Maçons limousins |
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Passez
la souris sur les illustrations pour leur légende. |
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L'acte de décès de
Jean Cugy, âgé d'environ 35 ans, "garçon
maçon de la paroisse de Bessine proche Limoges" à
la Chapelle Rablais en 1750 montre qu'il n'était pas seul quand
la mort le surprit. Etaient avec lui son frère Antoine, son cousin
germain Pierre, Jean Desfossés et Pierre de la Serre (La Serre
est un village de la Creuse qui a fusionné avec Bussière).
En 1792, Léonard Aucomte du Grand Bourg de Salagnac fut mené au cimetière de la Chapelle Rablais par son oncle Sylvain, son neveu Joseph, Pierre Boucher (des Boucher seront amplement cités au fil de ces pages), Etienne Bataille (de nombreux Bataille au Grand Bourg) et Pierre Pacon, le seul Briard; "ses amis et tous maçons". Des témoins, du même métier, du même pays, sont
aussi révélés lors de l'inhumation d'un cordonnier
de Lorraine, toujours à la Chapelle Rablais: |
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L'église
et le cimetière de la Chapelle Rablais avant 1850 Maquette réalisée avec les élèves pour une exposition sur le patrimoine avec le concours des Archives départementales |
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L'inhumation avait lieu le lendemain du décès,
trois des actes le précisent. Pas le temps de prévenir,
puis de faire venir des amis éloignés, d'autant que les
chemins étaient peu praticables: "l'état
affreux des chemins qui conduisent à Nangis et à Fontainebleau
et qui paralysent l'industrie agricole et commerciale..." |
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Si les maçons se côtoyaient en Brie, c'est qu'il se fréquentaient déjà -et continueront à le faire- dans la Creuse. Cela semble évident, mais plutôt que d'enfoncer des portes ouvertes, cherchons quelques preuves. Regardons qui était présent à la Chapelle Rablais, ou villages proches, pendant une période particulièrement fournie en maçons limousins, la deuxième décennie du XIX° siècle. Eliminons Jean-Baptiste Bidou, qui ne faisait pas partie
de la bande. Maçon originaire de la Haute Vienne, Bersac canton de
Bellac, pour être précis, "ayant demeuré à
la Chapelle Gauthier", il dut être sommé de revenir en
Brie pour réparer après avoir fauté avec une jeune
fille du cru. Son mariage, annulé en février 1811, malgré
la publication des bans, se fit le 7 novembre de la même année.
Le dix du même mois naquit un petit Antoine. On retrouve le maçon
installé à Melun, tout en laissant ses enfants en nourrice
à la Chapelle Gauthier. |
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A la Chapelle Rablais, vers 1810, six maçons
ont laissé des traces: Jean et Barthélémy Momet, Michel
Pagot, François Pety, Gaspard François Robinet, Léonard
le Roudier. Tous sont en relations étroites. Tous résident à
Mourioux ou Ceyroux, dont les chefs lieux sont distants de moins de deux kilomètres;
ces communes se sont même échangé des hameaux en 1835.
Les deux Momet sont frères. Michel Pagot fit le voyage de la Creuse
à la Brie avec Jean Momet, comme le montrent, sur leurs passeports
pour l'intérieur, des dates identiques, et surtout, sur celui de Pagot,
délivré à Ceyroux, une mention de la main du maire de
Mourioux, exactement identique à celle sur le passeport de Jean Momet,
sur laquelle nous reviendrons plus loin. François Pety, le maçon,
vivait avec son oncle aussi nommé François Pety qui fut témoin
sur l'acte de décès de Françoise Momet, fille de Jean.
Léonard Le Roudier fut, de son côté, témoin au
décès d'Anne, soeur Momet, en 1833. Et Michel Pagot était
au mariage de Gaspard François Robinet (quelquefois prénommé
Gaspard, et d'autres fois François).
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Les preuves de leurs relations auraient manqué qu'on aurait pu se douter qu'il se fréquentaient. Comment auraient pu s'éviter, dans le petit "village" de Bord, seize maisons, soixante trois habitants, où résidaient Michel Pagot, Gaspard François Robinet, Léonard le Roudier et les deux frères Momet quand ils vivaient encore avec leurs parents ? |
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"Un des traits fondamentaux de ces phénomènes
migratoires est les fortes solidarités qu'ils génèrent.
