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Etienne Fare Charles Huvier/6
1724/1784 Curé de la Chapelle Rablais...
Séminariste, titre clérical...

Guillaume Briçonnet, évêque de Meaux : « L'an mil cinq cens vingt, faisant sa visite, il examina luy mesme en personne tous et chacuns les vicaires et les simples prêtres de son diocèse, affin qu'il reconnût ceulx qui étoient capables d'annoncer la parole de Dieu, et n'en ayant trouvé que quatorze seulement, il en nota cinquante trois d'incapables, et soixante qui se pouvoient tolérer pour un an, les autres médiocrement sçavans; mais toutefois qui n'avoient pas de la capacité suffisamment pour prescher, de quoy faisant le rapport en son Synode la mesme année, il priva les incapables tout-à-faict de l'administration des sacrements, et laissa jusqu'au prochain Synode ceux qu'il avoit jugé se pouvoir tolérer pour une année, admonestant les curez de luy en présenter d'autres dans le terme de Sainct Martin qu'il leur donnait, au lieu des incapables, ce qui feût faict »
Guy Bretonneau Histoire généalogique de la maison des Briçonnets 1620

En 1745, quand Etienne Fare Charles Huvier entra au séminaire, le temps des curés ignorants était révolu. "l’on n’était admis au séminaire que si les classes d’humanités étaient entièrement terminées et après deux années de philosophie..." De plus, les postulants devaient subir un examen avant leur admission. Ordonnance de juin 1684

Une minorité d'ecclésiastiques, environ 10% poursuivait aussi ses études de "Théologie" pendant au moins deux ans à l'Université. Ce ne fut pas le cas du curé Huvier qui n'aurait pas manqué de le mentionner, comme le fit son successeur à la Chapelle Rablais: "messire Louis Jean Poiret, prêtre, bachelier de la faculté de théologie, chapelain titulaire de la chappelle St Michel ditte de la Bouchardière, curé de laditte paroisse" Registre paroissial 7 février 1763

"L'étude doit faire l'occupation d'un sujet qui est au séminaire, non pas précisément l'étude des questions théologiques, ce n'est pas leur temps, il faut avoir appris ces choses avant d'y venir, mais celle de l'Écriture, des saintes règles de l'Église dans l'administration des sacrements, surtout celui de la pénitence, des cérémonies, des rubriques, du rituel, des constitutions du diocèse."
Mgr de Montillet, évêque d'Auch, en 1770 dans Dictionnaire de l'Ancien Régime

"Chaque clerc passait neuf à quinze mois en moyenne au séminaire, mais en trois fois, avant la réception du sous-diaconat, du diaconat puis de la prêtrise." Dictionnaire de l'Ancien Régime

Le séminaire préparait l'ordinant à devenir un "bon prêtre". "Ce prêtre peut se caractériser par trois traits essentiels. Il dispose d’abord des connaissances et des compétences pour remplir valablement son office: il connaît le latin, la liturgie, les sacrements et dispose d’une culture théologique et d’un jugement suffisants pour guider utilement les fidèles vers le Salut. On attend ensuite de ce bon prêtre, en plus des vertus ou des qualités morales (charité, tempérance…), une foi profonde et sincère et une piété intériorisée, conformément à la spiritualité nouvelle, en lui prescrivant par exemple la pratique de l’oraison mentale. Enfin, il doit manifester en permanence la dignité de son état. Cette dernière exigence dépasse la civilisation des moeurs évoquée plus haut et s’inscrit dans une conception qui fait du prêtre une image du Christ sur terre, contraint de montrer sa différence par sa manière d’être.
Boris Noguès La formation religieuse en France au XVIIIe siècle
"Ses conversations, son extérieur, son maintien, et jusqu’à son silence, tout en lui annonce les grandeurs, les justices et les miséricordes du Dieu dont il est le ministre... Par son exemple et par toute sa conduite, il dit à tous les fidèles : soyez mes imitateurs, comme je le suis moi-même de Jésus Christ."
François-Hyacinthe Sevoy, Les devoirs ecclésiastiques, Paris, 1760


