Soyeurs, piqueurs, sapeurs
et autres calvarniers
faux, faucille ou sape ? / 6
Faulx, s. f. (Taillanderie & Economie
rustique.)
instrument tranchant qui sert à couper les foins & les avoines,
mais monté différemment pour ces deux ouvrages. La faulx à
foin est montée sur un bâton d'environ cinq piés de long,
avec une main vers le milieu. La faulx à avoine a une armure de bois.
On lui a pratiqué quatre grandes dents de la longueur de la faulx,
pour recevoir l'avoine fauchée, & empêcher qu'elle ne s'égrene.
Mais ce n'est pas la seule raison de la désaffection
de la faux. Elle coûtait cher et l'instrument était le plus
souvent à la charge du moissonneur: une lame de 22 pouces valait
36 livres à Provins, en thermidor an III.
AD77 L446
Sachant qu'un homme, pendant la moisson, percevait trente sous par jour
à Nangis en 1789 Arthur Young, l'achat
d'une faux correspondait à un peu moins d'un mois de salaire (une
livre valant 20 sous).
Les étapes de la fabrication étaient compliquées:
la préparation du métal par soudage
à chaud d'une lame d'acier entre deux lames de fer, l'affinage, le
corroyage, l'étirage, la trempe, le recuit et l'émoulage...
et nécessitaient un acier spécial,
fondu au creuset.
René Tresse, voir bibliographie
On a vu que la faux pouvait donner
des résultats imparfaits si elle n'était pas bien maniée:"Avec
les piqueux, les maladroits surtout, de nombreux épis verdaient s'échappaient
du harnais et jonchaient le sol de tous côtés, ce qui n'avait
pas lieu avec le soyage, travail propre et parfait."
Le patois briard
Cent mille faux étaient importées de l'étranger; la plupart provenaient de la province de Styrie en Autriche, ou d'Angleterre où elles étaient fabriquées avec de l'acier suédois. Ce qui devint vite problématique quand la France entra en guerre contre une coalition de pays: Prusse, Autriche, Piémont en 1792, rejoints par l'Espagne, la Hollande et l'Angleterre en 1793. Cela devint encore plus problématique quand fut établi le blocus continental, empêchant tout commerce légal avec l'Angleterre. D'autant plus qu'en temps de guerre, fers et aciers étaient plutôt destinés à l'armement; il fallut attendre la Restauration pour que ces matériaux retrouvent un usage civil.
Les faux étaient chères, elles étaient rares, cependant,
des tentatives ont été faites pour les introduire, sous la
Révolution, puis l'Empire. "Si les faulx
de 22 pouces qui sont offertes à 36 livres par la commission, peuvent
être utilement employées au fauchage des bleds, je vous en
informerai en vous faisant passer les demandes qui pourront en être
faites par les cultivateurs." ainsi
se termine une lettre du Procureur Sindic
près l'Administration du District de Provins, le 17 thermidor an
3° de la République, une et indivisible.
AD77 L446 Il n'est pas certain que tous les
agriculteurs en aient fait la demande: "Il
paraît que plusieurs cultivateurs de la Brie et de la Beauce ont adopté
le mode de faire moissonner avec la faux, ce qui rend moins nécessaire
les moissonneurs à bras..." se
plaint le préfet de l'Yonne qui craint des troubles si ses manouvriers
ne trouvent pas d'ouvrage cité dans
l'article d'Abel Châtelain, la lente progression de la faux.
Dans le contrat de soyage des Ecrennes, il
est bien précisé: "promettent
et s'obligent... d'y travailler sans discontinuation jusqu'au soyage parfait
de la totalité de ladite récolte, sans pouvoir se livrer à
d'autres travaux ou de semblables pour d'autres cultivateurs"
ce qui sous entend que certains groupes ne se gênaient pas pour laisser
tomber un paysan s'ils avaient trouvé de meilleures conditions ailleurs.
Les fermiers ne cherchaient pas à bouleverser les traditions
"... parce que la main- d'oeuvre étant recherchée à
l'époque des moissons, on pourrait se trouver subitement sans ouvriers..."
La Maison Rustique
Cela arriva en juillet 1794. La loi du maximum général avait
essayé de mettre fin à l'envolée du prix des céréales
en bloquant les prix, ce qui eut l'effet inverse: "Instantanément,
les greniers et les magasins se vident de leurs marchandises. Chacun achète
tout ce qu'il peut pendant qu'il est temps et les paysans dissimulent leurs
récoltes plutôt que de les vendre à vil prix. Le gouvernement
tente de réagir en appliquant des peines très dures aux contrevenants,
y compris la prison et la guillotine.." site
Hérodote
Pour protester contre le blocage des salaires, seul un moissonneur sur dix
se présenta en juillet 1794, il fallut débaucher les ouvriers
du bâtiment de Paris et les munir de faucilles confisquées
pour que la moisson puisse avoir lieu.
Page de documents sur les troubles céréaliers à Nangis 1789 et 1791
"La Convention nationale, après
avoir entendu le rapport du comité de salut public décrète:
Art. prem. Tous les citoyens et citoyennes qui sont dans l'usage de s'employer
aux travaux de la récolte, soit qu'ils résident dans les campagnes,
soit qu'ils soient domiciliés dans les villes, sont en réquisition
pour la prochaine récolte."
