Suite : Patois briard et patwe forezien

Contrairement aux saisonniers venus du Forez à l'automne, les deux scieurs du pays de Bière devaient honorer leur contrat depuis sa date de signature, le 15 juillet 1789, jusqu'à la Saint Martin d'hiver, le 11 novembre, date charnière pour nombre de migrants; les maçons de la Creuse commençaient souvent à rejoindre leur pays vers cette période.

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pour leur légende

Les scieurs de long/12
Un marché d'ouvrage de 1789 3/3

... l'écarissage de tous espèces de bois provenant de ladite vente de la Coudre à la toise courante jusqu'à huit à neuf pouce décarisage pour quinze livres le cent de toises et de fournir les quatre au cent... Le sciage en dix huit lignes d'épaisseur sur neuf pouces de largeur, la planche de quinze lignes d'épaisseur et le panneau de huit lignes, franc scié pour quinze livres le cent de toises fournis aussy les quatres aux cent... A été convenu que dans le cas où ledit Chevry audit nom jugerez à propos de faire faire de la volice (volige), il a été dit que celle de cinq lignes franc scié sur neuf à dix pouces de large seroit payé douze livres le cent les quatre au cent fournis.

Doc : restranscription de ce marché d'ouvrage et autre acte de 1755

Ecarrissage et sciage étaient payés à la pièce, plus précisément à la longueur sciée. Evidemment, en 1789, les mesures ne suivaient pas le système métrique qui ne sera établi qu'une décennie plus tard (et qui entrera dans les moeurs bien plus tard encore !) Sous l'Ancien Régime, rien n'était simple : partant de la mesure théorique du pied du Roi (Charlemagne, suivant la légende), soit 0,32483 m après 1668, mais 0,3266 avant (le peton de Charlemagne avait dû rétrécir), on le subdivisait en douze parties, les pouces 2,706 cm, chaque pouce divisé en douze lignes 0,226 cm et chaque ligne en douze points 0,188mm. Pour obtenir une toise, on multipliait le pied par 6, soit 1,949 m. Après, ça se compliquait encore car la perche pouvait valoir dix huit, vingt ou vingt deux pieds...

L'arpent équivalait à un carré de dix perches de côté. Cela aurait eu l'avantage d'être simple si la perche avait partout eu la même mesure: le Grand Arpent correspondait à une perche de douze pieds et mesurait 51,04 ares; pour l'arpent de Champagne, la perche ne valait que dix pieds et équivalait à 42,18 ares. La Chapelle Rablais avait été à la frontière du domaine royal et du comté de Champagne, séparés par une frontière naturelle, la Haye de Brie. D'une parcelle à l'autre, l'arpent n'avait pas la même valeur : "C''est le fey que monsor Henri de Beau marches tient de monsor Gautier le Cornu : c'est assavoir environ IIII XX arpens de boys au grand arpent qui tient au bois devant Le Mes et au haies de Brie, et XIII arpenz au grant arpent delez le chemin de Brie, et L VII arpenz et III quartiers delez les haies de Brie, et delez le boys Saint Germain a larpent de Champeigne, et des haies de Brie XXV arpenz au grand arpent; item la moitié du fief de la Charmée." La Chapelle-Rablais Rôle des vassaux de Gautier Cornu 1292
Auguste Diot, dans "le Patois briard, notamment de la région de Provins", 1930, signale : "Dans la plupart des communes de la vallée de la Seine, par exception avec le reste de la Brie, la perche n'est que de 18 pieds".

Chapitre : la création du village au Moyen Age, la Haye de Brie...

