La vie retrouvée des voituriers tirachiens / 27
Voituriers et paysans
Nomades et sédentaires

Louis Chiquois, né vers 1773:
1794: manouvrier
1795: bûcheron
1798: bûcheron
1799: bûcheron
1800: bûcheron
1803: manouvrier
1803: bûcheron
1804: manouvrier
1804: bûcheron
1805: manouvrier
1806: manouvrier
1808: manouvrier

"Ils vivent à la manière des bohémiens. Le jour, ils travaillent à gages ; la nuit venue, ils couchent à l'abri de leurs charrettes et lâchent leurs chevaux dans la prairie sous la garde de l'un d'eux. A la moindre alerte, un coup de sifflet se fait entendre, tous les chevaux se rassemblent et les thiérachiens décampent en un clin d'oeil." Francisque Michel Histoire des races maudites de France et d'Espagne 1847

"Les habitants des bois, comme sabotiers, charbonniers, fendeurs, bûcherons et les voituriers qui tiennent du pays de Luxembourg et qu’on appelle Tirachiens, tous ces gens-là se rassemblent quelquefois ou se mettent séparément. Ils sont bien difficiles à surprendre, ils cachent leurs fusils dans les bois, sans jamais approcher de la loge avec, et guettent toutes sortes de gibier, particulièrement le sanglier sur lequel ils donnent plus que sur les biches ... tout y passe, loups, renards, lièvres, lapins, etc..." M.E.Pichon, La Thiérache, 1876 tome IV

"Ils passent pour maraudeurs, laissant aller pendant la nuit leurs boeufs dans les prairies prohibées et enlevant pour eux mêmes des pommes de terre, des fruits..." Cette fois, il ne s'agit pas des Thiérachiens, mais de leurs concurrents, les galvachers.
Mémoires historiques sur le canton de Quarré les tombes 1874

Tirachiens, Tiraloups, bohémiens, hommes des bois, braconniers, voleurs de poules, trousseurs de jupons, que sais- je encore? Quelle réputation pouvait précéder ou suivre les groupes de forestiers thiérachiens? Et quel accueil ont pu leur réserver les paysans de Brie, déjà enclins à chicaner dès qu’une vache avait le malheur d’aller mâchouiller un peu l’herbe du voisin?
Quelle réaction en découvrant "trente un chevaux de quatre des voitures travaillant au charroi des bois de la réserve de Valjouan" pâturant tranquillement les communaux, protégés par une loi qui préférait l’entorse à la tradition plutôt que la pénurie de bois pour Paris ? Dans une commune où, les anciens s’en souviennent encore, la rivalité entre le chef lieu et le gros hameau des Montils faisait que fêtes et rencontres se terminaient souvent en baston (plus tard, clans entre vieux village et lotissements, sans violence, toutefois) quel accueil pour ces nomades?

Voituriers, bûcherons, scieurs de long, charbonniers, sabotiers, gardes ventes, tous travailleurs des bois, se fréquentaient. Les Tirachiens avaient aussi des relations de commerce et d’estime avec les artisans du cheval, comme on l'a vu.

 Relations entre migrants et autochtones, détail des actes
Document: les métiers à la Chapelle Rablais en 1836

S'ils fréquentaient les gens du lieu, c'étaient rarement les fermiers qui honoraient quelquefois de leur présence la naissance, le mariage d'un voiturier ou d'un charretier.
Non plus les manouvriers et journaliers, pauvres à tout faire, auxquels les Tirachiens avaient peut être pris l'ouvrage de débardage. Bien sûr, il se trouve quelques actes où ils figurent, mais les migrants semblaient préférer fréquenter, dans le monde paysan, ceux qui n'étaient pas attachés à la terre, comme les bergers, qu'on trouve cités dans neuf actes. Les pâtres n'allaient pas au rythme des fermiers et des manouvriers, mais suivaient celui du troupeau qui leur était confié, quand il allait pâturer dans les friches ou sur les champs laissés en jachère pour reposer le sol, dormant quelquefois près des moutons, dans leur petite guitoune ambulante: "Le berger faisait un rude métier: toujours déplacer les moutons pour que le fumier soit bien réparti, trop de fumier dans un endroit et le blé verserait avant la moisson. Le berger couchait dans sa roulotte près de son troupeau et chaque nuit, à minuit, il se levait pour faire passer les berbis d'un parc à l'autre." Grenadou paysan français.

