Les voituriers par terre /30
Epouses et enfants /1

Les Tirachiens se sont- ils fixés en Brie parce qu'ils avaient trouvé épouse, ou bien ont-ils cherché à se marier parce qu'ils avaient décidé de se fixer?
Les voituriers de la génération précédente, s'il étaient mariés, avaient laissé leur épouse au pays, à l'exception de Joseph Eustache (Ustache), domicilié à Momignies en 1791, puis à Villeneuve les Bordes en 1808 où l'ont suivi épouse et beau père, originaires de Beauwelz. Les autres sont toujours domiciliés à Momignies : "Jean Huaux, voiturier par terre, demeurant ordinairement à Four Mateau, commune de Montmigny, canton de Chimée, département de Gemmape, étant présent et travaillant dans la forêt de Villefermoy, se retirant aux Ecrennes, canton du Châtelet, chez le citoyen Songeux, aubergiste... Catherine Fagot, sa femme majeure, demeurante audit Four Matteau ..." an XI AD 77 273 E 28 f ° 178
Fin XVIII°, début XIX°, leurs fils choisirent de se fixer en Brie

Se marier, à l'époque, était affaire sérieuse, autant pour les voituriers thiérachiens (qui, de plus, allaient perdre leurs racines) que pour les manouvriers de la commune. Pour convoler, il fallait être certain de pouvoir entretenir une famille qui, assez vite, allait devenir nombreuse; sinon, on restait "garçon" auprès de ses parents, ou placé comme domestique dans une ferme. Cependant, les célibataires étaient rares.

Très rares sont ceux qui se marient avant vingt ans, la moyenne se situe vers 26 ou 28 ans. Sans que cela soit clairement formulé, l'âge très avancé des époux présentait, pour la société de cette époque, deux avantages: le mari était en âge de prendre la succession de son père vieillissant et le couple reculait l'arrivée du premier nourrisson. Dès le mariage, la machine à poupons était lancée jusqu'à la ménopause; en retarder le départ était un moyen contraceptif.

La fin du XVIII° siècle avait vu grimper en flèche le nombre de mariages, dont hommes jeunes et femmes âgées, surtout après la loi Jourdan du 19 fructidor an VI, le 5 septembre 1798, qui instituait la conscription et le service militaire obligatoire: "Tout Français est soldat et se doit à la défense de la patrie." L'enthousiame des soldats révolutionnaires chanté par Hugo:" Ô soldats de l'an II ! ô guerres ! épopées ! ... Ils chantaient, ils allaient, l'âme sans épouvante Et les pieds sans souliers ! " Cet enthousiasme ne semblait pas être partagé par tous.

On célèbre à peu près un mariage entre Briarde et Thiérachien chaque année entre 1791 et 1806. D'autres mariages de voituriers avaient eu lieu précédemment puisque dans l'acte de naissance de trois bébés, le père exerce cette profession, mais rien ne prouve qu'il s'agisse de couples "mixtes". Plus tard, au début du XIX° siècle, on ne constate plus d'autres mariages que ceux des fils de migrants, souvent voituriers eux mêmes, troisième génération des Tirachiens. Puis, à part quelques couples, on perd la trace de leurs familles. La profession même de voiturier n'est plus représentée au milieu du XIX° siècle, on compte alors seulement une douzaine de charretiers.

L'un épousant une veuve, l'autre une vieille fille, peut être les voituriers thiérachiens ont-ils échappé au charivari qui accompagnait les mariages inhabituels: vieillard épousant une jeunette, horsain ou forain détournant une fille à marier de ses prétendants locaux. Les jeunes de la paroisse, à grand tumulte, obligeaient le nouveau marié à verser son obole, sorte de péage pour laisser entrer l'étranger au village dans la communauté.
"Un bruit et tintamarre d'instruments d'hérain, sons esclatant de poêles, cimbales, trompètes, cornemuses, cornes, chauderons, quesses. Et à la lueur des flambeaux alumés et haussés; hurlement de personnes et autres désordres et confusions..."

plainte du XVII°s, citée dans Bruits et sons dans notre histoire, JP Guitton, PUF

