Le patois briard
Le piquage
Extrait d'un texte d'Auguste Diot (1858/1932), en appendice de son livre
"Le Patois briard dont, plus particulièrement, le patois parlé
dans la région de Provins".
Cet extrait ne concerne que le piquage, d'après les souvenirs de
cet ancien cultivateur.
On désignait ainsi le moissonnage avec la faulx montée sur un harnais à trois ou à quatre doigts, système ayant succédé au soyage. Le piquage était le procédé généralement en usage pour moissonner avant l'emploi des moissonneuses- lieuses, importées d'Amérique il y a quarante-cinq à cinquante ans, lesquelles à cette époque liaient les gerbes avec du fil de fer et ne pouvaient travailler que dans des récoltes très droites, sans aucune flâche de verse. Aussi, ces machines n'eurent guère de succès à leur début, mais ces instruments de récolte ont été si perfectionnés depuis, que leur emploi s'est généralisé car, depuis vingt ans, les plus petits cultivateurs, n'ayant même que deux chevaux, ont leur moissonneuse-lieuse. Voici comment le piquage s'opérait : Le piqueux, ayant la céréale à couper à sa gauche, donnait les coups de faulx de manière que les crochets de son harnais, ramassant la portion coupée, la plaçait debout, ou très peu penchée, ce qui était préférable pour le ramasseur, en portant cette coupe à gauche contre le reste de la céréale non coupée. Un rémasseux (ramasseur), qui était souvent la femme du piqueux (dite alors la rémâsseuse), suivait derrière en enlevant par brassiées (brassées) l'andain coupé, déposait chaque brassiée su' in ièn (chaque brassée sur un lien) qu'il venait de faire avant sa brassée, s'il était assez habile pour faire les liens et ramasser en suivant le piqueur. Mais, le plus souvent, c'était un enfant qui faisait les liens et les plaçait à la portée du ramasseur, ou bien quelquefois c'était une troisième grande personne qui fabriquait ces liens et liait les gerbes derrière le ramasseur. Souvent alors, dans ce cas, le ramasseur et le lieur changeaient réciproquement de fonction à l'andain suivant, le travail du ramasseur étant le plus pénible, même que celui du piqueur. On mettait deux moyennes brassées, sur un lien, pour faire une gerbe.
Lorsqu'une équipe n'était composée que de deux moissonneurs, comme il n'y avait que peu de ramasseurs pouvant suivre le piqueur de près en ramassant et faisant aussi les liens, celui-ci cessait de piquer de temps en temps, lorsqu'il avait une certaine avance sur le ramasseur et faisait des liens qu'il plaçait de distance en distance devant ce dernier. Les gerbes se trouvaient ainsi sur les liens sans être liées, le ramasseur y déposant simplement ses brassées. Les moissonneurs opéraient alors ce liage tous ensemble vers la fin de l'étlée.
D'autres équipes de deux opéraient autrement : le piqueux fauchait sans s'occuper du rémasseux. Celui-ci faisait ses liens et ramassait, formant des gerbes en plaçant deux brassées sur chaque lien. Ne pouvant suivre le piqueur, le ramasseur se trouvait loin derrière lui. Alors le piqueur étant arrivé au bout de son andain, ou du champ, y laissait sa faulx et, en revenant reprendre un autre andain de coupe, y liait les gerbes préparées derrière lui par le ramasseur, en attendant que celui-ci aille au bout de son ramassage. Le ramasseur rapportait alors la faulx laissée par le piqueur, pour recommencer un autre andain. De cette manière tout le travail, coupe, ramassage, liage, se trouvait terminé en une seule fois. Les moissonneurs suivaient l'un ou l'autre de ces procédés, selon leurs habitudes, leur habileté et l'adresse de chacun en particulier. Ce fut de 1845 à 1850 que le piquage remplaça le soyage. C'était déjà un progrès, car le travail se fit beaucoup plus promptement et le piquage était un travail moins pénible que le soyage, surtout pour le piqueur, le ramasseur toujours courbé ayant plus de mal que son compagnon.
Le soyage persista encore assez longtemps avant d'être complètement remplacé par le piquage. C'est parce que, avec les piqueux, les maladroits surtout, de nombreux épis verdaient s'échappant du harnais et jonchaient le sol de tous côtés, ce qui n'avait pas lieu avec le soyage, travail propre et parfait.
Les Belges et les ouvriers venant du Nord, ceux-ci appelés Camberlots parce que venant des environs de Cambrai, bineurs de betteraves, faisaient la moisson au moyen de la sape, petite faulx à manche court, en frappant de la main droite, tandis qu'un crochet, tenu de la main gauche, ramassait la coupe pour en former une javelle.
Auguste Diot: le Patois briard, publié en 1930 et réédité en 2007 par la Société d'Histoire et d'Archéologie de l'Arrondissement de Provins, qui a autorisé la publication de cette longue citation.