Les scieurs de long/1
Des scieurs de long en Brie

Autour de la Chapelle Rablais, les maçons de la Creuse étaient qualifiés de Limousins ou Limosins, les voituriers débardeurs de bois du Hainaut en forêt de Villefermoy étaient surnommés les Tirachiens: "Tirachiens, Tiraloup, tire la queue du loup" chantaient les enfants sur leur passage. Pour les scieurs de long, je n'ai relevé aucun surnom. "Le Forésien ... jamais il ne constitue de ces agrégations d’hommes qui permettent de confondre une espèce sous un nom générique: c’est ainsi qu’on dit un Auvergnat, un Savoyard."
Les Français peints par eux-mêmes. 1841
Si, dans d'autres provinces, les scieurs du Forez étaient qualifiés de "Lionnais", il n'en était pas de même en Brie, même si un fort contingent de migrants dépendait du diocèse de Lyon, d'autres du diocèse du Puy en Velay.

"Il s'en va de se païs touts les ans beaucoup de centaines, voire de milliers de personnes, en Itallie et en Espagne, travailler à la scie" Anne d'Urfé Description du Paï de Forez 1606
"Beaucoup se rendirent en Espagne, au Portugal, en Allemagne, au Canada, mais ils essaimèrent surtout dans quatre-vingt-huit départements français." Annie Arnoult

Les scieurs et terrassiers retrouvés autour de la Chapelle Rablais provenaient des franges Est et Sud du massif du Forez. Curieusement, aucun n'était originaire du coeur du massif, où se situe actuellement le parc naturel, et dont les habitants avaient peut être migré vers d'autres régions que la Brie. Il se répartissaient entre les départements actuels de la Loire et de la Haute Loire, régions du Forez et du Velay.
Sur Google Maps, la carte des lieux d'origine des scieurs et terrassiers offre un panorama plus complet; y figurent tous les lieux y compris l'Ile de France (scieurs locaux et fils de migrants) et les noms des scieurs suivant leur localisation (les petits châteaux signalent les nobles ou châtelains en liaison avec la Chapelle Rablais que l'on découvrira plus loin)

Quand une région est citée, c'est le Forez, terre totalement inconnue de la plupart des Briards, curés, clercs ou agents communaux, qui transcrivaient comme ils l'entendaient: en 1756, en rédigeant le contrat de mariage de Pierre Beneton, quand le clerc du notaire Vaudremer note: "Fonfial, paroisse de Boisset Saint Prix, du pays de Forrest" AD 77 188 E 64 il faut comprendre Fontvial, Boisset Saint Priest et Forez. En 1755 "Pierrefort (Pierre Faure) scieur de long du pays de Forrest" s'engage à "sier et débiter trente six pieds d'arbres paupelier scis sur la terre du Bois de Pit lieudit le Prez des Marnes" Minutes du notaire Vaudremer , Nangis, AD 77 188 E 63
Forez est quelquefois bien orthographié comme à l'occasion du décès de Claude Boisset en 1737 "né à Leurié dans le Forez diocèse de Lyon" mais là, c'est le bourg de Luriecq qui a été retranscrit à la briarde.
Ci-dessous, extrait d'un acte passé en Brie où Pierre Achard, scieur de long demeurant ordinairement à
"Chambles en Foirest" présentement chez Devin aubergiste qui logeait aussi d'autres migrants, comme des "Tirachiens", voir à la 28° page du dossier...
16 septembre 1788 minutes du notaire Baticle Chapelle Gauthier AD77 273 E 23

28° page du dossier sur les voituriers thiérachiens: auberges, loges.

Le graphique ci-dessous est basé sur le lieu de naissance des scieurs et terrassiers repertoriés dans la base de données. Les migrants originaires du Massif central n'y sont pas majoritaires. Si l'on excepte un peu moins d'une dizaine dont l'origine n'a pas pu être retrouvée, il semblerait que l'Ile de France fournisse le plus gros contingent, ce qui est juste si on ne considère que le lieu de naissance.

Mais les apparences sont trompeuses, si on fouille un peu la généalogie des natifs d'Ile de France, on y découvre de nombreux ascendants de la Loire et de la Haute Loire. Il s'agit en fait des fils et petits fils des migrants du Forez et du Velay qui s'étaient fixés en Brie. En passant la souris sur le graphique, (inutile de cliquer) on peut constater que les natifs du Massif central sont en grande majorité, presque le double des ceux d'Ile de France. La proportion pourrait encore augmenter en remontant la généalogie des scieurs d'Ile de France, dont certains aïeux pourraient avoir eu leur origine dans le Massif central.

Traces des scieurs et terrassiers dans les archives
Résumé sous forme de tableau

Résumons : des scieurs de long (et des terrassiers) sont venus en grand nombre depuis le Forez et le Velay pour exercer à la Chapelle Rablais et alentour. Là, ils trouvaient du travail puisque les bois n'avaient pas subi le sort de bien des massifs forestiers d'Ile de France, déboisés à outrance pour la "provision de bois de Paris". La forêt de Villefermoy, comme celle de Fontainebleau avait échappé à ce sort, étant réserve de chasse royale, sous la protection de la Capitainerie de Fontainebleau, dont se seraient bien passés les paysans, aux cultures dévastées par le gibier.