Le séminaire était un internat, monde clos, dont on ne sortait pas sauf exception : "Soyez ferme à refuser les permissions d'aller en ville, à moins qu'il y ait une très grande nécessité" À l'intérieur des murs, la règle du silence est impérieuse, marquant ainsi une rupture avec les bruits de la ville et de la rue: hors le temps des récréations, on ne parle pas à voix haute, on ne crie ni ne chante. On est loin des joyeux séminaristes photographiés par Mario Giacomelli, ci-dessous.
Correspondance de L Tronson citée dans Dominique Julia : L'éducation des ecclésiastiques

"L'horaire réglé des journées, la surveillance du comportement et des attitudes, la pratique de l'oraison, les conférences de piété et les examens spirituels, la confession et la communion souvent hebdomadaire au XVIII° siècle, achevaient de préparer le séminariste à cet état séparé du monde voulu par le concile pour les prêtres." Dictionnaire de l'Ancien Régime

 

Les études au séminaire mériteraient de nombreuses pages, tant sur le contenu de l'enseignement que la formation des futurs prêtres; mais ce n'est pas mon propos, puisque j'essaie seulement de suivre un curé particulier à partir des traces qu'il a pu laisser. Et de ses séjours au séminaire, il n'a laissé aucune trace, à part un résumé de sa formation et la mention "Ledit M. Huvier fils demeurant actuellement au séminaire de ladite ville de Meaux", dans l'acte décrit ci-après...

 

Avant de pouvoir accéder aux ordres mineurs, les séminaristes étaient le sujet d'une enquête de moralité, "témoignage authentique de bonne vie et moeurs" diligentée par les curés de leurs paroisses : "ils marqueront sincérement selon Dieu ce qu'ils savent et ce que l'on peut espérer de ceux qui se présentent."
La volonté du jeune homme à devenir prêtre était rendue publique : "Ordonnons pareillement que chaque ordinand nous présentera une attestation des trois publications faites à la paroisse, de sa motion future aux sacrez ordres du sous-diaconat, de diaconat & de prêtrise." Les curés exhortaient vivement leurs paroissiens à témoigner : "Enjoignons aux curez ... d'intimer aux peuples, sous peine d'excommunication, ils ayent à révéler ce qu'ils sçavent, tant de la vérité du Titre, que des moeurs, de la conduite, de l'âge & de la naissance légitime de l'ordinand; & en cas qu'il ne se trouve point d'opposition ni d'empêchement canonique, ils dresseront leur certificat..." Compilation des ordonnances du diocèse de Meaux 1724

Le premier certificat obtenu, l'ordinand devait aussi prouver qu'il disposait de quelques biens, sous la forme d'un titre clérical (ou d'un bénéfice ecclésiastique, comme nous le verrons dans quelques pages)...

 

 

"Titre clérical ou sacerdotal, est le fonds qui doit être assuré pour la subsistance d’un ecclésiastique, avant qu’il soit promu aux ordres sacrés. Anciennement l’on n’ordonnoit aucun clerc sans lui donner un titre, c’est-à-dire sans l’attacher au service de quelque église, dont il recevoit de quoi subsister honnêtement. Mais la dévotion & la nécessité ayant contraint de faire plus de prêtres qu’il n’y avoit de bénéfices & de titres, il a fallu y apporter un remède, qui est de faire un titre feint au défaut de bénéfice, en assurant un revenu temporel pour la subsistance de l’ecclésiastique." Encyclopédie Diderot

 

 

La somme exigée dépendait du diocèse et varia dans le temps : "(en 1655) .. ce titre est différent selon les lieux, ou du moins nos seigneurs les évêques ont demandé plus en un endroit qu’en un autre ; à Paris, il faut 50 écus, ailleurs 100 et en d’autres lieux 80 suffisent." Un siècle plus tard, l'Encyclopédie fait état de sommes plus conséquentes : "les dépenses ayant augmenté, il a fallu aussi augmenter à proportion le titre clérical. A Paris & dans plusieurs autres diocèses, il doit présentement être au moins de 150 liv. de revenu."
Vincent de Paul  Conférence du 6 août 1655 sur la pauvreté // Encyclopédie Diderot

 

 

