Les voituriers par terre /30
Epouses et enfants /1
Les Tirachiens se sont- ils fixés
en Brie parce qu'ils avaient trouvé épouse, ou bien ont-ils
cherché à se marier parce qu'ils avaient décidé
de se fixer?
Les voituriers de la génération précédente, s'il
étaient mariés, avaient laissé leur épouse au
pays, à l'exception de Joseph Eustache (Ustache), domicilié
à Momignies en 1791, puis à Villeneuve les Bordes en 1808 où
l'ont suivi épouse et beau père, originaires de Beauwelz. Les
autres sont toujours domiciliés à Momignies : "Jean Huaux,
voiturier par terre, demeurant ordinairement à Four Mateau, commune
de Montmigny, canton de Chimée, département de Gemmape, étant
présent et travaillant dans la forêt de Villefermoy, se retirant
aux Ecrennes, canton du Châtelet, chez le citoyen Songeux, aubergiste...
Catherine Fagot, sa femme majeure, demeurante audit Four Matteau ..."
an XI AD 77 273 E 28 f ° 178
Fin XVIII°, début XIX°, leurs fils choisirent de se fixer en
Brie
Se marier, à l'époque, était affaire sérieuse, autant pour les voituriers thiérachiens (qui, de plus, allaient perdre leurs racines) que pour les manouvriers de la commune. Pour convoler, il fallait être certain de pouvoir entretenir une famille qui, assez vite, allait devenir nombreuse; sinon, on restait "garçon" auprès de ses parents, ou placé comme domestique dans une ferme. Cependant, les célibataires étaient rares.
La fin du XVIII° siècle avait vu grimper en flèche le nombre de mariages, dont hommes jeunes et femmes âgées, surtout après la loi Jourdan du 19 fructidor an VI, le 5 septembre 1798, qui instituait la conscription et le service militaire obligatoire: "Tout Français est soldat et se doit à la défense de la patrie." L'enthousiame des soldats révolutionnaires chanté par Hugo:" Ô soldats de l'an II ! ô guerres ! épopées ! ... Ils chantaient, ils allaient, l'âme sans épouvante Et les pieds sans souliers ! " Cet enthousiasme ne semblait pas être partagé par tous.
On célèbre à peu près un mariage entre Briarde et Thiérachien chaque année entre 1791 et 1806. D'autres mariages de voituriers avaient eu lieu précédemment puisque dans l'acte de naissance de trois bébés, le père exerce cette profession, mais rien ne prouve qu'il s'agisse de couples "mixtes". Plus tard, au début du XIX° siècle, on ne constate plus d'autres mariages que ceux des fils de migrants, souvent voituriers eux mêmes, troisième génération des Tirachiens. Puis, à part quelques couples, on perd la trace de leurs familles. La profession même de voiturier n'est plus représentée au milieu du XIX° siècle, on compte alors seulement une douzaine de charretiers.
L'un épousant une veuve, l'autre
une vieille fille, peut être les voituriers thiérachiens ont-ils
échappé au charivari qui accompagnait les mariages inhabituels:
vieillard épousant une jeunette, horsain ou forain détournant
une fille à marier de ses prétendants locaux. Les jeunes de
la paroisse, à grand tumulte, obligeaient le nouveau marié à
verser son obole, sorte de péage pour laisser entrer l'étranger
au village dans la communauté.
"Un bruit et tintamarre d'instruments d'hérain,
sons esclatant de poêles, cimbales, trompètes, cornemuses, cornes,
chauderons, quesses. Et à la lueur des flambeaux alumés et haussés;
hurlement de personnes et autres désordres et confusions..."
plainte du XVII°s, citée dans Bruits et sons dans notre histoire, JP Guitton, PUF
"Si te m'aime bien, raque din
m'bouque." Ce compliment de fiançailles
a été relevé dans le Nord de la France; il aurait pu
surprendre les jeunes ou moins jeunes Briardes. "Les
déclarations d'amour vraiment paysannes sont moins élégantes,
même quand elles sont symboliques et non réalistes. Voici une
petite liste de ces procédés: bourrades, bousculades... le garçon
pince fortement le bras... fortes tapes sur les épaules et tordre le
bras... écraser les doigts .. lancer à celle qu'on choisit de
petites pierres... se faire cracher, se cracher mutuellement dans la bouche..."