"Si te m'aime bien, raque din m'bouque." Ce compliment de fiançailles a été relevé dans le Nord de la France; il aurait pu surprendre les jeunes ou moins jeunes Briardes. "Les déclarations d'amour vraiment paysannes sont moins élégantes, même quand elles sont symboliques et non réalistes. Voici une petite liste de ces procédés: bourrades, bousculades... le garçon pince fortement le bras... fortes tapes sur les épaules et tordre le bras... écraser les doigts .. lancer à celle qu'on choisit de petites pierres... se faire cracher, se cracher mutuellement dans la bouche..." ... "raque din m'bouque ! "
La vie quotidienne dans le Nord & Van Gennep, le folklore français, rencontres et fréquentations

1803 fut d'ailleurs une année où il n'était particulièrement pas bon être considéré comme vagabond. Le 9 frimaire an XII est instauré le livret ouvrier stipulant que "tout ouvrier qui voyagerait sans être muni d'un livret ainsi visé sera réputé vagabond, arrêté et puni de six mois de prison"
Dès l'automne 1802 et durant l'année 1803, eut lieu une rafle de Bohémiens aux alentours de Bayonne, (475 en décembre 1802) avec le projet de les fixer dans les Landes ou d'en déporter six centaines vers la Louisiane, ce qui n'aboutit pas.
Il n'est pas dit que les voituriers thiérachiens de Brie aient eu connaissance de ces rafles de nomades, mais peut être ont- ils senti que le climat, en ces premières années d'Empire, n'était pas très favorable aux forains, aux migrants, aux nomades.

Espérons que ce ne fut pas la technique de séduction du voiturier thiérachien Thomas Joseph Nival, 28 ans, auprès de Marie Anne Bony.
La famille Bony / Boni (orthographiée Baulny quelques décennies auparavant par le curé Huvier) compte, à la fin du XVIII° siècle, un boulanger, une sage femme et des bûcherons: Louis et François qui deviendra voiturier en 1799. Cette famille briarde fréquente des Briards de souche, comme le maître d'école Bénard, mais elle est aussi liée à des scieurs de long souvent originaires du Forez: Monteillard et Paul Goix qui épousera une soeur de Marie Anne en 1796, des bûcherons, des voituriers: Nicolas Joseph Pupin et la famille Germain, Antoine Joseph et Michel Joseph, voituriers thiérachiens, qui ont laissé des traces en 1789 à la Chapelle Gauthier.

C'est à l'occasion du baptême de Marie Anne Germain, fille de Georges Germain, bûcheron, que Thomas Joseph et Marie Anne ont laissé leur première trace. Ils sont témoins (parrain/ marraine?) de la petite. Occasion d'une rencontre ou déjà fiancés? Ils se marieront le mois suivant, le 15 avril 1793 : "... par devant moi, antoine cavillier officier public de la chapelle arablay, sont comparus dans la maison commune pour contracter mariage thomas joseph nival voiturier agé de vingt huit ans, demeurant en cette paroisse fils de charles nival voiturier et de marie louise hubert de la paroisse de momignies en hainault d'une part et de marie anne bony agée de dix neuf ans fille de déffunt rené bony et de anne lefèvre de cette paroisse d'autre part..." 5 Mi 2829 f °93
Ils habitent encore la Chapelle Rablais à la fin de l'année 1793: Marie Anne est témoin à la naissance d’Anne Rosalie, fille de Barthélémy Monteillard, scieur de long.

Thomas Joseph et Marie Anne ne laissent plus de traces en Brie jusqu'en 1796 où on les retrouve au mariage d'une soeur de Marie Anne qui épouse un scieur de long, puis à celui de Pierre Déruelle, né à Momignies, établi au hameau des Montils, charretier chez Nival, voiturier (lequel? Charles père, Pierre Laurent 30 ans ou Thomas Joseph, 32 ans?). Pas de traces en Brie car, pendant les premières années de leur mariage, les époux Bony/Nival ont été domiciliés à Momignies, c'est là que sont nées deux filles: Marie Louise Joseph née le 3 mars 1794 et décédée le 18 mars suivant à Momignies et Marie Joseph Désirée née le 19 août 1795.
Bien qu'il ait épousé une Briarde, Thomas Joseph Nival n'avait pas encore décidé de quitter le Hainaut. Ce qu'il fera à partir de 1796 ou 1797, en installant sa famille dans le "fief" des voituriers: le hameau des Trois Chevaux à la Chapelle Gauthier où sont nés Charles Thomas en 1798 puis Marie Louise Anne en 1800; fille posthume puisque Thomas Joseph était décédé quinze jours auparavant, à l'âge de 35 ans. "Thomas Nivalles, voiturier de la commune de Montmigny, département de Jemmapes et établi depuis environ trois ans aux Trois Chevaux" 5 Mi 2805 f °9

