Les scieurs de long/7
Arrivée en Brie, où loger ?
Après plus d'une semaine de voyage à pieds, voici les scieurs arrivés en Brie, dans le village où ils allaient passer plusieurs mois. Où loger ? Les archives montrent la grande variété de logis. Chez le patron, s'il avait la place pour les loger, puisque le plus souvent l'embauche était prévue avant le départ. Ou dans la famille si elle était implantée depuis quelque temps. On en trouva chez un père, un frère, un beau-père, un gendre, un beau frère... Chez un fermier, une veuve, ou chez un client, le temps d'un chantier, comme Jean Porte qui décéda chez Jean Pion, vigneron à Salins, non loin de son logis aux Montils. On en trouvait aussi au cabaret qui offrait des chambres et à l'auberge.
Doc : où logeaient les scieurs de long?
N'étant pas vraiment desservi par
des routes, la Chapelle Rablais ne comportait pas d'auberge, mais les "cabarets"
qui pullulaient tant dans le village qu'aux Montils, quand trois verres et
un litron sur le coin d'une table ainsi qu'un fagot accroché en façade
suffisaient à créer un débit de boissons comme on le
voyait au café Garmont des Montils (ci-dessus). Ils étaient
tellement nombreux que le préfet s'en émut en 1851, demandant
à la municipalité de modifier la porte de sortie de l'école
car les enfants devaient "passer devant ces cabarets dont la maison d'école
est entourée, l'un étant à côté, l'autre
à environ 10 mètres de distance et le troisième à
environ 20 mètres de la maison d'école". "Meuh non
! fut-il plus ou moins répondu, il ne s'y boit que deux bouteilles
de vin par semaine !" Sur un petit brouillon, le secrétaire établit
l'état véritable de ce qui se consommait effectivement dans
les cinq débits de boisson de la commune: Tancelin, Garmond, veuve
Charron, Lepanot, Million, soit 840 litres de vin, 110 litres de cidre, 65
bouteilles d'eau de vie et 16 de liqueur pour environ 500 habitants.
Les débits de boisson pouvaient offrir des chambres. C'est ainsi que
Jean Boucher, maçon de la Creuse à l'origine de la lignée
des maçons de la Chapelle, trouva une chambre chez Pierre Joseph Coutant,
cabaretier aux Montils. Il y trouva aussi une épouse, la fille du marchand
de vin...
On trouvait des
auberges à la Chapelle Gauthier, à la lisière nord de
la forêt de Villefermoy. La route Melun- Nangis- Provins n'avait pas
la rectitude qu'on lui connaît. Il fallut attendre 1821 pour que soit
tracé le tronçon Nangis- Fontenailles. Peu de voyageurs l'empruntaient
et les "auberges" abritaient surtout des saisonniers.
Que l'on ne s'imagine pas autre chose qu'un dortoir, comme ceux des maçons
limousins à Paris que découvre le jeune Martin Nadaud:
"Dans cette chambre, il y avait six lits et douze
locataires. On y était tellement entassés les uns sur les autres
qu'il ne restait qu'un passage de cinquante centimètres pour servir
de couloir le long de cette chambre." Il
ne s'agit pas de ces "lits chauds" proposés par certains
marchands de sommeil où les dormeurs se succèdent. A l'époque,
il arrivait encore que la chambre d'auberge ou même le lit soient partagés
par plusieurs voyageurs : "Lorsque par
une nécessité indispensable, on est contraint dans un voyage
de coucher avec quelque autre de même sexe, il n'est pas bienséant
de s'en approcher si fort, qu'on puisse non seulement s'incommoder l'un l'autre,
mais même se toucher; et il l'est encore moins de mettre ses jambes
entre celles de la personne avec qui on est couché."