... "raque din m'bouque ! "
La vie quotidienne dans le Nord & Van Gennep,
le folklore français, rencontres et fréquentations
1803 fut d'ailleurs une année où il n'était particulièrement
pas bon être considéré comme vagabond. Le 9 frimaire
an XII est instauré le livret ouvrier stipulant que "tout
ouvrier qui voyagerait sans être muni d'un livret ainsi visé
sera réputé vagabond, arrêté et puni de six mois
de prison"
Dès l'automne 1802 et durant l'année 1803, eut lieu une rafle
de Bohémiens aux alentours de Bayonne, (475 en décembre 1802)
avec le projet de les fixer dans les Landes ou d'en déporter six
centaines vers la Louisiane, ce qui n'aboutit pas.
Il n'est pas dit que les voituriers thiérachiens de Brie aient eu
connaissance de ces rafles de nomades, mais peut être ont- ils senti
que le climat, en ces premières années d'Empire, n'était
pas très favorable aux forains, aux migrants, aux nomades.
C'est à l'occasion du baptême de Marie Anne Germain, fille
de Georges Germain, bûcheron, que Thomas Joseph et Marie Anne ont
laissé leur première trace. Ils sont témoins (parrain/
marraine?) de la petite. Occasion d'une rencontre ou déjà
fiancés? Ils se marieront le mois suivant, le 15 avril 1793 : "...
par devant moi, antoine cavillier officier public de la chapelle arablay,
sont comparus dans la maison commune pour contracter mariage thomas joseph
nival voiturier agé de vingt huit ans, demeurant en cette paroisse
fils de charles nival voiturier et de marie louise hubert de la paroisse
de momignies en hainault d'une part et de marie anne bony agée de
dix neuf ans fille de déffunt rené bony et de anne lefèvre
de cette paroisse d'autre part..." 5
Mi 2829 f °93
Ils habitent encore la Chapelle Rablais à la fin de l'année
1793: Marie Anne est témoin à la naissance d’Anne Rosalie,
fille de Barthélémy Monteillard, scieur de long.
Thomas Joseph et Marie Anne ne laissent plus de traces en Brie jusqu'en
1796 où on les retrouve au mariage d'une soeur de Marie Anne qui
épouse un scieur de long, puis à celui de Pierre Déruelle,
né à Momignies, établi au hameau des Montils, charretier
chez Nival, voiturier (lequel? Charles père, Pierre Laurent 30 ans
ou Thomas Joseph, 32 ans?). Pas de traces en Brie car, pendant les premières
années de leur mariage, les époux Bony/Nival ont été
domiciliés à Momignies, c'est là que sont nées
deux filles: Marie Louise Joseph née le 3
mars 1794 et décédée le 18 mars suivant à Momignies
et Marie Joseph Désirée née le 19 août
1795.
Bien qu'il ait épousé une Briarde, Thomas Joseph Nival n'avait
pas encore décidé de quitter le Hainaut. Ce qu'il fera à
partir de 1796 ou 1797, en installant sa famille dans le "fief"
des voituriers: le hameau des Trois Chevaux à la Chapelle Gauthier
où sont nés Charles Thomas en 1798 puis Marie Louise Anne
en 1800; fille posthume puisque Thomas Joseph était décédé
quinze jours auparavant, à l'âge de 35 ans.