"... pour seconder autant qu'il est possible la bonne intention et louable dessein, qu'a M. Estienne Farre Charles Huvier leur fils clerc tonsuré du diocèze de Meaux ... et afin de luy donnez le moyen de vivre plus honnestement en l'état ecclésiastique... la somme de cent cinquante livres de rente et pension viagère annuelle... la première année de payement échéra et se fera du jour et an que ledit M. Estienne Farre Charles Huvier aura receû l'ordre de soudiacre" Le 27 novembre 1745, les parents du futur prêtre s'engagent à lui verser une rente dès qu'il aura été élevé au rang de sous-diacre, ce qui fut fait dès le 18 décembre de la même année, après avoir été tonsuré le 12 juin de cette même année.
Minutes du notaire Demontion, Coulommiers AD77 175 E 264

Les deux parents "s'obligent solidairement l'un pour l'autre un pour les deux" à verser cette rente annuelle à leur fils. Charles Antoine Huvier était chargé de fonctions et de titres comme nous l'avons vu précédemment, de son côté, Marguerite Bazier, mère d'Etienne, est réduite à son état d'épouse dans les citations, cela ne l'empêchait pas de gérer seule son patrimoine. Son "Journal de mon avoir", commencé en 1729 et continué par son fils le bailli jusqu'en 1793, couvrant plus d'une cinquantaine de pages, fait état de plusieurs lots de terres, et une quinzaine de rentes. AD77 944 F 91
Bien sûr, il fallait qu'elle ait été "duement authorizée" par son époux avant d'avoir le droit d'apposer sa signature, comme sur un acte passé quelques mois avant le titre ecclésiatique où elle se portait caution pour la coquette somme de cinq mille livres... Et elle conserva toute "sa présence d'esprit" jusqu'à son décès en 1776, à l'âge d'environ 80 ans.
20 janvier 1745 minutes du notaire Demontion AD77 175 E 263

Le titre clérical du futur curé Huvier ne consistait pas en une rente appuyée sur un capital (qui aurait été environ vingt fois supérieur au versement annuel puisque la rente était à 5%) mais était basé sur les revenus d'une terre: "un lot de terres assis à Montanglaust paroisse de Coullommiers, contenant dix neuf arpens onze perches et demye et présentement louées à Estienne Lienard laboureur demeurant à Monblu parroisse de Mouroux, la somme de soixante seize livres et demies, et soixante seize boisseaux de bled, par chacun an, suivant le bail pour neuf ans, du vingt huit octobre mil sept cent quarante trois..." On retrouvera plus loin la famille Liénard, fermier de terres pour Etienne Fare Charles Huvier à Montaglaust de Coulommiers et à Aulnoy. Ci-dessous : Montanglaust, paroisse de Coulommiers où se trouvaient les terres, Montblu paroisse de Mouroux où demeuraient les fermiers.
Cartes extraites des monographies des instituteurs 1889 AD77 Coulommiers 30 Z 121 / Mouroux 30 Z 386

Doc : Titre clérical d'Etienne Fare Charles Huvier

 

 

"et ainsy continuera ledit payement d'année en année la vie durant seulement dudit M. Huvier fils ou du moins jusque à ce que ledit sieur Huvier fils soit pourveu et jouisse d'un bénéfice suffisant pour vivre suivant son état" Le versement de la rente cléricale aurait dû cesser dès que les revenus, associés à un bénéfice ecclésiastique, aurait été suffisants. On verra plus loin que ses premières années de sacerdoce, comme vicaire, ne lui permettaient pas l'indépendance financière et que son établissement dans sa première cure, à la Chapelle Rablais, fut particulièrement onéreux.

On a l'exemple d'une "remise de titre clérical" dans les minutes du notaire Vaudremer à Nangis, celui qui rédigea de nombreux actes pour le curé Huvier, quand il officiait à la Chapelle-Rablais. Après avoir été vicaire pendant quelques mois, Laurent Guay fils devint curé de Courpalay, premier acte comme curé, le 2 octobre 1785. Quelques jours plus tard, le 5 octobre, il renonçait à la rente cléricale constituée par son père en 1783.