De la Salle, Les règles de la bienséance, Rouen, 1729, cité
dans Nos Ancêtres, vie et métiers n° 36: Taverniers et aubergistes
Bien heureux si les lits n'étaient pas dans l'état de crasse découvert par le jeune maçon limousin, dans son voyage à pieds vers Paris: "... puis nous nous couchâmes non sur des lits, mais sur des balles de son et de paille hachées par l'usure et naturellement pleines de vermine. En ouvrant les draps, on vit qu'ils étaient noirs comme de la suie et portaient en outre différentes marques de malpropreté. Tel était alors le sans-gêne des aubergistes sur toute notre route. Au moment du passage des émigrants, vers le milieu de novembre, on mettait des draps blancs qui devaient servir jusque vers le milieu de mars, à moins qu'ils ne fussent par trop sales ou déchirés... Aussi se gardait-on bien de se déshabiller. Nous nous enveloppions la tête pour que la figure ne portât pas sur le traversin, et on se croisait les bras sur la poitrine, ne sachant où les placer. Chose à peine croyable, on se fourrait dans ces saletés plutôt en riant qu'en maugréant. Les vieux routiers ne s'étonnaient de rien, ils nous disaient : "Enfants, vous en verrez bien d'autres ; vous allez même voir que la fatigue rend le sommeil profond et agréable quand bien même vous seriez émoustillés par les puces et les punaises." Martin Nadaud, Mémoires de Léonard, ancien garçon maçon, Bourganeuf, 1895
On ne connaît pas l'état sanitaire des logis fournis aux saisonniers par l'aubergiste Devin le Jeune, à la Chapelle Gauthier, à l'enseigne du Cygne et la Croix, mais il est certain qu'il n'y avait pas une chambre par locataire, puisqu'on n'en trouve que deux dans son inventaire en 1788, alors qu'y prirent pension au fil des années, les scieurs Pierre Achard, François Tourette, Jacques Rival, Edme Tissot, avant qu'il se marie par trois fois avec des briardes, pour ceux qui laissèrent une trace dans les archives. On y trouvait aussi des voituriers par terre du Hainaut, réputés Thiérachiens : Joseph Pescheux, Antoine Joseph Germain, le sieur Colinet, Jean Baptiste Delachande, Joseph et Eloy Eustache, Guillaume Dupuis et Louis Joseph Ledoux... D'autres encore à découvrir...
"Fut présent Pierre Achard scieur
de long demeurant ordinairement à Chambles en Foirest et étant
présentement à la Chapelle Gauthier logé chez le sieur
Devin aubergiste où pend pour enseigne un Cigne." 16
septembre 1788 minutes du notaire Baticle Chapelle Gauthier AD77 273 E 23
Ci-dessous, deux auberges au centre de la Chapelle
Gauthier sur une carte postale ancienne : le Cygne & la Croix (altération
de Signe de la Croix ?) Au Lion d'or (jeu de mots sur "au lit on dort")
Le 6 brumaire an IX "... sur le rapport du garde fonds des propriétés des citoyens Moufle frères ... ledit procès verbal portant que le six dudit mois six heures du matin ledit Henry faisant l'exercice de ses fonctions, et étant parvenu à une Pièce de Bois appelée Bois de la Chapelle tenant du midi et du couchant au bois de la Nation, ledit bois en taillis de l'âge de deux ans, il a trouvé quatre boeufs sous différents poils et âges appartenant au citoyen Edme Tissot manouvrier demeurant aux Montils, commune de la Chapelle Arablais, qui étoient à même ledit bois à le manger et le brouter à garde faite par ledit Tissot qui étoit à environ cent cinquante pas de distance desdits boeufs à se chauffer près d'une loge avec son chien.... ledit Henry poursuivant sa ronde et étant parvenu auprès dudit Tissot, il lui a fait part de sa contravention, et lui a déclaré Procès verbal que ledit Tissot a reconnu de justice..."
Edme Tissot ne s'est pas présenté
à l'audience du 20 novembre 1800 mais a été condamné
à six journées de travail envers la République et aux
frais (5,50 F ) "sauf les dommages intérests
qui pourront être dus aux propriétaires desdits Bois, s'il
y a lieu..."
Jugements de simple Police, Nangis, 1799/1854
AD77 UP 2314
Nous voici déjà à la fin de la septième page et pas le moindre coup de scie ! Il faudra attendre la page suivante, où il y sera aussi parlé de fendeurs de bois, fendeurs de lattes, sabotiers, fabricants de balais, charbonniers, et aussi des écarrsseurs qui préparaient la grume avant le sciage...
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Documents sur les scieurs de long et terrassiers | |
Sources et bibliographie | |
"- Soupe de schieur, tu vois, pequi,
me dit mon ami, il faut que la cuiller reste piquée dedans.
En effet, il planta au milieu la cuiller qui n'oscilla pas; c'était
une pâtée épaisse sans aucune trace de bouillon. Il eut
encore une phrase qui me fit rire et que je n'ai point oubliée:
- Cha tient au corps au moins, cette choupe-là; elle est plus bonne
que celle de chez vous ...
Quand ils eurent tous les quatre vidé leur bidon de soupe, le plus
vieux, qui avait la barbe grise, souleva des copeaux et enleva le couvercle
de la marmite ; un gros morceau de lard rance s'y trouvait dont il fit le
partage. Chacun prit sa portion sur une tranche de pain noir. Quand ils eurent
mangé, ils se rafraîchirent à tour de rôle au tonnelet,
qu'ils tenaient suspendu à la force des bras au-dessus de leur bouche
renversée et l'on entendait l'eau glouglouter dans leur gorge".
Emile Guillaumin, La vie d'un simple 1943