Traces de la famille Nival dans les archives

D'autres enfants nés à Momignies de mère Thiérachienne ont suivi leur père en Brie, quand il s'est remarié, comme les deux soeurs Docquière qu'on retrouve à Saint Ouen en Brie en 1840. L'une, Marie Angélique, 42 ans, eut le malheur d'y décéder, l'autre, Marie Catherine, 49 ans, le bonheur de s'y marier avec François Romaska, descendant d'un prisonnier de guerre, natif de Bohême. Toutes deux étaient nées à Momignies, filles de Nicolas Joseph Docquière, décédé aux Montils le 9 avril 1811 (nommé Doctière dans son acte de décès) et feue Catherine Bertrand décédée à Momignies le 30 pluviôse an X (19 février 1802)

Compléments dans Traces des prisonniers de guerre

Le cas de Marie Anne Bony et de sa fille survivante constitue une exception: une Briarde partie à Momignies est bien plus rare qu'un Thiérachien venu se fixer en Brie. Je n'ai découvert qu'un seul autre cas de Briard migrant vers le Hainaut: celui de Jean Baptiste Lallier, né à Bombon en 1789 que l'on retrouve, domestique, à Fontaine Valmont, Hainaut, où il épouse Marie-Thérèse Salingraux (Salengros). Rien ne dit qu'il ait suivi les Thiérachiens de Momignies; son beau frère, François Lafontaine a été voiturier, Fontaine Valmont est dans le Hainaut, comme Momignies, là s'arrêtent les concordances.

Une seule épouse thiérachienne ayant suivi son père et son mari en Brie a été révélée: Marie Catherine Tondelon, originaire de Beauwelz, accouche à Villeneuve les Bordes en 1809, en présence de son père Jean François Tondelon, lui aussi originaire de Beauwelz.

Edme Tissot et Thomas Nival, jeunes hommes épousant de jeunes filles, font figure d'exception; tous les autres voituriers ont dépassé la trentaine quand ils prennent épouse. Et ils n'épousent pas des jeunettes. Eux ont 31, 32, 37, 38, 42, 62 ans... elles ont 30, 35, 43, 44, 46, 52 ans...

Parmi toutes les épouses recensées, une seule est vieille fille : Jeanne Laurin (Lorein Lorin Laureint), originaire de Salins, qui épousa en 1803 à l'âge de 35 ans le voiturier thiérachien Pierre Deruelle, âgé de 38 ans, à l'époque.
Il était beaucoup plus jeune pour son premier mariage: il n'avait que 31 ans quand il épousa en 1796 Marie Madeleine Cercot âgée de 44 ans, que nous retrouverons plus loin. L'écart entre les époux est plus important encore pour le frère de Philippe Joseph Badoulet, Pierre Joseph, voiturier dans la forêt Saint Gobain, dans l'Aisne. Il n'a que trente trois ans quand il épouse une veuve de 52 ans, qui, d'ailleurs, lui survivra. Entre temps, pris du démon de midi, Pierre Badoulet avait fait trois enfants à une autre femme, veuve de son patron voiturier.

Les célibataires étaient rares, ce qui n'était pas le cas des veufs et veuves : "Le jeune veuf se remarie aisément, souvent très vite : il est peu chargé d'enfants, son dernier né (souvent le premier) ayant suivi fréquemment sa mère au tombeau; et, d'autre part, les jeunes filles sont toujours en surnombre. En revanche, la veuve de 35 à 45 ans, fatiguée par les maternités, par le travail des champs et du foyer, souvent encombrée d'enfants, trouve difficilement à se remarier, et d'autant moins que les femmes sont toujours, à cet âge, plus nombreuses que les hommes. C'est sans doute pourquoi l'on trouve tant de veuves dans les registres paroissiaux, dans les premiers dénombrements sérieux, dans les rôles d'imposition de l'époque : deux fois, sinon trois fois plus de veuves que de veufs." Dans la région de Provins, on comptait 9 % de veufs et 24 % de veuves . Pierre Goubert 100.000 provinciaux au XVII° siècle & SHAAP Hôtel Dieu p 48