De savants calculs, niveau CM2, tout de même, permettent d'avoir une petite idée de la grosseur des arbres sciés, donc de leur âge. Les planches, de toutes épaisseurs, devaient avoir une largeur de 9 ou 10 pouces, soit 24 à 27 centimètres, mesure que l'on trouve aussi pour les peupliers de "Pierrefort".
Comme son nom l'indique, l'écarrissage mettait au carré un tronc circulaire, dont le diamètre se calcule grâce au théorème de Pythagore. La racine carrée de 27 au carré + 27 au carré, ou 27 x 1,414, la racine carrée de deux, avoisine les 38 centimètres. Ajoutons quelques centimètres pour arrondir à quarante. Avec un diamètre de 40 cms, la circonférence de la grume avoisinerait les 125 cms.
N'étant pas forestier, je suis allé consulter Internet pour connaître une méthode de calcul de l'âge d'un arbre quand on en connaît la circonférence. Deux méthodes simples sont proposées, l'une comme l'autre devant être nuancée:
"Si un chêne gagne de 2,5 à 3 centimètres par an, un individu de 3 mètres de circonférence aura environ 100 ans. La méthode serait d’une logique admirable si elle ne présentait quelque erreur évidente : un chêne de 1000 ans n’a pas 30 mètres de circonférence.."
Site Krapo arboricole
En calculant à partir d'un accroissement annuel de 2,5 cms, l'âge des arbres sciés par Girodon et Gibert serait d'environ cinquante ans.

Une autre méthode: "Placez-vous face à l’arbre et mesurez sa circonférence à 1.40 m de hauteur. Divisez le chiffre en centimètres obtenu par Pi (égal à 3,1416 environ) puis multipliez le résultat par le facteur multiplicateur qui correspond à l’arbre... 3 pour le chêne, le noyer, le châtaignier… des arbres qui poussent lentement." Calculons donc: 125 divisé par 3,14 puis multiplié par 3 nous indique un âge dépassant les cent ans. Les chênes auraient donc poussé pendant cent ans pour avoir un tronc ne serait guère plus gros qu'un disque 33 tours!
Schéma de l'écarrissage (carré) d'un tronc (circulaire) issu de "L'exploitation des bois" planche XXXV de Henri-Louis Duhamel Du Monceau 1764
Il semblerait que, dans cette formule, on ait confondu rayon et diamètre. Ce qui est plaisant, est que cette méthode est recopiée mot pour mot sur plus d'une demi-douzaine de sites. Pourrait-on y voir les vertus du copier/coller ?
La pratique ne date pas d'hier. Que l'on se plonge dans les interminables traités de jurisprudence des XVII° et XVIII° siècle et l'on retrouvera sans mal des passages entiers d'un livre à l'autre.
A l'époque, pas de copier/coller, pas de photocopieuse; pour citer, il fallait recopier, avec risque accru d'erreur. Un exemple touche particulièrement la Chapelle Rablais :
Notre village est cité par l'historien Hippolyte Taine dans "L'Ancien Régime" en 1875: "Près de Fontainebleau et de Melun, à Bois le Roi, à Chartrettes, les trois quarts du territoire sont en friches... Aux Courtilles, à la Chapelle Rablais, cinq fermes sont abandonnées... " Taine a dû piocher dans l'Essai sur les capitaineries royales de 1789, que j'avais consulté pour un dossier sur lesdites capitaineries : "Un cultivateur nous a appris qu'aux Coutils et à la Chapelle Rablay, autres territoires enclavés dans la Capitainerie de Fontainebleau, on comptoit jusqu'à cinq fermes abandonnées." AD77 8[4490; citation reprise d'un texte de 1788, Mémoire sur les capitaineries et principalement celle de Fontainebleau: "Je connois des paroisses sur cette capitainerie, où le prix de la location est diminué d'un tiers depuis vingt ans, au point qu'aux Montils et à la Chapelle Rablay, la diminution de la valeur des terres est si forte, qu'il y a cinq fermes abandonnées dans ce moment ci." AD77 J379
Les Montils, hameau de la Chapelle Rablais, fréquemment écrit Rablay avant la Révolution, ont été transformés en Coutils puis Courtille... De la fiabilité des sources, à toutes les époques...

