Soyeurs, piqueurs, sapeurs
et autres calvarniers

la paye des moissonneurs / 5

Arthur Young , agronome anglais, était à Nangis en juin 1789, invité par le marquis de Guerchy qu'il avait rencontré quelque temps plus tôt. "Le marquis de Guerchy, que j'avais eu le plaisir de voir en Suffolk, était colonel du régiment d'Artois, en garnison ici; j'allai lui rendre visite; il me présenta à la marquise." Caen, 21 août 1788.
En visitant les terres du marquis, peut être est-il passé à la Chapelle Rablais qui faisait partie du marquisat, preuve encore visible: les armes de Guerchy qui figurent sur la façade sud du café de la Chapelle, comme sur l'église du chef lieu de canton.
Arthur Young fut témoin, à Nangis des troubles alimentaires qui précédèrent la Révolution française.

voir la page: "troubles sur le marché aux bleds de Nangis"
dossier voituriers: "projets sous la Révolution"
 problèmes d'Arthur Young à propos de son passeport
 texte intégral d'Arthur Young sur abu.cnam.fr

Les moissonneurs des Ecrennes (1° page du dossier) ont été payés en nature: du blé à prendre quand il aura été battu. Le contrat précise: quatre boisseaux et demi ... de froment mesure comble du marché de Melun, par chaque arpent qui seront soyés. Le boisseau avait une capacité fluctuante, suivant qu'on était à Moret où il ne faisait qu'environ onze litres ou à Nangis où il dépassait les vingt sept. Le boisseau de Melun, mesure rase faisait environ 16,01 litres et 16,17 "mesure comble". On ne possède pas d' estimation des rendements aux Ecrennes, près du Châtelet en Brie, mais, en 1789, l'agronome anglais Arthur Young a relevé les données pour Nangis.

Les articles de la Maison Rustique s'adressent évidemment au patron cultivateur, plutôt qu'à l'ouvrier agricole, c'est ainsi qu'il déconseille le paiement en nature dans lequel le manouvrier semble être toujours gagnant: que le blé vaille cher et il pourra le vendre un bon prix, que le prix du froment soit exagérément bas, et le manouvrier gardera ses céréales pour sa consommation personnelle.

"A Nangis, la meilleure terre arable se loue 15 livres; la moyenne, 12 ; la plus mauvaise, 8. Le froment produit, sur la meilleure terre 5 setiers ou 25 bushels, dans les bonnes années, sur les terres moyennes, 4 setiers, et sur les mauvaises, 3. De Coulommiers à Meaux... le froment, sur les meilleures terres, produit 10 setiers et on en a vu donner 15 setiers 52 bushels et demi, mais le rendement ordinaire est de 7 setiers, dîme déduite." Voyages en France
On peut estimer le rendement moyen à Nangis: un setier vaut 12 boisseaux d'où 4 setiers de 12 boisseaux : 48 boisseaux par arpent. La part des moissonneurs étant de quatre boisseaux et demi correspond environ au dixième de la récolte, ce qui se pratiquait généralement.

Les salaires, payés en numéraire, étaient très variables. Certains étaient payés à l'année: "Gage d'un charretier, 8 louis, d'un valet, 4 livres; d'une vachère, 4 livres; des autres servantes, 3 louis ou 3 louis et demi." Pour les manouvriers, la paye journalière dépendait de la durée du travail (plus courte en hiver, de l'aube au crépuscule) et de sa difficulté:
"Hommes, en été, 24 sous, en hiver, de 15 à 18 sous. Hommes, pendant la moisson, 30 sous; femmes en été 15 sous...
Coupe du blé, de 7 à 9 livres par arpent; coupe de l'orge et de l'avoine, 30 sous; coupe des prairies, 3 livres; si l'on est nourri, la moitié."toutes citations : Arthur Young pour Nangis 1789

Les migrants saisonniers y trouvaient leur compte, par exemple, les moissonneurs venus du Morvan qui trouvaient à se placer, soit dans les départements bourguignons limitrophes, soit dans le Bassin parisien: "les écarts de salaire journaliers sont, en moyenne, de 0,50 à 0,75 F entre le Morvan et les départements voisins, d'une part, et de 1,25 à 1,75 F entre leur pays et la région parisienne d'autre part. Si bien qu'en une quinzaine de jours, ce migrant peut, déduction faite de quelques faibles dépenses, rapporter en Morvan entre 40 et 50 F pour les hommes et, sans doute, entre 30 et 40 F pour les femmes."
Paul Cunisset-Carnot, cité dans "Paysans et notables du Morvan au XIX° siècle" Marcel Vigreux, Académie du Morvan, Château Chinon, 1998

"...les journées en 1790 étoient de vingt cinq , trente et trente cinq sous, ayant pris le prix moyen, ont aussi arrêté que le prix de la journée en mil sept cent quatre vingt dix est fixée à la somme de une livre dix 1 £ 10 s" indique une délibération d'un village de l'Aube d'où provenaient des moissonneurs pour la Brie. On y indique aussi les tarifs pour les voituriers: "la journée d'un voiturier en 1790 avec un cheval nourie aux frais du requérant de l'une et de l'autre nouriture étoit de 3 £; la journée d'un voiturier en 1790 avec un cheval qui se chargeoit de tous les frais et que le requérant ne fournisoit rien étoit de 4 £ 10 s." Un voiturier avec deux chevaux demandait ainsi 6 ou 9 livres, quant à celui avec une "bête asine", il prenait 1£ 10 sols ou 3 £ s'il fournissait la nourriture pour l'âne et l'ânier. AD 10 L 534