Dans trois actes apparaît François Romaska. Il était batteur en grange.
Né en Bohême. Fait prisonnier de guerre, naturalisé le 27 floréal an IV à Fontainebleau, déjà marié en France, se remarie à l'âge de 32 ans avec une veuve de la Chapelle Rablais, Anne Fare Malet, de quinze ans son aînée. On trouve un autre batteur en grange qui demande un passeport en 1809, lui aussi originaire de Bohème: Jean Stasny et, une année après, François Fauvel, journalier, Polonais, en France depuis 1791. En 1837, c'est un tailleur d'habits, lui aussi originaire de Pologne: Joseph Barowiski, dit Zaltaro qui désire se rendre à Tours. Ce sont les seuls étrangers à avoir laissé une trace, début XIX°, avec quelques Belges et Anglais, au château. Voir la sixième page du dossier consacré aux moissonneurs migrants.

batteurs et prisonniers de guerre

A n'en pas douter, François Romaska devait avoir un accent à couper au couteau, dû à ses origines: son nom a été retranscrit: Romaska et Roberca dans le même document, Romatka, Romarka; Hromalk dans d'autres (ce qui était peut être son nom d'origine). Dans le premier jet de son acte de mariage, registre conservé en mairie à la Chapelle Rablais, son nom a été retranscrit Hromalk avant d'être raturé et corrigé Romatka, son lieu d'origine étant "la Boesme". Pour le même acte, sur le registre conservé aux Archives Départementales, l'orthographe est moins fantaisiste et les noms propres plus conformes à la tradition. Le même phénomène de restranscription plus qu'approximative s'est aussi produit pour les voituriers de la Thiérache. Eloignés de plus de deux cents kilomètres, les villages d'origine des Tirachiens étaient parfaitement inconnus des Briards.

Certain clerc du notaire Hardouin profitait d'ailleurs de cette inculture pour gribouiller à toute vitesse contrats de mariage et inventaires après décès que les demandeurs auraient bien été en peine de contrôler; ce qu'il ne faisait évidemment pas quand il avait affaire à un notable. Essayez de déchiffrer cet extrait d'inventaire, réponse en bas de page...
Dans les actes où figurent des migrants, on trouve huit fois le maître des petites écoles, Pierre Benard /Bénard / Besnard, mais, peut être rédigeait-il les actes communaux; témoin à portée de main, comme l'a été Sébastien Durand, 28 ans, messager de la Préfecture, résidant à Melun, témoin à la naissance de Pierre Léon Soleil, fils d'un marchand de balais ?
7 février 1827 Etat civil Saint Ouen en Brie AD77 5 Mi 5525 f ° 73

Les bois étaient interdits aux moutons: "Les bêtes à laine sont en tout temps proscrites de tous les bois généralement quelconques, à cause de leur odeur pestilentielle pour le bois..."
le 11 ventôse de l'an 2 de l'ère républicaine L372 n°27
Les terres cultivées se répartissaient entre les blés: 172 hectares, les céréales de printemps: 137 ha, les prairies artificielles: 122 ha, et les jachères mortes: 150 hectares, qui se partagent des surfaces presqu'équivalentes; "bleds, mars et jachères" correspondant à la rotation d'un assolement triennal.
Registre des renseignements statistiques 1857 à 1866, mairie la Chapelle Rablais
Le quart du territoire, la jachère entre deux cycles de culture, appartenait donc aux moutons. Et ils pullulaient. En 1857, on ne comptait que 151 bêtes bovines, contre 1.040 ovins: 70 béliers et moutons et 970 brebis et agneaux. "Dans ce temps là, on ne déchaumait pas comme aujourd'hui. De l'herbe sauvage poussait dans les chaumes ; les moutons en vivaient de la moisson à la Toussaint, même jusqu'à la Saint André." (30 novembre) Grenadou paysan français