Pourquoi des scieurs du Limousin à Fontainebleau et aucun à la Chapelle Rablais et villages avoisinnants? En élargissant la recherche autour du petit village de la Chapelle Rablais, j'ai pourtant retrouvé plus de quatre cents maçons d'origine limousine ayant travaillé au village, leurs pères, frères, cousins... des voisins de leur paroisse limousine, des collègues sur leur lieu de travail, d'autres encore ayant laissé des traces dans les archives, mais tous liés et tous maçons; aucun scieur de long ne provenant des mêmes villages.

Comme le montre la carte des origines, destinations et métiers des Creusois migrants, lien ci-dessous, les scieurs de long provenaient habituellement du Sud de la Creuse, alors que les maçons migrant en Brie centrale venaient du Nord, et entre eux... "Parmi nous, Creusois, il y avait de petits clans, de mesquines rivalités de cantons et même de communes. On avait baptisé du nom de Brûlas, les ouvriers qui étaient originaires des environs de la Souterraine, du Grand-Bourg et de Dun, et de Bigaros, ceux qui venaient du voisinage de Vallière, Saint-Sulpice les-Champs, St Georges et Pontarion. Lorsque nous nous trouvions dans les mêmes chantiers, on commençait à se regarder en chiens de faïence. D'ailleurs, un maître compagnon ou un appareilleur Bigaro, se serait bien gardé d'embaucher des Brulas." Martin Nadaud
A la Chapelle Rablais, et dans les environs, ne se trouvaient des maçons que d'une seule faction, des Brulas, comment un scieur Bigaro aurait-il trouvé sa place?

Les migrants limousins, origine, destination, métiers
Les maçons de la Creuse à la Chapelle Rablais, début du dossier, 18 pages

Dans "Quand nos ancêtres partaient pour l'aventure", Jean-Louis Beaucarnot évoque la migration des scieurs : "Par milliers, ils ont quitté leur foyer et leur pays. Là encore, des communes entières se vident de leurs hommes, du plateau de Millevaches, près de La Courtine, aux monts du Forez et de la Margeride, le plus gros de la troupe partant cependant du Puy-de-Dôme." Ce n'est pas tout à fait le cas autour de la Chapelle-Rablais.

Sur la carte ci-contre, les points rouges signalent les scieurs retrouvés par Annie Arnoult dans son livre-somme "La grande histoire des scieurs de long". Les signets bleus reprennent la localisation des scieurs de Brie centrale, bien groupés au Sud-Est des monts du Forez, empiétant sur le Velay, délaissant tout le Livradois et la Limagne d'où provenaient pourtant nombre de migrants.
Le scieur Antoine Chapel est bien né dans le Puy de Dôme, mais il ne migra pas en Brie centrale, autorisé par son passeport à circuler entre Vertaizon et "Greville", Egreville dans le Gâtinais 77 où cinq passeports sur les sept délivrés à des voyageurs du Massif Central proviennent de ce département auvergnat.

Dans l'enquête de 1809 sur les travailleurs saisonniers adressée à chaque commune de Seine et Marne, les scieurs de long, comme les voituriers débardeurs de bois "thiérachiens" sont ignorés. Pourtant, on les sait nombreux dans toutes les forêts du département. Seuls deux villages proches de Coulommiers et l'arrondissement de Fontainebleau en ont fait mention. Les ouvriers qui travaillaient au château furent décomptés à part : "Les autres ouvriers tels que charpentiers, menuisiers, serruriers, peintres et autres, viennent directement de Paris... ils arrivent ordinairement à Fontainebleau.. lorsqu'ils sont appellés par les entrepreneurs pour la confection des traveaux ordonnés au Palais de sa Majesté Impérial" orthographe d'époque AD 77 M 9215

A Fontainebleau, les travailleurs saisonniers étaient des tailleurs de pierre venant du Calvados, des ramoneurs ou marchands de peaux issus du département du
"Mont-blanc" et des Limousins de la Haute Vienne et de la Creuse : un fort contingent de 380 maçons de mars à novembre et un groupe d'une trentaine de scieurs de long à la migration inverse, de novembre à juin.

 Doc: l'enquête sur les travailleurs saisonniers en Seine et Marne 1809


 Suite : Pourquoi migrer ?

 Carte de localisation des lieux d'origine sur Google Maps
 Carte de localisation des lieux de travail sur Google Maps
Passez la souris sur les illustrations
pour leur légende

Des scieurs de long, il s'en trouvait partout, dans les cours des fermes, le long des routes, dans le parc du château de Versailles (ci-dessous) et, évidemment, au plus près des coupes de bois. Ils étaient partout et ils étaient nombreux: j'en ai dénombré, à ce jour, plus de cent soixante, ajoutons une quarantaine de terrassiers apparentés, opérant autour de la forêt de Villefermoy, ou ayant un lien familial. Beaucoup d'autres scieurs sont encore à découvrir, car je n'ai pas la prétention de les avoir tous recensés.

Près de 70% n'étaient pas originaires du département de Seine et Marne et on trouve de nombreux descendants de migrants parmi les 30% restants. Ces scieurs de long et terrassiers en Brie avaient le plus souvent leurs origines dans le Massif Central.
Il semblerait que les locaux aient presque laissé le monopole de certaines activités à des migrants : la grosse maçonnerie aux Creusois, le débardage des bois aux Thiérachiens, la coupe du blé à la sape aux Flamands, quand la plupart des moissons se faisaient encore à la faucille; racommodage des chaussures et rémoulage aux Lorrains... et sciage en planches aux natifs du Massif central.