Les voituriers /12° page du dossier
La vie retrouvée
d es voituriers tirachiens

La première mention d'un voiturier à la Chapelle Rablais date de 1786. Il s'agit de Louis Dupont, résidant aux Petites Maisons, fils de Louis Dupont, garde chasses, eaux, plaines, bois et forêts de la terre et seigneurie de Saint Germain Laval et Laval- Saint Germain, lequel Louis Dupont sera père d'un Pierre Louis Dupont décédé en 1806; un autre Louis Dupont sera propriétaire des Petites Maisons en 1832, vingt ans après le décès du Louis Dupont qui nous intéresse. Espérons ne pas les avoir tous confondus!
On le retrouve fermier aux Gargots, en 1791, puis à la Grande Loge d'Echou Boulains, en 1803, deux fermes à la lisière de la forêt de Villefermoy. D'autres Dupont sont signalés à Frévent et l'Etançon, hameaux proches. Il fréquentait les voituriers tirachiens, allant aux noces de l'un: Docquière en 1803, travaillant avec le fils d'un autre: Philippe Joseph Nival en 1803; en 1808, essayant à la succession de Nicolas Joseph Pupin, Tirachien défunt, d'acheter aux enchères une jument grise et un cheval souris pour 365 francs qu'il ne put emporter, n'ayant pas l'argent comptant.. mais Louis Dupont n'était pas originaire de la région de Momignies. Il était né à la Chapelle Rablais, et, à l'âge de seize ans, n'était qualifié que de voiturier, non de Thiérachien; il est cependant probable qu'il participait au débardage du bois.

Autres témoins du décès de Jean Baptiste Laisné: Gabriel Arsant, garde vente, sorte de régisseur d'un marchand de bois, et trois voituriers tierrachiens comme lui, tous trois de son pays. Deux d'entre eux n'ont pas laissé d'autre trace: Jean Louis Dineur et Guillaume Dupuis. Le troisième est présent dans une vingtaine d'actes à la Chapelle Rablais, sous différents noms: Nicolas Joseph Docquière, Docquierre, d'Optière... On le trouve même orthographié de deux manières différentes à quelques lignes d'intervalle dans la table décennale des mariages, encadrant les épousailles d'un autre Tirachien:
Après nous être aventurés jusqu'à la capitale, revenons dans le centre de la Brie pour essayer de découvrir le mode de vie des voituriers tirachiens. Mais comment retrouver la vie quotidienne de migrants qui vivaient il y a deux cents ans et qui ont laissé si peu de traces personnelles?

La prononciation de Docquière, à l'époque, devait être assez "Rock and roll" ou plutôt "Rotche and roll", à la Johnny, puisque Docquière a pu se retranscrire Doctière ou Doctierre! C'est une prononciation tout à fait briarde puisque je me souviens avoir mangé des "tortchiaux" déformation du mot tourteaux: sortes de grosses crêpes...
Appelons-le Docquière puisque c'est ainsi qu'il a appris à tracer péniblement sa marque, bien qu' au cimetière de Momignies soient enterrés de nombreux "Docquier".
C'est le premier "Tirachien" résidant à la Chapelle Rablais à avoir laissé sa trace. Il sera suivi de bien d'autres...

Ci contre: les Petites Maisons , hameau disparu à la limite de la forêt de Saint Germain. Appelé aussi la Darderie, on le trouve sous ce nom sur le plan d'Intendance, fin XVIII°. Le Nord est à droite, la forêt Saint Germain, au Sud, est figurée à gauche.

Dans les archives, on trouve mention de voituriers thiérachiens tout au long du XVIII° siècle: à Presles dès 1740, mais il s'agit probablement de rouliers au long cours; à Château Thierry en 1753, comme à Valjouan en 1771 où il s'agit bien de voituriers en bois... L'usage même du mot "thiérachien" , devenu nom commun pour désigner un voiturier en bois, comme Frigidaire a donné son nom aux réfrigérateurs, prouve que la langue populaire avait assimilé depuis longtemps origine géographique et fonction: il débarde du bois dans la forêt, c'est donc un Tirachien, même s'il est natif de la Brie.

Les premiers Tirachiens de la liste à laisser des traces l'ont fait, non à la Chapelle Rablais, mais à Machault, à trois lieues de là. Evidemment, il existe un lien avec notre petite commune.
Le 7 octobre 1788, meurt chez la veuve Carré, aubergiste à Machault, Jean Baptiste Laisné, 40 ans, époux de Marie Joseph Desquenne, voiturier tierrachien, né à Montmignies, diocèse de Cambray. Etat Civil de Machault AD77 5 Mi 5014 f ° 183/4
Deux autres Laîné ont laissé des traces: Pierre Laurent qui avait vendu, en Thiérache, des chevaux à Nicolas Joseph Pupin, puis décéda en 1807 au Petit Vincennes de la Chapelle Gauthier; et Jean Joseph qui enchérit pour un sac de treilly: 3,50 francs et deux mouchoirs de nez, une cravatte, livrés avec un autre mouchoir de né pour 6 francs, à la vente aux enchères de la succession Pupin. Jean Joseph est encore présent en 1816 puisqu'il demande un passeport pour l'Intérieur à la mairie de la Chapelle, natif de Momignies, pour se rendre à la "forêt de la Fourtière" (peut être la Forestière, Marne) avec deux autres Tirachiens de la Chapelle Rablais .