Le berger n'est pas attaché à une terre, il nomadise lui aussi, changeant de lieu au gré de ses embauches dans les fermes. Pour sortir du canton, il demande un passeport pour l'intérieur.
"Il s'est trouvé parmi les électeurs deux bergers, dont un fit beaucoup de tumulte, deux mineurs, un insolvable décrété de prise de corps pour dettes, un étranger sans lettres de naturalisation."
Le 31° janvier 1790, à l'assemblée pour l'élection d'une nouvelle municipalité d'Echou-Boulains, village proche de la Chapelle Rablais, deux bergers n'étaient pas considérés comme citoyens à part entière de la commune. Il est probable qu'ils n'étaient pas originaires du village: pas de droit de vote pour les étrangers, les mineurs, les fous, les condamnés ! AN D IV 62 n° 1878 pièce 10 cité par G.R. Delahaye

On voit passer à la Chapelle Rablais, où ils ont dû travailler : en 1807 et 1810, André Louis Poisson, la quarantaine, originaire de Tousson en Seine et Marne; en 1810 Sébastien Jamin, quarante ans, lui aussi, originaire de Volnay dans l'Aube (Aulnay dans l'Aube ou Volnay en Côte d'Or) et se rendant à Troyes; en avril 1819, depuis 6 mois à la Chapelle Rablais, Etienne Herlouison/ Arluison, 19 ans, originaire de Conflans sur Marne; enfin, en 1852, 1853, 1853, 1855, 1856 et 1857, François Bonvalet, originaire de Gastins en Seine et Marne, résidant aux Montils.

Dans certaines fermes, le berger pouvait avoir un salaire supérieur au premier charretier: "exemple les gages des employés d'une ferme située à Noisy-le-Grand, en Brie, en 1735: premier charretier: 150 livres, deuxième charretier: 150 livres, troisième charretier: 75 livres, jardinier: 180 livres, vacher: 66 livres, garçon de basse-cour: 50 livres, première servante: 80 livres, seconde servante: 75 livres, maréchal : 270 livres, bourrelier: 60 livres, meunier: 60 livres et berger: 300 livres." Revue Nos ancêtres n°76 "servir autrefois"

Petite remarque: que de "Joseph" chez les voituriers thiérachiens! Près d'un homme sur trois lui fait honneur, sans compter quelques Marie Joseph et Catherine Joseph. Jean a beaucoup moins la cote: seulement un sur cinq, alors qu'il arrive en première position chez les autochtones où Joseph se place en onzième position.

Traduction de la Parabole de l'Enfant Prodigue, en patois Wallon de la partie du Hainaut dont la ville de Mons est la Capitale, envoyée en 1807 par M. de Coninck, Préfet.

Ein n'saqui avoa deux fieux. Le r'culot dit à s'pée: Pée, baille me l'part de bié qui me r'viet; et l'pée leu baille leu part. Ein pau après, l'pus jône walton ramasse tout ce qu'il a, i s'boute en voaïage et s'ein n'sachu bié long, et droit- là i briscande tout ce qu'i possède en faisant ribaude.
Quand il a tout assillé, il arrive ein terrible famene d'veins, é païs-là, et i k'menche à senti l'misere.
I part et i s'en va s'bouter varlet cheu un manant de ce païs-là, qui l'envoïe garder les pourceaux à s'cence. Il aroa bié voulu rempli s'veine des cossiaux que ches pourcheaux megnenn'te, mais on ne li ein abilloa nié. A l'fin après s'avoir bié rappensé, i se dit à li même: Combié y a-t'i de manouvriers à l'mon de m'pée, qui ont du pain à planté et mi je m'muere de fraim droit- chi !

