Les scieurs de long/5
Voyage
L'un des rares petits plaisirs que connaîtront les scieurs pendant leur voyage des confins des monts du Forez jusqu'en Brie sera le "rattroupis", le plaisir d'être ensemble, de marcher ensemble, de chanter ensemble...
Tous ceux qui sont à l'aise
Sont les scieurs de long
Tioungri, tioungra, tra la la
Sont les scieurs de long
Ils montent sur leur tronçon
Avec leur scion
Tioungri, tioungra, tra la la
Avec leur scion.
"Les "scétéres"
se mettent en route après avoir préparé un menu bagage
comprenant: deux ou trois paires de sabots, deux chemises et un pantalon
de "buré" de rechange, deux ou trois paires de chaussettes
de laine de pays dont le dessous est largement renforcé par une semelle
de "buré", chaussettes qui permettront au "scétére"
de se tenir en équilibre sur le tronc à couper sans trop souffrir
de la rugosité du bois."
Marie-Thérèse Liange-Patural Migration saisonnière
des scieurs de long de Sauvain
"Dans la main droite, ils
tiennent la poignée de la grande scie, souvent appelée "beiche",
"niargue" ou encore "passe-partout". A cette poignée,
sont accrochés la lame de la scie, la hache, les limes, des clous,
des chaînes et des marteaux, et enfin la grande scie, l'outil principal,
qu'ils emportent démontée et emballée dans de vieux
chiffons ou des serpillières."
Jean Louis Beaucarnot Quand nos ancêtres partaient pour l'aventure
" ... la lame de la scie, la hache, les limes,
des clous, des chaînes et des marteaux, et enfin la grande scie".
N'oublions pas l'impressionnante doloire, hache asymétrique forgée
sur mesure pour l'écarisseur dont nous découvrirons les pratiques
plus loin. Tout cela pèse. Et fort lourd ! Le catalogue Manufrance
proposait encore du matériel pour scieurs de long en 1914 (ce ne
sera plus le cas dans celui de 1927, disponible en fac-similé). Le
poids est mentionné : environ dix kilos pour la "scie
montée dite de scieur de long", trois pour le passe-partout,
deux kilos et demi pour une hache de bûcheron... plus les marteaux,
les chaînes, les sabots sans oublier la marmite...
Tout ceci finit par peser bien lourd, et pas question d'acheter sur place,
comme le faisaient les maçons venus de la Creuse qui trouvaient,
place de Grève à Paris, à la fois l'embauche et les
outils d'occasion. Une truelle, une pelle, une auge.. se trouvent facilement
et coûtent peu. Les outils du scieur étaient trop particuliers
et trop personnels pour espérer en trouver sur le lieu de travail.
Sauf exception : le Journal de Meaux du 13 mars 1883 relate un recel d'outils
volés, donc une possible vente d'outils d'occasion: "Bertrand
enlevait chez Pailleur, scieur de long à Coupvray, une scie et une
cognée qui ont été retrouvées chez un charron
à qui Bertrand les avait vendues".
Audience du 27 février 1883 (et non
1838)
Les Foréziens, migrants de l'Est du Massif
Central auraient-ils agi autrement que les Marchois, maçons de la
Creuse, à l'Ouest des monts, habitués à couper au plus
court fut-ce à travers champs:
"Nous n'avions pas besoin de ses indications
pour marcher droit à notre but sans nous attarder aux détours
et croisements... nous avons, nous autres Marchois, un sens particulier
pour voyager à vol d'oiseau... Avant les chemins de fer, on les rencontrait
par grandes ou petites bandes sur tout le territoire, et, comme ils passaient
partout à travers champs, on s'en plaignait beaucoup."
George Sand, Nanon
"D'après la tradition, les départs
avaient lieu à Notre-Dame de septembre, le 8 ou à la Saint-Michel
le 29 septembre, et les retours à la Saint-Jean d'été
le 24 juin. Dans la réalité rien d'aussi rigide, les départs
s'échelonnaient de septembre à décembre et les retours
d'avril à juillet."
La grande histoire des scieurs de long.
"L'été les revoyait dans leur
ferme pour les travaux des champs. "Quand l'chaud eu mouchi dan l'bois,
l'eu bémouchi itou dans l'bounnoume... o l'eu grond tomps d'sarêti."
Quand la chaleur s'installe dans le bois, elle est aussi dans le bonhomme...
il est alors grand temps de s'arrêter."
Au Bourdeix, près de Nontron, dans le Périgord. dans :
Des métiers et des hommes T2 à la lisère des bois
S'il fallait en croire l'abbé Chataing, le voyage aurait été
interminable: "En 1677, Sébastien Soleillant, âgé
de 24 ans, partait comme scieur de long en compagnie de cinq camarades de
la vallée de l'Ance. Après huit semaines de marche, ils arrivèrent
dans le diocèse d'Aire, au lieu de Bourdeine, paroisse de Perquie."
Environ cinq cent kilomètres séparent la vallée d'Ance,
près de Montbrison à Perquie dans les Landes. L'abbé
Chataing était d'Eglisolles, en plein Forez, donc aux premières
loges pour témoigner. Espérons que l'abbé était
meilleur prédicateur qu'historien, car envisager un voyage de huit
semaines, soit presque trois mois à l'aller, autant au retour aurait
bien raccourci la saison de scie. Chaque étape journalière
aurait été de moins de neuf kilomètres. Ce que parcourt
un randonneur en une heure et demie. Huit jours au lieu de huit semaines
n'est pas plus raisonnable, les étapes auraient dépassé
les soixante kilomètres.
Etude sur les scieurs de long par l’abbé
Chataing 1871; pages envoyées par Annie Arnoult que je remercie encore.
Les scieurs du Forez rejoignant la Brie devaient parcourir environ quatre
cents kilomètres. C'est cette même distance qui sert de référence
dans "Les migrants de travail d'Auvergne et du Limousin au XX°
siècle", en comparant les durées de trajet, quand il
fallait le parcourir à pieds, puis en chemin de fer : "Ainsi
donc, 400 kilomètres étaient accomplis en 10 jours avant 1870
et en 16 heures à partir de cette date qui constitue un jalon essentiel
pour la région qui nous occupe."
Les migrants de travail d'Auvergne et du Limousin
au XX° siècle Marc Prival Institut d'études du Massif
central 1979
Le voyage des maçons de la
Creuse a été plus documenté que celui des scieurs du
Forez, voir sur ce site :
Le voyage des maçons de la Creuse