Les migrants pouvaient donc trouver sans problème une épouse, sans entrer en concurrence directe avec les manouvriers locaux, en épousant une veuve. "...le groupe de la jeunesse intervient vigoureusement dans le domaine touchant au mariage : le lot des filles à marier étant limité, les garçons de la paroisse prétendent exercer une sorte de monopole et un droit de regard sur les alliances en cours de tractation, afin de préserver leur futur mariage à eux. En effet, si le nombre de filles à marier dans la paroisse est inférieur à celui des garçons, l'avenir de ces derniers est remis en cause à chaque fois qu'un veuf ou un étranger prend pour épouse une villageoise figurant dans le lot des "disponibilités" locales, restreignant de fait leur chance de se marier. Aussi le clan des célibataires s'en prend-il particulièrement au veuf qui se remarie et à tout étranger (même originaire du village voisin !) venant rôder un peu trop souvent autour d'une ferme appartenant à leur propre communauté. Revue française de généalogie, hors série Mariage

Louis Dupin, voiturier réputé "thiérachien" bien que né en Brie, quand Jeanne Parisis, 66 ans, le laissa veuf à plus de soixante ans, prit pour épouse Agathe Mitaine. La biographie d'Agathe reflète le cloisonnement entre les voituriers plus ou moins nomades et les autochtones, attachés à la terre, puisqu'au fil de ses épousailles, elle ne convola qu'avec d'autres nomades : Agathe est née d'un père cordonnier dans la Haute Saône. A l'époque, nombre de cordonniers migraient saisonnièrement depuis la Lorraine ( voir le chapitre qui leur est consacré). Celui-ci se fixa à Montigny Lencoup où Agathe dut rencontrer un maçon limousin, Barthélémy Valade; le contrat de mariage en 1800 avec Louis Dupin la déclare "veuve de Barthélemy Valade". On trouve trace d'un premier mariage du maçon limousin dans le registre paroissial de Montigny: il avait épousé, en 1771, Julitte (et non Juliette) Fromont, "veuve en dernières noces de René le Clerc". Née en 1703, elle était donc âgée d'environ 68 ans à son mariage, alors que le consentement maternel de l'époux avait été sollicité auprès du notaire royal de Saint Léonard de Noblat, indiquant que Barthélémy Valade était mineur à l'époque ! Agathe Mitaine épouse ensuite un berger, Pierre Alexis Souchot en 1778 avant de se marier en 1801 avec le voiturier qui décédera deux années plus tard, à l'âge de 63 ans. Si on ne relève aucun enfant des mariages successifs d'Agathe, son dernier époux avait eu, avec Marie Anne Parisis une fille, Marie Osmane, résidant à Grandvilliers, hameau proche qui avait, elle aussi, épousé un Limousin, terrassier de profession; un fils, Louis, en garnison à Vérone à la mort de son père, et un autre fils, Etienne, voiturier, qui décéda quinze jours après son père, victimes d'une épidémie : "A l'officier de santé du Châtelet, pour médicaments au père, et au fils..."
Agathe Mitaine, habituée à la mobilité, prit comme époux des hommes qui, eux aussi , n'avaient pas peur du mouvement.

Doc: Traces des voituriers
Voir la fiche de Louis Dupin & Agathe Mitaine dans "Traces des voituriers"

Chapitre sur les cordonniers de Lorraine
Texte sur les bergers à la page "Nomades, sédentaires"

  Les passeports, page des choix
  Suite: voituriers épouses enfants /2
 

   Courrier

Edme Tissot eut un parcours singulier; fils d'un "granger" (métayer) du Forez , c'est en scieur de long qu'il arrive en Brie comme d'autres Auvergnats. Au fil des années, il devient voiturier, achetant l'attelage d'un Thiérachien et se rendant même à Momignies où nulle famille ne l'attendait.
Singulier son prénom: on pourra chercher dans les registres de l'Hôpital le Grand, tous les "Edme" Tissot que l'on voudra, on n'en trouvera aucun, pour la bonne raison qu'Edme est né "Aymé"; et ce n'est qu'en Brie que son prénom fut modifié. Il faut dire que Saint Edme a laissé des traces autour de Provins; l'église Saint Quiriace lui consacre une chapelle avec vitrail édifiant, le musée de Provins conserve sa chape... Une fois de plus, les clercs briards ont rentranscrit ce qu'ils voulaient bien entendre en écrivant "Edme" qui leur était si familier à la place du prénom de naissance.
Singuliers aussi ses mariages. Etait-il célibataire quand il arriva? On a repéré en 1812 à la Chapelle Gauthier un autre Tissot: Rémy Alexandre, né en 1781, Edme aurait eu 18 ans à sa naissance. Etaient-ils en famille? Rien ne permet de l'affirmer.