Nos Tirachiens ne parlaient pas tout à fait le même langage que les Briards, lesquels étaient loin d'employer un français parfait, souvenons nous de : "Son étabe ée infestée pa' la fieuv apteuse." De nombreuses régions étaient encore fidèles à leur patois, il fallut attendre l'école de Jules ferry, puis le brassage de population de la première guerre mondiale pour que l'ensemble des Français parle la même langue: "Je vous jure que j'ai autant besoin d'un interprète qu'un moscovite en aurait besoin dans Paris... Je n'entends pas le françoys de ce pays et on n'entend pas le mien." Lettre de Racine à M. de la Fontaine, Uzès, 11 novembre 1661

On peut avoir une petite idée de leur manière de parler en découvrant une version d'un texte qui avait été proposé par le Ministère de l'Intérieur français en 1807 dans diverses provinces. Il s'agit de l'adaptation en dialecte local de la parabole de l'enfant prodigue :
Un homme avait deux fils, dont le plus jeune dit à son père mon père donnez-moi ce qui doit me revenir de votre bien. Et le père leur fit le partage de son bien. Peu de jours après le plus jeune de ces deux fils, ayant amassé tout ce qu'il avait, s'en alla dans un pays étranger fort éloigné, où il dissipa tout son bien en excès et en débauches...

Le texte intégral sur Gallica

Il faut que je r'prenne corrage et que je r'vièche delez m'pée et que j'li dise: Pée, j'ai maufait à l'enconte du ciel et conte ti.
J'mérite pus qu'on m'apelle t'fieu. traite me à mains comme ein de tes manouvriers. Par après i'sestampe et i s'enr'va delez s'pée. Id'étoa co bié long, que s'pée l'avoa d'ja ravisé. Id'a pitié, i court à s'raward, i s'rue a s'n'hatriau et i l'embrasse. Adonc, s'fieu li dit: Pée, j'ai péché conte l'ciel et conte ti. Je n'mérite pus qu'on m'nomme f'fieu.
Et l'pée dit à ses varlets: Allez vos bié rade querre m'pus belle casaque, rachemez le bié, boutez li ein anniau à s'doigt et des solers à ses pieds. Après, vos amenerez l'cras viau; vos l'tuerez, nos l'meignerons et nos ferons bonne chère.
Car m'fieu que v'chi étoa mort, et le v'la resuscité, il étoa demannevé et le v'la rekeu; après cha, i'sboutent à faire bonne torche. L'pus vieux walton étoa à camps, et ein r'venant, étant au proche de s'mon, il entend des guisterneux et des danses. I crie après ein des varlets et i li demande chu que ch'est que tout choa? C'ti là li répond: Ch'est que vos frée est r'venu, vos pée a tué l'cars viau.
(Le reste manque)

Mémoires de la Société des Antiquaires, tome VI 1824 sous le titre
"Matériaux pour servir à l'histoire des dialectes de la langue française, ou collection de versions de la Parabole de l'Enfant Prodigue en divers idiomes ou patois de France."

Il est fort douteux que les paysans briards aient manié la langue si littéraire qui servit de base à l'enquête sur les dialectes populaires, de même que le correspondant du Hainaut s'est trouvé gêné pour traduire en langage populaire des tournures fort éloignées des campagnes, d'où le savoureux "bonne torche" qui suit de peu "bonne chère" et le "resuscité" , sans équivalent local, (même à l'église où la messe se faisait encore en latin, le curé, dos tourné aux fidèles.)
"I li demande chu que ch'est que tout choa? " Les voituriers tirachiens devaient manier le Ch'ti mi, comme dans le film de Dany Boon (lequel a sorti Momignies de son anonymat puisqu'il y a tourné un film !) "L'inimitable accent ch'ti mi, plus traînant en Flandre intérieure, plus grasseyant en Picardie, plus rocailleux dans le Hainaut et le pays minier" Pierre Pierrad, la vie quotidienne dans le Nord au XIX° siècle Hachette
A quelques dizaines de kilomètres de là, Namur, le langage est proche, malgré de petites différences. Entre gens du Nord, ils se comprenaient sans problème. En était-il de même entre voituriers thiérachiens et paysans briards? Et comment comprendre des maçons de la Creuse ou des scieurs de long du Forez, qu'on trouvait à la même époque à la Chapelle Rablais, s'ils ne parlaient que leur dialecte?