"Thomas Nivalles, voiturier de la commune de Montmigny, département
de Jemmapes et établi depuis environ trois ans aux Trois Chevaux"
5 Mi 2805 f °9
D'autres enfants nés à Momignies de mère Thiérachienne ont suivi leur père en Brie, quand il s'est remarié, comme les deux soeurs Docquière qu'on retrouve à Saint Ouen en Brie en 1840. L'une, Marie Angélique, 42 ans, eut le malheur d'y décéder, l'autre, Marie Catherine, 49 ans, le bonheur de s'y marier avec François Romaska, descendant d'un prisonnier de guerre, natif de Bohême. Toutes deux étaient nées à Momignies, filles de Nicolas Joseph Docquière, décédé aux Montils le 9 avril 1811 (nommé Doctière dans son acte de décès) et feue Catherine Bertrand décédée à Momignies le 30 pluviôse an X (19 février 1802)
Une seule épouse thiérachienne ayant suivi son père et son mari en Brie a été révélée: Marie Catherine Tondelon, originaire de Beauwelz, accouche à Villeneuve les Bordes en 1809, en présence de son père Jean François Tondelon, lui aussi originaire de Beauwelz.
Edme Tissot et Thomas Nival, jeunes hommes épousant de jeunes filles, font figure d'exception; tous les autres voituriers ont dépassé la trentaine quand ils prennent épouse. Et ils n'épousent pas des jeunettes. Eux ont 31, 32, 37, 38, 42, 62 ans... elles ont 30, 35, 43, 44, 46, 52 ans...
Parmi toutes les épouses recensées, une seule est vieille
fille : Jeanne Laurin (Lorein Lorin Laureint), originaire de Salins, qui
épousa en 1803 à l'âge de 35 ans le voiturier thiérachien
Pierre Deruelle, âgé de 38 ans, à l'époque.
Il était beaucoup plus jeune pour son premier mariage: il n'avait
que 31 ans quand il épousa en 1796 Marie Madeleine Cercot âgée
de 44 ans, que nous retrouverons plus loin. L'écart entre les époux
est plus important encore pour le frère de Philippe Joseph Badoulet,
Pierre Joseph, voiturier dans la forêt Saint Gobain, dans l'Aisne.
Il n'a que trente trois ans quand il épouse une veuve de 52 ans,
qui, d'ailleurs, lui survivra. Entre temps, pris du démon de midi,
Pierre Badoulet avait fait trois enfants à une autre femme, veuve
de son patron voiturier.
Les migrants pouvaient donc trouver sans problème une épouse, sans entrer en concurrence directe avec les manouvriers locaux, en épousant une veuve. "...le groupe de la jeunesse intervient vigoureusement dans le domaine touchant au mariage : le lot des filles à marier étant limité, les garçons de la paroisse prétendent exercer une sorte de monopole et un droit de regard sur les alliances en cours de tractation, afin de préserver leur futur mariage à eux. En effet, si le nombre de filles à marier dans la paroisse est inférieur à celui des garçons, l'avenir de ces derniers est remis en cause à chaque fois qu'un veuf ou un étranger prend pour épouse une villageoise figurant dans le lot des "disponibilités" locales, restreignant de fait leur chance de se marier. Aussi le clan des célibataires s'en prend-il particulièrement au veuf qui se remarie et à tout étranger (même originaire du village voisin !) venant rôder un peu trop souvent autour d'une ferme appartenant à leur propre communauté. Revue française de généalogie, hors série Mariage
Louis Dupin, voiturier réputé "thiérachien"
bien que né en Brie, quand Jeanne Parisis, 66 ans, le laissa veuf
à plus de soixante ans, prit pour épouse Agathe Mitaine. La
biographie d'Agathe reflète le cloisonnement entre les voituriers
plus ou moins nomades et les autochtones, attachés à la terre,
puisqu'au fil de ses épousailles, elle ne convola qu'avec d'autres
