Au printemps 2007, on pouvait admirer le travail de Joël Renaudin faisant travailler ses deux juments: Hirondelle, percheronne diligencière de douze ans, très expérimentée, jument de tête en labours et Princesse, ardennaise bai foncé, de trois ans dont ce n'était que le troisième chantier. Les deux juments allaient chercher les troncs abattus en forêt sans en abîmer la végétation, les tractaient dans les petits layons et se chargeaient même de les empiler à proximité de la route. L'attelage aurait pu utiliser un avant-train à roues, mais il était hors d'usage: la puissance des deux chevaux en avait déchiré le métal. Il faut dire que ces juments de 800 kilos sont capables d'arracher trois fois leur poids.
Le Conseil Général de Seine et Marne qui gère l'espace naturel sensible des Bordes Chalonges, commune de Bombon, à peu de distance du massif forestier de Villefermoy, avait pris l'initiative de ce travail à l'ancienne.


Les voituriers par terre /17
Débardage & chariots

Larousse: traînage d'une bille
Larousse: transport par fardier
Larousse: transport du bois de chauffe
Larousse: transport par triqueballe

Dans les archives, on trouve de nombreux contrats: un fils placé en apprentissage pour trois ans, une "vache sous poil brun âgée de deux ans pleine de veau" qui a droit, pour la même durée, à un bail à cheptel, un maçon limousin qui s'engage "à construire pour ledit Bureau deux travées de logis audit lieu des Montils...", un fermier qui s'assure que les moissonneurs saisonniers venus de l'Yonne ne le laisseront pas tomber pour aller chez le voisin... et tant d'autres actes notariés, beaucoup plus nombreux qu'aujourd'hui, il y a deux cents ans: en plus des actes courants, un petit passage chez le notaire évitait souvent les désagréments d'un procès.
Concernant les voituriers, aucun contrat passé par écrit. Il faut dire qu'ils ne maîtrisaient généralement pas l'écriture et que, dans le monde rural, une bonne poignée de mains avait souvent valeur d'engagement. C'est pourquoi les documents sont rares pour essayer de retrouver les conditions de travail des voituriers thiérachiens. Au détour d'un inventaire après décès, on peut pêcher quelques lignes qui éclairent leurs relations avec les marchands de bois, quelques détails sur les marchandises transportées, mais rien sur la pratique de leur métier : comment ils attelaient les chevaux, comment ils chargeaient le bois...
La trace des voituriers thiérachiens dans la mémoire collective s'est effacée au début du XX° siècle. On a oublié les Tirachiens, aussi bien dans la contrée où ils travaillaient que dans leur province d'origine. C'est pourquoi il faut rechercher des témoignages sur les voituriers en bois, soit dans les pratiques actuelles, soit dans les archives d'une région où leur souvenir est encore vivace, comme chez les galvachers du Morvan, même s'il ont préféré les boeufs aux chevaux.
Nous retrouverons plus loin les parcours parallèles des Tirachiens et des galvachers dans les forêts d'Ile de France.

la planche du Larousse universel 1922

A dos d'homme: "Pour la charge d'une femme, en bois vert ou sec, chaque jour durant les six mois d'hiver, il me sera apporté aussi chaque jour une botte d'herbe fraîche, durant les six mois d'été, et si ladite femme mène avec elle un ou deux de ses enfants dans les bois, il me sera dû deux bottes par jour..." Tableaux de la vie rurale
Des jeunes gens avec un âne : "... j'ai trouvé le fils de Louis Catalant manouvrier a Boulin et la fille de Matieux Bonhomme ... qui conduissais chacun un anne chargé de branche de chaine verte"
Des bêtes de somme: " les habitans de la commune des Monty, district de Provins, lesquels ont des chevaux de somme qui ne leur servent que pour le transport des bois de délits qu'ils vendent publiquement à Nangis."
Des charrettes :" ...nous avons trouvé au devant de la porte de derrière donnant sur la place du Marché aux Bestiaux, le nommé Jean Baptiste Pelle, laboureur fermier de la ferme des Blous paroisse de Boulain lequel accompagné d'un garçon chartier avait deux voitures attelées de chacune trois chevaux."
Tous extraits précédents: AD77 L 396