Solidarités à la fois régionales, villageoises, familiales,
professionnelles. Les filières, les réseaux, permettent aussi
bien de prendre la route que de trouver des lieux d'hébergement et
du travail à l'arrivée. C'est pourquoi les gens d'une même
paroisse, d'un même hameau, pratiqueront le même métier
et se dirigeront vers les mêmes régions. Dès qu'il en
a l'occasion, le beau-père appelle son gendre à son côté,
l'oncle son neveu. Ceux qui se fixent à l'extérieur font venir
leurs parents: frère, beau-frère, cousin... |
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"Mêmes vallées,
mêmes hameaux pour mêmes villages",
on l'a bien vu pour les moissonneurs de l'Yonne ou les voituriers thiérachiens.
Pour prendre un exemple chez les "Tirachiens", une branche de la
famille Nival est venue travailler dans les bois de Villefermoy, à
la Chapelle Rablais et Gauthier, tandis qu'une branche cousine débardait
dans la Marne et une autre dans les bois proches de Compiègne, tout
en restant en relations. Il en était de même pour les maçons
limousins.
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Dans l'enquête sur les travailleurs saisonniers, quatre vingt deux réponses concernent des maçons de l'ancienne province de Limousin, encore amplement citée, avec quelques approximations géographiques comme "le ci-devant Limoge" et même "département de la Vienne et du Guéret". Il faut dire qu'en 1809, comme les nouvelles mesures métriques, le découpage en départements, vieux déjà de deux décennies à cette époque, n'était pas encore parfaitement assimilé. Pour le maire de Saint Sauveur (77), aller à Melun (77) pour la moisson, du Gâtinais à la Brie était encore changer de province: "Dans quel département vont -ils ? Dans la Brie et les environs de Melun." |
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Quand le département est correctement cité,
il s'agit le plus souvent de la Haute Vienne, 36 réponses contre
seize pour la Creuse; au village de Guérard, arrondissement de Coulommiers,
on précise même qu'ils sont tous de Bessines.
Cartes de localisation des lieux de travail suivant les villages d'origine |
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Les Creusois semblent ne pas avoir détesté ce que Martin Nadaud appelle les mesquines rivalités: au pays, ceux qui se dirigeaient vers Lyon avaient une piètre opinion de ceux qui allaient sur Paris: un grand père s'opposa au mariage d'un maçon, saisonnier à Paris, avec sa petite fille (une forte dette y était peut être aussi pour quelque chose!) : "ancien maçon de Lyon, il détestait les Parisiens. Tel était alors l'état de nos mœurs jalousie et haine entre ouvriers et ouvriers. Ce vieux brave homme me dit encore «Les maçons de Paris gagnent de l'argent mais ils le dépensent comme ils le gagnent. Ils ne se gênent pas non plus pour abandonner leurs femmes et vivre avec des coquines." Dans les estaminets parisiens, les Limousins ne se privaient pas de tabasser les Auvergnats, d'autant que la boxe française, la "savate" était alors à la mode: "Dans le restaurant où nous avions si copieusement dîné et bu jusqu'à nous griser, il y avait un bal de musette où il se trouvait autant d'Auvergnats que de Limousins. Quelques-uns des nôtres se mirent à chanter la fameuse chanson "Lous Auvergnats én bé lo barbo fino, lous Limousis lo li fant bé sin perro, sin rasouèr." Soudainement, il se fit un grand vacarme dans la salle, puis on n'entendit que le bruit des chaises, des bouteilles et des tables qui volaient en l'air, et des hommes qui se tenaient à bras le corps. A ce bruit, se joignaient les lamentations des femmes, qui criaient dans ce milieu ensanglanté... |
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... Tel était l'état
des esprits et de certaines habitudes que si les ouvriers en partie de plaisir
rentraient le soir, dans leurs garnis sans s'être donné de bonnes
raclées, on disait qu'on ne s'était pas amusé. Il en
était de ces batailles entre ouvriers; comme aujourd'hui des questions
de duel, entre gens d'une certaine classe, qui se croiraient déshonorés
s'ils se refusaient à croiser le fer avec un provocateur quelconque."
Martin Nadaud |
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Passe encore qu'on se cherche la bagarre entre
provinces différentes, mais pourquoi pousser la rivalité
entre habitants de la même province de Marche? Les rivalités, virulentes à Paris,
s'estompaient-elles dans les campagnes? Les Limousins s'y sont montrés
"très sobres" s'il faut en croire l'avis du maire de
Combs la Ville en 1809, peut être parce que les rivaux étaient
séparés: là où il y avait des Brûlas,
on ne trouvait pas de Bigaros. |
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