nomades : Agathe est née d'un père cordonnier dans la Haute
Saône. A l'époque, nombre de cordonniers migraient saisonnièrement
depuis la Lorraine (
voir le chapitre qui leur est consacré). Celui-ci se fixa à
Montigny Lencoup où Agathe dut rencontrer un maçon limousin,
Barthélémy Valade; le contrat de mariage en 1800 avec Louis
Dupin la déclare "veuve de Barthélemy
Valade". On trouve trace d'un premier mariage du maçon
limousin dans le registre paroissial de Montigny: il avait épousé,
en 1771, Julitte (et non Juliette) Fromont, "veuve
en dernières noces de René le Clerc". Née
en 1703, elle était donc âgée d'environ 68 ans à
son mariage, alors que le consentement maternel de l'époux avait
été sollicité auprès du notaire royal de Saint
Léonard de Noblat, indiquant que Barthélémy Valade
était mineur à l'époque ! Agathe Mitaine épouse
ensuite un berger, Pierre Alexis Souchot en 1778 avant de se marier en 1801
avec le voiturier qui décédera deux années plus tard,
à l'âge de 63 ans. Si on ne relève aucun enfant des
mariages successifs d'Agathe, son dernier époux avait eu, avec Marie
Anne Parisis une fille, Marie Osmane, résidant à Grandvilliers,
hameau proche qui avait, elle aussi, épousé un Limousin, terrassier
de profession; un fils, Louis, en garnison à Vérone à
la mort de son père, et un autre fils, Etienne, voiturier, qui décéda
quinze jours après son père, victimes d'une épidémie
: "A l'officier de santé du Châtelet,
pour médicaments au père, et au fils..."
Agathe Mitaine, habituée à la mobilité, prit comme
époux des hommes qui, eux aussi , n'avaient pas peur du mouvement.
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Courrier | |
Aymé/Edme s'est marié trois fois à la Chapelle Rablais, à chaque fois avec une fille jeune, en dessous de l'âge moyen du mariage, ce qui ajoute à son parcours singulier. En 1794, le 19 germinal an II, il convole avec Marie Madeleine Adélaïde Lepanneau (Panneau, Lepanot) âgée de vingt deux ans, fille d'un berger. Edme avait 31 ans et logeait chez le citoyen Tancelin qui faisait cabaretier et aubergiste à l'occasion. Un speedy-bébé nait en brumaire, soit sept mois seulement après le mariage. Quinze jours après la naissance, la mère décède. Deux mois plus tard, Edme, toujours scieur de long épouse la soeur de Marie Madeleine Adélaïde: Marie Anne Catherine, âgée de vingt cinq ans. Plusieurs enfants naissent. Catherine décède à son tour le 12 pluviôse an X (février 1802) , sans rapport avec une naissance: le dernier bébé de Catherine a déjà huit mois à la mort de sa mère et vivra longtemps: Olive Sophie Tissot sera rencensée en 1851, épouse d'un voiturier et mère.
Edme Tissot, 39 ans, deux enfants à charge, attend octobre pour
se remarier avec Anne Geneviève Voulminot, une jeunette de 22 ans;
le contrat de mariage signé en septembre montre à l'évidence
que ce n'était pas sa fortune qui pouvait charmer les jeunes filles.
On retrouvera Edme Tissot à la page suivante, quand il sera question
de gros sous !
Le père de la troisième épouse était jardinier,
à Noyen sur Seine en 1779, quand Anne Geneviève Voulminot
est née; il l'était encore, à la Chapelle Saint Sulpice,
quand elle se maria, en 1802. Le père des deux épouses précédentes
était berger, à Boulains à la naissance de ses filles,
à la Chapelle Rablais pour leur mariage.
Une fois de plus, on peut remarquer que les voituriers prenaient rarement
leurs épouses chez les paysans attachés à la terre,
mais plutôt dans les familles habituées à la mobilité.