 

 

Français littéraire, texte de base de l'enquête 1807
 

Mais le père dit à ses serviteurs : "Apportez la plus belle robe et l'en revêtez ; et mettez-lui un anneau au doigt et des souliers aux pieds ; et amenez un veau gras et le tuez ; mangeons et réjouissons-nous ; parce que mon fils que voici était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, mais il est retrouvé.

Le texte intégral sur Gallica

 

Région de Mons
 

Et l'pée dit à ses varlets: Allez vos bié rade querre m'pus belle casaque, rachemez le bié, boutez li ein anniau à s'doigt et des solers à ses pieds. Après, vos amenerez l'cras viau; vos l'tuerez, nos l'meignerons et nos ferons bonne chère. Car m'fieu que v'chi étoa mort, et le v'la resuscité, il étoa demannevé et le v'la rekeu; après cha, i'sboutent à faire bonne torche.

Le texte intégral sur Gallica

 

Région de Namur
 

Li père dit aloors à ses vaurlets: allez quaire les pus bias habiemains et mettos les sul'couare, mettos li one bague à s'doigt et des solés dains ses pis. Et amonainrnez l'crau via, touez le et nos frans l'fiesse. Puisqui m'fils estoit mouart et il est raviqué il estoit pierdu et il est r'trové et is s'sont mettu à tauve, et is s'sont bain divertis.

Le texte intégral sur Gallica

 

Patois rouchi
Valenciennes...
 

Adon l'père dit à ses varlets: apportez rad'men l'pus béle rope, et flanquez- li sus s'dos; metez li un éniau à s'dôgt, et dés sorlets à sés pieds. Am'nez oussi l'cras viau, et tuez- l', mions, et fésons bone torche. Pace qué m'fieu qué vla chi drochi, il étôt mort, il est ravigoté; i tôt perdu, et il est ertrouvé. A don is ont qu'ménché à fére bone guince.

le dictionnaire Rouchi / Français Google books
Parabole de l'enfant prodigue et autres textes en Rouchi


Auvergne

 

Adonca, lou païre diguet à soui doumestiques: pourta dy viste sa primeïra, sa pê brava raouba, bestié lou, bouta dy en aner à soun det, é de tzahras as pez. Mena lou veder gras, sanna lou, madzon é devartisson nous. Per ço que moun fir zera mort é zes rassussita; zera pardu e ses retrouba; ati desoubre se bousterou en tren.

Le texte intégral sur Gallica

 

Patois briard  
Hélas, l'enquête de 1807 reprise en 1824 ne s'est pas intéressée aux contrées proches de la capitale. Pas assez folkloriques?

 

 

Une enquête plus récente propose des variantes d'une fable d'Esope en diverses langues régionales, texte et enregistrement de la voix: "La bise et le soleil se disputaient, chacun assurant qu'il était le plus fort, quand ils ont vu un voyageur qui s'avançait, enveloppé dans son manteau. Ils sont tombés d'accord que celui qui arriverait le premier à faire ôter son manteau au voyageur serait regardé comme le plus fort..." Voici la retranscription du début de cette fable, relevée non loin de Givet, à l'est de Momignies: "Li biche et l'solia s'chamayaient, chacon'que dijant qu'il estait le plus fwar, quand is ont véyu un voyèdjeu qui s'aprètait, rasserré dins un mantia. Is ont tchehu d'acwer qui l'ci qui arriv'rait le premî à fer dismouchi s'mantia autour d'li serait regardé com estan l'pus fwar des deux." A Valenciennes, plus à l'ouest: "L'bise et pis l'solel, i s'disputotent. I s'capougnottent. Chacun, i-assurot qu'i-étot l'pus fort, quand i z'ont vu un voïageur qui avinchot, inv'loppé dins sin mantiau. I sont quéus d'accord que ch'ti qu'i arriverot l'premier à i faire inl'ver s'mantiau au voïageur, i s'rot ravisé comme el'pus fort."