Aymé/Edme s'est marié trois fois à la Chapelle Rablais, à chaque fois avec une fille jeune, en dessous de l'âge moyen du mariage, ce qui ajoute à son parcours singulier. En 1794, le 19 germinal an II, il convole avec Marie Madeleine Adélaïde Lepanneau (Panneau, Lepanot) âgée de vingt deux ans, fille d'un berger. Edme avait 31 ans et logeait chez le citoyen Tancelin qui faisait cabaretier et aubergiste à l'occasion. Un speedy-bébé nait en brumaire, soit sept mois seulement après le mariage. Quinze jours après la naissance, la mère décède. Deux mois plus tard, Edme, toujours scieur de long épouse la soeur de Marie Madeleine Adélaïde: Marie Anne Catherine, âgée de vingt cinq ans. Plusieurs enfants naissent. Catherine décède à son tour le 12 pluviôse an X (février 1802) , sans rapport avec une naissance: le dernier bébé de Catherine a déjà huit mois à la mort de sa mère et vivra longtemps: Olive Sophie Tissot sera rencensée en 1851, épouse d'un voiturier et mère.

Edme Tissot, 39 ans, deux enfants à charge, attend octobre pour se remarier avec Anne Geneviève Voulminot, une jeunette de 22 ans; le contrat de mariage signé en septembre montre à l'évidence que ce n'était pas sa fortune qui pouvait charmer les jeunes filles. On retrouvera Edme Tissot à la page suivante, quand il sera question de gros sous !
Le père de la troisième épouse était jardinier, à Noyen sur Seine en 1779, quand Anne Geneviève Voulminot est née; il l'était encore, à la Chapelle Saint Sulpice, quand elle se maria, en 1802. Le père des deux épouses précédentes était berger, à Boulains à la naissance de ses filles, à la Chapelle Rablais pour leur mariage.
Une fois de plus, on peut remarquer que les voituriers prenaient rarement leurs épouses chez les paysans attachés à la terre, mais plutôt dans les familles habituées à la mobilité.

Traces d'Edme Tissot dans les archives

Le parcours de Nicolas Joseph Colinet est, lui aussi, mouvementé. Né à Anor, non loin de Momignies, il y a établi sa famille: son épouse est née Monnier ou Meunier: la moitié de ses nombreux frères et soeurs s'appellent indifféremment de l'un de ces noms. En premières noces, Rosalie Joseph Monnier (ou Meunier) épouse un autre Meunier: Antoine Joseph Meunier qui est "chartier" comme Nicolas Colinet; cinq enfants naissent du premier mariage de Rosalie. Antoine Meunier décède en 1782; Rosalie épouse Nicolas Joseph Colinet en 1783, toujours à Anor où naissent deux enfants qui atteindront l'âge du mariage: Roch et Catherine Joseph qui épousera, elle aussi un Meunier, histoire d'ajouter à la confusion. Les enfants du premier mariage de Nicolas Colinet laisseront des traces dans le Nord de la France: Anor et Fourmies. Si l'on retrouve un Meunier à la Chapelle Rablais, rien ne prouve qu'il ait fait partie de la même famille.
La première trace de Nicolas Colinet en Brie date de 1789, trois ans après le décès à Anor de Rosalie Meunier; Nicolas sert d'intermédiaire pour percevoir de Jacques Guiot (Guillot, Guyot), voiturier travaillant à Mortcerf, les cent huit livres qu'il doit pour l'achat d'un cheval hongre à Antoine Joseph Germain, voiturier ayant résidence à Anor mais "travaillant actuellement en la forêt de Barbeau paroisse de Fontenailles, et se retirant à la Chapelle Gauthier chez le sieur Devin aubergiste où pend pour enseigne le Cigne et la Croix. Lequel Germain à par ces présentes fait et constitué pour son procureur Général & Spécial le sieur Colinet voiturier travaillant en ladite forêt de Villefermoy, se retirant aussi chez ledit Devin.."
On retrouve le même Colinet cité dans un acte de juin 1791, passé à la Chapelle Gauthier, comme le précédent, Nicolas Colinet résidant encore à l'auberge Devin. L'acte notarié concerne une somme de 84 livres due depuis dix huit mois, par Jean Baptiste Michel Jouarre, voiturier à Mortcerf, la reconnaissance de dettes a été rédigée à l'époque devant un notaire de Couilly (Pont aux Dames). Il est plus que probable que pendant l'hiver 1789/90, Nicolas Colinet travaillait avec les voituriers de Mortcerf puisqu'une transaction y eut lieu.
minutes du notaire Baticle, la Chapelle Gauthier AD77 273 E 23

