Les voituriers par terre /31
Episodes de vie conjugale/2

Joseph Bouillard, présent à la Chapelle Rablais depuis 1816 attend l'année 1836 pour prendre en "premières noces" épouse à l'âge de 50 ans. Marie Jeanne Picardat est âgée de 58 ans, veuve par deux fois, mère de garçons frôlant la quarantaine. Il est évident qu'à cet âge avancé de l'épouse, Joseph ne comptait pas assurer sa descendance, sans préjuger des sentiments réciproques impossibles à déceler dans les pièces d'archives, l'union avait au moins pour but de mettre en commun les moyens de subsistance.

1846 est l'année où Charles Thomas Nival décède. Adélaïde, sans subsistances, ne reste pas à Fontains. Ses deux plus grandes filles sont placées comme domestiques à la ferme des Clos. Pas de trace d'Adélaïde Laurent ni des enfants en bas âge, à Fontains, à Coutençon, village d'origine d'Adélaïde, à Ozouer le Repos où elle avait été domestique, ou à la Chapelle Rablais village d'origine de son mari, mais à Fontenailles où résidaient ses parents:
maison 45, rue du Village, famille 55: Laurent, veuve Nivalle, Marie, 49 ans et Nivalle Adèle 9 ans, Charles 6 ans, Victor 4 ans; qui résident à côté de Françoise Laurent, veuve Couillet, 43 ans. recensement 1851 Fontenailles, canton de Mormant AD77 10 M 120 p 166
Adélaïde (nommée Marie dans le recensement) a trouvé refuge près de sa soeur, elle même veuve. On retrouve la veuve de Charles Thomas Nival quelques années plus tard, âgée de 68 ans à Courcelles en Bassée, hébergée par son gendre Stanislas Bouvier, époux de sa fille Adélaïde Nival. Elle y décède le 15 janvier 1875.
L'année suivante, 1876, le recensement de Courcelles fait apparaître que le même couple Adélaïde Marie Louise Nival/ Jean Baptiste Bouvier, dit Stanislas, a recueilli Victor Petit, 10 ans, né à Fontenailles. En réalité, Victor est né le 21 janvier 1865 à Echouboulains; c'est le fils de Louis Théodore Petit, fendeur de lattes veuf de Désirée Nival, décédée en 1874, donc un neveu de Marie Louise. Louis Petit ne pouvait éléver seul le petit Victor et l'a confié à sa tante.
Orphelins, veufs et veuves devaient compter sur la solidarité familiale pour subsister... ou chercher à se remarier.
La plupart des voituriers, ayant dépassé la trentaine, ont épousé des veuves. Pour certaines, l'époux thiérachien est leur troisième ou quatrième mari : Joseph Bouillard, Nicolas Joseph Colinet, Pierre Déruelle, Nicolas Docquière, Louis Nicolas Dupin, Edme Tissot sont les troisièmes époux; Michel Joseph Germain, le quatrième.
Charles Thomas est noté voiturier, puis charretier puis manouvrier, puis cultivateur. Il devient veuf en janvier 1832, épouse Adélaïde Laurent, de Coutençon, en juin de la même année. Le recensement de 1846 indique que le couple réside à côté de la précédente belle famille:
canton de Donnemarie, commune de Fontains, hameau des Granges
maison 2/ famille 2: Bellagué Guillaume, 84 ans, indigent & Hardouin Rose, 54 ans
maison 3/ famille 3: Nival Thomas, cultivateur, 48 ans & Laurent Adélaïde, 45 ans; leurs enfants: Rose, 18 ans, Désirée 10 ans, Auguste 8 ans, Adèle-Estelle: 4 ans, Charles 1 an et deux nourrissons: Léon 4 ans et Pauline 3 ans Chapuis
AD77 10 M 87 p 31
Demeuré seul, un veuf, une veuve, était souvent obligé de compter sur sa parenté. On peut trouver des exemples parmi les descendants de Charles Thomas Nival (fils de voiturier dont la veuve épousa un autre Thiérachien.) Après avoir été voiturier à la Chapelle Rablais, Charles Thomas s'installe aux Granges de Fontains, à côté de son beau père, quand il épouse une fille Bellaguet. Là, il abandonne le métier de débardeur en bois pour celui de charretier, peut être pour la carrière et le four à chaux qui se trouvaient à cette époque dans le même hameau.