Lien vers le site de l'Atlas sonore des langues régionales

Après, vos amenerez l'cras viau ... après cha, i'sboutent à faire bonne torche.

Les paysans de la Chapelle Rablais n'aimaient pas quitter la région qu'ils connaissaient et où ils étaient connus. On le verra pour les mariages où ils n'allaient pas chercher bien loin leur conjoint. On le constate dans les Passeports pour l'Intérieur, papier indispensable dès que l'on doit franchir les limites du canton. Les deux cent un papiers conservés en mairie, tant passeports que talons, ont été demandés par quatre vingt onze personnes différentes, dont des migrants avérés: voituriers du Hainaut, scieurs de long du Forez, maçons de la Creuse, forains de l'Yonne... et par cinquante six habitants de la commune.
Il semblerait donc qu'ils aient eu la bougeotte, mais en y regardant de plus près, on peut en éliminer la plupart car le formulaire mêle les habitants et les résidents temporaires. Restent trente cinq habitants de la Chapelle ayant demandé un passeport dans la première moitié du XIX° siècle. Relativisons encore car sur ces trente cinq, vingt sept ne sont pas nés dans la commune. N'en restent plus que huit: des apprentis qui vont trouver un maître: Ferdinand Félix ira à Bolbec, près du Havre, à 22 ans puis Chevry et Brie en Seine et Marne; Louis Lemoust de la Fosse, apprenti charron de 21 ans va en Eure et Loir pour y travailler; Joseph Wallier, ouvrier charron de 18 ans -apprenti charron, à cet âge-là!- va à Paris. C'est le fils d'Anne Sylvie Fourrey dont nous avons retracé, dans un autre chapitre, la vie aventureuse de marchande de bagues de St Hubert. Sa mère, son père nourricier, étaient fréquemment sur les routes, lui aussi, certainement dans son jeune âge; pas de certitude, car le nom de l'enfant figurait rarement sur le passeport de ses parents, même si sa présence y était notée. Edme Masson, manouvrier, demande un passeport, il fait aussi partie d'une famille liée à des voituriers et des forains.
On voit Jean Louis Lepanot, manouvrier de 27 ans, se diriger vers le département de la Manche. On comprend pourquoi en découvrant qu'il épousera la nièce du curé Ozouf qui avait accompagné son oncle à la Chapelle Rablais. La famille du curé est originaire de St Rémy des Landes, Manche.
Des apprentis qui se rendent chez un nouveau patron, le fiancé de la nièce du curé, des familiers de migrants qui prennent aussi la route... ne restent que trois natifs de la commune à quitter la Chapelle pour un motif inconnu: Julien Cendrier, tailleur de 60 ans, se rend à Paris, de même que Germain Picard, 25 ans, fils d'un cabaretier. Dix ans après le jeune Félix parti près du Havre en apprentissage , Jean Louis Lemoust de la Fosse, charretier de 44 ans, s'y rend aussi.

Doc: Originaires de la Manche à la Chapelle Rablais au XIX°


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   Courrier

Un peu de paléographie, réponse :
Item une vache sous poil
(blond âgée de six ans prisée soixante douze Francs)
Extrait de l'inventaire après décès de Thomas Joseph Nival du 29 floréal an XI (19 mai 1803) AD 77 261 E 61 minutes du notaire Hardouin f ° 430:

D'un naturel réservé, en temps normal (mes parents, instituteurs de campagne, ont attendu longtemps avant d'être invités à franchir le seuil des fermes), les fermiers et manouvriers ne semblent pas avoir cherché le contact avec les voituriers thiérachiens.
Ces migrants bouleversaient les habitudes des paysans : toujours sur les chemins à cause de leur travail en forêt, ils n'hésitaient pas à aller voir plus loin quand l'embauche manquait, et retournaient fréquemment dans le Hainaut pour affaires de famille...
Alors, les Tirachiens ont tissé des liens avec d'autres migrants, comme eux, ou des presque nomades: forains, batteurs en grange, bergers...