Cinq ans après le décès de sa première épouse, Nicolas Colinet se remarie. Pauline Adélaïde Lemoust de la Fosse (quelquefois nommée Apolline Adélaïde Lafausse) née à Esmans 77, est déjà passée par Echou et Villeneuve le Comte (Villeneuve les Bordes), deux villages proches de la Chapelle Rablais, si elle a suivi le parcours de son père. Puis à Forges où elle a suivi son premier mari: Jean Baptiste Lelièvre dont elle aura trois enfants, dont deux filles qu'on retrouvera avec le couple Colinet/Lemoust à Châtillon la Borde, où elles trouveront époux.
Puis à la Chapelle Rablais où Pauline Adélaïde, veuve, prend un nouvel époux: Louis Bureau. Il décédera au bout de seulement deux mois de mariage, en 1790, à l'âge de 36 ans.
C'est encore à la Chapelle Rablais que Pauline épouse Nicolas Colinet, l'année suivante, 1791. Il a 42 ans, elle, 33 ans, est encore en âge de lui donner d'autres enfants. D'ailleurs, le mariage semble urgent, un bébé naîtra quatre mois plus tard: Rosalie qui vivra jusqu'à l'âge de 60 ans; le couple réside encore à la Chapelle Rablais. On change de Chapelle: la Chapelle Gauthier, de l'autre côté de la forêt de Villefermoy où naît Nicolas François Colinet en 1793. Ils résident au hameau des Trois Chevaux, fief des voituriers thiérachiens. Nicolas François ne vit que huit mois, la famille réside encore aux Trois Chevaux. Par contre, on ne sait pas où sont élévés les enfants du premier mariage de Nicolas: Roch, âgé de 7 ans et Catherine qui n'avait que 6 ans quand leur père s'est remarié. Il est fort possible qu'ils soient restés à Anor puisque c'est là qu'ils ont laissé des traces.
On retrouve le couple Colinet/Lemoust au hameau de la Borde, commune de Châtillon la Borde, limitrophe de la Chapelle Gauthier. Y naissent Anne Charlotte en 1797, elle ne vivra que trois ans; et Claude Henry en 1799, nous le retrouverons plus loin.
En 1802, il prennent en bail une maison appartenant au marchand de bois Philippe Loisellier (Loiselier): "un chauffoir où il y a four, une chambre, étable à côté, grenier régnant sur le tout, jardin derrière la maison..." minutes du notaire Baticle AD 77 273 E 28 f ° 80
C'est là, après une vie pleine de va et vient, que décèdent Nicolas Colinet en 1819, 70 ans passés et son épouse Pauline Adélaïde, l'année suivante, âgée de 66 ans.

Agathe Mitaine et Nicolas Colinet, deux exemples parmi d'autres, de "mobiles" épousant des mobiles, se démarquant ainsi des "immobiles" restant entre eux. Bien que ce tableau trop simpliste soit à nuancer: une comparaison entre les mariages à la Chapelle Rablais au milieu du XVIII° siècle (1752/1762, pour être précis) et ceux au tournant du XIX° (1789/1811) montre que l'aire de recherche des époux, autrefois cantonnée aux paroisses proches, tend à s'étendre. En passant la souris sur la carte, on passe des époux hors paroisse au XVIII° à ceux du début XIX°.

