Maçons limousins
à la Chapelle Rablais /2

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pour leur légende.

La migration limousine ne donna pas que des maçons, mais aussi des tailleurs de pierres, des paveurs, des terrassiers, des tuiliers, des scieurs de long, des charpentiers, des couvreurs, des peintres, des chanvreurs, des chaudronniers, des portefaix, des cordonniers, des cochers, des décrotteurs et des marchands de parapluies. Liste d'après Alain Corbin "Archaïsme et modernité en Limousin au XIXe siècle"

Destinations et métiers des migrants limousins

Ajoutons à cette liste, des sabotiers: en 1809, autour de la forêt de Crécy, ils étaient seize à Mortcerf, quatorze à Villeneuve le Comte, tous de la Haute Vienne, ainsi que trente Charentais à Favières.
AD77 M 9215

"26 décembre 1776 .. demeurant et résidant en forêt de Crécy en Brie .. est comparu Pierre Giraud, sabotier de profession, demeurant au village du Couret, paroisse de Dompierre les Eglises, province de Limoges..." Acte relevé par Colette Marsaud

Au départ du Limousin, les maçons constituaient la plus grande partie des saisonniers. Abel Châtelain a recensé les migrants de la Creuse et de la Haute Vienne: 24.975 Creusois en 1860 dont 18.425 maçons (73%) et, pour huit cantons de la Haute Vienne en 1830: 5.672 migrants dont 4.923 maçons (86%) plus des paveurs que l'on ne trouve que rarement en Creuse.
Abel Châtelain Les migrants temporaires en France de 1800 à 1914

Pour le canton de Bénévent, Creuse, dont étaient originaires bon nombre de Limousins découverts à la Chapelle Rablais, les maçons constituaient la presque totalité des saisonniers partis en 1860: 873 sur 893, soit 97% plus 17 tailleurs de pierres et 3 terrassiers; il n'est donc pas étonnant que, dans notre village, à part un charpentier et un menuisier, il n'arriva que des maçons. Une cinquantaine, pour se limiter au siècle écoulé entre 1750 et 1850.

Les communes de Seine et Marne ont répondu en février 1809 à un questionnaire portant sur les migrations périodiques de main d'oeuvre. Il s'avère que presqu'aucun Seine et Marnais ne quittait son département pour chercher de l'ouvrage ailleurs; compte non tenu des artisans en apprentissage: "On n'a pu comprendre dans le nombre des ouvriers étrangers au département les gens des métiers tels que compagnons charrons, bourreliers, maréchaux, serruriers, charpentiers &c.. à cause des mouvemens fréquents qui s'opèrent parmi ces classes d'ouvriers."
Plusieurs milliers de saisonniers sont venus, cette année-là, chercher en Brie l'ouvrage qu'ils ne trouvaient pas chez eux: 6.255, pour être précis.
Toutes les communes ne sont pas citées dans les documents conservés aux Archives départementales, cote M 9215. Certains arrondissements ont globalisé leurs réponses, comme celui de Provins dont dépendait la Chapelle Rablais, (petite maison sur la carte ci-dessous)

Les fiches de chaque commune ont été conservées pour l'arrondissement de Melun (en rose sur la carte). Un tableau détaillé résume les réponses celui de Coulommiers (en beige). Pour Meaux, Fontainebleau et Provins, nous ne disposons que d'une brève feuille récapitulative.
Seulement le quart des communes a déclaré ne pas recevoir de travailleur saisonnier. Chaque point rouge représente une commune des arrondissements de Melun et Coulommiers où aucun migrant périodique n'a été recensé. Il y passait pourtant des petits marchands ou artisans, colporteurs, montreurs d'images... mais ils n'étaient pas recensés comme saisonniers: par exemple, aucun cordonnier n'est déclaré autour de Meaux alors qu'ils y étaient nombreux; ne sont cités que 1.500 moissonneurs et 20 ramoneurs! Le maire de la Chapelle Gauthier où l'on trouvait une forte colonie de débardeurs "thiérachiens" déclare "aucun ouvrier étranger à ce département ne vient à des époques déterminées travailler dans notre commune." Les "Tirachiens" ne retournaient pas dans leur région d'origine à un rythme assez régulier pour qu'il soit considéré comme saisonnier.

Dossier: les cordonniers rémouleurs lorrains
Dossier: les voituriers thiérachiens

Parmi les 6.255 saisonniers de la fiche de synthèse de la Préfecture, figurent cinquante tailleurs de pierre et scieurs de long du Calvados et de l'Orne (les scieurs du Forez ont été oubliés dans le résumé), 4.700 moissonneurs des départements voisins: "scieurs de bleds, méteils et seigle" à la faucille et "150 qui fauchent les bleds ils viennent du dpt de l'Aisne" , 125 ramoneurs de cheminées venus du Cantal, du Puy de Dôme et du département du "Mont Blanc" .
Les Limousins sont 1.380, venant de la Creuse ou de la Haute Vienne: 22%, presque le quart des migrants. Passez la souris sur la carte ci-dessus pour en découvrir la répartition pour les arrondissements de Melun et Coulommiers (points bleus).
Pour l'arrondissement de Provins dont dépend la Chapelle Rablais, les effectifs déclarés sont de 1.370 migrants: 1.200 moissonneurs venus de l'Aube, de la Côte d'Or et de la Marne (l'Yonne est omise), 20 ramoneurs de "Savoye" et 150 maçons et terrassiers venus de la Haute Vienne et de la Creuse.