Documents sur les moissonneurs de l'Aube

Quelle somme pouvait rapporter dans sa province un moissonneur venu en Brie au début du XIX° siècle ? Là encore, les déclarations des officiers municipaux sont sujettes à caution. Les uns globalisent tout: à Fouju, 3000 à 4000 F pour l'ensemble des saisonniers occupés à "bâtisse, fauche, sciage des bleds, raccomoder les souliers, vannerie".
Aubepierre: "50 F suivant leur force et leur courage, ne restent que 20 jours", dans l'arrondissement de Provins: 36 francs, 40 francs estimés pour l'arrondissement de Meaux, à "Comblaville" 27 à 30 francs "reste vingt francs après nourriture, restent trois semaines ".

On peut s'étonner qu'à Montereau sur le Jard, douze moissonneurs empochent 150 francs chacun, cinq fois plus qu'à Combs la Ville, mais il s'agit de piqueurs de l'Aisne au rendement très supérieur aux soyeurs à la faucille. Cela semble être confirmé par la fiche de Réau, tout proche, où huit à neuf moissonneurs de l'Aisne ont un salaire de 40 sous par jour (sur une vingtaine de jours, une pièce de cinq francs valant cent sous: tous à vos calculettes! ) La différence de salaire entre soyeur et piqueur est confirmée à Voinsles : faucheurs 80 francs chacun, les moissonneurs 40 francs chacun. Il s'agit bien du temps de moissons et non des foins comme les dates le confirment.

Vers 1880, le prix d'un arpent de blé moissonné (piquage) était de 12 à 15 francs avec nourriture. On donnait 2 fr. 50 à 3 francs en plus si les moissonneurs n'avaient que la soupe et la pitance ; 6 à 7 francs en plus à ceux qui n'étaient pas nourris. La mise en moyettes (tas de gerbes de 9 à 12 debout) était effectuée par le personnel de la ferme, ou bien par des femmes faisant ce travail à la tâche, à l'arpent (1 fr. 50). Patois briard

Faire la moisson, deux à trois semaines de travail épuisant, était la meilleure occasion pour nombre de manouvriers de faire rentrer un peu de numéraire dans le budget familial.

Mesures à grain dans une halle en Dordogne
Les moissonneurs pouvaient être payés de différentes manières, décrites dans "La Maison rustique, encyclopédie d'agriculture": soit en proportion de la surface qu'ils devaient couper, tout en mettant les "bandes" de moissonneurs en concurrence: "Il faut encore moins traiter avec une seule bande; on détruirait ainsi tout genre d'émulation pour la propreté et la perfection du faucillage..." Soit en payant les ouvriers à la journée: "C'est assurément le meilleur moyen d'obtenir un ouvrage soigné, et si l'on peut se procurer chez soi assez d'ouvriers, on regrettera rarement un supplément de salaire... Ainsi, le temps se dispose-t'il à la pluie, un orage se présente-t'il ? on suspend le sciage, pour mettre ce qui est coupé à l'abri des événemens; tandis qu'avec le sciage à la tâche, on ne peut distraire les ouvriers de leur travail pour les occuper à un autre qui n'entre pas dans leurs conventions à moins qu'on n'en ait fait la mention expresse ce qui souffre de leur part, quelques difficultés."

  Les passeports, plan du site
  1° page: les moissonneurs saisonniers de Brie
  2° page: les moissonneurs migrants
  3° page: les soyeurs, moissonneurs à la faucille
  4° page: Piqueurs et sapeurs
 
   Suite: faux faucille ou sape...
 

   Courrier

Dans son livre: "la Dîme royale", Vauban étudie le budget d'un tisserand et d'un manouvrier pour envisager une répartition plus juste de l'impôt, au tout début du XVIII° siècle. Il estime la consommation annuelle de "bled", moitié froment, moitié seigle à dix setiers, mesure de Paris.
Faisons chauffer les calculettes: le setier de Paris, 152 litres, correspondait à douze boisseaux de 12,6 litres; la consommation annuelle d'une famille de manouvriers, deux parents et deux enfants estimée par Vauban, dix setiers, atteignait donc plus de mille cinq cents litres de céréales, pesant "deux cent quarante livres (de Paris), poids du sac défalqué" au setier, soit 117 kilos: plus d'une tonne de grain par famille (1.173,60 kg, pour être précis).
Les moissonneurs des Ecrennes devaient soyer des parcelles de cinq à quinze arpents. Faisons une moyenne après avoir additionné les sept lots, soit 7,7 arpents. A quatre boisseaux et demi, mesure comble de Melun, l'arpent, on peut calculer la part des familles de moisonneurs: un peu plus de cinq cent cinquante litres de blé; environ le tiers de la consommation annuelle de la famille.