Une fois de plus, il convient de nuancer: le nombre de points rouges représentant des époux hors commune est plus important au début du XIX° pour deux raisons; tout d'abord parce que la période considérée 1789/1811 s'étend sur 23 ans, alors que l'étude 1752/1762 ne porte que sur onze années. La seconde est que les mariages relevés à la Chapelle Rablais étaient moins nombreux sous Louis XV (3,9 par an) que cinquante ans plus tard (4,8 par an). La proportion d'étrangers à la commune a pourtant augmenté, passant de 24% d'époux extérieurs à 44%; la proportion hommes/femmes hors paroisse n'a pas varié: les deux tiers étaient des hommes, dans les deux cas.

Sans tenir compte du nombre de petits points rouges entourant la puce bleue représentant la Chapelle Rablais, on peut noter leur extension géographique. Au XVIII°, les étrangers à la commune se trouvaient principalement dans les paroisses limitrophes; l'époux le plus éloigné se situant dans la région de Provins, en territoire connu puisque certains indigents du village terminaient leurs jours à l'Hôpital Général de cette ville. Cinquante ans plus tard, on trouve encore la plupart des conjoints extérieurs à peu de distance, mais aussi dans toute la Brie, et les petits points dans la marge de cette carte signalent des "étrangers": originaires de départements voisins, mais aussi voituriers de Momignies et sa région, scieurs de long du Forez, anciens prisonniers de guerre de franges Est de l'Europe... A part deux femmes venues de départements voisins, tous les autres "étrangers" sont des hommes.

L'extension de la mobilité ira s'amplifiant au cours du XIX° siècle; les manouvriers, si nombreux encore sous Napoléon, ne trouveront bientôt plus d'ouvrage à cause du regroupement des terres aux mains des gros propriétaires et du début de la mécanisation. Alors commencera un mouvement de population qui poussera les paysans à déserter les campagnes pour rejoindre les villes et leurs emplois dans l'industrie.

Mais ceci est une autre histoire. A la page suivante, nous retrouverons les voituriers thiérachiens, leurs épouses et leurs enfants.

En premier lieu par ceux qui, devant partir à l'armée se faisaient remplacer par moins riche qu'eux. Avant le décret du 8 nivôse an XIII (1804), instituant le tirage au sort, tous les jeunes gens sont conscrits: "Loi Jourdan du 19 fructidor an VI (1798) art 15: La conscription militaire comprend tous les français depuis l'âge de vingt ans accomplis jusqu'à celui de vingt cinq ans révolus." Les remplaçants sont donc plus âgés (40 ans pour un remplaçant du Châtelet) ou plus jeunes (18 ans pour le fils d'un voiturier).
Etaient réformés les trop petits, moins d'un mètre cinquante quatre, les édentés qui ne pouvaient déchirer l'étui contenant la dose de poudre à fusil et les mutilés de l'index droit, ne pouvant actionner la gâchette. Dispensés aussi les hommes mariés et les veufs avec enfants.
Le dossier L 415 des Archives départementales concernant la conscription sous la Révolution, ne contient qu'un seul acte de remplacement pour le canton de Nangis, concernant Nicolas Fleury de Lizines et Etienne Couillau de Sognolles. Parmi les conscrits du canton de Mormant, quatorze se firent remplacer entre le 11 floréal et le 1° prairial an VII (30 avril/20 mai 1799). Dans le canton du Châtelet, ils étaient quinze au printemps 1799, dont un neveu du voiturier Claude Chaîneau (Chesnot..) qui se propose par deux fois pour remplacer un conscrit ayant tiré un mauvais numéro: tout d'abord Jean Charles Prieux de Châtillon sous Bretignou (Ch. la Borde), mais celui-ci est réformé. Louis Claude Cheneaux redevient disponible pour partir à l'armée à la place de Pierre Toussaint Cornedus, des Ecrennes, les papiers sont signés, les identités vérifiées, ne manque que la somme qu'il percevra. Peut être, comme le vétéran qui remplaça un jeune conscrit du Châtelet le 15 fructidor an VIII (2 septembre 1800), a-t'il perçu un pécule de 150 francs et une rente de 20 francs tous les deux mois qui allait s'ajouter à la maigre solde militaire: de 30 centimes par jour pour un fusilier, 33 pour un cavalier, 35 pour un grenadier, 38 pour un carabinier et jusqu'à 56 centimes par jour pour un premier canonnier dans l'artillerie à cheval. A noter qu'un général en chef gagnait en un jour la solde annuelle d'un fantassin. AD77 L415 n°88 à 97 & 227 E 104 n° 175