  Les passeports, page des choix
  Plan du chapitre sur les passeports
 

   Courrier

Le 26 pluviôse an XI, 15 février 1803, Pierre Déruelle, voiturier né à Momignies, et Marie Madeleine Sercot (Cercot), son épouse depuis 1796 renouvellent leurs voeux : "lesquels voulant se donner des preuves réciproques d'amityé... " font donation au dernier vivant des "meubles, effets, linge de lit, de table, argent, argenteries, deniers comptant, grains, chevaux, voitures, harnois, dettes actives, loyers, pâturages.. et biens immeubles."
Il était temps: le lendemain, Marie Madeleine décédait à l'âge de 51 ans, Pierre Déruelle en avait 45. Bien qu'enregistré officiellement chez le notaire Hardouin (qui avait fait le déplacement, vu l'état de Marie Madeleine, il en coûta 8 francs sur les 19 de frais, ramenés à 13 après remise), l'acte ne fut pas suivi d'effet, car avant d'épouser le voiturier, elle avait été veuve deux fois, et laissait des enfants. Le couple Déruelle/Cercot n'était pas bien riche: leur contrat de mariage avait été établi sur la base de 300 francs pour lui et 633 pour elle.
Jean Tancelin, le mari précédent, était mort en mars 1796, six mois avant qu'elle n'épouse le voiturier. A noter que le délai de "viduité" , correspondant à une période de neuf mois entre décès et épousailles pour être certains qu'un enfant du défunt ne pourrait être attribué au nouveau mari, ce délai n'avait pas été respecté. Il faut dire qu'il ne devait avoir cours que dans les milieux financièrement favorisés. D'autre part, Madeleine, âgée de 51 ans, avait dépassé sa période de fécondité. Jean Tancelin avait laissé un enfant qui décéda à l'âge de sept ans, en 1799, quelques années avant sa mère.
Trois enfants du premier mari avaient survécu à Marie Madeleine: Louis Simon Hourseau, manouvrier aux Montils, Marie Madeleine Hourseau, fille majeure résidant à ferme de la Martinière aux Ecrennes et Simon Hourseau, soldat qui n'était pas présent le 2 germinal an XI, étant "au service des armées de la République françoise". Ceux-ci réclamèrent leur part d'héritage et il ne resta au pauvre voiturier que "six chevaux et juments avec leur collier et autres harnois, du chariot rouland, d'un lit garni, les habits, linge et hardes à son usage lesquels objets réservés ledit Deruelle déclare les avoir dès à présent en sa possession.."
minutes du notaire Hardouin, Nangis AD 77 261 E 53 f ° 247 & 380

Il est peu probable que l'appât du gain ait motivé les épousailles entre voituriers et veuves, si calcul il y avait eu, il n'était pas judicieux: les sommes en jeu étaient dérisoires et les enfants des mariages précédents avaient droit à leur part d'héritage.

Et les enfants des voituriers? Ils naissent et meurent au même rythme que ceux des paysans voisins. Les familles restent nombreuses, même si le nombre d'enfants a tendance à diminuer, passant de plus de cinq par couple au début XVIII° à environ quatre pour la fin du siècle, pour passer à trois à la fin du XIX° Sources locales: St Méry par Annie et Gérard Walraevens, ed.Amattéis p 204

Marie Anne Bony dont on a déjà fait connaissance a été l'épouse de deux voituriers, elle a accouché au moins dix fois. Sur ses quatre enfants Nival, entre 1794 et 1800, l'une n'a vécu que quinze jours, les trois autres ont atteint l'âge adulte, Désirée s'étant éteinte à 79 ans.