Traces d'Edme Tissot dans les archives
Cinq ans après le décès de sa première épouse,
Nicolas Colinet se remarie. Pauline Adélaïde Lemoust de la Fosse
(quelquefois nommée Apolline Adélaïde Lafausse) née
à Esmans 77, est déjà passée par Echou et Villeneuve
le Comte (Villeneuve les Bordes), deux villages proches de la Chapelle Rablais,
si elle a suivi le parcours de son père. Puis à Forges où
elle a suivi son premier mari: Jean Baptiste Lelièvre dont elle aura
trois enfants, dont deux filles qu'on retrouvera avec le couple Colinet/Lemoust
à Châtillon la Borde, où elles trouveront époux.
Puis à la Chapelle Rablais où Pauline Adélaïde,
veuve, prend un nouvel époux: Louis Bureau. Il décédera
au bout de seulement deux mois de mariage, en 1790, à l'âge
de 36 ans.
C'est encore à la Chapelle Rablais que Pauline épouse Nicolas
Colinet, l'année suivante, 1791. Il a 42 ans, elle, 33 ans, est encore
en âge de lui donner d'autres enfants. D'ailleurs, le mariage semble
urgent, un bébé naîtra quatre mois plus tard: Rosalie
qui vivra jusqu'à l'âge de 60 ans; le couple réside
encore à la Chapelle Rablais. On change de Chapelle: la Chapelle
Gauthier, de l'autre côté de la forêt de Villefermoy
où naît Nicolas François Colinet en 1793. Ils résident
au hameau des Trois Chevaux, fief des voituriers thiérachiens. Nicolas
François ne vit que huit mois, la famille réside encore aux
Trois Chevaux. Par contre, on ne sait pas où sont élévés
les enfants du premier mariage de Nicolas: Roch, âgé de 7 ans
et Catherine qui n'avait que 6 ans quand leur père s'est remarié.
Il est fort possible qu'ils soient restés à Anor puisque c'est
là qu'ils ont laissé des traces.
On retrouve le couple Colinet/Lemoust au hameau de la Borde, commune de
Châtillon la Borde, limitrophe de la Chapelle Gauthier. Y naissent
Anne Charlotte en 1797, elle ne vivra que trois ans; et Claude Henry en
1799, nous le retrouverons plus loin.
En 1802, il prennent en bail une maison appartenant au marchand de bois
Philippe Loisellier (Loiselier): "un chauffoir
où il y a four, une chambre, étable à côté,
grenier régnant sur le tout, jardin derrière la maison..."
minutes du notaire Baticle AD 77 273 E 28
f ° 80
C'est là, après une vie pleine de va et vient, que décèdent
Nicolas Colinet en 1819, 70 ans passés et son épouse Pauline
Adélaïde, l'année suivante, âgée de 66 ans.
Agathe Mitaine et Nicolas Colinet, deux exemples parmi d'autres, de "mobiles"
épousant des mobiles, se démarquant ainsi des "immobiles"
restant entre eux. Bien que ce tableau trop simpliste soit à nuancer:
une comparaison entre les mariages à la Chapelle Rablais au milieu
du XVIII° siècle (1752/1762, pour être précis) et
ceux au tournant du XIX° (1789/1811) montre que l'aire de recherche
des époux, autrefois cantonnée aux paroisses proches, tend
à s'étendre. En passant la souris sur la carte, on passe des
époux hors paroisse au XVIII° à ceux du début XIX°.
Une fois de plus, il convient de nuancer: le nombre de points rouges représentant des époux hors commune est plus important au début du XIX° pour deux raisons; tout d'abord parce que la période considérée 1789/1811 s'étend sur 23 ans, alors que l'étude 1752/1762 ne porte que sur onze années. La seconde est que les mariages relevés à la Chapelle Rablais étaient moins nombreux sous Louis XV (3,9 par an) que cinquante ans plus tard (4,8 par an). La proportion d'étrangers à la commune a pourtant augmenté, passant de 24% d'époux extérieurs à 44%; la proportion hommes/femmes hors paroisse n'a pas varié: les deux tiers étaient des hommes, dans les deux cas.
