Les scieurs de long/6
Arrivée en Brie, la forêt de Villefermoy

A la Chapelle Rablais, passées les maisons du bourg, la couronne de vergers (remplacée par des lotissements), puis les grands champs, l'horizon est partout cerné par des forêts.
La Chapelle Rablais et son gros hameau des Montils sont redevenus deux clairières dans le massif forestier de Villefermoy à la lisière de la grande plaine céréalière de Brie, comme à l'époque du défrichement, au Moyen Age.

Deux cents ans auparavant, on pouvait se rendre dans les villages avoisinants sans entrer dans une forêt, poursuivre jusqu'à Provins sans autre obstacle que les vestiges de la Grande Haye de Brie (Haye de Nangis entre Valjouan et Rampillon).
En passant la souris sur la carte ci-dessous, on superposera une vue aérienne à la Carte de Cassini.

Vers l'Est, la lisière de la forêt a fluctué au fil des siècles; suivant la demande de bois ou le besoin en terres labourables.

Mais vers l'Ouest, il n'en fut pas de même; la forêt de Villefermoy, 4.790 hactares aujourd'hui, n'a presque pas varié au fil de l'histoire. Elle appartenait dès le Moyen Age à l'abbaye royale de Barbeau, ordre et filiation de Citeaux dont les armoiries, tirées d'un atlas de 1774, mêlent symboles royaux, religieux, et deux poissons, des barbeaux, évidemment, avec leurs petits barbillons.
Quarante neuf cartes décrivent les possessions de l'abbaye: des terres proches du monastère disparu, sur les berges de la Seine, entre Fontaine le Port et Héricy, d'autres vers Rozay, et ses possessions autour de Villefermoy dans un splendide "Attlas général de la seigneurie, justice haute, moyenne et basse de la prévôté de Ville Fermoy et ses dépendances, des fiefs de la Charmée, le Jardin, Courpitois, les Equieuvres pars en partie et de la terre et seigneurie de Barbeau Tennery, La Riotterie, La Gringalletterie, les Grands Champs, la Chaumarderie, la Borde aux Moines, la Forêt au Razoir, des Bois de la Forêt de Villefermoy ou le Grand Barbeau, des Fermes du Danjoux, la Loge des prés, Moligny, Champagne et autres lieux appartenant à la manse conventuelle de l'abbaye royale de Barbeau, ordre et filiation de Cisteaux au diocèse de Sens."
AD77, 101 H 28

 

L'exploitation de la forêt par les moines sera détaillée plus loin...

 

Villefermoy, aussi appelée "forêt de Barbeau", aurait pu disparaître comme tant d'autres massifs forestiers d'Ile de France tant était grande la demande de bois, entre autres, pour la "Provision de Paris". Il avait fallu en chercher jusque dans le Morvan, une fois épuisées les ressources de l'Ile de France.

Par chance, l'égoïsme des rois de France a évité la disparition de Villefermoy ainsi que quelques autres forêts autour de Paris, en se réservant le droit exclusif de chasse. La moitié du territoire du département actuel de Seine et Marne faisait partie d'une "Capitainerie" : celle du duc d’Orléans à Nemours, et celles du Roi à Corbeil, Livry, Montceaux, la Varenne de Meaux et Fontainebleau...

"Il est deffendu à toutes personnes, de quelque qualité ou condition qu'elles soient, de Chasser à l'Arquebuse, ou aux Chiens, dans l'étendue des Capitaineries des Maisons Royales de saint Germain en Laye, Fontainebleau, Chambort, Vincennes, Livry, Compiegne, bois de Bologne, & Varenne du Louvre; même aux Seigneurs Hauts Justiciers, & à tous autres, quoique fondez en titres ou permissions que Sa Majesté révoque, sauf à en accorder de nouvelles à qui bon lui semblera." règlement août 1669
La Chapelle Rablais était englobée dans la Capitainerie de Fontainebleau, bien que le palais en soit éloigné de vingt cinq kilomètres et séparé du massif forestier de Villefermoy par la Seine :
" ... On y a encore enclavé, sur la rive droite de la Seine, un territoire d'environ quatre lieues de long sur autant de large; à l'effet de quoi l'on a établi un second siège de Juridiction au Châtelet, en Brie, avec Lieutenant, Officiers et Gardes. La Capitainerie dès lors a porté le nom de Capitainerie de Fontainebleau, Bois et Buissons de la Brie: au moyen, de tous ces accroissemens, elle envahit environ, six cent lieues quarrées de pays."

Essai sur les capitaineries royales 1789 AD77 8[4490

Même les moines, propriétaires de la forêt avaient interdiction de défricher et même d'y chasser: "Les plaisirs du roi sont trop près pour qu'on se permette la chasse. Un religieux, il y a quelques années, s'étant adonné à cet amusement, a trouvé qu'il n'était point innocent à l'ouverture d'une lettre de cachet qui l'exilait, pour le seul port d'armes, dans une de ses maisons fort éloignées."
Voyage de Champeaux a Meaux, fait en 1785

Sur la carte manuscrite ci-dessous dessinée pour régler les "diverses contestations depuis quelques années au sujet des limites de la Capitainerie des Chasses de Fontainebleau", en 1687, on peut reconnaître, sous "confins & limites de la Capitainerie des Chasses de Fontainebleau", le village de la Chapelle Rablais (que représente ce gros bâtiment situé près d'une église éclairée de hublots ? les Moyeux, le presbytère ?), le hameau des Montils, les fermes de Frévent, les Gargots, la Noue, Fresnières, un "chemin conduisant à Forges & à Montreau" et l'extrémité du ru de Brétignoust... assez exactement placés.
Archives départementales de Seine et Marne cote H 305-1