Ne reste plus que Philippe Cyprien Badoulet dont il fut question plus haut. S'il eut une vie courte comme nombre de voituriers (il décéda à 39 ans) , il repeupla abondamment la planète car il eut, avec deux épouses, onze enfants, dont sept atteignirent l'âge du mariage, trois étant décédés en bas âge, un autre à 16 ans.
Sur les dix enfants connus que mit au monde Marie Anne Bony, seule la moitié a pu atteindre l'âge adulte. Ce n'était pas une particularité des Thiérachiens: on peut trouver parmi les voituriers de Brie des familles plus que nombreuses: Charles Chaîneau (Chesnot...), voiturier natif de Châtillon la Borde, eut seize enfants de trois épouses, la moitié n'arriva pas à l'âge adulte..
Cette mortalité infantile importante n'était pas non plus une particularité des voituriers, hélas. On considère qu'à cette époque, sur quatre enfants, l'un décèdait avant un an, et un autre avant l'âge adulte. Sans parler de la mortalité excessive des enfants mis en nourrice, qu'ils soient venus de la capitale ou des hameaux alentour.

Doc: les "Petits Paris" à la Chapelle Rablais

Six enfants sont nés de son union avec Philippe Badoulet: l'un mort né, avant mariage, deux autres sont morts nourrissons, un quatrième n'avait que quatre ans. Reste Pierre Philippe qui a dû mourir à 22 ans, car l'état civil le fait disparaître deux fois : la première, une semaine seulement après sa naissance et l'autre en 1829. Il est probable qu'il y a eu confusion avec François Philippe, né en 1807 et qui accompagna son père en forêt de Traconne et qui, donc, dut décéder en 1829.

Epouser une veuve aurait pu présenter l'avantage de profiter des biens acquis grâce au premier mari, si elles n'avaient été aussi pauvres que les voituriers l'étaient. Les inventaires après décès, comme les contrats de mariage révèlent tous la pauvreté des voituriers et de leurs épouses, à part Nicolas Pupin, riche de plusieurs milliers de francs, mais resté célibataire et vivant dans la misère.
La succession de Thomas Nival, réglée quelques années après sa mort, quand sa veuve se préparait à épouser son "garçon voiturier", montre que l'employé était plus riche que sa patronne, laquelle lui devait d'ailleurs des arriérés de salaire. Marie Anne Bony apporta 280 francs de dot, Philippe Badoulet 600. Total: 880 francs, en dessous de la moyenne des contrats de mariage qui se situait aux environs de 1.000 francs par couple. Il faut dire que pour la période 1789/ 1811, deux ménages sur trois apportaient moins que cette somme.

Inventaire après décès Nival/Bony
Page sur le salaire des voituriers

Revenons à Edme Tissot et ses multiples mariages. Pour le premier, le contrat fut passé en septembre 1793 alors que la cérémonie n'eut lieu qu'en avril de l'année suivante, Edme apportait 536 livres et Marie Adélaïde Lepanneau 250. Total 786 livres. Au second contrat passé une semaine avant les épousailles avec la seconde soeur Lepanot, il n'avait plus que 250 livres. Papa Lepanot remit deux cent cinquante livres: 675 pour le couple. Pour le troisième mariage, contrat signé une quinzaine de jours avant le mariage, il disposait de la même somme que pour le premier, plus cent francs de douaire; la mariée qui n'était pourtant plus de la même famille apporta la même somme de deux cent cinquante livres, devenus Francs pas encore Germinal puisqu'on était qu'en septembre 1802 : total 796 F