Sans tenir compte du nombre de petits points rouges entourant la puce bleue représentant la Chapelle Rablais, on peut noter leur extension géographique. Au XVIII°, les étrangers à la commune se trouvaient principalement dans les paroisses limitrophes; l'époux le plus éloigné se situant dans la région de Provins, en territoire connu puisque certains indigents du village terminaient leurs jours à l'Hôpital Général de cette ville. Cinquante ans plus tard, on trouve encore la plupart des conjoints extérieurs à peu de distance, mais aussi dans toute la Brie, et les petits points dans la marge de cette carte signalent des "étrangers": originaires de départements voisins, mais aussi voituriers de Momignies et sa région, scieurs de long du Forez, anciens prisonniers de guerre de franges Est de l'Europe... A part deux femmes venues de départements voisins, tous les autres "étrangers" sont des hommes.
L'extension de la mobilité ira s'amplifiant au cours du XIX° siècle; les manouvriers, si nombreux encore sous Napoléon, ne trouveront bientôt plus d'ouvrage à cause du regroupement des terres aux mains des gros propriétaires et du début de la mécanisation. Alors commencera un mouvement de population qui poussera les paysans à déserter les campagnes pour rejoindre les villes et leurs emplois dans l'industrie.
Mais ceci est une autre histoire. A la page suivante, nous retrouverons les voituriers thiérachiens, leurs épouses et leurs enfants.
En premier lieu par ceux qui, devant partir
à l'armée se faisaient remplacer par moins riche qu'eux. Avant
le décret du 8 nivôse an XIII (1804), instituant le tirage
au sort, tous les jeunes gens sont conscrits: "Loi
Jourdan du 19 fructidor an VI (1798) art 15: La conscription militaire comprend
tous les français depuis l'âge de vingt ans accomplis jusqu'à
celui de vingt cinq ans révolus." Les remplaçants
sont donc plus âgés (40 ans pour un remplaçant du Châtelet)
ou plus jeunes (18 ans pour le fils d'un voiturier).
Etaient réformés les trop petits, moins d'un mètre
cinquante quatre, les édentés qui ne pouvaient déchirer
l'étui contenant la dose de poudre à fusil et les mutilés
de l'index droit, ne pouvant actionner la gâchette. Dispensés
aussi les hommes mariés et les veufs avec enfants.
Le dossier L 415 des Archives départementales concernant la conscription
sous la Révolution, ne contient qu'un seul acte de remplacement pour
le canton de Nangis, concernant Nicolas Fleury de Lizines et Etienne Couillau
de Sognolles. Parmi les conscrits du canton de Mormant, quatorze se firent
remplacer entre le 11 floréal et le 1° prairial an VII (30 avril/20
mai 1799). Dans le canton du Châtelet, ils étaient quinze au
printemps 1799, dont un neveu du voiturier Claude
Chaîneau (Chesnot..) qui se propose par deux fois pour remplacer un
conscrit ayant tiré un mauvais numéro: tout d'abord Jean Charles
Prieux de Châtillon sous Bretignou (Ch. la Borde), mais celui-ci est
réformé. Louis Claude Cheneaux redevient disponible pour partir
à l'armée à la place de Pierre Toussaint Cornedus,
des Ecrennes, les papiers sont signés, les identités vérifiées,
ne manque que la somme qu'il percevra. Peut être, comme le vétéran
qui remplaça un jeune conscrit du Châtelet le 15 fructidor
an VIII (2 septembre 1800), a-t'il perçu
un pécule de 150 francs et une rente de 20 francs tous les deux mois
qui allait s'ajouter à la maigre solde militaire: de 30 centimes
par jour pour un fusilier, 33 pour un cavalier, 35 pour un grenadier, 38
pour un carabinier et jusqu'à 56 centimes par jour pour un premier
canonnier dans l'artillerie à cheval. A noter qu'un général
en chef gagnait en un jour la solde annuelle d'un fantassin.
