Maçons limousins à la Chapelle
Rablais / 12 |
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la souris sur les illustrations pour leur légende. |
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Voici Jean Momet. Bien sûr, ce n'est pas sa photo, mais celle de l'un de ces Italiens des Apennins au parcours parallèle, maçons et migrants en France. L'épicier du petit village, quand il livrait dans les hameaux reculés, photographiait les paysans, bien calés sur une chaise pour ne pas bouger. Une centaine d'années plus tard, j'ai révélé plus d'un millier de ces plaques de verre, dont la gélatine s'écaillait parfois. Nombre des ces photos se retrouvent encore sur les tombes et permettent de mettre un nom sur un visage. Cet ancêtre à la moustache avantageuse n'a pas été reconnu. Prêtons son portrait à un Creusois, né un siècle avant lui. Maçons italiens à la 6° page du dossier Si le portrait de Jean Momet manque, on possède son signalement: à quarante ans: "taille d'un mètre 67 centimètres, cheveux châtains, front rond, sourcils chatains, yeux gris, bouche moyenne, nez moyen, barbe noire, menton rond, visage oval, teint brun, signes particuliers néant"; à quarante six ans: "taille d'un mètre 67 centimètres, cheveux châtains, front étroit, sourcils noires, yeux gris foncé, bouche moienne, nez petit, barbe noire, menton rond, visage ovale, teint blanc, signes particuliers néant". Passeports pour l'intérieur, mairie la Chapelle Rablais |
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Le maire de Montereau, inspiré par la réputation de mangeurs de châtaignes des Limousins "A l’oie, à l'oie, voilà les plante fougères, voilà les mangeurs de châtaignes !" en a placé dans tout le signalement de Barthélémy, frère cadet de Jean Momet, jusqu'à sa bouche: "taille d'un mètre 70 centimètres, cheveux châtains, front rond, sourcils châtains, yeux bleus, nez ordinaire, bouche châtaigne (bouche moienne sur d'autres actes), barbe châtaigne, menton rond, visage ovale, teint ordinaire, signes particuliers: marqué de petite vérole et ayant une cicatrice à la joue droite", sur un autre acte. Passeports pour l'intérieur, mairie la Chapelle Rablais Les présentations sont faites. Mais pourquoi s'intéresser particulièrement à Jean et Barthélémy Momet, oubliés de tous depuis bientôt deux siècles? D'abord, parce qu'en suivant les traces des frères Momet, on croise celles d'autres maçons limousins en Brie au temps de Napoléon I°: Jean Couty, Michel Pagot, Jean Baptiste Bidou, Léonard le Roudier, François Dubreuil, Pierre Pradeau, Gaspard François Robinet, Pierre Bougard, François Pety... d'autres encore qui venaient en Brie au printemps et retournaient en Limousin à l'approche de l'hiver, que ce soit à la Chapelle Rablais ou d'autres lieux. Ensuite, parce que je suis loin d'avoir les facultés d'Alain Corbin quand il s'est lancé sur les traces d'un inconnu, pour retrouver le monde de Louis François Pinagot (Flammarion 1998). J'ai choisi les frères Momet car, sur eux, j'avais recueilli de plus de renseignements que sur d'autres maçons migrants de la même époque. Je ne prends la mer que quand la cale est pleine de biscuits. Pas fou ! |
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Jean est né sous Louis XV, mort
sous Louis Philippe; il a connu la fin de l'Ancien Régime, la Révolution,
l'Empire, la Restauration, comme son frère, à quelques années
près. A-t'il été sensible aux changements de régime
politique qui n'affectaient peut être pas sa vie quotidienne?
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Les guerres sous la Révolution et l'Empire
n'ont pas pu le laisser indifférent. Il est possible que Jean
ait été conscrit, incorporable en 1793. Ses passeports,
plus tardifs, ne mentionnent que "le
sieur Jean Momet porteur d'un congé absolu" en 1812
et "il ne fait party d'aucune fonction militaire,
et il s'est toujours bien comportés en vret au nette homme"
en 1815. Il est vrai qu'à cette époque,
il était dans la quarantaine. Le terme "congé absolu"
peut s'appliquer aussi bien à l'ordre de démobilisation
après service militaire qu'au congé de réforme
"constatant que le soldat est atteint
d'une infirmité qui le rend impropre au service"
Généawiki
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Lien externe: un congé absolu reçu en 1750 par un soldat limousin | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Son frère cadet s'est marié avant lui.