Quelle quantité de bois les deux scieurs du pays de Bière allaient-ils couper, à quelle vitesse et quel allait être leur salaire? Il est impossible de répondre avec précision à ces questions, tout au plus pourrons nous essayer une estimation en cherchant quelques renseignements dans un autre marché d'ouvrage du XVIII° siècle. Celui-ci concernait "trente six pieds d'arbres paupelier scis sur la terre du Bois de Pit lieudit le Prez des Marnes..."
26 janvier 1755 Minutes du notaire Vandremer , Nangis, AD 77 188 E 63

Doc : retranscription intégrale de l'acte...

(Encore un petit aparté avant de continuer, concernant le notaire de Nangis, Vandremer, certainement né Van der Meer, qui continuait à employer des termes de sa province nordique d'origine puisqu'il nommait les peupliers "paupeliers" alors que le Briard, peu enclin à faire des efforts de prononciation aurait eu tendance à dire "peupier"...)

Trente six peupliers à traiter en trois mois, entre fin janvier 1755 et fin avril. De gros peupliers puisqu'il devaient donner des planches "depuis sept pouces jusqu'à dix de largeur".
Si un peuplier peut pousser jusqu'à une trentaine de mètres, le tronc entier n'a pas une section suffisante pour donner des planches de la largeur voulue. Un petit sondage dans les ventes de bois modernes montre que les sylviculteurs proposent des grumes de quatre à douze mètres. Admettons douze mètres pour ces gros "paupeliers". Sur la plupart des représentations de scieurs, gravures ou photos, les pièces sur le chevalet ne semblent pas dépasser les quatre mètres. Douze mètres divisés par quatre donnent trois pièces de quatre mètres par tronc exploitable. Puisqu'on sait que Pierrefort et ses ouvriers devaient scier trente six peupliers, on obtient 36x3= 108 pièces.
Cent huit fois: écarrir le tronc, hisser la grume sur la chèvre, la fixer solidement avec la chaîne, tracer les traits de coupe au fil à plomb et à la ficelle noircie à la cendre, commencer à scier sur la moitié de la longueur,
retourner la grume, la fixer à nouveau, terminer la seconde partie du sciage, jeter à terre où les planches se détacheront, les entasser... et enfin, boire un canon...

"... commencer ledit ouvrage incessamment et de faire en sorte que lesdits ouvrages soient finis et que les lieux puissent être vuides au vingt cinq avril prochain... " AD 77 188 E 63
"Pierrefort scieur de long du pays de Forrest se retirant à Laceny paroisse de Landoy" et ses ouvriers (combien d'ouvriers?) avaient trois mois pour mener à bien leur ouvrage au Bois des Pies, paroisse de la Croix en Brie. Les douze dimanches retranchés, il restait soixante-dix huit jours ouvrés. D'où une moyenne d'environ 1,3 grume par jour.
Il leur était prescrit débiter en planches de diverses épaisseurs :
"sier et débiter en planche tant volisse que planchers et entrevoux suivant qu'il luy sera dit par ledit Neuville", on ne saura pas le type de planches voulue par "Jean Neuville marchand de bois demeurant à Châteaubleau".
Le contrat de 1789 à Villefermoy précise les mesures desdites planches : "Le sciage en dix huit lignes d'épaisseur sur neuf pouces de largeur, la planche de quinze lignes d'épaisseur et le panneau de huit lignes" et la volige épaisse de cinq lignes.
Imaginons qu'ils n'aient scié que des planches. Quinze lignes de 0,226 cm équivalent à 3,39 cms. Arrondissons à trois et demi pour tenir compte du trait de scie. Dans une bille écarrie à neuf ou dix pouces, on pouvait débiter environ huit planches. (Une petite aspirine et on continue les calculs.)
Huit planches par bille, cent huit fois nous donne huit cent soixante quatre planches. Quatre mètres chacune, donc trois mille quatre cent cinquante six mètres ou mille sept cent soixante treize toises (de 1,949 cms). Environ. (Ouf !)