L'enquête de 1809, tableau des réponses
Les Limousins dans l'enquête de 1809

"Le quinze jüillet 1750 est mort muni des sacremens de l'église et le lendemain a été inhumé à son service Jean Cugy âgé d'environ trente cinq ans garçon maçon de la paroisse de Bessine proche Limoges par moy soussigné, ancien curé de St Quiriace de Provins, en présence de Messieurs les curé et vicaire de cette paroisse, d'Antoine Cugy son frère, de Pierre Cugy son cousin germain, de Jean Desfossés et Pierre de la Serre, lesquels ont déclaré ne sçavoir signer."
Tel est le premier acte révélant un Limousin à la Chapelle Arablay, on disait ainsi à l'époque. Il y en eut certainement d'autres, auparavant, mais le curé précédent ne détaillait pas ses actes, service minimum !

Etait-il pour autant le premier à venir limousiner dans ce village? Des relevés dans le Gâtinais font apparaître Léonard et Jacques Thullier à Aufferville, Seine et Marne, dès 1628; l'acte le plus ancien concerne un maçon à Pithiviers, Loiret, en 1494 ! Ci-dessous, lien vers le site Dans le bulletin du Cercle de Généalogie et d'Héraldique de Seine et Marne, Annie Larnicol propose l'étude d'un traité d'association entre deux maçons limousins, François Lefort et Léonard Guillard à la Ferté Gaucher, dans la Brie champenoise en 1692. CGHSM bulletin n°29 Les familles Dumas et Marsat, originaires du Limousin ont donné des générations de maçons à Boissy le Châtel, depuis le milieu du XVII° siècle jusqu'à la fin du XIX°. Correspondance avec Denis Sarazin-Charpentier
Si des maçons fréquentaient le sud-ouest et le nord-est de la future Seine et Marne au XVII° siècle, pourquoi n'auraient-ils pas colonisé la Brie centrale? Il ne reste plus qu'à découvrir le document qui le révélera, et que je n'ai pas encore trouvé.

Lien externe: migrants de la Marche et du Limousin partis vers le Gâtinais

Après le décès de Jean Cugy, il faudra attendre près d'un demi-siècle pour qu'un autre maçon se révèle: Léonard Aucomte qui, lui aussi, mourut dans ce petit village briard: "Le 13 juillet 1792 a été inhumé dans le cimetière de cette paroisse par moy curé de la Chapelle Arablay, soussigné, le corps de Léonard Aucomte, âgé d'environ quarante sept ans, décédé hier ayant reçu les sacrements, époux de Jeanne Galateau de la paroisse du Grand Bourg de Salagnien, hameau de Lille, du département de la Creuse lequel travailloit en cette paroisse du métier de masson depuis environ trois semaines..."
Combien de maçons Creusois ont travaillé à la Chapelle Rablais ? On l'ignore et on l'ignorera toujours. On peut, au mieux, recenser ceux qui ont laissé des traces car un grand nombre de migrants n'en a laissé aucune. Ni chez les notaires: contrat d'association, marché pour construire une maison, contrat d'apprentissage... ni dans les registres paroissiaux: acte de décès (ça n'arrive qu'une fois, il faut bien l'avouer), mariage, témoignage... ni dans les registres de police... Les passeports et les recensements -le plus intéressant étant celui de 1872 qui donne le lieu de naissance- viendront plus tard. Il ne faut pas trop compter sur des livres de raison, des carnets de comptes, des écrits intimes: avant le milieu du XIX° siècle, rares étaient les migrants qui savaient signer.
Par jeu, je me suis posé la question des traces que j'aurais pu laisser pendant mes dernières vacances, par exemple, en mettant de côté ce qui n'existait pas du temps des maçons: exit les relevés téléphoniques, les facturettes de carte bancaire, les vidéos de surveillance et tant d'autres technologies de pistage... Je ne suis pas passé au tribunal ni chez le notaire, je n'ai pas été parrain, ni témoin à un mariage, je ne me suis pas marié, ni mort, je m'en serais peut être aperçu.
Voici deux cents ans, je n'aurais laissé aucune trace.
Le grand nombre de migrants limousins découverts masque certainement un nombre aussi grand de saisonniers qui sont passés entre les mailles du filet. Dans les pages à venir, nous essaierons d'exposer ce que les sources d'archives ont bien voulu révéler.

 

 

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Doc: traces des maçons limousins

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Dossier: les voituriers thiérachiens
L'enquête de 1809, tableau des réponses
Les Limousins dans l'enquête de 1809
   
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