Barthélémy, né en 1776 a épousé Marguerite
Cadillon avant 1799, année de la naissance légitime de
leur fils Léonard. Il n'aurait eu que vingt trois ans, son épouse
un peu plus âgée: vingt sept ans. (Merci à qui trouvera
cet acte de mariage! ) Voir le paragraphe sur les soldats à la 30° page du dossiers sur les voituriers thiréachiens |
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Le mariage de Jean Momet en 1803 figure seul sur une page imprimée. Celui de son frère Barthélémy avec Marguerite Cadillon n'a pas été retrouvé, que ce soit dans l'un des villages qu'ils auraient pu fréquenter, comme au chef-lieu de canton, Bénévent l'Abbaye où les mariages devaient être célébrés entre 1° vendémiaire an VII et le 7 thermidor an VIII (22 septembre 1798 et 26 juillet 1800); période possible de leurs noces, puisque leur premier fils connu, Léonard est né à Mourioux le 30 nivôse an VII. Pas de contrat de mariage pour Jean, ni pour Barthélémy chez les notaires qu'ils auraient pu fréquenter, à Ceyroux et Bénévent. Ces contrats sont d'ailleurs plus rares en Creuse qu'en Brie. |
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Par contre, le mariage de leurs parents, Léonard et Anne Maumet, le 14 février 1764 à Marsac est typique des épousailles creusoises. Leur acte est mêlé à celui d'autres époux, que le curé conclut par "sans avoir découvert ny opposition ny empêchements auxsusdits mariages etc..." commun à tous. A Lourdoueix Saint Pierre, le curé Garnet résume en une demi page à l'écriture fort serrée "tous les mariages célébrés en cette église en l'année mil sept cent vingt pendant le carnaval. J'ay donné la bénédiction nuptiale en présence de leurs parens et amis qui n'ont signé non plus que les parties, à..." s'ensuivent vingt deux couples sans autre précision que leurs noms et prénoms "toutes les formalités bien et dhuement observées." AD 23 Lourdoueix-Saint-Pierre 283Edépôt/GG2 pages 30 & 31 Il est bien spécifié "pendant
le carnaval" et non pendant le carême
car "le mouvement saisonnier des
mariages est conditionné très étroitement par les
prescriptions religieuses qui interdisent la célébration
des unions pendant les "temps clos" de l'Avent et du Carême...
Les rares mariages célébrés de mars à novembre
sont le fait de non-migrants, souvent des veufs. En novembre, beaucoup
de maçons ne sont pas encore rentrés au pays, ce qui peut
amener ceux qui ne migrent pas à attendre la fin de l'hiver pour
organiser cette fête de famille. Il faut le temps de conclure
les arrangements entre héritiers qui traditionnellement accompagnent
la signature des contrats en Haute-Marche. Se marier c'est mettre ses
affaires personnelles en ordre mais aussi assurer une main d'oeuvre
supplémentaire à l'exploitation familiale pendant la période
d'expatriation." Martin Nadaud précise: "Quatre ou cinq semaines après ces préliminaires, le mariage est généralement un fait accompli. Il y a, en quelque sorte, force majeure pour que ces mariages soient rapidement menés. Le mois de mars nous chasse de nos villages; Paris ou d'autres villes nous rappellent pour la construction de leurs maisons. Voilà pourquoi toute union matrimoniale qui ne s'accomplit pas pendant le mois de janvier ou de février est nécessairement remise à l'année suivante." |
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Les frères Momet épousèrent
des soeurs Cadillon. Le père des deux frères Momet avait choisi
son épouse dans la même famille, du moins elle portait un nom
semblable au sien: le 14 février 1764 à Marsac:
"Léonard Maumet, fils de Jean & de feuë Laudie Gavinet
avec Anne Catherine, fille légitime de Jean Maumet et de Jeanne Gillé.."