Le contrat de 1802 précisait qu'en cas de veuvage, le survivant aurait droit à "linge, lit garni, commode ou armoire vuide... si c'est la future bagues, joyaux, gobelet d'argent s'il y en a ... si c'est le futur, sa tasse, boucle et montre d'argent... Conviennent les futurs que les deux enfans du second lit du futur, et celui de la future, seront nourris, logés, couchés, chauffés, blanchis, éclairés et entretenus tant en santé que maladie, aux frais de la future communauté jusqu'à l'âge de quatorze ans... Les frais de nourriture et entretien évalués la somme de cent francs par an."
Le couple empruntera mille francs, sans intérêt, à Nicolas Pupin en 1807 en hypothéquant la maison qu'ils venaient d'acheter aux Montils et tous leurs biens, déjà hypothéqués en faveur de leurs enfants, héritiers des précédents époux: "...leur maison de trois travées située aux Montils commune de la Chapelle Rablay ... tenant au levant à une propriété qui appartient aux enfans mineurs dudit Tissot, au couchant sur la rue qui conduit à Nangis, au Midy, sur la Rue de Melun et du Nord à un Clos appartenant auxdits mineurs... un clos entouré de hayes vives 21 ares 10 ca, cinquante perches... un autre clos... " Cette maison de cinquième catégorie cadastrée A 306 en 1832 existe encore, le petit fils d'Edme Tissot, François Victor Bertin l'avait modifiée en 1868.

Traces des voituriers: Tissot et Bertin

La mort de Nicolas Pupin en 1808 retarda peut être l'achat d'un attelage complet de Tirachien que les Tissot achetèrent en 1809 pour 1.040 francs à payer en cinq termes, sans intérêts, jusqu'à la Saint Martin 1811. A noter que Louis Meunier, le vendeur, était certainement meilleur négociateur que le couple Tissot/Voulminot, puisqu'il leur vendit au prix fort un chariot, un poulain et sept juments qui n'étaient pas de première jeunesse, dont une qui avait "le pied gauche de devant tourné". Le brave Louis Meunier avait profité de la vente aux enchères Pupin pour se procurer un chariot pour 120 francs et des juments pour un prix dérisoire, entre 10 francs pour "une jument sous poil noir garnie de son collier et trez" deux autres à une vingtaine de francs pièce, la plus chère: "une jument sous poil rouge bay mis à prix par le citoyen Boulogne à Villeneuve les Bordes & adjugé au citoyen Meunier moyennant 31,50 F". On est bien loin du millier de francs déboursé par Edme Tissot. minutes du notaire TartarinAD 77 273 E 31

Doc: achat d'un matériel de voiturier par Edme Tissot le 29 janvier 1809

Quoiqu'il en soit, le couple Tissot/ Voulminot et leurs descendants respectifs n'étaient pas dans la misère, sans être riches: ils possédaient attelage et maison, cependant, ses mariages successifs n'enrichirent pas le scieur de long devenu voiturier.

D'autres n'étaient pas plus riches: Julien Trahault et sa femme ont apporté chacun une petite somme équivalente: 137 francs pour lui, 119 pour elle. Nicolas Joseph Docquière (Docquier), pour ses deux mariages en Brie, fournit moitié moins que sa future, mais les sommes étaient tellement faibles qu'on ne peut pas le soupçonner d'avoir couru la dot; en 1802, il n'avait que 82 francs, en 1807 il n'était riche que de 159 francs.
Jean Louis Bienvenu épousa en 1805 Marie Madeleine Tancelin, veuve d'un charretier (voiturier, galvacher?) originaire de la Côte d'Or. Elle suivit de peu dans la tombe le voiturier thiérachien décédé sans descendance en 1823. Marie Madeleine ne laissa que 73 francs à ses deux filles nées de son premier mariage. Une misère !
Tous les contrats concernant des mariages Thiérachiens/Briardes n'ont pas été retrouvés, ni tous les inventaires après décès, mais aucun ne montre la trace d'une vie sans soucis financiers..