" Trois scieurs de long font ordinairement en une heure, sur du chêne encore verd, un trait de scie de 56 décimètres (139 pouces) de long, sur 3 décimètres (11 pouces) de large, Ils donnent 50 coups de scie par minute, c'est 3.000 par heure..." Traité de l'art du charpentier Jean H Hassenfratz 1804
Trois mille quatre cent cinquante six mètres sciés à raison de 5,60 mètres à l'heure nous amènent à six cent dix sept heures; certainement un peu moins car le peuplier (1,2) est presque trois fois moins dur que le chêne (3,5) d'après l'indice de Chalais-Meudon, donc plus facile à travailler. Soixante et un jour de dix heures de travail, sur les douze heures de jour, puisqu'on est au printemps. Deux mois d'ouvrage sur les trois prévus, avec une marge pour installer le chantier, écarrir, scier les troncs en grumes, entasser soigneusement les planches, en faire la
"vidange" avec des voituriers en bois... afin "que les lieux puissent être vuides au vingt cinq avril prochain"

Qu'en était-il pour les scieurs du pays de Bière en forêt de Villefermoy? Le contrat courait sur quatre mois d'été où les journées de travail pouvaient être plus longues (impossible de scier quand on ne voit plus la ligne). Si l'équipe de Pierre Faure avait (peut-être) scié sur trois kilomètres et demi en trois mois, Girodon et Gibert pouvaient (peut-être) dépasser les quatre kilomètres et demi de trait de scie.

Tout ceci n'est que conjonctures, s'il est un forestier parmi mes lecteurs, qu'il n'hésite pas à me corriger!

Détournement éhonté de "La paye des moissonneurs" de Léon Augustin Lhermitte, peintre presque briard
1882 Musée d'Orsay

Mille sept cent soixante treize toises est le résultat trop précis du calcul de la longueur de planches sciées dans le peuplier. "Moyennant la somme de onze livres pour chaque cent de toises" La paye de Pierrefort et ses ouvriers pouvait donc être comprise entre cent quatre vingt sept et trois cent trente livres. Avec, comme avantages en nature, la prise en charge des frais de notaire "payera ledit Neuville le cens et controlle descy présentes et en fournira la grosse audit Pierre Fort s'il la convient lever..." et "pendant ledit ouvrage de tremper la soupe audit Pierrefort une fois le jour ainsi qu'il est d'usage tant à lui qu'à ses ouvriers". La soupe, mais non "la pitance", régime vegan avant l'heure.
Prenons un terme moyen, au hasard, deux cent trente quatre cents de toises, évidemment, je triche un peu pour que le compte tombe juste, sinon, on serait obligés de convertir en sous, vingt par livre, puis en deniers, douze par sou... Cela donne trois livres par jour ouvrable à se partager avec ses ouvriers... (Combien d'ouvriers? je pencherais pour seul un compagnon et peut-être un "poulain".)

Inutile d'essayer de calculer une paye possible pour les deux scieurs du pays de Bière, d'autant que le salaire versé dépendait du type d'ouvrage : de quinze à dix-sept livres le cent de toises pour l'écarrissage, quinze livres le cent de toises pour des planches ou des chevrons, et seulement douze livres pour de la volige, planches fines de cinq lignes, soit un peu plus d'un centimètre. Pourquoi la volige était-elle payée moins cher que le "sciage" de dix huit lignes, la planche de quinze lignes, le panneau de huit lignes ? Peut être parce qu'en tirant beaucoup plus de planches de chaque grume, on avait moins de manipulations à faire pour les monter puis les retourner sur le chevalet? A vérifier auprès de spécialistes. Qui sauront aussi expliquer les finesses du contrat devant notaire : "quinze livres le cent de toises et de fournir les quatre au cent, et de huit à neuf pouces jusqu'à leur grande grosseur sera réduit au grand cent, alors le prix sera de dix sept livres dix sols le cent de pièces réduit, sera fourni de même les quatre aux cent."
En prime : "Et en faveur du présent marché, ledit Chevry audit nom s'oblige de donner et livre audit Jibert et Jiroudon une demie corde de copeaux par chaque millier de toises." La corde était une unité ancienne pour mesurer le bois, encore une fois, variable suivant les époques et les régions. La corde de Paris ou corde des Eaux et Forêts correspondait à une pile de bois à brûler longue de 2,60 m, haute de 1,30 m, avec des bûches de 1,14 m, soit 3,853 m3. Voir à ce sujet le dossier des voituriers en bois.

