
Soyeurs, piqueurs, sapeurs
      et autres calvarniers
      Piqueurs & sapeurs / 4

La faux " s'emploie de deux 
      manières, selon l'espèce de grain qu'on veut couper. On fauche 
      en dedans ou en dehors. La première méthode s'emploie pour 
      les céréales dont les chaumes ont une certaine hauteur, et 
      généralement pour les diverses espèces de froment et 
      de seigle.... On fauche en dehors les céréales qui n'ont que 
      peu de hauteur parce que les chaumes ne pourraient soutenir ceux qui sont 
      coupés."
      Maison rustique du XIXe siècle 1835 
    
"Voici comment le piquage s'opérait 
      : Le piqueux, ayant la céréale à couper à sa 
      gauche, donnait les coups de faulx de manière que les crochets de 
      son harnais, ramassant la portion coupée, la plaçait debout, 
      ou très peu penchée, ce qui était préférable 
      pour le ramasseur, en portant cette coupe à gauche contre le reste 
      de la céréale non coupée. Un rémasseux (ramasseur), 
      qui était souvent la femme du piqueux (dite alors la rémâsseuse), 
      suivait derrière en enlevant par brassiées (brassées) 
      l'andain coupé, déposait chaque brassiée su' in ièn 
      (chaque brassée sur un lien) qu'il venait de faire avant sa brassée, 
      s'il était assez habile pour faire les liens et ramasser en suivant 
      le piqueur. Mais, le plus souvent, c'était un enfant qui faisait 
      les liens et les plaçait à la portée du ramasseur, 
      ou bien quelquefois c'était une troisième grande personne 
      qui fabriquait ces liens et liait les gerbes derrière le ramasseur. 
      Souvent alors, dans ce cas, le ramasseur et le lieur changeaient réciproquement 
      de fonction à l'andain suivant, le travail du ramasseur étant 
      le plus pénible, même que celui du piqueur. On mettait deux 
      moyennes brassées, sur un lien, pour faire une gerbe."
      Le patois briard , Auguste Diot, Société 
      d'Histoire et d'Archéologie de l'Arrondissement de Provins. 1930
    

Soir de moisson; moment crépusculaire, on 
      s'imagine volontiers, assis sous un portail, admirant ce reste de jour dont 
      s'éclaire la dernière heure du travail, pendant que, déployant 
      ses voiles, l'ombre où se mêle une rumeur, semble élargir 
      jusqu'aux étoiles, le geste auguste du faucheur ! pour détourner 
      quelque peu les vers du grand Victor. 
      Dommage pour le cliché romantique, le moissonneur, au début 
      du XIX°, "travaille courbé, 
      replié sur lui-même, dans une position fatigante qui exige, 
      pour être supportée, un très long entraînement. 
      Son labeur est d'autant plus rude qu'il se poursuit de l'aube au soleil 
      couché. " La moisson se fait 
      le plus souvent à la faucille.
En italiques: extraits du Petit Journal illustré, 28 Juin 1908
"La grâce robuste et noble de la faux" est rare: environ cent cinquante moissonneurs à la faucille, des soyeurs, sont venus à Grandpuits en 1809 contre seulement neuf à dix faucheurs. L'agent municipal précise que les soyeurs viennent des régions proches: Yonne et Aube alors que les faucheurs sont originaires des Ardennes.
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Autre technique, autre outil: la sape flamande: "Cet 
      instrument 
      est une courte faux fixée à un manche d'environ soixante centimètres
      de longueur et terminée, à l'extrémité opposée 
      à la lame,
      par un coude que l'ouvrier saisit de la main droite. 
      L'usage de cet outil est complété par un crochet en fer 
      que le piqueteur tient de la main gauche et avec lequel 
      il maintient et étend par terre la javelle 
      qu'il vient de faucher."  Petit Journal 
      illustré
Si le rédacteur de la Maison Rustique se sent incapable d'expliquer 
      le maniement de la sape flamande alors qu'il dissèque l'usage de 
      la faux et de la faucille -saviez- vous qu'il existait un usage anglais 
      de cet instrument?- c'est qu'il s'agit là d'une technique de véritables 
      professionnels de la moisson, bien que quelques lignes plus loin: "Elle 
      est facilement maniée par les femmes, coupe le blé versé 
      avec une perfection et une promptitude que l'on chercherait vainement à 
      rencontrer dans un autre instrument. La sape est, je crois, l'instrument 
      le plus avantageux pour moissonner les céréales dans les circonstances 
      actuelles."
      Comme le nom de l'outil l'indique, les "sapeurs" 
      viennent du Nord. Le résumé de la Préfecture pour l'enquête 
      de 1809 les fait tous venir de l'Aisne: "Sciage 
      des bleds, méteils et seigles, dans ce nombre il y en a environ 150 
      qui fauchent les bleds, ils viennent du dpt de l'Aisne." 
      En dépouillant les fiches communales, leur provenance se précise: 
      nous avons vu que GrandPuits accueillait neuf ou dix faucheurs ardennais; 
      on trouve cités des Normands à Soignolles et Limoges-Fourches 
      (peut être la même équipe puisque les villages sont proches); 
      venant de l'Aisne: à "Comblaville" 
      soixante moissonneurs, à Montereau sur le Jard une douzaine, 8 à 
      9 à Réau; un tout seul, venu de Seine et Oise pour les moissons 
      à Vaux le Pénil. Nous trouvons aussi des "Belges", 
      venus du Brabant et du département de Jemmapes d'où sont originaires 
      tant de voituriers étudiés dans un autre chapitre.
 