Doc: loi sur la solde des troupes du 23 floréal an V

Il ne faut pas se fier à l'âge minimal légal du mariage: 12 ans pour les femmes, 14 ans pour les hommes avant la Révolution. Les jeunes gens n'avaient le droit de gérer leurs affaires qu'à vingt-cinq ans (majorité civile), mais pour se marier sans le consentement des parents, si les filles en avaient le droit à leur majorité, les garçons devaient attendre cinq ans de plus, soit l'âge de trente ans.
Même ayant atteint la majorité pour le mariage, les jeunes gens étaient tenus de solliciter le consentement des parents récalcitrants par un "acte respectueux" présenté par un notaire, plus témoins, par trois fois pour les hommes entre vingt- cinq et trente ans (de 21 à 25 pour les femmes), avec un mois de délai entre chaque acte. Après trente ans, un seul acte était encore requis.
Ainsi Pierre François Labarre, fils du marchand de bois Etienne Labarre du Châtelet en Brie, dut-il passer devant le notaire Bernard de Melun, un acte de sommation respectueuse. Le père, qui avait occupé les fonctions d'administrateur du Conseil du Département et de Juge de Paix du canton sous la Révolution, "ami de l'ordre" et admirateur de la Police, comme il l'écrivit lui-même, n'avait pas dû apprécier que son rejeton ait eu quatre enfants hors mariage, le plus grand approchant l'adolescence, avant qu'il ne songe à convoler, en 1815; d'autant plus que sa fille Madeleine Thérèse aura été l'épouse du maire de Melun, Adrien Joseph Hippolyte Delacourtie, chevalier de la Légion d'honneur et qu'un autre de ses gendres, Jean Baptiste Cécile Werger, soldat ayant fait toutes les campagnes de Napoléon, capitaine à la Légion de Seine et Marne sous la Restauration, ait lui aussi été décoré de la légion d'honneur... Restent à préciser les joyeuses relations dans la famille du marchand de bois, lui même ayant au trois enfants hors mariage en Martinique qu'il fit baptiser en urgence avant son retour en métropole, rue de l'Hôtel de Ville et les raisons exactes de son refus...
AD77 L 396 n° 26 & état civil le Châtelet en Brie 5 Mi1914 Etat civil Melun 5 Mi 6034, base Léonore L2754013

Sommation respectueuse, retranscription et commentaires
Famille Labarre, voir "Traces des marchands de bois"

Le vétéran Jean Louis Dejarnac, remplaçant de Simon Pelletier au Châtelet avait "déclaré s'obligé de remplacer sous les drapeaux de la République pendant tout le temps de la guerre", jusqu'à la fin des conflits ou pour combien de temps ?
Quatre ans? Le contrat prévoyait de régler le solde de 480 francs en "vingt quatre termes égaux de chacun vingt francs de deux mois en deux mois" soit quatre ans à raison de dix francs par mois, une misère correspondant à un salaire moyen de cinq jours.
Cinq ans? La loi Jourdan du 19 fructidor an VI enrôle pour cinq ans les jeunes hommes de vingt ans d'âge.
Six ans? Comme, sous la Restauration, le registre des délibérations de la Chapelle Rablais note la permission pour six mois du soldat Louis Julien Auxerre entre le 30 septembre 1829 et le 19 mars 1830. Il lui restait la moitié de son temps à faire, soit encore trois ans; entre temps, la France s'était lancée dans la colonisation de l'Algérie. Louis Auxerre fut libéré de ses obligations militaires le 31 décembre 1832, ayant été incorporé en 1826. En 1832, le service militaire passa même à sept ans...

"Ils chantaient, ils allaient, l'âme sans épouvante " Ce ne semblait pas être non plus l'état d'esprit de ce manouvrier des Montils quand il donna procuration à sa femme devant le notaire Hardouin de Nangis, le 23 germinal an XI, 13 avril 1803, "étant maintenant détenu à la prison de Nangis comme conscrit, lequel étant sur le point de rejoindre les armées de la République française."
AD77 227 E 104 & 261 E 62

Pour éviter l'enrôlement, certains contractaient mariage dans l'urgence, n'hésitant pas à épouser vieille fille ou veuve âgée. Ce ne semble pas être la motivation de nos voituriers; le pic des mariages -1803- se situant d'ailleurs pendant une période de paix entre deux guerres napoléoniennes.