Les voituriers "thiérachiens" débardeurs de bois, dossier de 31 pages

Eloignons-nous un peu de la Brie centrale pour découvrir quel pouvait être le salaire des scieurs de long dans d'autres régions :
"Le salaire des scieurs de long semble davantage dépendre du rendement plutôt que de la qualification. En effet, leur mode de travail est en grande partie répétitif et rémunéré à la tâche, ce qui peut expliquer des gains supérieurs. Lorsqu'ils sont employés comme journaliers dans leur propre paroisse et qu'ils effectuent des travaux agricoles, ils ne doivent guère obtenir plus de 6 à 10 sols par jour, alors que s'ils exercent leur métier ailleurs, ils gagnent plus du double, et parfois, le triple." Jacques Garbit Les Lionnais du Perche

"Avant que je n'aille plus loin, il vous faut savoir que les scieurs de long, au temps de ma jeunesse, travaillaient souvent pour un salaire de journée assez misérable qui tournait autour de huit réaux (le réal vaut cinq sous), rarement plus. Aussi, les gars ménageaient-ils leurs forces, faisant aller leur scie sur un rythme économe qu'ils scandaient ironiquement en disant : "sept à huit réaux et trois sous percés" . Dans le cas contraire, elle se traîne jusqu'à devenir une complainte : "ha-reng-pour-deux! "*. Et le patron en avait pour son argent, pas beaucoup plus. Mais quand ils étaient payés à la tâche, la scie de deux compères, celui du haut et celui du bas, montait et descendait comme un trait d'éclair parce qu'il leur était possible de gagner, en s'échinant de l'aube au crépuscule, un écu de plus (l'écu vaut trois francs)." Pierre-Jackez Helias La nuit des Vivants

* Une variante de cette chanson de travail est citée dans Les Lionnais du Perche : "selon que la nourriture est abondante ou chichement mesurée. Si le maître a été généreux, la cadence du chant, et donc du sciage, est rapide : "cha-cun-son-ha-reng! Dans le cas contraire, elle se traîne jusqu'à devenir une complainte : "ha-reng-pour-deux!"

"Pour la façon de 1000 pieds courants de bois de sciage assorti de planches, voliges et chevrons, on payait les scieurs de long 36 fr. vers 1880 si les bois sciés étaient des sapins, des peupliers, des trembles et autres bois tendres, et 45 fr. pour le sciage de chêne. La façon du sciage pour le « bois de cuve » (2 pouces d'épaisseur sur 7 pouces de largeur moyenne) était de 42 fr. par mille pieds courants. Le prix de sciage des bois de bateaux était de 60 fr. par mille pieds courants."
Nos ancêtres vie et métiers n°8

