Les voituriers par terre / 10
Le flottage du bois

" 5.000 Cordes de bois, 100 Milliers de fagots, 100 Milliers de bottes d'échalats, 500 Grand cent de charpente, 1.000 GC de planches voliges, 1.000 GC de chêne en table, 1.000 GC de planches de chêne, 1.000 GC de Mereins ", sans compter les milliers de muids de bled froment, seigle, méteil, orge, avoine... C'est ce que projetait d'expédier la région de Provins si les conditions de transport avaient été favorables.

" La grande quantité de blé qui se vend sur le marché de Provins, & qui s'enlève pour la provision de Paris, a toujours fait désirer une communication directe par eau entre ces deux villes. Provins, il est vrai, n'est éloigné de la Seine que d'environ trois lieues et demie, mais ce trajet étant difficile & quelquefois impraticable, le service pour la capitale est pénible, coûteux, & souvent interrompu. On a cherché de tout temps à épargner le transport par terre... "

Supplique du Conseil Général
de la Commune de Provins à l'Assemblée nationale, pour l'achèvement de son Canal, dit Canal Royal de Provins. vers 1826 fonds ancien, Provins

De 1665 au début du XIX° siècle, le projet de rendre navigable la Voulzie, ou de contruire un canal, suivant les recommandations de Vauban ont été au centre des préoccupations des Provinois. Evidemment, le projet n'aboutit pas...

   Lien vers le dossier sur le canal inachevé de Provins

Ce détour par l'exemple de Provins montre que le transport par eau était privilégié, dès qu'il était possible.

"Il y a quelques siecles que l'on étoit dans l'appréhension que Paris ne manquât un jour de bois de chauffage ; les forêts des environs se détruisoient, & l'on prévoyoit qu'un jour il faudroit y transporter le bois des provinces éloignées; ce qui rendroit cette marchandise si utile & d'un usage si général, d'un prix exorbitant occasionné par le coût des charrois." L'Encyclopédie

Du milieu du XVI° siècle jusqu'à l'avénement des chemins de fer qui verra aussi la ruine de nombreux rouliers, maîtres de Poste et autres postillons, est entreprise une vaste politique d'aménagement de la Seine et de la plupart de ses affluents, même de faible débit, afin d'assurer leur flottabilité et leur navigabilité, afin d'approvisionner Paris en bois... Ils permettent la mise en place d'un système de transport très structuré, relativement efficace et peu coûteux, dont l'organisation diffère assez peu d'une vallée à une autre.

Extraits d'un résumé d'un article Revue Forestière Française 2006, vol. 58, no 4

La plus grande partie du bois à destination de Paris ne provenait pas d'Ile de France, mais du Morvan qui, depuis la fin du XV° siècle avait développé des techniques de transport du bois de coupe:
Coupé durant l'hiver par les bûcherons, le bois était empilé l'été sur la rive et découpé en grosses bûches. Chaque marchand de bois avait son marteau avec lequel il marquait chaque bûche à l'un des bouts coupés à la scie. Ces bûches étaient d'abord jetées à bois perdu dans les ruisseaux où les marchands les faisaient pousser sur la Cure par des journaliers dits approcheurs jusqu'à Vermanton, ce qu'ils appelaient le premier flot. Le tout y était arrêté par des perches et des cordes mises en travers de la rivière, puis tiré à terre.

Après tri suivant les marques reconnues sur les bûches, empilage et séchage de deux mois, les bûches étaient groupées en trains constitués de trois ou quatre branches de dix-huit coupons de soixante bûches de quatre mètres –soit 72 mètres de longueur et 100 stères de bois- unis au moyen de perches liées avec des "harts", appelés également "rouettes", les branches étant unies par des traverses. Site Isaa métiers d'eau douce
Les marchands de bois provoquaient des crues artificielles en lâchant l'eau retenue derrière les écluses barrant les étangs, les réservoirs et les petites rivières affluentes. C'était aussi le cas pour la navigation sur la Seine qui , depuis Nogent jusqu'à Bray, a peu de profondeur dans certains endroits. Pendant neuf mois de l'année, les bateaux qui chargent entre ces deux villes n'ont pas leur cargaison complette; les mariniers sont même obligés de concerter leur départ avec celui du coche de Nogent, au départ duquel on lâche une grande masse d'eau retenue à dessein, & qui, augmentant la rivière & lui donnant plus de rapidité, leur fait plus aisément gagner Bray. Supplique du Conseil Général de la Commune de Provins



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"Les diminutions arrivées dans les Forêts, les accroissemens de la ville de Paris, & les augmentations successives de ses habitans y ont souvent fait ressentir la disette de bois de chauffage, & fait craindre d'en manquer: Cette disette commença à paroître dès le Regne de Charles VI." Traité de la Police

"La capitale étoit sur le point de devenir beaucoup moins habitée par la cherté du bois, lorsqu'un nommé Jean Rouvet, bourgeois de Paris ; imagina en 1549 de rassembler les eaux de plusieurs ruisseaux & rivieres non navigables ; d'y jetter les bois coupés dans les forêts les plus éloignées ; de les faire descendre ainsi jusqu'aux grandes rivieres ; là, d'en former des trains & de les amener à flot, & sans bateaux, jusqu'à Paris. J'ose assurer que cette invention fut plus utile au royaume, que plusieurs batailles gagnées, & méritoit des honneurs autant au moins qu'aucune belle action. " L'Encyclopédie

La reconstitution d'un train de bois de 72 mètres a descendu l'Yonne puis la Seine, de Clamecy à Paris en juin 2015. On le voit ici arriver à Héricy.
On suivra l'actualité de l'association sur Internet en faisant la recherche "flotescale"

"L’on nomme bois demi- flotté celuy qui vient de Montargis, aussi bien que celuy qui vient de Compiègne, parce que l’un comme l’autre n’est qu’un jour dans la rivière."  Le bois de nos forêts était soit "bois neuf" s'il avait été convoyé sur des bateaux, soit "demi- flotté" puisqu'il voyageait peu, contrairement à celui du Morvan qui, après un premier flottage était sorti de l'eau, séché, puis remis à l'eau quelques mois après. Resté trop longtemps dans l'eau, il serait devenu "bois canard" et aurait eu tendance à sombrer. Un tiers du bois de chauffage destiné à Paris arrivait au sec sur des bateaux, les deux tiers flottaient en trains de bois, comme celui qu'on pouvait voir passer à Montereau, sur la gravure ci- dessous.
Les Anciens savaient reconnaître les bois: neuf, flotté, demi flotté et leurs qualités, pour le chauffage, mais aussi pour la cendre:
"celles du neuf sont propres aux lessives des blanchisseuses, parce qu’elles ont conservé beaucoup de sel corrosif et détersif, que le bois leur a communiqué en se consumant & que les cendres de bois flotté sont au contraire inutiles pour cet usage, ne sont propres à rien. »
Ce barbu aux épaules larges, à chapeau de goudron, qui, sur la rivière muette, mène dans le courant le radeau de bois noyé, seul entre le ciel et l’eau, le flotteur mouillé jusqu’au ventre et perclus jusqu’au cœur, c’est le Peuple! Jules Vallès, journal "le Peuple" 4 février 1869