Voir la doc : Mariages la Chapelle Rablais 1789/1811

Certains fils de voituriers suivront les traces de leurs pères: parmi les seize enfants de Charles Chaîneau, l'un, au moins, fut voiturier. Charles père vivait et travaillait à Châtillon la Borde où le trafic des Tirachiens devait être d'importance, puisque c'est le seul que note, cent ans après Charles Chaîneau, l'instituteur, rédacteur de la monographie de 1889 sur "la route départementale n°3 de Melun à Nangis qui traverse le bois de la Borde et sert à la vidange des bois". AD77 30Z92
L'aîné du voiturier, Pierre Charles, fut aussi voiturier, et non charretier, certains documents faisant bien la distinction. On le retrouve à la Borde pour son second mariage. Puis on perd sa trace dans cette commune: il avait déménagé d'une petite centaine de mètres, franchissant la rue qui sépare la partie "la Borde" du village de la partie "Chapelle Gauthier". C'est dans les registres de cette commune qu'on découvre ensuite les curieux prénoms des enfants du voiturier: Aglaé, Ursule, Julie, puis Octorine (Aline à sa naissance) Zolémide (Zélonide), Izabelle Méollat et Adèle, sans compter des jumelles qui ne dépassèrent pas un jour de vie et un petit Charles décédé à un mois, cités dans le désordre. Et, pour simplifier les recherches, il existe un autre Pierre Charles Chesneaux à Châtillon, époux de Léonie Rosalie Poirier...

Autre fils de voiturier, Charles Thomas Nival âgé de 25 ans, se rendra en 1823 dans les forêts de Sourdun avec son père nourricier, Philippe Joseph Badoulet, puis à la Fourtière (Forestière) l'année suivante et à Momignies en 1825, demandant à chaque fois un passeport pour l'Intérieur. Quand Charles Thomas Nival épouse Françoise Madeleine Bellaguet, il s'installe au hameau des Granges de Fontains, à côté de sa belle-famille et semble se reconvertir en manouvrier et charretier, puis en cultivateur, comme on l'a vu plus haut.
Un fils légitime de Philippe Joseph Badoulet, François Philippe, âgé de 19 ans, l'accompagnera en forêt de Traconne en 1826. Un autre de ses fils, Philippe Cyprien, se rendra aussi à Momignies à l'age de 22 ans, en 1833. Plus tard, après son mariage en 1835 avec Joséphine Rose Fourré (de la même famille que Sylvie Fourrey qui introduit le chapitre sur les marchandes de bagues de Saint Hubert), Philippe Cyprien n'est plus qualifié que de charretier en 1841 puis de manouvrier à son remariage en 1843.
La famille Chesnot voitura à Châtillon la Borde, de concert avec Nicolas Joseph Colinet, voiturier né à Anor, proche Momignies, qui se fixa en 1797 dans le village des Chesnot, comme il a été détaillé à la page précédente. Son fils Claude Henry Colinet embrassa aussi la carrière de voiturier; on le retrouve en 1836 au hameau des Trois Chevaux de la Chapelle Gauthier, point de rencontre de nombreux Tirachiens. Il occupe l'une des trois maisons du hameau; une autre est occupée par la famille de sa demi-soeur, Adélaïde Marie Lelièvre, fille d'un premier mariage de la seconde épouse de Nicolas Colinet, laquelle Adélaïde avait épousé un Driot qui la laissa veuve. Claude Henry Colinet avait aussi épousé une Driot. J'espère qu'on arrivera à s'y retrouver dans ces familles composées et recomposées ! L'agent recenseur de 1841 n'y était pas arrivé, appelant "Marie Colinet, veuve Drillot", Adélaïde Marie Lelièvre qui n'avait dans ses veines, aucun sang Colinet.

Le XIX° siècle progressant, les enfants de voituriers perdront cette qualification, on les appellera charretiers puis manouvriers. Ils se fondront dans la masse des petits paysans. Le chemin de fer remplacera peu à peu le flottage du bois. Pendant quelques décennies encore, les petits enfants, voyant passer les charrois de bois chanteront leur petite comptine: "Tirachien, Tiraloup, tire la queue du loup", puis on l'oubliera, on perdra la mémoire de ces voituriers venus de contrées lointaines débarder le bois des forêts d'Ile de France avec leurs petits chevaux ragotins.