Louis Bandy de Nalèche s'intéressa aux maçons de la Creuse, reprenant en 1859 "l'Art de la maçonnerie" publié en 1783 par l'architecte Lucotte. Après avoir détaillé le salaire des différentes catégories de maçons, il cite celui des scieurs :
Lucotte: "Le huitième Ouvrier est le Compagnon Maçon. Son emploi est de construire les ouvrages en plâtre. Le prix de journée est d'environ 40 sous.
Le neuvième Ouvrier est le Limousin. Son emploi est de construire les ouvrages en mortier. Gain Le prix de journée est d'environ 36 sous.
Le dixième et dernier Ouvrier est le Manoeuvre. Son emploi est de faire les ouvrages bas & rudes et de servir les autres. Le prix de journée est de 25 à 30 sous. "
L'art de la maçonnerie par M. Lucotte 1783
Bandy de Nalèche : "Depuis Lucotte les salaires ont dû augmenter dans une notable proportion. Actuellement le maître compagnon gagne à Paris par journée 6 francs ; le maçon, l'appareilleur, le poseur, le tailleur de pierre, le scieur de pierre et le peintre, 4fr. 50; le scieur de long, le limousin, 3 fr. 75; le manoeuvre, 2 fr. 75." Charles-Léonard-Louis Bandy de Nalèche Les maçons de la Creuse 1859
Les scieurs de long étaient mis au même rang que l'avant-dernière catégorie de maçons. avec un faible salaire équivalent.

Classification des maçons "Des ouvriers & de leur espèce"

La campagne est finie
Ta bourse n'est pas pleine
Râcleras ton écuelle
Sans soupe ni fricot.

Il est probable que, pour les scieurs saisonniers, quittant leur pays au début de l'automne pour n'y revenir qu'au printemps, le salaire journalier comptait moins que la somme qu'ils pourraient rapporter au village, déduction faite de tous les frais.
"Si l'on évalue le gain d'une campagne de 200 jours, vers 1780, sur la base du salaire ci-dessus, on obtient un gain brut de l'ordre de 200 livres. Il faudra déduire 90 à 100 livres pour la nourriture et l'entretien." Jacques Garbit...

En 1877, dans une étude en six volumes sur les "Ouvriers européens", Frédéric Le Play précise, pour les maçons : "... le jeune ouvrier, rétribué, dans la première campagne, à raison de 2 francs par jour peut rapporter chaque année à sa famille une épargne de 70 francs. Vers la quatrième campagne, le salaire s'élève à 2 F 50, et l'épargne à 110 francs; enfin, vers la neuvième, le salaire atteint 3 F 50, et l'épargne annuelle un total de 200 francs... Le préfet de la Creuse estime le total des sommes rapportées dans le département à 6 ou 7 millions de francs en 1853 et à 10 ou 12 millions l'année suivante". En était-il de même pour les scieurs débutants ou confirmés ?

Revenons en Seine et Marne où l'enquête de 1809 sur les ouvriers saisonniers donne des précisions. Le préfet s'inquiète des sommes quittant la Seine et Marne, qu'il évalue à six cent quatre vingt dix huit mille quatre cents francs pour six mille deux cent cinquante cinq travailleurs saisonniers recensés. Les scieurs de long ont plutôt été ignorés, n'étant cités que dans les fiches de deux villages proches de Coulommiers et celle regroupant toutes les communes de l'arrondissement de Fontainebleau. AD77 M 9215

Pour l'arrondissement de Fontainebleau, bien doté de forêts, il n'est signalé que trente saisonniers venus de la Haute-Vienne et de la Creuse, rapportant ensemble 6.000 francs, on pourrait penser deux cents francs chacun, mais le commentaire réduit le pécule à 175 F.
A Touquin, sont mêlés les douze saisonniers venus entre mars et novembre "des ci-devant provinces de Lorraine, Limoge et Auvergne", cordonniers, maçons et "scieurs d'aix", rapportant chez eux 200 F chacun. Origines, métiers, calendriers, salaires, tout est mélangé; on ne peut pas se fier à cette déclaration du maire, ne serait-ce qu'au niveau du calendrier, inverse de celui des scieurs.
A Vilbert, sont aussi mêlés cinq "maçons en terre et scieurs d'aix", mais à chacun correspond une origine, un calendrier, un salaire: les maçons, de la Creuse, entre avril et septembre, rapportant 250 F; les scieurs, de la Loire, entre novembre et juin, ne rapportant que 100 F chacun.