Décret qui met en réquisition les
gens de la campagne pour les travaux des récoltes; 11 prairial, an
2
Dans les départements habitués à fournir de la main d'oeuvre saisonnière pour les moissons, on réquisitionna les manouvriers : "La Brie manque de bras pour ses moissons, il faut lui en procurer; je requiers à cet effet .... les agens municipaux des communes dans lesquelles il existe des ouvriers habitués à les quitter pour aller travaillier dans cette riche contrée, de leur notifier aux termes de l'article 3 du décret du 11 prairial la requête de s'y rendre..." AD 10 L 534 ; 6 thermidor an II / 24 juillet 1794
"Le secrétaire a donné lecture d'une lettre extraordinaire transmise par les administrateurs du département de Seine et Marne, par laquelle ils exposent que les grains dans leur arrondissement sont parvenus à une complette maturité, qu'on ne peut sans d'exposer beaucoup différer un instant de les moissonner, mais que les bras manquent de toutes parts, qu'ils invitent l'administration du département de vouloir bien leur porter de prompts secours... L'administration du département arrête que les six districts de son arrondissement dirigeront sur le champ sur les communes de Provins et Rozoÿ tous les citoyens de l'un et l'autre sexe qui étaient dans l'usage de s'y porter chaque année pour y faire la récolte et dont il doit avoir été tenu registre dans chaque municipalité de leur arrondissement, que même ils y feront presser tous les ouvriers propres à ce genre de travail qui ne seraient pas d'une extrème nécessité dans le lieux de leur résidence..." Délibérations de l'administration du Département de l'Aube Séance publique du 7 thermidor an 2
C'est ainsi qu''Aix en Othe prévoyait d'envoyer plus de soixante
dix moissonneurs, hommes et femmes, sur les mille cinq cents habitants que
comptait le bourg :
"Liste des citoyens de la commune d'Aix en Othe
partis pour les communes de Champagne et Brie sur la fin de Messidor pour
faire les ouvrages de la moisson: Abraham Porcherot et Reine Salmon sa femme,
Antoine Jacquelin, Jean Vincent, Pierre Nicolas Rouge, Georges Michel, Pierre
Rouge, Edme Vincent, Edme Mahaut, Charles Moré, Hubert Gabut, Pierre
Galettier, Edme Hauvit et Marie Tonnellier sa femme, Claude Tonnellier et
Marie Jeanne Roy sa femme, etc..." AD
10 L 534
Si la plupart des marins anglais et portugais qui semaient tant la perturbation dans Provins, "emprisonnés" dans ce qui avait été le Couvent des Cordelières et celui des Jacobins, furent échangés contre leurs homologues français, et la plupart des "Autrichiens" au cours de l'an IV; d'autres prisonniers de guerre ne rejoignirent pas leur province d'origine et se fixèrent dans la région. Ce que nous détaillerons à la page suivante...
Les prisonniers des guerres révolutionnaires étaient nombreux en Seine et Marne. Leur recensement en thermidor de l'an III de la République (1795) en révèle près de deux mille cinq cents.
Ils étaient répartis dans tout
le département. Certains centres de rétention ont dressé
des listes nominatives que l'on peut retrouver dans la série L des
Archives départementales: à Bray, des Allemands et Hongrois;
des Anglais, Danois et Hollandais à Champcenest; des Bohémiens
et Polonais à Coulommiers; des Anglais et quelques Hollandais à
Cucharmoy, comme à Donnemarie; des Anglais, Ecossais, Irlandais à
Jouy le Châtel; des Anglais à la Croix en Brie; des Bohémiens,
Allemands, Polonais et Russes à la Ferté Gaucher; des Anglais,
Autrichiens et Allemands à Meaux; des Anglais, Danois, Ecossais, Irlandais,
Portugais à Nangis; des Anglais, Autrichiens, Allemands, Hongrois,
Polonais à Provins comme à Rebais; des Autrichiens et Hollandais
à Rozay; des Anglais à Sourdun, sans compter quelques représentants
de la Turquie, de la Valachie, de la Moravie, plus un Américain et
un Africain.
AD77 L 448
A Nangis, la ville proche de la Chapelle
Rablais, on recense cinquante cinq prisonniers, deux mourront à l'hôpital
de Provins huit s'évaderont.
Ambrosio José de Carvo, Vincente Dasilva, Archibald Mac Pherson, John
Holdin... leur origine est portugaise ou britannique (en séparant bien
Anglais, Ecossais et Irlandais) on trouve aussi un Américain et quelques
Danois. Ils sont matelots (29), maîtres d'équipage (6), capitaines
(un capitaine, sept seconds, trois capitaines en troisième), charpentier,
aumonier, chirurgien, écrivain... et même quelques passagers,
tous capturés sur des navires.
On promettait aux moissonneurs réquisitionnés un salaire augmenté: "avons ajouté la moitié du prix en sus de 1790 lesquelles journées sont fixé à la somme de deux livres cinq sous cy 2 £ 5 s pour cette commune" au lieu d'une livre dix sols comme précédemment. Délibérations de la commune de Javernant La municipalité de Séant en Othe, plus généreuse, fixait la rétribution des moissonneurs à trois livres la journée, au lieu des quarante sols perçus en 1790.
S'ils ne répondaient pas à
la convocation, ils pouvaient s'attendre à quelques ennuis :
"Article III du décret du 11 Prairial
an 2. Tout refus de la réquisition portée dans l'article premier,
toute coalition tendant à faire abandonner les travaux, à les
suspendre, à exiger des prix arbitraires, sera poursuivie et punie
comme crime de contre-révolution."
"Citoyen, en l'exécution de l'arresté du Comité de Salut public du onze prairial dernier nous estes requis de vous rendre demain 13 thermidor cinq heures du matin à la Chambre commune de ce lieu pour ensuite vous rendre à Provins pour faire la moisson; sinon vous vous metterez dans le cas de la dénonciation. à Aix en Othe ce 12 thermidor an deux de la république une et indivisible."