      Doc: le département de Jemmapes 
      
      
 
      Doc: la Maison Rustique 1835, instrumens pour moissonner...
      
 
      Doc: Foins et Moisson dans l'Encyclopédie Diderot  
Un petit bond dans le temps pour éclairer 
      les pratiques des Piqueteurs flamands au début du XX° siècle. 
      Il est possible qu'un siècle avant, ils aient eu les mêmes 
      habitudes, sinon, comment justifier le long déplacement depuis les 
      frontières Nord de la France jusqu'en Brie?
      "Dès le mois de Juillet, ils sont en Sologne, en Beauce et en 
      Brie, puis progressivement ils remontent vers leur pays d'origine, besognant 
      de leur infatigable piquet, moissonnant, abattant sans relâche les 
      blés mûrs sur leur passage. A la fin de Juillet et au début 
      d'Août, leurs silhouettes tassées se détachent sur l'horizon 
      des plaines de l'Ile-de-France et du Valois. De là, ils gagnent la 
      Picardie, puis l'Artois, le Hainaut et la Flandre française. Ils 
      y arrivent à point pour couper et rentrer leurs propres moissons... 
      Et, cela fait, ce n'est pas encore le repos, car ces mêmes hommes, 
      qui ont moissonné tout l'été au grand soleil des champs, 
      passeront tout l'hiver enfermés au logis devant leurs métiers 
      à tisser."  Le Petit Journal 
      illustré du 28 Juin 1908

Il semble que les bandes de piqueteurs 
      aient été capables de faire entendre, avec plus ou moins de 
      succès, leurs voix:
      " Il y a trois ans, leur travail ayant été rendu plus 
      difficile par la "verse", c'est-à-dire par le fait que, 
      partout, les orages avaient couché le blé, les piqueteurs 
      doublèrent et même triplèrent leurs exigences... Une 
      autre raison déterminait encore leurs prétentions: depuis 
      quelques années, les moissonneuses mécaniques leur font concurrence 
      dans les grandes exploitations agricoles. Mais ces machines ne peuvent fonctionner 
      utilement que si le blé n'a pas été atteint par les 
      coups de vent. Les piqueteurs, cette année-là, avaient cru 
      trouver l'occasion de prendre leur revanche et d'imposer leurs conditions... 
      En dépit de cette loi économique qui veut que les salaires 
      de l'ouvrier diminuent quand la machine entre en jeu, ils prétendaient, 
      au contraire, voir augmenter les leurs dans des proportions exagérées. 
      Mal leur en prit. Ceux d'entre eux qui ne voulurent pas capituler et accepter 
      le travail aux conditions proposées par les cultivateurs durent regagner 
      leur pays la bourse à peu près vide. Depuis si longtemps que 
      les travaux de la moisson dans le Nord de la France ne se faisaient plus 
      sans eux, les piqueteurs belges avaient de bonnes raisons de se croire indispensables. 
      L'événement leur prouva le contraire. 0n fit appel aux contingents 
      ruraux de l'armée, et la moisson put se faire sans encombre. 
      "Le Petit Journal illustré du 28 Juin 
      1908 
 
      Doc: les Piqueteurs dans le Petit Journal illustré 1908
"Les dix-huit à vingt 
      millions de salaires que les moissonneurs belges emportent, chaque année, 
      en Flandre, demeureront dans nos villages, et nous pourrons enfin voir la 
      moisson de France faite par des Français." telle est 
      la conclusion cocardière de l'article du Petit Journal, en 1908. 
      
      Un ou deux siècles auparavant, la situation devait être tendue 
      entre ces professionnels de la moisson, les paysans du cru et les familles 
      de journaliers: "Cette mobilité géographique 
      fut porteuse de changements techniques. Soucieux d'expédier leur 
      travail pour se louer dans plusieurs domaines successifs au fur et à 
      mesure de la maturité des grains, les "horsains" apportaient 
      des procédés de récolte plus expéditifs mais 
      aussi plus de dextérité. II en résulta une concurrence 
      accrue entre moissonneurs forains, véritables travailleurs d'élite, 
      préférés par les exploitants qui élevèrent 
      leurs salaires en argent tout en gagnant sur la rapidité du travail 
      et sur les pailles, et moissonneurs locaux attachés aux techniques 
      et aux usages traditionnels. Tout cela aggravait le conflit avec la communauté 
      rurale qui défendait âprement ses droits traditionnels." 
      Dictionnaire de l'Ancien Régime, PUF
 
      Doc: l'article "moissons" du Dictionnaire de l'Ancien Régime 
    

Dans les terres de nuit baignées,
    Je contemple, ému, les haillons
    D'un vieillard qui jette à poignées
    La moisson future aux sillons.
Sa haute silhouette noire
    Domine les profonds labours
    On sent à quel point il doit croire
    A la fuite utile des jours.
Il marche dans la plaine immense,
    Va, vient, lance la graine au loin,
    Rouvre sa main et recommence,
    Et je médite, obscur témoin,
Pendant que, déployant ses voiles,
    L'ombre où se mêle une rumeur,
    Semble élargir jusqu'aux étoiles,
    Le geste auguste du semeur. 
  

