales à double compartiment, la soupe dans le bas et la pitance dans le compartiment supérieur et aussi leur vin (un litre par personne) et de grandes bouteilles de grès remplies d'eau fraîche, qu'ils avaient le soin de cacher sous plusieurs gerbes pour les mettre à l'abri du soleil.
Le repas terminé, ils dormaient un somme d'une demi-heure ou d'une heure avant de reprendre leur travail.

Le soir, ils ne quittaient le soyage que pour avoir le temps nécessaire au ramassage de leurs manvées faites dans la journée, afin de les mettre en gerbes et les lier avant de rentrer à la nuit complète. Les gerbes étaient laissées sur le champ. La mise en trios ou en diziaux s'effectuait par les soins de l'employeur. Le système des moyettes n'était pas encore connu.

Pour le soyage, comme pour le piquage qui le remplaça, les moissonneurs ne venaient qu'en temps opportun de leur pays éloignés, car ceux qui avaient d'anciennes relations dans la Brie s'informaient du moment de la maturité avant de se déplacer. Les moissonneurs se tenaient sur les places et dans les rues des villes (Melun, Provins, Nangis, Bray, etc.), où les cultivateurs venaient les embaucher.

On discutait sur le prix, à tant de l'arpent, 8, 10, 12 francs au temps du soyage ; 12 à 15 francs au moment du piquage, plus la nourriture, les prix variant suivant la difficulté du travail, les blés étant ou n'étant pas versés, à la suite d'orages ou de pluies persistantes.

Pour la qualité, la légèreté, la trempe de leurs faucilles, certains taillandiers avaient une réputation qui s'étendait très loin. Dans notre contrée, c'était un maréchal-taillandier de Gumery, localité près de Nogent-sur-Seine, qui jouissait de cette renommée.

Les moissonneuses-lieuses, possédées maintenant par les plus petits cultivateurs, ayant complètement remplacé le soyage et le piquage, aucun champenot ne vient plus à la louée des moissonneurs comme autrefois. Seuls, quelques calvarniers se tiennent sur les places de nos villes, attendant l'embauche au moment de la moisson.

Auguste Diot: le Patois briard, publié en 1930 et réédité en 2007 par la Société d'Histoire et d'Archéologie de l'Arrondissement de Provins, qui a autorisé la publication de cette longue citation.