La Brie ne fit pas exception : aucun des scieurs de long n'y fit fortune en exerçant son métier. Seuls ceux qui changèrent d'emploi purent atteindre une certaine aisance, comme nous le verrons plus loin, au contraire de maçons creusois qui créèrent leur entreprise en Brie.
Certains scieurs eurent une fin de vie assez misérable. Sur la table des successions et absences de Nangis, la valeur de l'héritage de Fleury Villard est laissée en blanc; sa veuve ne laissa rien à son fils, étant notée "indigente". Fleury Villard, et plus tard, son fils, figuraient dans la "liste des indigents pouvant par leur position être admis à ramasser le bois mort dans la forêt de la Couronne", cependant, on me les trouva pas sur les listes plus restreintes de secours pour l'hiver ou pour la médecine gratuite.
François Monteillard, scieur à Château Landon, parent de Barthélémy Monteillard, scieur à la Chapelle Rablais et de son frère Jacques, terrassier à Fontenailles, ne laissa à son fils que la maigre somme de cent francs, plus une très modeste maison "revenu des immeubles 2 francs"...

Jean Simon Renard, ancien scieur de long, décéda à l'hospice civil de Melun à l'âge de 82 ans, l'acte le précise. Est-ce aussi à l'hôpital de cette ville que décéda en 1837 le jeune scieur Nicolas Carlier, hors de sa résidence de la Chapelle Gauthier; les témoins étant deux fonctionnaire de Melun le laissent penser...

Le 8 juillet 1891, Alexandre François Broussat, 72 ans, scieur de long, né à Courpalay, dont les descendants continuèrent le métier à la Chapelle Gauthier, décéda au n°2 rue des Finets à Clermont... Le n°2 rue des Finets est l'adresse du centre hospitalier de Clermont...
C'était une pratique courante que le mot "hospice" ou "hôpital" ne figure pas dans l'acte officiel. Le décès dans ces établissements était pudiquement caché : en 1829, le charpentier creusois "Julien Jardinaud décédé hier Parvis Notre Dame n°4 à quatre heures du matin". Le n°4 du Parvis Notre Dame cachait l'adresse de l'ancien Hôtel Dieu de Paris qui enjambait un bras de la Seine, face à la cathédrale...
Le département de Seine et Marne avait établi une convention avec l'hospice de Montreuil sous Laon, "lieu de retraite pour les vieillards et infirmes de Seine et Marne" où fut placé en 1860 le berger Bonvalet, mais aussi les "vagabonds incorrigibles", mendiants qui, sous la Restauration, n'avaient l'autorisation de demander l'aumône que dans leur commune d'origine, mais dont le nombre était grossi par les mendiants bannis de Paris et les forçats libérés interdits d'approcher la capitale à moins de "sept myriamètres"... Il faudrait se pencher sur les archives de cet établissement qui, comme pour celui de Provins (où étaient dirigés indigents et malades de la Chapelle Rablais), devraient révéler nombre de migrants à leur dernière extrémité.
A. Hugues Le département Seine et Marne... publié sous les auspice du Conseil Général Melun 1895

 

"... les frontières entre les catégories -pauvres domiciliés, mendiants, vagabonds- sont poreuses. Les chaudronniers auvergnats, les peigneurs de chanvre du Dauphiné, les cardeurs de laine, les scieurs de long qui se déplacent, voire les maîtres d'école, les soldats, les maçons ou colporteurs, exercent des métiers très exposés aux conjonctures et peuvent passer d'une catégorie à l'autre. "

Interview de Laurence Fontaine, auteur de "Vivre pauvre, quelques enseignements tirés de l'Europe des Lumières"
dans Télérama du 25 janvier 2023