AD77 L415 n°88 à 97 & 227 E 104 n° 175
Il ne faut pas se fier à l'âge minimal légal du mariage:
12 ans pour les femmes, 14 ans pour les hommes avant la Révolution.
Les jeunes gens n'avaient le droit de gérer leurs affaires qu'à
vingt-cinq ans (majorité civile), mais pour se marier sans le consentement
des parents, si les filles en avaient le droit à leur majorité,
les garçons devaient attendre cinq ans de plus, soit l'âge
de trente ans.
Même ayant atteint la majorité pour le mariage, les jeunes
gens étaient tenus de solliciter le consentement des parents récalcitrants
par un "acte respectueux" présenté par un notaire,
plus témoins, par trois fois pour les hommes entre vingt- cinq et
trente ans (de 21 à 25 pour les femmes), avec un mois de délai
entre chaque acte. Après trente ans, un seul acte était encore
requis.
Ainsi Pierre François Labarre, fils du marchand de bois Etienne Labarre
du Châtelet en Brie, dut-il passer devant le notaire Bernard de Melun,
un acte de sommation respectueuse. Le père, qui avait occupé
les fonctions d'administrateur du Conseil du Département et de Juge
de Paix du canton sous la Révolution, "ami
de l'ordre" et admirateur de la Police, comme il l'écrivit
lui-même, n'avait pas dû apprécier que son rejeton ait
eu quatre enfants hors mariage, le plus grand approchant l'adolescence,
avant qu'il ne songe à convoler, en 1815; d'autant plus que sa fille
Madeleine Thérèse aura été l'épouse
du maire de Melun, Adrien Joseph Hippolyte Delacourtie, chevalier de la
Légion d'honneur et qu'un autre de ses gendres, Jean Baptiste Cécile
Werger, soldat ayant fait toutes les campagnes de Napoléon, capitaine
à la Légion de Seine et Marne sous la Restauration, ait lui
aussi été décoré de la légion d'honneur...
Restent à préciser les joyeuses relations dans la famille
du marchand de bois, lui même ayant au trois enfants hors mariage
en Martinique qu'il fit baptiser en urgence avant son retour en métropole,
rue de l'Hôtel de Ville et les raisons exactes de son refus...
AD77 L 396 n° 26 & état civil le Châtelet en Brie 5
Mi1914 Etat civil Melun 5 Mi 6034, base Léonore L2754013
Le vétéran Jean Louis
Dejarnac, remplaçant de Simon Pelletier au Châtelet avait "déclaré
s'obligé de remplacer sous les drapeaux de la République pendant
tout le temps de la guerre", jusqu'à
la fin des conflits ou pour combien de temps ?
Quatre ans? Le contrat prévoyait de régler le solde de 480 francs
en "vingt quatre termes égaux de chacun vingt francs de deux mois
en deux mois" soit quatre ans à raison de dix francs par mois,
une misère correspondant à un salaire moyen de cinq jours.
Cinq ans? La loi Jourdan du 19 fructidor an VI enrôle pour cinq ans
les jeunes hommes de vingt ans d'âge.
Six ans? Comme, sous la Restauration, le registre des délibérations
de la Chapelle Rablais note la permission pour six mois du soldat Louis Julien
Auxerre entre le 30 septembre 1829 et le 19 mars 1830. Il lui restait la moitié
de son temps à faire, soit encore trois ans; entre temps, la France
s'était lancée dans la colonisation de l'Algérie. Louis
Auxerre fut libéré de ses obligations militaires le 31 décembre
1832, ayant été incorporé en 1826. En 1832, le service
militaire passa même à sept ans...
Pour éviter l'enrôlement, certains contractaient mariage dans l'urgence, n'hésitant pas à épouser vieille fille ou veuve âgée. Ce ne semble pas être la motivation de nos voituriers; le pic des mariages -1803- se situant d'ailleurs pendant une période de paix entre deux guerres napoléoniennes.