Dossier: la Chapelle Rablais dans la Capitainerie de Fontainebleau

Contrairement à d'autres communes forestières, comme Chenoise, Echouboulains... il est curieux que, dans le recensement de 1836, aucun chef de famille ne se soit déclaré bûcheron; d'autres sources en révèlent pourtant le grand nombre: dans les registres paroissiaux et d'état civil, on en trouve une cinquantaine sur vingt ans; dans les registres militaires, quinze conscrits se déclarent bûcherons sur les 82 jeunes gens de vingt ans qui furent recensés entre 1816 et 1846, à côté de dix huit charretiers et quatorze manouvriers. Trente neuf pères se disent manouvriers, deux seulement sont bûcherons.

Prenons l'exemple de Louis Chiquois (Chicoit, Chiquoy...) qui a laissé de nombreuses traces dans les registres. Il passe alternativement, dans sa jeunesse, de l'état de manouvrier à celui de bûcheron sans qu'il y ait un rapport avec le rythme des saisons: il peut être noté bûcheron en juillet, en pleins travaux de moisson et manouvrier en février, bonne période pour abattre les arbres.. A partir de la trentaine, il ne se déclare plus que manouvrier; le bûcheronnage était peut être une activité de jeunes gens, comme pourraient le montrer les professions des conscrits et de leurs pères... à vérifier auprès de spécialistes.
A ces activités Louis Chiquois ajoutait celle de père nourricier: son épouse élevait des "Petits Paris" comme bon nombre d'épouses de manouvriers, ce sera le sujet d'un autre dossier...

Louis Chiquois, né vers 1773:
1794: manouvrier
1795: bûcheron
1798: bûcheron
1799: bûcheron
1800: bûcheron
1803: manouvrier
1803: bûcheron
1804: manouvrier
1804: bûcheron
1805: manouvrier
1806: manouvrier
1808: manouvrier

Doc : liste des bûcherons

Les champs comme les bois procuraient du travail aux habitants de la commune. A côté des laboureurs et fermiers, gardes, marneurs, batteurs en grange, bergers, charrons, épiciers, charretiers et voituriers... plus de la moitié des chefs de famille se disaient "manouvriers". Ils travaillaient de leurs mains à tous les travaux qui se présentaient. C'est ainsi qu'ils pouvaient passer une partie de l'année dans les bois et une autre dans les champs.

Doc : les métiers à la Chapelle Rablais au premier recensement, 1836
Les métiers de la forêt, 24° page du dossier sur les voituriers thiérachiens

On trouvait deux fendeurs de lattes pour les toitures aux Montils, ainsi que des fabricantes de balais qui à l'occasion, vendaient aussi des bagues miraculeuses de Saint Hubert et pêchaient la sangsue. Les bûcherons et fendeurs de lattes se recrutaient parmi la population locale, et je n'ai pas trouvé mention de bûcheron migrant. Par contre, les marchandes d'un peu tout, foraines, et demi-mendiantes étaient apparentées à des charbonniers originaires de la forêt d'Othe établis aux Montils.

Dossier : les Fourrey, charbonniers et forains

D'autres métiers, exigeant matériel et savoir-faire ont été pratiqués le plus souvent par des migrants, issus de provinces plus deshéritées que la Brie, comme les voituriers débardeurs "thiérachiens". Cordonniers et rémouleurs lorrains, maçons de la Creuse ne participèrent pas aux travaux des bois, même si on vit ces derniers aider à la coupe des foins, mais pas à celle des céréales réservée à d'autres saisonniers venus de l'Yonne avec leurs faucilles ou des provinces du Nord, maniant la sape flamande ou plus rarement la faux.

Plan : voyageurs, itinérants, migrants à la Chapelle Rablais
Dossier : les cordonniers et rémouleurs lorrains
Dossier : les maçons de la Creuse à la Chapelle Rablais
Dossier : soyeurs, piqueurs sapeurs et autres calvarniers

De nombreux actes font état de voituriers thiérachiens, comme pour le décès en 1803 de Nicolas Louis Dupin, voiturier "tirachien" au Petit Vincennes, hameau disparu de la frange Ouest de la forêt de Villefermoy.
Bon Briard, le sieur Dupin n'avait d'autre rapport avec la Thiérache que son métier, car le débardage de bois semblait avoir été le monopole d'un groupe de migrants venus plus du Hainaut pour les bois de Villefermoy.

Dossier: les voituriers Tirachiens


  Suite : arrivée en Brie, où loger ?

Passez la souris sur les illustrations
pour leur légende
doc: une carte de l'atlas de 1774: le grand étang
doc: atlas de 1774, montage et description des cartes.

Les marchands de bois, carte de Villefermoy
Forêt de Villefermoy sur l'inventaire du patrimoine naturel
S'il s'est trouvé des scieurs partout, le long des routes, dans les fermes, au centre des villages, il est évident ce c'est au coeur des forêts qu'ils trouvaient le plus d'ouvrage. Et les forêts ne manquaient pas à la Chapelle Rablais et alentour où arrivaient, à l'automne, les cohortes de scieurs de long après leur long voyage...