Leur orthographe même ne leur est pas familière: Denis Toussaint Félix, maire de la "Chapelle Rablay" en 1810 est bien embêté pour déchiffrer le nom de Beauwelz (mot compte triple au scrabble!) pour le retranscrire sur le nouveau passeport de Philippe Joseph Badoulet. Le W, le LZ ne sont pas usités dans le français mêlé de patois briard qu'il pratique tous les jours; Beauwelz devient quelque chose comme Beausselrÿ. Que Philippe Joseph ait pu l'aider corriger cette erreur, il ne fallait pas y compter: comme la plupart de ses confrères, il était analphabète. De nombreux actes se terminent par "ne sçait signé" , " a déclaré ne savoir signé..."
En 1807, quand le voiturier Laurent Laîné décède, le maire de la Chapelle Gauthier entend "Biauvoix" Il n'avait pas tort car Beauwelz se prononce à peu près ainsi dans le Hainaut, (la famille Labioit, Labiwoit s'écrit aussi Labiwez); on dit "Momgniye" pour Momignies .
AD77 5 Mi 2806 f ° 17

A la Chapelle Rablais, trois bergers se répartissaient les troupeaux, s'il faut en croire le recensement de 1836 où l'on trouvait Courtois à la Chapelle Rablais, Lepage aux Montils et Dalisse aux Moyeux. Au début du siècle, les voituriers fréquentaient les bergers François Bulot, Louis Malherbe, François Lejeune, Denis Courtois, François Robsy. Nicolas Lepanneau, berger, était doublement beau père d'Edme Tissot, le scieur de long devenu voiturier, puisqu'il lui donna successivement ses filles Catherine et Marie Adélaïde comme épouses.
Nomades, pour certains très pauvres, vivant à l'écart des gens de la ferme et souvent suspectés d'être un peu sorciers, les bergers étaient très proches des voituriers, comme l'était aussi les batteurs en grange: "L'hiver, le batteur en grange, armé de son fléau allait de ferme en ferme battre le blé et les autres céréales telles que le seigle et l'avoine. Il travaillait sur l'aire de terre battue, surface plane aménagée dans un coin de la grange." metiers.free.fr
Reste à savoir si François Bonvalet percevait ces salaires mirobolants car il travailla fort âgé et finit sa vie dans la misère: il est encore berger en 1855, à l'âge de soixante dix huit ans. L'année suivante, il est dit "ancien berger", mais en 1857, il pourrait sembler avoir repris du service, puisqu'il est à nouveau déclaré "berger", à l'âge de quatre vingts ans. En 1856, il loge avec Rosalie Naudé, son épouse de 75 ans, dans la même maison que Louis Désiré Seguin. En marge, est indiqué: "indigent, secouru par la commune". AD77 10 M 154
Il est probable que les passeports pour Tournan, Longjumeau ou Corbeil n'aient été demandés par l'ancien berger, que pour avoir l'autorisation de mendier sur les foires, comme les marchands de balais, de bagues de St Hubert que nous avons découverts dans un autre chapitre (bien que, sous la Restauration, l'Assemblée départementale ait interdit la mendicité hors de sa commune. )
Le département de Seine et Marne, 1800/1895, d'après les documents officiels notamment les délibération du Conseil Général Melun 1895

Rosalie décédée en 1858, on retrouve François Bonvalet à l'hospice de Montreuil sous Laon, "asile des vagabonds incorrigibles", là où échouait une cinquantaine d'indigents Seine et Marnais. Il y meurt le 8 février 1860 à l'âge de quatre vingt trois ans.

Registre d'Etat Civl la Chapelle Rablais 5 Mi 2831 p 571
Dossier du CDDP Melun 1983 : Les pauvres

PS: je me permets d'appliquer une réforme de l'orthographe très personnelle: si je conserve tant que possible l'accent circonflexe (cote et côte n'ont vraiment pas la même signification), je supprime nombre de tirets, non qu'ils me donnent des boutons, mais à cause du formatage des lignes: la "justification" devient bizarre si les mots sont trop longs et un nom composé relié par des tirets est considéré par l'ordinateur comme un seul mot...
mise à jour: octobre 2017
Poème de Vigny:la maison du berger