Les Tirachiens semblent avoir eu plus souvent des relations avant mariage que les paysans du cru, peut être parce qu'ils étaient moins sous le regard des membres de la communauté. Une statistique est impossible à établir car les données sont disparates; pour certains voituriers, on dispose de nombreux documents, de presque rien pour d'autres. Cependant, on peut lister les speedy- bébés, nés à une allure record juste après le mariage de leurs parents, ceux, du moins, qui ont laissé une trace. Car on ne pourra pas recenser les enfants naturels, dont le père est inconnu, ni ceux qui n'eurent pas d'existence officielle.
Pour éviter les avortements et infanticides, les curés répétaient encore à la fin du XVIII° siècle, un édit de 1556 obligeant les filles mères à déclarer leur grossesse. Ainsi, en 1773, le curé Huvier, ancien desservant de la Chapelle Rablais, quand il était prêtre de Cerneux et Pierrelez : "l'édit d'Henry Deux concernant les femmes et les filles enceintes a été fulminé tous les trois mois aux prônes des messes paroissiales."
AD77 Pierrelez 5 Mi 5925 p 47

Voir la fiche "monitoire à fin de révélations" dans Wikipédia

" .... Et estant düement avertis d'un crime très énorme & exécrable en nostre Royaume, qui est, que plusieurs femmes ayant conceu enfant par moyens déshonnettes ou autrement, déguisent, occultant et cachant leurs grossesses, sans en rien découvrir et déclarer; Et avenant le temps de leur part, & délivrance de leur fruit, occultement s'en délivrent puis le suffoquent, meurdrissent, & autrement suppriment, sans leur avoir fait impartir le Saint Sacrement de Baptême. Ce faict les jettent en lieux secrets & immundes, ou enfouïssent en terre profane, les privans par tel moyen de la sépulture coutumière des chrétiens...... disons, statuons, voulons, ordonnons et nous plaît, que toute femme qui se trouvera deuement atteinte et convaincue d'avoir celé, couvert et occulté, tant sa grossesse que son enfantement, sans avoir déclaré l'un ou l'autre, et avoir prins de l'un ou de l'autre témoignage suffisant, même de la vie ou mort de son enfant, lors de l'issue de son ventre, et qu'après se trouve l'Enfant avoir esté privé tant du saint sacrement de baptême, que sépulture publique et accoutumée, soit telle femme tenue et réputée d'avoir homicidé son Enfant. Et pour réparation, punie de mort..."
Greuze, "la cruche brisée", symbolisant la perte de la virginité et autres désagréments.

Quelques speedy-bébés et enfants hors mariage relevés chez les voituriers:
Un enfant de Marie Anne Bony est mort né le 1° janvier 1803. En mai, elle mit en ordre la succession de son premier mari Thiérachien décédé depuis trois ans, avant d'épouser, en juin 1803, son garçon- voiturier, lui aussi Thiérachien, et, suivant toutes probabilités, père du mort-né.
Zélonide Flore Chesnot, fille et petite fille de voiturier briard vint au monde quatre mois après les épousailles.
Même délai pour Rosalie Colinet, fille de voiturier thiérachien.

Deux mois après le mariage pour Marie Cécile Coupain, fille de Thiérachien à Boursonne, proche Villers Cotterêts, qui plus tard, donnera naissance à Momignies à un futur voiturier qui finira sa vie à l'hospice de Sézanne.
L'une des filles du Thiérachien Nicolas Joseph Docquière donnera naissance à Antoinette Anastasie, enfant naturel, ce qui ne l'empêcha pas d'épouser, quelques années plus tard, le fils d'un ancien prisonnier des guerres révolutionnaires originaire de Bohême, avec lequel elle avait vécu en concubinage. La petite Antoinette Anastasie "Sans Nom" fut recensée à l'âge de dix ans, dans le nouveau foyer de sa mère.
Le premier enfant de Louis Serein Gorget et Marie Etiennette Maugis arriva quarante jours après mariage. Pour être précis, Louis Serein n'était pas voiturier à la différence de son père et de son frère, tous originaires de la forêt de Traconne où ils retournèrent après quelques années en Brie. Dans la forêt Saint Gobain, dans l'Aisne, un Nival, Charles Joseph reconnut comme son fils, le jour de son mariage, le petit Joseph Adolphe né depuis quatre mois.