AD23 4 E 145/2 L'oncle Mars Maumet,
quand il décéda le 20 avril 1806 à Châtelus le
Marcheix est dit "veuf de Catherine Maumet"AD23
4E69/8 |
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Il n'était pas rare que les mariages associent les
membres d'une même famille, comme un frère et une soeur qui
se marient le même jour: Antoine Delisle, maçon que l'on retrouvera
à la Chapelle Rablais, épousa Marie Dézert, le jour
même où Jean Dézert, le frère, prenait aussi
épouse, le 18 février 1833 à Aulon. AD23
4 E 11/6 "En cas de double mariage, quand deux frères ou deux sœurs se marient le même jour, il est essentiel que les deux jeunes gens, se donnant le bras, entrent en même temps dans l'église. Les deux mariées les suivent en se tenant par la main. Le couple nuptial qui entrerait le premier emporterait tout le bonheur de l'autre." Folklore limousin ed. CPE Quelquefois, les époux se trouvent dans la même famille recomposée; entendons par là qu'un veuf avec enfant(s) se remarie avec une veuve avec enfant(s). Nous en trouverons des exemples dans une prochaine page. |
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Ces familles semblent entrer dans
la catégorie que sociologues et historiens nomment "autocentrées"
où l'on trouve son conjoint, les témoins de mariage, les collègues
de travail dans des groupes apparentés
ou proches. "Dans une même région,
à situation sociale égale, la migration est surtout le fait
des familles exocentrées, et que plus la fécondité de
ces familles est élevé, plus la migration à longue distance
est importante"
Paul-André Rosental, Les sentiers invisibles. Espace, familles et migrations dans la France du 19e siècle Il semblerait que la plupart des maçons migrants retrouvés en Brie appartenaient à des familles aux liens serrés, donc autocentrées, avec peu d'enfants et pourtant, ils partaient au loin chercher leur subsistance. |
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Autre singularité des Creusois à la Chapelle Rablais: leur grande mobilité dans leur province d'origine. Les études sur les migrants limousins font ressortir que les petits propriétaires migraient plus facilement que les métayers: les propriétaires des fermes n'auraient pas apprécié que le fermier s'absente au lieu de réserver toute son énergie à la mise en valeur des terres. Ceux qui étaient propriétaires faisaient comme il leur semblait le plus profitable et n'hésitaient pas à quitter leur petite exploitation. Un petit propriétaire ne change pas d'exploitation et un "colon" ne migre pas: "Jusque vers 1857, le métayer qui émigre constitue une exception même par la suite, les migrations concernent essentiellement les petits propriétaires. En février 1857, le préfet de la Creuse déclare que jamais un métayer n'émigrait avant cette année." Alain Corbin Pourtant, les maçons de la Chapelle
Rablais avaient la bougeotte quand ils étaient cultivateurs en
Creuse; ils n'étaient probablement ni propriétaires, ni
fermiers "colons". Ou bien ils étaient ouvriers agricoles
dans les rares grosses exploitations (au contraire de la Brie où
elles sont très fréquentes, d'où le grand nombre
de "manouvriers"); en Limousin: "peu
de grosses propriétés (le nombre des électeurs
censitaires est très faible), donc peu de travail dans ces grandes
propriétés pour des manouvriers." Alain
Corbin |
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Détaillons ce schéma qui part un peu dans tous les sens. De Léonard, originaire des Souliers, commune de Marsac, et son épouse Anne Catherine, on connaît trois enfants qui sont arrivés à l'âge du mariage: Jean, né en 1773 au village de la Rue, Mourioux, comme Barthélémy en 1776 et Anne qui naîtra aux Combes, proche de Bénévent l'Abbaye. On les retrouve tous au hameau de Bord (qui faisait alors partie de Ceyroux pour dépendre ensuite de Mourioux) pour le mariage d'Anne à dix sept ans. Deux ans plus tard, ils sont tous aux Groppes, commune de Mourioux. Anne et son époux n'en bougeront plus. A son mariage avec Léonarde Cadillon, de Bénévent, en 1803, Jean habitait encore aux Groppes, ainsi que son père; de même que son frère en 1805. Aux Groppes résidait même l'oncle Mart ou Mars Maumet, 68 ans. Là, leurs chemins se séparent. Jean réside à la Ribière en 1804, puis il passe de la Ribère à Azat pendant l'année 1810. Quand sa fille Antoinette se mariera, en 1821, le couple résidera aussi à Azat et reprendra les maigres possessions de Jean et Léonarde. Jean, Léonarde, leur fille Antoinette et leur gendre Martial Halary y finiront leurs jours. Pendant que Jean passe par la Ribière avant de se fixer à Azat, Barthélémy continue à suivre son père. Le village de la Barre à Châstelus le Marcheix où ils laissent des traces en 1806 et 1807, semble être un "nid" de Momet puisqu'en 1806, au décès de l'oncle Mars, déjà repéré aux Groppes, la page du registre contient cette mention: "Léonard Momet, fils de autre Léonard Momet"qui déclare le décès d'un troisième Léonard Momet qui n'est pas le père de Barthélémy, bien vivant. |
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D'autres Limousins à la Chapelle Rablais
ont eu un parcours aussi mouvementé: Gaspard François Robinet,
né en 1790 au Pont de Mourioux se trouve à Bord en 1810, puis
à la Bétoullière, la Valodie d'Aulon d'où est
originaire son épouse, retour à Bord en 1816 où il est
noté "propriétaire", puis "cultivateur colon"
à la Valodie en 1821 pour finir en 1867, colon à Pallières,
commune de Ceyroux. |
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Que retenir de cet embrouillamini
de noms et de lieux? Que les jeunes semblent résider et travailler
avec leurs aînés et qu'ils suivent leurs parents dans leurs
déplacements. Que ce soit à la génération
de Léonard et l'oncle Mars, ou plus tard, celle de Jean et de son
frère Barthélémy, les enfants restent près
des parents. Par choix, ou plutôt par nécessité.