Evidemment, un Laisné décédé à Machault n'est pas forcément en relation avec un Laîné résidant au Petit Vincennes, commune de la Chapelle Gauthier, puis à la Chapelle Rablais, même s'ils sont tous deux nés à Momignies. Ce sont les témoins qui laissent à penser qu'ils font partie de la même "tribu": l'un est Louis Guinand, maître d'école. L'acte des registres paroissiaux de Machault ne le précise pas, mais il s'agit de l'ancien maître des petites écoles de la Chapelle Rablais, engagé en 1752 par le curé Huvier. Ci dessous, un extrait de l'acte où, en cinquième point, il lui était enjoint de sonner (les cloches) le jour et la nuinct lorsqu'il tonne (quand même il n'auroit pas la charge de sonner) environ pendant l'espace d'une demie heure... Archives de la mairie, la Chapelle Rablais

voir la retranscription de l'acte de 1752


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C'est aussi réaliste que vouloir tenter de raconter les vingt dernières années de ma vie - ou de la vôtre- à partir des seules traces officielles que nous avons laissées. Et pourtant, nous accumulons bien plus de paperasse qu'au temps de Napoléon !

Ils n'ont rien laissé de leur plume. Peut être arrivaient- ils à lire lentement; mais ils ne savaient pas écrire, tout juste apposer quelques lettres maladroites en bas d'un acte. Leur passage sur terre dans notre région n'est noté que sur quelques registres: l'Etat civil, les registres paroissiaux, les Passeports pour l'Intérieur, les décisions de justice et quelques actes notariés.

Certains actes se révèlent des mines de renseignements, d'autres, comme les baptêmes rédigés par le curé Ozouf après la Révolution ne vont pas plus loin que: Tel jour, Untel est né, son père s'appelle Comme- ci et sa mère Comme- ça. Point ! Même pas de parrain, marraine, profession des parents, domicile, témoins ...

Par contre, pour certains, on a la chance d'avoir leur image, non une photo qui n'existait pas encore, ni même un portrait dessiné, mais une description qui figurait sur les Passeports pour l'Intérieur.
Voici François Philippe Badoulet en 1826: "19 ans, taille d'un mètre cinquante sept, cheveux chatains, sourcils chatains, nez aquilin, barbe naissante, visage rond, front rond, yeux brun, bouche moyenne, menton rond, teint coloré, signes particuliers: un poireau dans la figure à la joue près du nez" et son père Philippe Joseph Badoulet, la même année, qui partait avec son fils dans la région de Montmort, où il perdit la vie: "âgé de 57 ans, taille d'un mètre 60 centimètres, cheveux chatains, sourcils chatains nez acquilin barbe noir visage ovale front rond yeux gris bouche moyenne menton rond teint coloré"
Mais, parmi les portraits robots , lequel est le plus proche de l'original ?

Jouer à dessiner un portrait robot sur Internet

Malgré le manque de documents personnels, la moisson de renseignements n'est pas si mince qu'il y paraît. Tiré sur papier, le dossier "Traces de voituriers" dépasse les deux cent quatre vingts feuilles. Famille Badoulet: dix sept feuilles, vingt huit pour la famille Nival, sans compter les retranscriptions d'actes. Le pauvre Etienne Garmont n'a droit qu'à trois lignes. On sait qu'il a existé, qu'il était voiturier, et habitait les Montils avec Adélaïde Demay, sa femme et c'est tout !

Plus de sept cent cinquante personnes figurent sur la liste, tant voituriers qu'épouses, ou marchands de bois, gardes-ventes... et je ne pense pas avoir épuisé le filon: il faudrait dépouiller les communes limitrophes de la forêt de Villefermoy et les actes de tous les notaires de Nangis, le Châtelet, la Chapelle Gauthier et autres bourgs. Je me suis contenté de fouiller dans les papiers de la Chapelle Rablais, effectuer des recherches dans les états civils et les cadastres des villages autour de Villefermoy et des sondages dans les villages proches de forêts d'Ile de France, ainsi que dans les actes notariés de la fin de l'Ancien Régime à la Restauration.

Plus de deux cent vingt voituriers ont été révélés, dont quatre vingt seize ayant un rapport étroit avec les provinces belges; tous ne seront pas cités dans ces pages consacrées à la vie retrouvée des voituriers tirachiens; vous pouvez consulter l'ensemble des sources dans les fichiers suivants:

Lien vers la page "Traces des voituriers"
Tableau récapitulatif "Liste des voituriers"
Retranscription d'actes notariés et autres documents

Par exemple, Louis Nicolas Dupin, né natif de Bréau en 1740 était déclaré "voiturier tirachien" à son décès en 1803, de même que son fils Etienne, mort à trente ans, quelques jours après son père. Tous deux bons Briards, voituriers, demeurant au Petit Vincennes de la Chapelle Gauthier, à quelques centaines de mètres de leur presqu' homonyme Nicolas Joseph Pupin avec un P, résidant aux Trois Chevaux et, lui, Thiérachien d'origine. D'où bon nombre de confusions.
Le premier voiturier...

Les documents...

Il est dommage que la description donnée par les Passeports pour l'Intérieur ne prenne pas en compte l'embonpoint, nous aurions pu découvrir si le nom de famille "Badoulet" correspond à la définition du Dictionnaire français rouchi de 1834, le rouchi étant parlé autour de Valenciennes: badou: fessier; à Maubeuge, enfant gros et lourd. badoulete: femme qui a beaucoup d'embonpoint Ch'est une grosse badoulete. A Maubeuge: simple d'esprit. A noter que le dictionnaire du monde rural donne comme définition: badoulet: à Lille, petit fagot rond.
Simplet, dodu, balourd ou marchand de fagots, comment était le Badoulet à l'origine du nom?