Les inventaires après décès montrent que les Tirachiens de Villefermoy possédaient à peu près tous le même nombre de chevaux: Pupin: cinq chevaux, trois juments, une pouliche, un poulain; Nival: cinq chevaux, une jument, un poulain; Dupin: cinq juments et un cheval; Meunier et Tissot: sept juments et un poulain; Deruelle: "six chevaux et juments avec leur collier et autres harnois". On peut imaginer les lourds chariots sortant de la forêt sur des chemins défoncés, tirés par cinq à six chevaux. Un procès verbal de 1771 fait même état de "trente un chevaux de quatre des voitures travaillant au charroi des bois de la réserve de Valjouan", soit près de huit chevaux par attelage. Jurisprudence générale tome VI p 272

Les Thiérachiens n'étaient pas seuls à sortir du bois des forêts, depuis le simple fagot porté sur le dos, jusqu'aux grumes accrochées sous une triqueballe, en passant par le bois de charpente et les bûches à destination de Paris. On trouve trace de ces transports dans les textes d'époque ou les documents d'archives:
Les Thiérachiens utilisent des attelages plus importants : "Cejourd'hui vingt six vendémiaire an 5° de la République françoise, neuf heures du matin, je soussigné Nicolas Picard, adjoint municipal de la commune de Laval... j'ai trouvé dans la route de cette vente le citoyen Chardon voiturier tiérachien demeurant à Frévan commune de la Chapelle Rablais lequel avec son chariot attelé de cinq chevaux transportoit lesdits cinq fresnes en grume." L 396 n° 88

En forêt de Fontainebleau, les voituriers en bois courbe destiné à la Marine avaient des attelages plus légers comme l'indique l'état des voitures passées à la barrière de Valvins dont ils payaient l'octroi: "Auger, 2 voitures, 6 chevaux 60 c; Poussin, 2 voitures, 2 chevaux, 20 c; Gillet, 5 voitures, 10 chevaux, 1 F ; Dauphin, 2 voitures, 4 chevaux 40 c, Lariotte, 4 voitures, 10 chevaux 1F Fayard, 4 voitures, 6 chevaux 60c" Les conditions étaient différentes: le sous sol de la forêt est beaucoup moins humide à Fontainebleau, les bois courbes très particuliers devaient représenter des volumes moindres que les bûches et bois de charpente de Villefermoy, et les voituriers n'étaient pas Thiérachiens, ceci explique peut être les différences d' attelages.
AD 77 7 Mp 361 du 12 au 26 Messidor an X ou XI, état du 24 thermidor

Doc: les voituriers en bois courbe de la forêt de Fontainebleau

Il n'est jamais fait mention que d'un seul chariot dans les inventaires, bien que les voituriers aient eu des bois de taille très diverse à sortir des bois: bûches, menuise, charpente, grumes. Le transport de bûches d'un mètre et celui de troncs entiers aurait pourtant demandé des véhicules différents " pour charrois de bois savoir quatorze cordes de grands bois rendus au port de Barbeau à raison de quatorze francs la corde et dix huit pièces de bois de charpente à raison de 60 francs le cent.."AD 77 273 E 28 "le citoyen Chardon voiturier tiérachien demeurant à Frévan commune de la Chapelle Rablais lequel avec son chariot attelé de cinq chevaux transportoit lesdits cinq fresnes en grume" AD 77 L 396
L'agronome Duhamel du Monceau décrivait le chariot de "Tiérachien" dans son "Traité complet des Bois et Forêts" de 1767: "Assez souvent, les marchands de bois, ou les Tiérachiens qui entreprennent de tirer le bois des Forêts, se servent de charrettes (Planche I, fig. 11) qui ne sont garnies de ridelles que vers les roues; à cet endroit, ils mettent le bois suivant la longueur de la voiture; & à l'avant, ainsi qu'à l'arrière, ils le posent en travers: une chaîne, ou une lieure de corde, ou des ranchées empêchent que le bois ne s'écroule. Ces sortes de voitures sont ordinairement légères & fort commodes dans les mauvais chemins, dont elles se tirent mieux que toute autre."
A vrai dire, la figure 11 de la planche 1 (deux roues, un seul cheval) ne correspond pas aux chariots décrits dans les inventaires: à quatre roues "quatre roues à bandes de fer et à essieux de bois", tirés par cinq à six chevaux: "six paires de traits et huit paires de devant de traits", un chariot très particulier que ne possèdaient pas les fermiers et qui justifiait en partie le monopole des débardeurs en forêt.
la planche intégrale "transport du bois"

Il est probable que le chariot thirérachien ressemblait à celui qu'utilisaient les galvachers du Morvan, qualifié de "chariot lorrain à ranchers" sur la planche du dictionnaire Larousse, cité plus haut.