Le père du séminariste, nommé aussi Laurent Guay, paysan très aisé, puisque laboureur à la ferme du Thibout à Gastins (Monthiboust, ci-dessous), constitua pour son fils un titre clérical de 150 livres de rente annuelle le 6 août 1783 qui fut cloturé environ deux ans plus tard : "Mre Laurent Guay prêtre curé de Courpalais demeurant audit Courpalais étant ce jour à Nangis et chapelain de l'église de St Yves à Paris. Lequel au moyen de ce qu'il est aujourd'huy pourvu de bénéfices suffisants pour le mettre à même de vivre honnêtement en l'état écclésiastique (# desd. cure et chapelle), a déclaré qu'il décharge Sr Laurent Guay aîné son père laboureur demeurant au Thibout paroisse de Gatins à ce présent et acceptant des cent cinquante livres de pension viagère, qu'il a constituée à son profit..." Laurent Guay devint prêtre de Courpalay le 2 octobre, avec la certitude d'être "pourvu de bénéfices suffisants pour le mettre à même de vivre honnêtement en l'état écclésiastique" et, trois jours plus tard, déchargea ses parents de "l'hipotêque dont ils se trouvaient grévés par ledit titre clérical." Laurent Guay accéda très rapidement à la prêtrise, après seulement quelques mois de vicariat auprès du curé Besnard à Courpalay, il obtint cette paroisse très proche du lieu d'origine de sa famille (la Chapelle Iger) à vingt cinq ans, âge minimum légal...
Minutes du notaire Vaudremer Nangis AD 77 188 E 110 & répertoire 188 E 4 p 138

Titre clérical, Laurent Guay et autres séminaristes

 

Une rente de cent cinquante livres annuelles était exigée pour entrer au séminaire de Meaux, en 1745 pour le séminariste Huvier, comme en 1783 pour le jeune Guay. Cela représentait plus que le salaire annuel d'un maître d'école; celui de Choisy en Brie ne percevait que cent vingt livres annuelles depuis 1727 jusqu'à la Révolution ! "Pour conférer à un clerc l’ordre du sous-diaconat, une rente viagère est exigée par l’évêque. Celle-ci permet d’exclure des aspirants à la prêtrise issus des familles paysannes les plus modestes, qui seraient contraints de mendier leur pain, déshonorant ainsi le sacerdoce."
Serge Brunet Les prêtres des campagnes de la France du XVIIe siècle : la grande mutation

" La noblesse ne pousse ses cadets vers le séminaire que dans une proportion de 2 pour 100 et presque toujours en vue d'un évêché ou d'un canonicat important, la majorité des ordinands sort des classes "moyennes" : de la petite à la haute bourgeoisie. Massivement se détachent les fils d'officiers de justice, de marchands et de chirurgiens (les barbiers-médecins-accoucheurs des petites villes et campagnes); de même les fils de "laboureurs", qui, dans les grandes régions rurales comme le Nord, représentent la classe des petits propriétaires, des paysans aisés... La légende du petit paysan en sabots, un maigre baluchon sur le dos, venant se faire "dégrossir" au séminaire et y apprendre quelques bonnes manières afin d'être reçu plus tard au château en sa qualité de notable rural camperait facilement le clergé de 1830, non celui du XVIII° siècle..." D'après Bernard Plongeron : la vie quotidienne du clergé au XVIII° s

Cependant, dans les dernières décénnies du XVIII° siècle, on relève des aspirants à la prêtrise venus de milieux plus modestes qu'auparavant. Ainsi, dans l'étude du notaire Judas, à Beton-Bazoches, où le curé Huvier passa plusieurs actes, un titre clérical a été demandé pour le fils d'un maréchal et même celui d'un instituteur pour lequel on peut se demander où ses parents ont pu trouver le capital de deux ou trois mille livres permettant de verser une rente de cent à cent cinquante livres "10 septembre 1759 Titre clérical par le sieur Christophe Regnaut maréchal et sa femme demeurant à Bazoches au sieur Christophe Regnault leur fils clerc tonsuré du diocèse de Sens... 28 août 1780 Titre clérical par Louis Rousselet maître d'école à Champcenest et sa femme à Louis Rousselet leur fils."
Minutes du notaire Judas 254 E 206 & 207
Christophe Régnault (Renault), vingt deux ans en 1759, était diacre l'année suivante, au décès de son père. Louis François Rousselet, âgé de vingt trois ans en 1780, devint prêtre. Son frère, Jean Mathias, fut maire adjoint, propriétaire, et marchand de bois ce qui pourrait dénoter une certaine aisance, voir la page "marchands de bois".
Si la tonsure n'aboutissait pas toujours à la prêtrise, comme on l'a vu précédement, l'engagement financier d'une rente cléricale était le signe d'un engagement ferme dans cette voie.


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