Même si la petite Anne Françoise Adélaïde arriva sept mois seulement après les épousailles, on ne peut assurer qu'Edme Tissot fauta avec Marie Madeleine Adélaïde Lepanneau. Née sept mois après mariage, le 11 brumaire an III à sept heures du matin, la petite décéda à midi, le même jour. A cette époque, les prématurés et les jumeaux avaient peu de chances de survie. De même, les mères en couches puisqu'une femme sur dix décédait des suites d'un accouchement. Ce fut le cas d'Adélaïde, épouse d'Edme Tissot qui s'éteignit quinze jours après sa fille.

Mettre des enfants au monde hors mariage n'était pas l'apanage des voituriers et autres forains, loin s'en faut ! Le cas du fils du marchand de bois et notable Labarre, père de quatre enfants quand il s'est décidé à convoler, sans l'accord de son père, a été cité à la page précédente. Mais les naissances hors mariage étaient rares. Dans son étude sur la population de Dontilly au XVIII° siècle, Chantal Brouard trouve un taux supérieur à la moyenne, "1,20% alors qu'il atteint rarement 1% dans les campagnes du Nord de la France. Ce chiffre est en partie dû à une seule mère qui eut, etre 1782 et 1793, cinq enfants de père inconnu." Tout le problème des statistiques sur un petit échantillon, comme pour la Chapelle Rablais... Provins et sa région n°148 année 1994

Comme de nombreux voituriers se sont mariés sur le tard, avec des épouses proches de la ménopause, les enfants nés de ces couples n'ont pas été nombreux.
Suivons Nicolas Joseph Docquière (d'Optière, Doctierr, Docquier...) : il travaille déjà en Brie, mais réside à Momignies quand y naissent Marie Catherine Joseph en 1791 et Marie Angélique Joseph Sylvie en 1797, puis Jean Baptiste en 1801, lequel décède en Brie à l'âge de trois ans. Quand son épouse thiérachienne, Marie Catherine Bertrand, décède en 1802, il se remarie en Brie; Anne Geneviève Bridou a déjà 43 ans. Le couple ne repart pas dans le Hainaut car il laisse des traces tout au long de l'année 1803. Quand Anne Geneviève Bridou décède en 1806, Nicolas Docquière se marie à nouveau avec une veuve de 46 ans qui décède dans l'année. Le voiturier vivra encore cinq ans pour mourir à l'âge de 45 ans; on ne faisait pas de vieux os dans ce métier ! Il venait de contracter une dette auprès de Pierre Laurent Baivier:
"fut présent Nicolas Joseph Doctière voiturier par terre demeurant aux Montils commune de la Chapelle Rablays... Lequel a reconnu par ces présentes devoir bien et légitimement à Pierre Laurent Baivier voiturier par terre demeurant au formatot (Four Mateau) commune de momigny... la somme de sept cent soixante dix huit francs... Laquelle somme... ledit Doctière promet et s'oblige de rendre et payer audit Baivier ... savoir moitié le onze novembre prochain et l'autre moitié de onze novembre suivant... Et attendu que lesdit Doctière déclare ne posséder et n'avoir en ce moment aucuns biens immeubles pour répondre du montant de la présente obligation il déclare consentir que chacun des biens immeubles qu'il acquerra ou qui lui échoiront par la suite a quelque titre que ce puisse être soit et demeure affecté et hypothéqué..." Pierre Laurent Baivier dut en être pour ses frais: Nicolas Docquière mourait la semaine suivante et ne possédait rien !
minutes du notaire Tartarin AD77 273 E 34 n°73

Page précédente, nous avons suivi les traces des deux filles Docquière à Saint Ouen en Brie.