Même si leur rendement n'est plus adapté aux conditions modernes, les chevaux reviennent en forêt, et pas uniquement pour le folklore. Dans les zones sensibles, ils peuvent être préférés aux lourds engins forestiers: les chevaux ne creusent pas de profondes ornières et n'abîment pas les arbres sur pied. J'ai eu la chance d'en voir travailler dans les bois de Bombon et j'ai pu admirer le travail des chevaux et de leur maître. Il n'est pas certain que tous les charretiers de l'époque aient été capables de tant de maîtrise. Par contre, les Thiérachiens étaient experts reconnus en chevaux: "la prisée desquels meubles et effets sera faite par le notaire soussigné et quant aux chevaux chariots et harnois par le citoyen Doctière conjointement avec ledit notaire. Lequel Doctière est aussy voiturier demeurant audit lieu des Montils" AD77 261 E 62

Sous l'Ancien Régime, le contenu d'une charrette était déterminé par la loi comme l'indique cet extrait du Traité de la Police 1719, sans préciser s'il s'agit du véhicule de livraison, en ville ou de celui de débardage, à la campagne:
"Tout le gros bois est compris sous le nom générique de bûche; chaque bûche, de quelque bois que ce soit, doit avoir trois pieds & demy de long; elles ne sont distinguées dans le commerce que par leur grosseur. Les plus grosses sont nommées bois de moûle parce que pour les livrer par le Marchand, elles doivent être mesurées dans un anneau, qui a six pieds & demy de circonférence que l’on nomme moûle, dont le patron, ou prototype, est à l’Hôtel de Ville, sur lequel ceux dont on se sert sont étalonnez & marquez aux armes de la Ville. Trois de ces moûles, ou anneaux remplis, en ajoûtant douze bûches de plus sur les trois anneaux, doivent faire la charge d’une charrette; ce qui se monte ordinairement depuis cinquante deux, jusques à soixante deux bûches." Astrolabe, fonds ancien

planche de Duhamel du Monceau

"Les bûches d'une grosseur inférieure à 17 pouces se mesuraient à la corde. La corde était composée de quatre pieux fichés en terre et formant un quadrilatère de 8 pieds sur 4." CGHSM bulletin n° 53
Evidemment, avant le sytème métrique la mesure de la corde n'était pas uniforme:
"A Melun, ce 27 messidor an 6 de la République française, une et indivisible.
La commission n'ayant pas reçu de renseignements suffisans sur la longueur des bûches, de la part des autres cantons, elle donne ici les trois longueurs qui sont en usage dans le département. Chaque commune aura la faculté de prendre celle dont elle fait usage.
8 pieds de couche, 4 pieds de hauteur, 3 pieds 6 pouces long. de bûche : 3,835 stères
8 pieds de couche, 4 pieds de hauteur, 3 pieds 8 pouces long. de bûche : 4,018 stères
8 pieds de couche, 4 pieds de hauteur, 4 pieds long. de bûche : 4,383 stères.
Outre ces trois espèces de cordes, il y en a encore une dite de port. Celle- ci est plus grande d'un quart, parce que sur une même longueur de 8 pieds de couche, elle a cinq pieds de longueur au lieu de quatre.
Ainsi la corde de port, en bois de 42 pouces vaut 4,794 st. En bois de 44 pouces : 5,022. Et en bois de 48 pouces: 5,479.

Tableau des anciennes mesures du département de Seine et Marne comparées aux mesures républicaines. AD77 L 259