Les indications sur leurs métiers sont variées: maçon, bien sûr, laboureur, qui n'avait pas en Creuse le sens de riche fermier, comme en Brie, cultivateur, métayer, "colon", journalier locataire, et plusieurs fois journalier... "En Creuse et en Limousin, un colon était un paysan qui payait son propriétaire en nature." "Colon partiaire ou métayer"... Un "Almanach du colon limousin" fut publié de 1876 à 1923. Il est possible que l'un des membres de la famille ait pris une exploitation comme "colon" et ait réuni toute la famille pour l'exploiter. Il est aussi possible que les Momet aient loué leurs bras comme "journaliers" chez d'autres paysans, comme le fit Jean, dont la fille de quatre ans décède "en la maison de Léonard Guérin (ou Guerrier)" à la Ribière où Jean est noté "journalier" en 1810. Certains hameaux de Mourioux sont qualifiés de "domaine": François Boucher décède "au lieu du domaine de Lavedraine" en 1818; Léonarde Péty, fille de l'oncle François Péty, meurt "en la maison du domaine de Lavos Vergniaud" en 1824. S'agissait-il d'exploitations de plus grande superficie que les petites fermes à une vache? Ma connaissance de la Creuse n'est pas suffisante pour en juger. Merci pour tout renseignement. |
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Jean et Barthélémy ont migré
comme maçons, et ont laissé de nombreuses traces. Leur père
l'avait-il fait avant eux? C'est possible, sans être certain. Léonard
a vécu suivant un "calendrier de maçon": il s'est
marié en février comme tout le monde, et ses enfants sont
tous nés en septembre, leur conception ayant eu lieu au coeur de
l'hiver. Comme ceux de Barthélémy. Jean ne devait pas migrer
toutes les années puisqu'il était présent mi-octobre
1806 et que Marie Françoise, née en février 1808 révéle
sa présence dans la Creuse aux alentours de mai 1807. |
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"C'était une singulière
destinée que celle des femmes qui épousaient des maçons...
il fallait vivre chacun de son côté et souvent jusqu'à
l'âge de cinquante ans, à part les intervalles des saisons d'hiver."
Martin Nadaud Il arrivait
même que le migrant ne revienne qu'au bout de quelques années,
comme Martin Nadaud qui resta absent trois ans ou, en Brie, ces maçons
de Saint Denis les Rebais qui "restent
quelquefois cinq à six ans sans retourner"
AD77 M 9215 |
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S'il arrivait qu'un maçon
épouse une Briarde, c'est qu'il avait décidé de rester
en Ile de France, nous le verrons plus loin. Les maçons limousins
dont j'ai suivi les traces épousaient des filles de Creuse ou de
Haute Vienne, qui restaient au village pendant que leur mari partait en
Brie.