Le 6 avril 1848, à Fontains, deux orphelines Nival, sous la tutelle de leur grand père maternel, Guillaume Bellagué, 87 ans, se marièrent le même jour: Françoise Rosalie, 20 ans, couturière, résidant aux Granges de Fontains, épousait Louis Antoine Catalan, 24 ans, manouvrier à Echouboulains pendant que sa soeur Louise Cléophée convolait avec Etienne Amable Masson résidant aux Montils. Petit problème: le père de Louise et la mère d'Etienne étaient frère et soeur, tous deux enfants du voiturier Thomas Nival. Il n'y avait pas trace de dispense pour consanguinité dans les registres. Cela signifiait-il qu'ils s'en étaient dispensés, que leur état de cousins n'était pas connu de leurs voisins, des officiers d'Etat Civil ? Donc, que descendants de voituriers originaires d'une province éloignée, ils étaient moins sous le regard des membres de la communauté comme proposé plus haut?
En fait, leur situation familiale était connue et figure sur l'acte religieux une "dispense de consanguinité du deux au deux accordée par Mgr l’Evêque de Meaux", assortie d'une autre dispense "du temps prohibé" puisque les noces avaient lieu pendant le Carême.
(Je remercie, ici, l'Archiviste de l'Evêché dont les recherches furent compliquées: les actes de 1848 de Fontains se trouvant dans le cahier de 1845 !)

Si l'ascendance des Thiérachiens n'était pas bien claire pour les Briards, leur descendance était connue comme celles des paysans de souche.

Doc: traces de la famille Nival
Arbre de consanguinité

Deux frères Badoulet, Philippe Joseph cité plus haut et son aîné Pierre, menèrent des vies singulièrement parallèles, l'un en Brie, l'autre en Picardie, dans des villages proches de la forêt de Saint Gobain et ses verreries, grandes consommatrices de bois. Leur père était voiturier, leur mère descendait d'une famille de "mulquiniers", tisserands en batiste; à Momignies, les tisserands et faiseurs de bas étaient presqu'aussi nombreux que les voituriers. Leur soeur Thérèse avait épousé un voiturier thiérachien qui termina ses jours à la Chapelle Rablais, chez Philippe. Pierre et Philippe naquirent à Beauwelz / Momignies, qu'ils quittèrent dans les premières années du XIX° siècle; Pierre se mariant en 1801, Philippe en 1803. Philippe retourna plusieurs fois à Momignies pour affaires de famille (1810, 1814, 1821; en 1820 peut être à cause du décès de Pierre mort en 1819). Puis, la famille Badoulet n'a plus laissé de traces dans le Hainaut. Si l'on trouve dans les cimetières de Beauwelz et Momignies nombre de Nival, Delchambre, Ledoux, Bouillard ou Docquier, aucune sépulture de Badoulet.
Pierre, comme Philippe ont été garçons voituriers (aucun rapport avec l'âge : Jean Louis Bienvenu est qualifié de garçon voiturier à 42 ans et Jean Baptiste Charles à l'âge de 51 ans !) cela signifie qu'ils dépendaient d'un patron; d'une patronne en fait, devenue voiturière par le décès de son époux. Si le benjamin épousa sa patronne, Marie Anne Boni, après quelque temps de vie commune ponctuée par la naissance, hors mariage, d'un enfant mort né, l'aîné se contenta de faire à Félicité Gillon trois bébés qui prirent le nom de Badoulet. S'il ne l'épousa pas, c'est que sa femme légitime, Marie Catherine Dubreuil, plus âgée que lui d'une vingtaine d'années, était encore en vie ; elle lui survivra, d'ailleurs, terminant ses jours auprès de sa demi-soeur.

Doc: traces de la famille Badoulet

Un mariage entre cousins peut être le signe d'une famille qui n'a pas réussi à s'intégrer au groupe local.