2013: moule en forêt de Villefermoy
Doc: article "du bois de chauffage" du Traité de la Police
Quelle était la mesure d'un chariot thiérachien? On ne le sait toujours pas, cependant il s'avère qu'une charrette de fermier à trois chevaux pouvait transporter environ une corde; qu'en était-il d'un chariot à quatre roues tiré par cinq à six chevaux?
Ce jourd'hui, vendredi premier juin mil sept cet quatre vingt douze sept heures du matin, nous, Pierre Nicolas Préau Maire de Montereau Fault Yonne y demeurant, ayant été instruit que par une suite des délits et brigandages qui se commettent journellement depuis plusieurs années dans les forest et bois voisins, et notamment dans ceux de Vallence et de Boulains, il arrive fréquemment à Montereau des voitures chargées du bois provenant de ces vols et pillages; que notamment il est arrivé hier matin deux voitures et de deux pareilles voitures viennent encore à l'instant de passer, qu'ayant fait examiner le lieu où ces deux dernières voitures se déchargent, il a appris que c'étoit chez le sieur Bertin, aubergiste rue de la Poterie à l'auberge Saint Nicolas... ... le nommé Jean Baptiste Pelle, laboureur fermier de la ferme des Blous paroisse de Boulain lequel accompagné d'un garçon chartier avait deux voitures attelées de chacune trois chevaux.. ...Et ledit Pelle a déclaré que Pierre Petit et Pierre Fournier tous deux manouvriers demeurant à la Rayonnerie paroisse de Boulain, sont venus le trouver dimanche dernier et l'ont chargé de voiturer à Montereau chez ledit sieur Bertin, quatre cordes ou voitures, dont deux étoient dans la cour dudit Petit et deux dans celle dudit Fournier..." AD77 L 396

  Les passeports, page des choix
  Suite: quel port ?
 

   Courrier

Le fardier des Thiérachien s'inspirait peut être du lourd chariot des voituriers au long cours comme celui qui passe sous la Tour César de Provins; peut être pouvait-on en séparer l'avant-train où prennent place fagots et enfants de voiturier sur la gravure ci-dessous.

Curiosité: le voiturier de Provins, conte en vers

Les descriptions de chariots thiérachiens sont succintes: "un chariot garni de ses chaînes et autres ustenciles " ou fort obscures: "avec une enraiyeure et brayeure de fer"
... chez le notaire Tartarin de la Chapelle Gauthier, en 1808: "un chariot garni de ses chaînes et autres ustenciles pour charrier estimé cent cinquante francs"; en 1809: "un grand chariot roulant monté sur quatre roues à bandes de fer et à essieux de bois avec une enraiyeure et brayeure de fer, six paires de traits et huit paires de devant de traits, le tout, en fer et tout ce qui dépend dudit chariot." AD77 273 E 31
Qui se souvient de ces mots si communs voici deux cents ans? Enrayure, brayure et même roulière ont disparu de notre langage et bien souvent des dictionnaires.

L'enrayure, orthographiée "enraiyeure" dans l'acte de 1809, avait deux sens, liés au métier de charron. D'abord un outil pour aider à fixer les rayons sur le moyeu, et, pour notre chariot de Thiérachien, un frein de fardier. En tirant sur la "tavelle" qui faisait levier, un sabot pressait la roue pour ralentir le chariot.

Cette sorte de gaffe, nommée aussi coq à cause de la forme de son fer, était bloquée par une chaîne et munie d'un oeil où le charretier passait passer une corde, de manière à l'actionner de l'avant. Démontée, elle pouvait servir de béquille pour maintenir le chariot horizontal. "Sorte de levier au moyen duquel le charretier manoeuvre le tour ou treuil de son véhicule", ainsi défini dans le Larousse du XX° siècle, le nom "tavelle" est aussi employé dans les métiers de la soie: "sorte de dévidoir pour la soie, petite tringle de bois qui frappe la soie dans certains métiers", c'est devenu le nom familier du bâton de Guignol.
J'avoue ne pas bien comprendre la différence entre "machine à enrayer" et "chaîne d'enrayage" distinguées dans l'article 27 de la loi sur le roulage de 1851: "Toute voiture publique doit être munie d'une machine à enrayer agissant sur les roues de derrière et disposée de manière à pouvoir être manoeuvrée de la place assignée au conducteur. Les voitures doivent être en outre pourvue d'un sabot et d'une chaîne d'enrayage, que le conducteur placera à chaque descente rapide."
Braye, brayer, brayeur faisaient partie du vocabulaire du maçon plutôt que du charretier: "braye: corde qui sert à attacher une pierre de taille pour opérer son montage; brayer: faisceau de corde au moyen duquel les maçons élèvent les moellons; brayeur: manoeuvre qui suspend au brayer les matériaux de construction à hisser." Larousse du XX° siècle La "brayeure de fer" citée dans l'acte décrivant le matériel de voiturier thiérachien pourrait être un système permettant de soulever les grumes comme les maçons suspendent "au cable les pierres, les baquets à mortier, les bourriquets à moellons, etc." Wikipédia