"De tous ces marreurs, scieurs ou peigneurs, aucun n'a donc fait fortune et aucun de ces métiers d'appoint, moins encore que celui du maçon, ne laisse d'espoir d'ascension. Ces spécialités ont, en fait, deux handicaps : le premier, de ne faire appel qu'à la seule force physique, ne laissant place nulle part à l'esprit de commerce ou d'entreprise, et le second de maintenir nos migrants isolés, loin des villes et des bourgs, où ils ne peuvent guère profiter des occasions de reconversion qu'offre alors la vie citadine." Jean Louis Beaucarnot

 

Trouvant leur salaire insuffisant, les scieurs de long n'hésitèrent pas à revendiquer; ils se mirent en grève plusieurs fois au cours du XIX° siècle. Des articles de journaux en signalent en 1833, 1845, 1881... Mais, comme pour les maçons creusois, les scieurs migrants hésitaient à s'impliquer dans un mouvement revendicatif.

"Il y a quelques jours, nous avons eu la coalition des cordonniers: aujourd'hui, c'est le tour des menuisiers et des scieurs de long. C'est dans l'ordre. Puis ce seront les maçons, les plâtriers, puis les boulangers, puis les imprimeurs! Une fois le mouvement donné, il faut que tout le monde y passe.
(Les scieurs de long) Peu satisfaits du salaire qui leur est accordé, ils ont refusé de travailler. Jusque là, c'est bien. Malheureusement, ils ne se sont pas tenus à ces limites. Plusieurs ouvriers auvergnats... contents sans doute de ce qu'il gagnent, n'ont pas cru de voir suspendre leurs travaux... Avant hier matin, les ouvriers non travailleurs se sont portés au chantier où étaient les Auvergnats. On les a sommés de laisser là l'ouvrage. Après les avoir sommés, on les a assommés."

Le Drapeau tricolore 16 décembre 1833

 

Les terrassiers ont eux aussi manifesté, comme le signale l'Eclaireur de Coulommiers :

"Les ouvriers terrassiers de Paris, qui ne gagnaient jusqu'ici que 45 ou 50 centimes l'heure ont réclamé à leurs patrons le prix de 60 centimes, qui est dit prix de la Série de la Ville de Paris, c'est à dire le prix adopté dans les chantiers où s'exécutent les travaux de la Ville.
Les entrepreneurs n'ayant pas accepté les prétentions des ouvriers terrassiers, ces derniers se sont mis en grève. C'était évidemment leur droit. Malheureusement un certain nombre de grévistes ne s'en sont pas tenus là. Armé de gourdins, ils ont parcouru les divers chantiers, forçant les ouvriers à abandonner leurs travaux et menaçant ceux qui persistaient à continuer...
Il y a eu des arrestations des condamnations en police correctionnelle et il y aura expulsion de tous les étrangers arrêtés dans les bagarres.. Ce n'est que justice; si les étrangers ne sont pas satisfaits du salaire qu'on leur paie en France, qu'ils aillent chercher mieux dans leur pays sans prétendre faire la loi ici.
Le nombre des grévistes est d'environ 15,000. On craint que les maçons se joignent à eux et que tous les travaux du bâtiment soient suspendus. On parle en outre d'une grève des cochers."

Eclaireur de Coulommiers 4 août 1888

 

Dans les petits villages, scieurs et terrassiers avaient-ils la possibilité de revendiquer de meilleurs salaires? Peut être, puisqu'en 1889, des bûcherons se mirent en grève...

"La Chapelle Rablais. Ne trouvant pas leur salaire suffisamment rémunérateur, les bûcherons de la coupe des Moyeux viennent de se mettre en grève. L'exploitation appartient à M. Ouvré, marchand de bois à Paris, conseiller général de Seine et Marne."
Journal de Seine et Marne 14 avril 1889

Doc : le marchand de bois Ouvré
Doc : grève des scieurs ou de terrassiers, articles de journaux