"Âgé de 25 à 26 ans, le maçon se marie au pays natal, jamais à Paris. La comparaison qu'il peut faire, en ces deux localités, des mœurs de la classe ouvrière lui démontre, en effet, qu'il trouverait difficilement dans une femme parisienne les habitudes de simplicité et d'épargne, l'aptitude pour les travaux des champs et l'énergique volonté qui sont nécessaires pour l'aider à constituer une petite propriété territoriale." Frédéric Le Play, les ouvriers européens... Il est vrai que la situation d'épouse à tout faire, maison, ménage, garde bébés et garde ancêtres, à quoi s'ajoutaient tous les travaux d'été de la ferme, cette situation ne devait être supportable que par celles qui étaient entourées de femmes ayant la même destinée. |
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Quelques variantes à la
règle "les maris en Brie, les épouses en Limousin":
Antoine Delisle, après un veuvage en Creuse, épousa en 1838
la fille du charron de la Chapelle Rablais, épicière cabaretière
de son état, elle même veuve avec enfants. En 1861, rien
n'allait plus dans le couple, ils vivaient séparés de corps,
chacun dans sa maison du village. Au recensement suivant, 1866, figure
chez Antoine Delisle "Goût,
veuve Mondon, Léonarde, domestique, 48 ans" et
son fils Léonard Mondon, 16 ans, maçon. La famille Goût
était très proche d'Antoine Delisle: en 1833, Silvain fut
témoin à son mariage en Creuse "Silvain
Goux, 34 ans, cultivateur au village de la Peyre, le Grand Bourg, cousin
germain de l'épouse". Il est
fort probable qu'Antoine Delisle connaissait Léonarde Goût,
veuve Mondon, depuis sa jeunesse et qu'il avait souhaité qu'elle
vienne en Brie, déplacement rendu plus aisé par le chemin
de fer. N'était-elle qu'une domestique, peut-on soupçonner
un concubinage, puisqu'il vivait séparé de son épouse
légitime? Après le décès d'Antoine, en 1866,
on ne trouve plus trace de Léonarde Goût, ni de son fils
à la Chapelle Rablais.
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Depuis 1812, Jean Momet, la quarantaine,
voyageait aux mêmes dates que Michel Pagot, la trentaine; le premier
était natif de Mourioux, le second de Ceyroux à une demi- lieue
de distance. Barthélémy Momet et bien d'autres se sont joints
à eux. |
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La mention des enfants sur le passeport
était légale, permettant à un fils de bénéficier
du sauf-conduit du père sans avoir à payer un nouveau document.
Un fils... ou un neveu, comme dut le faire Jean Laroche, qui prit sous
son aile son neveu Léonard (voir la 6° page du dossier). Un
seul passeport à deux francs pouvait permettre le voyage de plusieurs
jeunes sous couvert d'un ancien. Ont-ils fait inscrire cette mention par
simple précaution, au cas où... Quels enfants auraient pu participer au voyage? Jean & Léonarde ont eu trois filles aux prénoms fluctuants, l'une nommée Marie à sa naissance en 1806 puis Jeanne à son décès en 1810. La même année décéda aussi Françoise, née trois ans plus tôt. Seule Antoinette, née en 1804 a atteint l'âge du mariage. En 1818, où "ayant femme et enfants" figure sur le passeport de son père, elle aurait eu quatorze ans. Quatre enfants de Barthélémy sont connus: Anne, née en 1805, qui se mariera en 1847; deux autres filles qu'ils prénommèrent Marguerite, comme leur mère, habitude limousine; l'une née en 1807, l'autre en 1813, qui se marièrent toutes deux. La plus jeune n'avait que six ans quand son père sollicita un passeport familial. Leur fils Léonard devint aussi maçon; né en 1799, il avait grandement l'âge pour partir en apprentissage, comme "poulain" de son père et, probablement est-il venu à la Chapelle Rablais à cette époque, mais n'a pas laissé de traces. |
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Du côté Pagot, Michel et son épouse
Catherine Gavinet perdirent une petite Marie de cinq mois, en 1807.
En 1818, la famille se composait de Léonard, né en 1808,
Catherine en 1814 et Marie née en décembre 1817. Les deux
filles étaient bien trop jeunes pour un tel voyage. Doc: liste des Petits Paris et enfants morts en nourrice à la Chapelle Rablais |
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La plupart des migrations avec épouse
auront lieu bien, après le premier Empire et la Restauration,
plutôt à l'époque de Napoléon III: "Autrefois
le maçon partait à vingt ans et revenait à quarante;
il reparaissait chez lui au moins tous les deux ans et retrouvait sa
maison ouverte; aujourd'hui il part à quinze ans et revient à
soixante. Il reparaît tous les cinq ans, et quelquefois seulement
tous les dix ans; sa femme le suit et lui donne d'excellentes raisons
pour ajourner son retour: car elle travaille à la couture, au
blanchissage, c'est-à dire aux industries que favorise l'hiver."
On peut trouver quelques exemples de femmes
ayant choisi la migration vers l'Ile de France, avant même le
XIX° siècle, comme les soeurs Françoise et Silvaine
Roucillat qui s'établirent à Château Landon en 1794
avec leurs époux Jean Grandvergne et Jean Michaud, tous de Glénic,
Creuse; ou Marie Gaudoin de Dun le Palestel qui suivit son frère
Silvain à Château Renard, où elle trouva son époux
en 1780. Si en 1818, la mention "ayant femme et enfans" figure sur le document au départ de la Creuse, à Ceyroux et Mourioux, en 1819, c'est depuis la Chapelle Rablais que repartent Jean et Barthélémy Momet, "ayant femme et enfants", le 22 novembre, à la même date que Michel Pagot. (à noter en passant, que Denis Toussaint Félix, maire de la Chapelle Rablais écrivait "enfants" à la mode du XIX° siècle alors que son collègue de Mourioux, M. Laforge, avait gardé l'orthographe du siècle passé où la pluriel d'enfant s'écrivait encore "enfans".) Le maire de la Chapelle Rablais aurait-il fait figurer la mention "avec femme et enfants" s'ils n'avaient pas été présents en Brie? Ou bien, autre hypothèse: très souvent, les officiers municipaux recopiaient textuellement le contenu des anciens passeports, et cette mention figurait sur celui de Jean Momet qu'il déposa en mairie de la Chapelle Rablais pour en avoir un nouveau. Cette mention ne figure que sur la feuille du passeport des frères Momet et non sur le talon, conservé en mairie; elle figurait peut être sur celui de leur compagnon qui n'a pas été déposé à la Chapelle Rablais, puisqu'il n'y est plus retourné. Il faudait imaginer la petite troupe coupant au plus court pour effectuer les trois cent cinquante kilomètres qui séparent le canton de Bénévent de celui de Nangis, au moins cinq jours d'une marche forcée épuisante, comme en témoigne Martin Nadaud, âgé de quinze ans en mars 1830 : "Je me trouvais, à la chute de la journée, avoir fait quinze lieues pour cette première étape... Cette marche était d'autant plus pénible que, de temps à autre, nous nous enfoncions dans l'eau et dans la boue jusqu'aux chevilles; l'eau clapotait dans nos souliers, ce qui ne contribuait pas peu à nous rendre la traversée très désagréable. Le plus ennuyeux pour nous, les jeunes, c'était de voir les vieux filer sans pouvoir les suivre. Soumettre des enfants de treize à quatorze ans à de si dures épreuves me sembleraient aujourd'hui de la dernière cruauté." |
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On peut avoir des doutes sur la migration familiale des
Momet et Pagot en 1818, car le 19 octobre, la petite Marie Pagot, âgée
d'un an décèda à Ceyroux "en
la maison qu'elle habitoit" qui semblait être sa résidence
habituelle, celle de sa mère, et non celle d'une nourrice qui
aurait été citée. Le père ne figure pas
parmi les témoins: il était encore à la Chapelle
Rablais, où il fit viser son passeport un mois plus tard, le
23 novembre. La mère n'est pas citée, mais le contraire
aurait été étonnant, à part quand elles
sont directement concernées, accouchement, décès...
les femmes sont rarement mentionnées sur les actes d'état
civil. Résumons: Jean Momet aurait pu venir accompagné de Léonarde Cadillon et de leur fille Antoinette âgée de 13 ans; Barthélémy Momet aurait pu entraîner, en plus de son épouse Marguerite Cadillon, leur fils Léonard, en âge de commencer son apprentissage comme "poulain", peut être deux filles: Anne, alors âgée de quatorze ans, la plus grande Marguerite qui aurait eu douze ans; la plus petite Marguerite six ans, aurait été trop jeune pour entreprendre un tel voyage. Michel Pagot et Catherine Gavinet auraient laissé à Ceyroux leurs deux petites filles: Catherine de quatre ans et Marie qui décéda en 1818; le petit Léonard Pagot, dix ans, aurait-il été trop jeune? Maris, femmes et enfants ont-ils été tentés par une migration définitive qui n'eut pas lieu, puisque tous ont terminé leur vie en Creuse, comme nous le verrons plus loin. Avaient-ils vraiment l'intention de changer de mode de vie?
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